La foi est si étouffante au Québec avant 1960 ?
Publié : jeu. 27 juil. 2017, 18:29
Bonjour,
Juste pour donner quelques témoignages pouvant peut-être tempérer le jugement de la critique.
De Jacques Ferron (Médecin, écrivain ... et souverainiste soft, socialiste, progressiste) :
... il fallait connaître les règles du jeu.
Pour les livres, il y avait l'abbé Bethléem, Sagehomme chez les Jésuites. Il fallait avoir la cote. C'était beaucoup mieux! Je me souviens qu'à Saint-Laurent, je m'étais fait approuver Manon Lescault de l'abbé Prévost. Le censeur avait dit :"'Mais l'abbé Prévost, c'est très bien!" C'était coté "M" dans Sagehomme! Tout n'était pas à l'Index. Nous n'étions pas réduit à lire du Veuillot!
La Grande Noirceur? A vrai dire, je n'ai jamais très bien compris ce que c'était. Les années lumineuses de ma vie, en particulier au collège Brébeuf, sont dans la "Grande Noirceur". Je me suis fait mettre à la porte, il est vrai; je l'avais mérité. Si j'avais joué les règles du jeu ... Je les connaissais, mais j'ai toujours besoin de me faire donner un coup de bâton sur la tête pour pouvoir recommencer sagement. Non, il n'y avait pas la "Grande Noirceur". Il y a peut-être eu de belles années de professeurs. J'en ai frappé d'excellents. Nous avions une marge de liberté véritable.
[...]
Alors qu'on nous demandait d'écrire "AMDG", Ad Majoren Dei Gloriam, en haut des copies, j'ai fonctionné un an et demi avec "Quid mihi?" - "Qu'est-ce que ça me fais?" - avant de me faire mettre à la porte. Cela m'a désigné un peu à l'attention. Ce qui veut dire qu'il y avait quand même un esprit de tolérance. Il ne fallait pas dépasser une certaine limite, mais cette limite tu la connaissais. Je me suis instruit beaucoup chez les Jésuites et j'ai fait des lectures qui me restent. J'apprendrai par coeur Le cimetière marin. J'ai appris peu de chose par coeur mais j'ai au moins appris par coeur Le cimetière marin de Valéry qui nous était donné comme maître.
- Le Maskinongé et le Louiseville de votre enfance ne correspond pas tout à fait à l'image que l'on a généralement de la paroisse et de la famille traditionnelle, milieu très sévère sous la coupe de la religion [...]
... non, franchement, je n'ai jamais ressenti de pression religieuse. D'ailleurs, on prenait les curés et les vicaires en défaut. Mon père était au courant parce qu'i lavait failli entrer en religion, chez les Pères Blancs. Il n'est pas entré dans les ordres, mais il les a toujours surveillés et pris en défaut : il les avait vus avec des filles à Saint-Gabriel-de-Brandon, etc. Il n'y avait que le chanoine Panneton qu'il ne pouvait pas prendre en défaut. Il l'avait pris comme confesseur [...]
En somme, à cette époque, il y avait de la pauvreté et les collèges n'étaient pas remplis, ce qui nous donnait une certaine latitude : on n'était pas tellement sévère. C'est la grande différence entre l'éducation que j'ai reçue et celle que mes enfants achèvent de recevoir. Dès qu'on était bachelier, on choisissait la profession qu'on voulait. On n'était jamais refusé. Tandis que ma fille Martine a été obligée d'aller faire son Droit à Sherbrooke.
Nous étions absolument libres, beaucoup plus libres, par exemple, que ne le sont nos enfants dans le choix des collèges [...] Mais enfin, la "Grande Noirceur" aurait fini quand? Avec Duplessis ...
[...]
Le régime Duplessis, au point de vue politique, a été un régime assez sage où une structure de base a été mise en place, où un crédit assez considérable a été accumulé,qui ensuite va permettre de payer les dépenses fastueuses de la Révolution tranquille. En somme, c'est Duplessis qui a tout préparé. Duplessis n'était pas un ignorant. C'était un homme qui aimait le pouvoir et qui en a usé d'une façon assez convenable, étant donné les circonstances, ce qui n'a pas nui au développement du pays. Au contraire, on peut dire qu'il est le père de la Révolution tranquille.
Le temps des ruptures ... Duplessis a repris le pouvoir en 1944 à cause de la menace que le Fédéral faisait peser sur le monopole clérical, Le clergé s'est opposé à l'instruction obligatoire aussi longtemps qu'on a pas eu les allocations familiales. Il s'y opposait avec les thèses de saint Thomas : le droit des parents. Mais quand les allocations familiales ont été votées ... il a bien fallu accepter l'instruction obligatoire. Cette instruction, les clercs ne pouvaient pas la dispenser. Ils n'étaient quand même pas assez nombreux, et c'est à ce moment-là que se sont formés en plus grand nombre les instituteurs laïcs. Au même moment, les clercs perdaient foi en eux-mêmes et commençaient à défroquer ...
[...]
Le but de Duplessis était de bien gérer la province et il l'a fait, Il l'a structuré et lui a donné du corps. C'est sous son règne que les nouvelles classes ont pris du poil. Elles sont sont sorties toutes armées de la "Grande Noirceur".
Au sujet de la "Grande Noirceur", il ne faudrait pas oublier que ce qui donne un goût amer à ces années-là, c'est surtout la crise économique qui est apparue vers 1929 et qui a duré jusqu'en 1942. On ne peut pas comparer la situation actuelle à la crise de 1929, parce qu'à ce moment-là les gens ont eu faim.
[...]
[Et Trudeau ?]
- Vous jugiez la revue Cité libre antiquébécoise?
Il me semble qu'à cause de la personnalité de Trudeau, il y a là quelque chose d'assez malsain, une haine de ce qui faisait la force du Québec! Une haine de Duplessis. Une haine probablement de ce fils de cultivateur qui, à faire de la contrebande, a installé un réseau de désitribution avec Champlain Oil qui avait apporté la fortune à Pierre Trudeau. Il fallait dompter le Québec, non en son centre, mais de l'extérieur, par le Fédéral. C'est cette haine bien glacée, qu'on ne voit pas, qu'il y a peut-être dans Cité libre et qui n'est pas tellement bénéfique. Les phrases de Trudeau :"Ouvrez les fenêtres, ce pays étouffe!"
C'était déjà un pays toutes portes battantes, où n'importe qui pouvait passer, s'installer, faire ce qu'il voulait. Il fallait de véritables portes, de véritables fenêtres qui soient des fenêtres à soi pour qu'on puisse entrer et sortir comme on le veut et, d'une certaine façon, empêcher que le pays ne soit ravagé par des gens de passage ... Il fallait reprendre en main le territoire! Ce qui n'a jamais été une des préoccupations de Trudeau.
tiré de :
Jacques Ferron, Par la porte d'en arrière. Entretiens, Lanctôt, 1997 (retranscription d'une interview de Jacques Ferron réalisé le 7 novembre 1982 par Pierre L'Hérault)
Juste pour donner quelques témoignages pouvant peut-être tempérer le jugement de la critique.
De Jacques Ferron (Médecin, écrivain ... et souverainiste soft, socialiste, progressiste) :
... il fallait connaître les règles du jeu.
Pour les livres, il y avait l'abbé Bethléem, Sagehomme chez les Jésuites. Il fallait avoir la cote. C'était beaucoup mieux! Je me souviens qu'à Saint-Laurent, je m'étais fait approuver Manon Lescault de l'abbé Prévost. Le censeur avait dit :"'Mais l'abbé Prévost, c'est très bien!" C'était coté "M" dans Sagehomme! Tout n'était pas à l'Index. Nous n'étions pas réduit à lire du Veuillot!
La Grande Noirceur? A vrai dire, je n'ai jamais très bien compris ce que c'était. Les années lumineuses de ma vie, en particulier au collège Brébeuf, sont dans la "Grande Noirceur". Je me suis fait mettre à la porte, il est vrai; je l'avais mérité. Si j'avais joué les règles du jeu ... Je les connaissais, mais j'ai toujours besoin de me faire donner un coup de bâton sur la tête pour pouvoir recommencer sagement. Non, il n'y avait pas la "Grande Noirceur". Il y a peut-être eu de belles années de professeurs. J'en ai frappé d'excellents. Nous avions une marge de liberté véritable.
[...]
Alors qu'on nous demandait d'écrire "AMDG", Ad Majoren Dei Gloriam, en haut des copies, j'ai fonctionné un an et demi avec "Quid mihi?" - "Qu'est-ce que ça me fais?" - avant de me faire mettre à la porte. Cela m'a désigné un peu à l'attention. Ce qui veut dire qu'il y avait quand même un esprit de tolérance. Il ne fallait pas dépasser une certaine limite, mais cette limite tu la connaissais. Je me suis instruit beaucoup chez les Jésuites et j'ai fait des lectures qui me restent. J'apprendrai par coeur Le cimetière marin. J'ai appris peu de chose par coeur mais j'ai au moins appris par coeur Le cimetière marin de Valéry qui nous était donné comme maître.
- Le Maskinongé et le Louiseville de votre enfance ne correspond pas tout à fait à l'image que l'on a généralement de la paroisse et de la famille traditionnelle, milieu très sévère sous la coupe de la religion [...]
... non, franchement, je n'ai jamais ressenti de pression religieuse. D'ailleurs, on prenait les curés et les vicaires en défaut. Mon père était au courant parce qu'i lavait failli entrer en religion, chez les Pères Blancs. Il n'est pas entré dans les ordres, mais il les a toujours surveillés et pris en défaut : il les avait vus avec des filles à Saint-Gabriel-de-Brandon, etc. Il n'y avait que le chanoine Panneton qu'il ne pouvait pas prendre en défaut. Il l'avait pris comme confesseur [...]
En somme, à cette époque, il y avait de la pauvreté et les collèges n'étaient pas remplis, ce qui nous donnait une certaine latitude : on n'était pas tellement sévère. C'est la grande différence entre l'éducation que j'ai reçue et celle que mes enfants achèvent de recevoir. Dès qu'on était bachelier, on choisissait la profession qu'on voulait. On n'était jamais refusé. Tandis que ma fille Martine a été obligée d'aller faire son Droit à Sherbrooke.
Nous étions absolument libres, beaucoup plus libres, par exemple, que ne le sont nos enfants dans le choix des collèges [...] Mais enfin, la "Grande Noirceur" aurait fini quand? Avec Duplessis ...
[...]
Le régime Duplessis, au point de vue politique, a été un régime assez sage où une structure de base a été mise en place, où un crédit assez considérable a été accumulé,qui ensuite va permettre de payer les dépenses fastueuses de la Révolution tranquille. En somme, c'est Duplessis qui a tout préparé. Duplessis n'était pas un ignorant. C'était un homme qui aimait le pouvoir et qui en a usé d'une façon assez convenable, étant donné les circonstances, ce qui n'a pas nui au développement du pays. Au contraire, on peut dire qu'il est le père de la Révolution tranquille.
Le temps des ruptures ... Duplessis a repris le pouvoir en 1944 à cause de la menace que le Fédéral faisait peser sur le monopole clérical, Le clergé s'est opposé à l'instruction obligatoire aussi longtemps qu'on a pas eu les allocations familiales. Il s'y opposait avec les thèses de saint Thomas : le droit des parents. Mais quand les allocations familiales ont été votées ... il a bien fallu accepter l'instruction obligatoire. Cette instruction, les clercs ne pouvaient pas la dispenser. Ils n'étaient quand même pas assez nombreux, et c'est à ce moment-là que se sont formés en plus grand nombre les instituteurs laïcs. Au même moment, les clercs perdaient foi en eux-mêmes et commençaient à défroquer ...
[...]
Le but de Duplessis était de bien gérer la province et il l'a fait, Il l'a structuré et lui a donné du corps. C'est sous son règne que les nouvelles classes ont pris du poil. Elles sont sont sorties toutes armées de la "Grande Noirceur".
Au sujet de la "Grande Noirceur", il ne faudrait pas oublier que ce qui donne un goût amer à ces années-là, c'est surtout la crise économique qui est apparue vers 1929 et qui a duré jusqu'en 1942. On ne peut pas comparer la situation actuelle à la crise de 1929, parce qu'à ce moment-là les gens ont eu faim.
[...]
[Et Trudeau ?]
- Vous jugiez la revue Cité libre antiquébécoise?
Il me semble qu'à cause de la personnalité de Trudeau, il y a là quelque chose d'assez malsain, une haine de ce qui faisait la force du Québec! Une haine de Duplessis. Une haine probablement de ce fils de cultivateur qui, à faire de la contrebande, a installé un réseau de désitribution avec Champlain Oil qui avait apporté la fortune à Pierre Trudeau. Il fallait dompter le Québec, non en son centre, mais de l'extérieur, par le Fédéral. C'est cette haine bien glacée, qu'on ne voit pas, qu'il y a peut-être dans Cité libre et qui n'est pas tellement bénéfique. Les phrases de Trudeau :"Ouvrez les fenêtres, ce pays étouffe!"
C'était déjà un pays toutes portes battantes, où n'importe qui pouvait passer, s'installer, faire ce qu'il voulait. Il fallait de véritables portes, de véritables fenêtres qui soient des fenêtres à soi pour qu'on puisse entrer et sortir comme on le veut et, d'une certaine façon, empêcher que le pays ne soit ravagé par des gens de passage ... Il fallait reprendre en main le territoire! Ce qui n'a jamais été une des préoccupations de Trudeau.
tiré de :
Jacques Ferron, Par la porte d'en arrière. Entretiens, Lanctôt, 1997 (retranscription d'une interview de Jacques Ferron réalisé le 7 novembre 1982 par Pierre L'Hérault)