« L'anthropologie mimétique consiste à reconnaître la nature mimétique du désir et à développer les conséquences de ce savoir, à innocenter la victime unique, et à comprendre que la Bible et les Evangiles ont fait cela avant nous et que nous nous guidons sur eux pour le faire à notre tour. Pour résumer, le mythe est contre la victime, alors que la Bible est pour. Dans le cas de Job, par exemple, on assiste à une sorte de procès totalitaire et inquisitoire, et les échanges avec les trois « juges » constituent une illustration exemplaire du principe de l'unanimité. Les « amis » de Job essaient de le convaincre qu'il mérite d'être condamné, et de temps à autre, il faiblit, il est prêt à reconnaître qu'il est coupable. Finalement, il se redresse et il affirme : « Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière » (Jb 19, 25). le mot « défenseur » est très important et le mot paraclet, qui définit l'Esprit Saint, est lié à ce concept. En grec, parakleitos signifie « avocat de la défense »(1), contre l'accusation formulée par Satan, c'est à dire, étymologiquement, l'accusateur (2). Dans Job, les trois amis sont les accusateurs, donc la voix de Satan. Satan est la voix de l'ancienne religion, de l'ancienne exécution, mais cette voix est contestée par Job. Dans l'ancien ordre sacrificiel, la crise mimétique était résolue par le déclenchement du mécanisme émissaire, qui polarisait toute la violence sur une seule victime. Ceux qui accusent la victime sont les représentants de Satan, l'accusateur, tandis que le Christ est la voix du Défenseur, qui nous avertit : « Que celui d'entre vous qui est sans pêché lui jette le premier une pierre ! » (Jn 8, 7). toute la différence entre l'archaïque et le judéo-chétien tient dans ces attitudes opposées.
Je ne fais que répéter ici ce qu'a dit Nietzsche, mais dans un tout autre esprit. Lui, a pris le parti des persécuteurs. Il croit penser contre la foule. Il ne voit pas que l'unanimité dionysiaque est la voix de la foule. Il suffit de prendre les Evangiles à la lettre pour voir que le Christ n'a guère qu'une douzaine d'apôtres de son côté, et que même ceux-là vacillent. Ce que Nietzsche ne perçoit pas, c'est la nature mimétique de l'unanimité. Il ne saisit pas le sens de l'éclairage apporté par le Christianisme sur les phénomènes de foule. Il ne voit pas que le dionysiaque, c'est la foule et que le chrétien, c'est l'exception héroïque. »
(1)Parakleitos a le sens de « convoqué », « appelé au côté de » ; quelqu'un qui plaide la cause d'un autre devant un juge, un plaidant, un conseiller de la défense, un assistant légal, un avocat. Le Christ est un paraclet dans son élévation à la droite de Dieu, car il plaide auprès de Dieu le Père la rémission de nos péchés. Dans un sens plus vaste, c'est aussi un aide, quelqu'un qui secourt, un assistant. Parakleitos fait aussi référence à l'Esprit Saint qui doit prendre la place du Christ au milieu des apôtres (après son Ascension auprès du Père), pour les conduire à une connaissance plus approfondie de la vérité de l'Evangile, et leur donner la force divine qui leur permette d'affronter les épreuves et les persécutions au nom du royaume divin (Jn 14, 16).
(2)Satan, en hébreu, signifie « adversaire », « opposant », traduit par epiboulos (« comploter contre ») dans la Septante ; aussi « accusateur », traduit par ho diabolos (« calomniateur », « médisant ») in Jb 1, 6 Sq., Za 3, 1,