Zemmour est bon pour dénicher des petites anecdotes, livres ou films qui auront pu marquer une époque. J'aimerais juste en relever quelques unes.
Un extrait :
C'est intéressant d'obtenir ici une "date" pour le changement de paradigme, le lâchage de la classe ouvrière au profit de l'immigré étranger. Ce lâchage des travailleurs du cru correspond peut-être aussi, en simultané, au naufrage définitif du PCF sur l'échiquier politique. Ce serait à vérifier.«Il sont laids. Ils sont bêtes. Ils sont méchants. Ils sont vils. Ils sont vulgaires. Ils sont libidineux. Ils sont misogynes, xénophobes, racistes. Ils sont à la fois couards et violents. Leurs vêtements sont ridicules, leurs plaisirs grotesques, leurs loisirs stupides. Ils jouent au tiercé et boivent des coups au comptoir. Ils passent leurs vacances dans des campings où ils s'entassent au milieu des odeurs de grillade, dans une promiscuité bruyante et avilissante. Jean Carmet et Ginette Garçin composent un couple de Thénardier seventies avec un rare talent; les comédiens qui les entourent sont remarquables, plus veules et vulgaires les uns que les autres; Cosette est jouée par Isabelle Hupert à peine sortie de l'enfance. Cosette meurt , pour avoir résisté à une tentative malhabile de viol du père Thénardier; ces gens-là ratent tout même un viol. La gamine perverse avait un peu provoqué en allumant le vieux renard émoustillé et brutal; même la victime a des taches sur sa blanche hermine.
Dans ce camp... ing du mal, le seul humaniste qui tente d'arrêter le fol engrenage de la violence est ... italien. L'inspecteur de police a tout deviné, mais il renonce à arrêter les vrais coupables pour devenir commissaire; le ministre (de droite bien sûr) préfère détourner le courroux de la justice sur les pauvres Arabes innocents comme l'agneau qui vient de naître.
Ces Arabes venus travailler sur un chantier à proximité du camping pour un salaire dérisoire sont les seuls héros positifs du film. Humbles et fiers à la fois, pauvres mais dignes et hospitaliers, ils forment une tribu d'hommes nobles tout droit sortis du désert et d'un livre de Lawrence d'Arabie. [...]
Mais la réalité importe peu à Yves Boisset. Dans son film Dupond Lajoie, il forge une mythologie. Ces Arabes superbes sont aux yeux de sa caméra, et du spectateur, les nouveaux prolétaires, exploités et méprisés, tandis que les ouvriers , employés, représentants de commerce, tout une lie petite-bourgeoise franchouillarde, sont voués aux gémonies. [...]
Il n'est pas le seul à porter le fer dans la plaie populaire.
Souvent, à la même époque, le talent le dispute à la férocité. Renaud chante «Hexagone», une chanson dans laquelle il traite les Français de rois des cons. Cabu dessine les beaufs et Coluche brocarde le père de Géraaaaard, alcoolique qui reproche à son fils de fumer des pétards. Pour la première fois, dans les années 1970, les jeunes révoltés ne s'en prennent pas seulement aux classes supérieures - aristocratie, bourgeoisie - mais aussi aux classes populaires. Quelques années plus tôt, les militants les plus conscientisés ne juraient pourtant que par le prolétariat, le monde ouvrier, le peuple sanctifié, déifié, idolâtré même. [...]
L'échec de la révolution collective annonce la révolte des seuls individus. L'égalité est remplacé par la liberté. La classe ouvrière devient dans l'imaginaire un ramassis de beaufs franchouillards, alcooliques, racistes, machos. La lie de l'humanité. [...] dans les années 1970, la détestation de la France se double d'une détestation des Français, surtout les plus humbles d'entre eux; à la haine de la France s'ajoute la haine du peuple français. [...]
A la fin du film d'Yves Boisset, le jeune Arabe dont le frère a été tué dans la ratonnade improvisée déboule dans le café de Jean Carmet; il est armé; le met en joue; tire. Le film s'achève sur cet appel au meurtre. Le peuple français doit mourir; la jeune génération de la bourgeoisie n'a pas le courage d'accomplir elle-même la sale besogne. N'est pas Cavaignac ou Thiers (ou Staline ou Mao) qui veut; elle délègue cette mission exterminatrice à l'immigré arabe qu'elle appelle à remplacer le vieux peuple pour mieux le faire disparaître.
Depuis quarante ans, Yves Boisset a réalisé d'autres films, certains remarquables comme Le juge Fayard. Mais Dupond Lajoie restera le plus grand succès de sa carrière, car il a alors exprimé une époque, une idéologie, l'âme d'une génération. Il a voulu dénoncer avec force le rejet de l'Arabe, de l'autre; il a révélé la haine de la bourgeoisie pour le prolétariat; il a accusé la haine de race et a révélé sa haine de classe. Il a voulu exhumer la xénophobie française et a mis au jour la prolophobie des élites parisiennes. Il a cru mettre en lumière le rejet du bicot, du raton, du bougnoul; il a affiché son mépris de la canaille, comme disait Voltaire, du beauf, comme dessinait Cabu, de la populace que tuait Monsieur Thiers. Yves Boisset a cru faire un film sur le racisme; il a en réalité réalisé un film raciste.
Source : Éric Zemmour, Le suicide français, Paris, Albin Michel, 2014, pp.146-151
Une anecdote :
L'anecdote est quand même croustillante.«... alors Marchais joue son va-tout. Dans les derniers jours de cette année 1979, on le retrouve tout sourire sur les écrans télévisés, en direct de la place Rouge à Moscou, soutenant fièrement - presque avec l'arrogance du vainqueur, du collabo, dira-t-on - l'intervention militaire soviétique en Afghanistan. L'effet est catastrophique. Le secrétaire général du PCF ruine en une image des années d'efforts eurocommunistes. Les chars russes à Kaboul évoquent le chars russes à Budapest ou à Prague. L'impérialisme soviétique semble revigoré avec la bénédiction des communistes français. [...] L'intervention en Afghanistan est une réponse à la révolution iranienne; les musulmans soviétiques commencent à s'agiter; l'URSS n'est pas aux avant-postes du totalitarisme communiste pour combattre l'Occident, mais au avant-postes de l'Occident pour combattre le nouveau totalitarisme islamique. [...]
Lorsque Marchais dénonce le rigorisme islamique qui règne alors en Afghanistan, défend les droits des femmes à marcher dans la rue sans voile et des petites filles d'aller à l'école, il ignore que ses arguments seront repris une décennie plus tard par la droite française - qui sur le moment le conspue et le moque - pour légitimer l'offensive de l'Otan contre les mêmes islamistes afghans.» (p.204)
Encore sur Georges Marchais :
«Georges Marchais publiait en une de L'Humanité du 6 janvier 1981 une longue lettre qu'il avait envoyée au recteur de la mosquée de Paris :
«Quant aux patrons et au gouvernement français, ils recourent à l'immigration massive comme on pratiquait autrefois la traite des nègres pour se procurer une main-d'oeuvre d'esclaves modernes, surexploités et sous-payée. Cette main-d'oeuvre leur permet de réaliser des profits plus gros et d'exercer une pression plus forte sur les salaires, les conditions de travail et de vie, les droits de l'ensemble des travailleurs, immigrés ou non [...] Dans la crise actuelle, l'immigration constitue pour les patrons et le gouvernement un moyen d'aggraver le chômage, les bas salaires, les mauvaises conditions de travail, la répression contre tous les travailleurs, aussi bien immigrés que français. C'est pourquoi nous disons : il faut arrêter l'immigration sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. Je précise bien : il faut stopper l'immigration officielle et clandestine, mais non chasser par la force les travailleurs immigrés déjà présents en France comme l'a fait le chancellier Helmut Schmidt en Allemagne fédérale.» [...] (p. 205)