L'égalité en question

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Eremos
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L'égalité en question

Message non lu par Eremos » sam. 25 mars 2006, 13:32

Bonjour à tous :)

A partir de quelques éléments du magistère, je me suis récemment interrogé sur les notions d'égalité et d'inégalté dans le Christianisme et plus particulièrement de leur articulation.
872 " Entre tous les fidèles du Christ, du fait de leur régénération dans le Christ, il existe, quant à la dignité et à l’activité, une véritable égalité en vertu de laquelle tous coopèrent à l’édification du Corps du Christ, selon la condition et la fonction propre de chacun " (CIC, can. 208 ; cf. LG 32).
Jean Paul II ajoute dans Fides et Ratio :
Ayant abattu les barrières raciales, sociales ou sexuelles, le christianisme avait, depuis ses débuts, proclamé l'égalité de tous les hommes devant Dieu.
A l'inverse, Léon XIII dans Rerum Novarum insiste davantage sur l'inégalité humaine mais à un autre niveau...
Enfin le mythe tant caressé de l'égalité ne serait pas autre chose, en fait, qu'un nivellement absolu de tous les hommes dans une commune misère et dans une commune médiocrité.
Le premier principe à mettre en avant, c'est que l'homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l'élévation de tous au même niveau. Sans doute, c'est là ce que poursuivent les socialistes. Mais contre la nature, tous les efforts sont vains. C'est elle, en effet, qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes; différences d'intelligence, de talent, de santé, de force; différences nécessaires d'où naît spontanément l'inégalité des conditions. Cette inégalité d'ailleurs tourne au profit de tous, de la société comme des individus. La vie sociale requiert dans son organisation des aptitudes variées et des fonctions diverses, et le meilleur stimulant à assumer ces fonctions est, pour les hommes, la différence de leurs conditions respectives.
Quelles que soient les vicissitudes par lesquelles les formes de gouvernement sont appelées à passer, il y aura toujours entre les citoyens ces inégalités de conditions sans lesquelles une société ne peut ni exister, ni être conçue.
Saint Thomas d'Aquin, Somme Théologique, Tome 1, Partie 1, a 3 :
ARTICLE 3 : Dieu aime-t-il l'un plus que l'autre?
Objections : 1. Il semble que Dieu aime également tous les êtres. Car on lit au livre de la Sagesse (6, 7) : « Il prend également soin de tous. » Or, la providence de Dieu, par laquelle il prend soin des choses, vient de l'amour qu'il leur porte. Donc il aime également toutes choses.
2. L'amour de Dieu est son essence même. Or, l'essence de Dieu ne comporte pas le plus et le moins. Donc son amour non plus. Il n'aime donc pas certains plus que d'autres.
3 L'amour de Dieu s'étend aux choses créées, de même que sa connaissance et son vouloir. Mais on ne dit pas que Dieu connaisse une chose plus qu'une autre, ni qu'il la veuille davantage. Donc il n'aime pas certains plus que d'autres.
En sens contraire, S. Augustin écrit : « Dieu aime toutes les choses qu'il a faites, et parmi elles, il aime davantage ses créatures raisonnables ; parmi celles-ci il aime davantage celles qui sont membres de son Fils unique, et beaucoup plus encore son Fils unique. »
Réponse : Puisque aimer c'est vouloir ce qui est bon pour quelqu'un, on peut aimer un être plus ou moins en un double sens. Tout d'abord en ce sens que l'acte même de la volonté est plus ou moins intense. De cette façon Dieu n'aime pas certains plus que d'autres, car il les aime tous d'un vouloir simple et toujours égal. En un autre sens, quant au bien qu'on veut pour l'aimé, et là on dit que nous aimons davantage celui pour qui nous voulons un bien plus grand, quand même ce ne serait pas d'une volonté plus intense. De cette façon, on doit nécessairement dire que Dieu aime certains êtres plus que d'autres. Car, puisque l'amour de Dieu est cause de la bonté des choses, ainsi qu'on vient de le dire, une chose ne serait pas meilleure qu'une autre, si Dieu ne voulait pas un bien plus grand pour elle que pour une autre.
Solutions : 1. Quand on dit que Dieu a un soin égal de toutes choses, cela ne signifie pas qu'il dispense par ses soins des biens égaux à toutes choses, mais qu'il administre toutes choses avec une égale sagesse et une égale bonté.
2. Cet argument se rapporte à l'intensité de l'amour, laquelle affecte l'acte de la volonté, qui est identique à l'essence divine. Mais le bien que Dieu veut aux créatures n'est pas l'essence divine. Aussi rien n'empêche qu'il soit plus ou moins grand.
3. L'intellection et le vouloir ne signifient que des actes ; ils n'impliquent pas, dans leur signification, des objets dont la diversité permettrait de dire que Dieu sait ou veut plus ou moins, comme on vient de le dire au sujet de l'amour

:arrow: Deux questions me viennent :

- Comment distinguer et articuler égalité et inégalité sans évaquer l'une ou l'autre ? Car il semble bien que les deux ne se posent pas à un même niveau.

- Quelles en sont les conséquences dans l'ordre politique ? A savoir surtout en démocratie, où l'on connait la soif d'égalité qu'ont les hommes.

Une première réponse peut être apportée par le Catéchisme de l'Eglise :
II. Egalité et Différences entre les hommes

1934 Créés à l’image du Dieu unique, dotés d’une même âme raisonnable, tous les hommes ont même nature et même origine. Rachetés par le sacrifice du Christ, tous sont appelés à participer à la même béatitude divine : tous jouissent donc d’une égale dignité.

1935 L’égalité entre les hommes porte essentiellement sur leur dignité personnelle et les droits qui en découlent :

Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée, comme contraire au dessein de Dieu (GS 29, § 2).

1936 En venant au monde, l’homme ne dispose pas de tout ce qui est nécessaire au développement de sa vie, corporelle et spirituelle. Il a besoin des autres. Des différences apparaissent liées à l’âge, aux capacités physiques, aux aptitudes intellectuelles ou morales, aux échanges dont chacun a pu bénéficier, à la distribution des richesses (cf. GS 29, § 2). Les " talents " ne sont pas distribués également (cf. Mt 25, 14-30 ; Lc 19, 11-27).

1937 Ces différences appartiennent au plan de Dieu, qui veut que chacun reçoive d’autrui ce dont il a besoin, et que ceux qui disposent de " talents " particuliers en communiquent les bienfaits à ceux qui en ont besoin. Les différences encouragent et souvent obligent les personnes à la magnanimité, à la bienveillance et au partage ; elles incitent les cultures à s’enrichir les unes les autres :

Je ne donne pas toutes les vertus également à chacun ... Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre ... A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive ... Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres ... J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi (S. Catherine de Sienne, dial. 1, 6).

1938 Il existe aussi des inégalités iniques qui frappent des millions d’hommes et de femmes. Elles sont en contradiction ouverte avec l’Evangile :

L’égale dignité des personnes exige que l’on parvienne à des conditions de vie plus justes et plus humaines. Les inégalités économiques et sociales excessives entre les membres ou entre les peuples d’une seule famille humaine font scandale. Elles font obstacle à la justice sociale, à l’équité, à la dignité de la personne humaine, ainsi qu’à la paix sociale et internationale (GS 29, § 3).
:arrow: Précisément, comment distinguer dans l'organisation de la Cité les inégalités iniques des inégalités justes ? Quels critères nous le permettent ? Comment être sûr de ne pas offenser notre égale dignité par ces inégalités ?

Par exemple cette proposition du Catéchisme :
1947 L’égale dignité des personnes humaines demande l’effort pour réduire les inégalités sociales et économiques excessives. Elle pousse à la disparition des inégalités iniques.
Me semble aller étrangement contre ce que pouvait affirmer Léon XIII.
il y aura toujours entre les citoyens ces inégalités de conditions sans lesquelles une société ne peut ni exister, ni être conçue.
Mais ce ne doit être qu'une différence apparente et superficielle.



Complément : Document sur "La Famille et les droits de l'Homme" (Alfonso Cardinal López Trujillo) :
[align=center]3. LA PERSONNE:
SA DIGNITÉ, SES DROITS[/align]


3.1. Dignité et égalité

18. Le concept de dignité de l'être humain doit toujours être la clé d'interprétation de la Déclaration de 1948. Il est mentionné au premier paragraphe du préambule, reconnu à l'article premier et réaffirmé par la suite tout au long de la Déclaration. Toutes les affirmations, principes et droits mentionnés dans la Déclaration ont été rédigés et doivent être interprétés à la lumière de la dignité propre à l'être humain.

19. La Déclaration recueille le fruit du patrimoine historique de l'humanité. La conception chrétienne de l'homme donne à cette réalité un fondement encore plus solide, puisqu'elle affirme que l'homme est le seul être qui vaut pour lui-même, et pas seulement en raison de l'espèce. Qui plus est, c'est un être qui a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,27) et qui, de ce fait, est doté d'une valeur absolue: la créature humaine est aimée de Dieu pour elle-même, comme fin.22 Elle n'est donc pas un moyen, une chose manipulable.

20. La Déclaration universelle commence par affirmer qu'elle reconnaît la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine, ainsi que leurs droits égaux et inaliénables.23 Elle confirme ainsi que cette dignité est une réalité qui émane de ce que l'homme est, autrement dit de sa nature. Elle est, par conséquent, le reflet de la réalité substantielle et spirituelle de la personne humaine, et non celui d'une création de la volonté ou d'une concession des pouvoirs publics, ni le produit des cultures ou des circonstances historiques.

21. Dans la Déclaration, la dignité de l'être humain est mise en relation avec la raison et la conscience dont l'être humain est doté24 et donc avec son libre arbitre. C'est aussi ce que souligne expressément l'encyclique Pacem in terris.25 Il est donc évident que la dignité n'est pas un concept vague, purement formel ou vide, mais au contraire un concept riche en contenu, comme le montrent les articles ultérieurs de la Déclaration. Il s'agit de la dignité et de la possibilité pour chaque personne réelle de réaliser sa propre personnalité et ses propres droits, non pas de façon abstraite, mais concrètement, en tant que femme ou homme, épouse ou époux, enfant ou parent.

22. La Déclaration, d'un autre côté, proclame et reconnaît la pleine égalité de toute personne,26 d'où l'interdiction de toute forme de discrimination ou de limitation de ses droits pour des motifs « de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique,... d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».27 Cette égalité se manifeste également en reconnaissant à toute personne des droits à chaque stade de sa croissance et à chaque moment de sa vie.

Et comment juger de ce que tel ou tel bénéficiera de telle ou telle inégalité, pour nous qui n'avons une connaissance des coeurs que très partielle ?

[align=center]Image[/align]


[align=center]***[/align]


J'espère ne pas être trop embrouillant ?! Votre opinion, vos lumières sur cette question m'intéresse vivement !

PS : Au sujet des preuves de l'existence de Dieu, je n'oublie pas de condenser la "crêpe" ;-) Mais pour le moment, je vais réviser pour mon concours blanc. :(

En Christ,
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NISI Dóminus ædificáverit domum, in vanum laboravérunt qui ædíficant eam.
(Liber Psalmorum, 126)

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Message non lu par MB » lun. 03 avr. 2006, 12:10

Avé !

C'est un gros morceau que ce sujet...

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Message non lu par Eremos » lun. 03 avr. 2006, 15:05

Apparemment ;-)
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(Liber Psalmorum, 126)

MB
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Message non lu par MB » jeu. 27 avr. 2006, 11:14

Bon, depuis le temps que ce sujet a été lancé, il faudrait peut-être s'y mettre, quitte à dire des erreurs qui seront ensuite - je l'espère - corrigées.

Un des problèmes ici tient à l'éventuelle confusion entre égalité en dignité et inégalité en facultés de toute sorte. Quoique nous soyons tous enfants de Dieu, il apparaît clairement que certains sont, par exemple, plus forts, plus habiles dans tel ou tel domaine. On pourrait dire que certains sont plus intelligents que d'autres, encore que l'intelligence puisse revêtir tant de diverses formes qu'il soit impossible de la classer définitivement.

L'un des problèmes vient, à mon avis, de ce que nous ne sommes pas forcément d'accord sur la notion de dignité. Pour ne prendre que cet exemple, on peut n'en avoir qu'une vision terrestre (celle à laquelle beaucoup de gens se limitent, malheureusement). Par exemple, des gens peuvent juger qu'on nie la dignité humaine si l'on estime telle ou telle personne moins douée, moins bonne, ou discriminée de telle ou telle manière par rapport à autrui, même quand cela est patent. J'ai d'ailleurs utilisé le mot "discrimination", employé à toutes les sauces aujourd'hui, avec un très fort caractère négatif : signe de la difficulté de la réflexion sereine dans ce domaine. Dans un autre cadre, je pourrais parler du terme de "sélection", qui paraît monstrueux à beaucoup de gens.

L'autre problème tient à la délimitation des inégalités. Beaucoup d'entre elles sont articulées à partir d'étalonnages purement humains, culturels et variables.
Par exemple, nous pouvons dire que beaucoup de gens ne sont pas beaux ; mais les critères de la beauté varient d'une époque à une autre, et telle personne que nous trouvons belle peut être laide dans un autre contexte. C'est donc le choix humain de telle ou telle valeur qui crée l'inégalité ; le problème étant que le choix humain n'est pas forcément illégitime.
Autre exemple - qui m'a beaucoup frappé - : un de mes amis, prof dans un lycée, donnait un cours d'histoire ; l'un de ses élèves, assez agité, voulait absolument intervenir, c'était pendant le cours sur les causes de la 2me guerre mondiale ; on parlait de l'affaire des Sudètes (affaire qui paraît bien embrouillée à des lycéens pour la plupart totalement incultes). Le prof s'est énervé, et lui a dit de faire le cours à sa place. Si fait ! L'élève s'en est brillament tiré, a bluffé son prof, manifestait plein de qualités pédagogiques, et a captivé ses camarades... en fait il se destinait lui-même à entamer une carrière dans l'enseignement. Il avait donc toutes les capacités requises, et se tenait en haut de la hiérarchie inégalitaire des capacités pour ce genre de métier. Le hic, c'est qu'il ne savait pas écrire, ou si mal ; il lui était donc impossible de passer les concours. D'un coup, donc, et en fonction d'un autre critère de discrimination, il était relégué tout en bas de l'échelle... je pense que cet exemple montre bien le caractère à la fois relatif des critères d'inégalité, mais en même temps indispensable (il faut être cultivé pour enseigner, mais en même temps, dans une société d'écriture, savoir écrire...).

Au risque d'enfoncer des portes ouvertes, je pense que la manière de se "sortir" de cette question et de n'en faire pas tout un plat, c'est l'amour ou du moins l'estime que nous pouvons porter à notre prochain ; c'est aussi la capacité à sortir un minimum de nos critères de jugements terrestres ; cela rendra tout ce débat un peu vain ! Mais c'est un sacré boulot, évidemment...

Cordialement
MB

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