Bonjour Perlum Pimpum,
Merci pour votre réponse détaillée, qui, si elle passe à côté de mon développement sur la nature de la Liturgie, a le mérite de confirmer ce que je pensais de votre conception de cette dernière : une réalité déterminée de façon purement positive par le droit de l'Église, qui a discrétion absolue et incontestable de la modifier à sa guise.
Je ne pense pas que cette conception soit traditionnelle. Il est vrai que seules les autorités ecclésiastiques légitimes sont maîtres des formes de la Sainte Liturgie ; et je ne leur conteste aucunement ce pouvoir, rendant ainsi inutiles vos insinuations comme quoi je nierais le pouvoir immédiat de juridiction du Pontife Romain, à qui nous devons cette dernière réforme.
Il y a cependant une autre réalité de la liturgie, qui fait d'elle le lieu où l'Église se réalise et se manifeste. La Liturgie est la prière de l'Église ; elle est le lieu où l'Église s'accomplit le plus parfaitement et se révèle ; si bien qu'on doit tenir qu'en un sens, c'est la liturgie, dans ce qu'elle a de rituel, qui fait l'Église, dans ses diverses incarnations rituelles.
Il n'y a pas de doute que la réforme de 1969 est légitime, en ce sens qu'elle ne va pas au-delà des pouvoirs concédés par le Christ à son Église. Ces pouvoirs sont extrêmement étendus, et on n'imagine pas qu'ils soient employés à la légère : pourtant, ils peuvent l'être, par une erreur de jugement prudentiel.
Et vous me permettrez de ne pas avoir une conception jésuite de l'obéissance : le devoir d'obéissance n'exige pas de moi que je considère bon ou prudent ce que l'autorité légitime a décidé, et que je me dois d'exécuter.
Le Siège Apostolique pourrait très bien, demain, pour une raison théologique vaguement rationnelle, imposer que dans toutes les liturgies chrétiennes (orientales comme occidentales), on proclame l'Évangile après la Consécration plutôt qu'en conclusion de la Liturgie de la Parole. Il n'y aurait aucun dogme affecté ; ladite modification serait tout de même une liturgie "procédant de la foi catholique" (je reviendrai plus bas sur cette expression).
Une telle modification resterait une rupture de Tradition, une innovation aussi inouie qu'inutile et blâmable. (dans le même genre, on pourra citer la "correction" des hymnes du bréviaire par Urbain VIII, refusée par bien des Ordres).
Techniquement le Siège Apostolique pourrait, demain, abolir l'ensemble des diocèses du monde pour en re-ériger de nouveau ex nihilo. Si demain le Souverain Pontife prenait une telle décision sans nécessité grave et urgente, on lui désobéirait à juste titre.
Même dans le domaine magistériel, le Souverain Pontife a une obligation morale, mais non nécessaire, de consulter avant de proclamer ex cathedra un dogme. S'il choisit de ne pas le faire (et si Dieu ne l'empêche pas de faire une bêtise), le dogme ainsi proclamé demanderait assentiment. On serait cependant en droit de remettre en cause l'opportunité d'une telle proclamation (c'est ainsi que je pense que Vatican I aurait mieux fait de ne pas proclamer l'infaillibilité pontificale, même si je me soumet à ce dogme avec joie).
Le plein exercice du pouvoir de juridiction de l'Église admet donc des limites morales.
Tout cela pour dire que j'exprime mon désaccord avec votre énoncé :
Perlum Pimpum a écrit : ↑jeu. 22 juil. 2021, 12:19
toute liturgie qui procède de la foi catholique est traditionnelle.[/list]
Précisément, non. Une liturgie est traditionnelle si elle s'inscrit dans une tradition rituelle objective, qui est interne à la liturgie et à sa transmission par une Église ou communauté donnée.
Une création liturgique "ex nihilo" (comme l'Église a le pouvoir d'en faire, et l'a par exemple récemment fait avec le rite des Ordinariats anglicans) est possible, mais elle se situe alors au commencement d'une Tradition, qui demande à se développer selon ses principes propres.
Votre définition pose également problème, en tant qu'elle sous-entend que la foi catholique serait comme antérieur logiquement à la liturgie célébrée. Cela me semble contestable, car le contenu de la foi procède de l'ensemble de la Tradition ecclésiastique, discernée par le Magistère (Magistère qui est un
munus distinct de l'autorité régulatrice de l'Église sur la liturgie). Dans cette Tradition ecclésiastique, la liturgie occupe une place de choix, et qui est incontournable pour tout chrétien ; car c'est là que l'Église enseigne ses enfants, non par un exposé didactique, mais par l'acte même de prier Dieu avec et pour eux. C'est là qu'elle leur expose le sens des Écritures Saintes, et les proclame sacramentellement par les ministères liturgiques ; c'est là qu'elle proclame et célèbre les saints qui l'ont fortifiée et édifiée. Il y a ainsi un sens où l'on peut dire que la foi de l'Église procède de la Liturgie.
La Révélation chrétienne qui est l'objet de la foi, en effet, n'est pas un simple assentiment notionnel à des propositions (je vous renvoie pour plus de détails au commentaire de De Lubac sur Dei Verbum) : elle est la réponse du croyant à l'oeuvre salvifique de Dieu dans l'Histoire. Or, la liturgie est précisément cette oeuvre de salut réactualisée constamment par l'Église ; si bien que le croyant croit en vertu de la liturgie.
- (c) Le rite tridentin est ainsi traditionnel puisqu’il procède de la foi et met particulièrement en lumière le caractère sacrificiel de la Messe. Mais tout traditionnel qu’il soit, ce n’est pas lui faire offense que de constater qu’il ne souligne que très peu le fait que la communion eucharistique est un repas pascal : la messe est un repas de communion où Dieu se donne à manger et à boire… Cet aspect est bien plus surligné par le premier rite qu’a connu l’Église : celui dont s’est servi Jesus !
Assertion gratuite, pour ma part je ne vois pas en quoi le Novus Ordo le souligne davantage. Je rappelle que le livre qui a introduit la notion de "Mystère Pascal", par Bouyer, est un commentaire sur la Semaine Sainte pré-piane.
(2) Il est monstrueux d’affirmer que le nouveau rite romain ne procède pas de la foi de l’Église.
Nous sommes bien d'accord ; il est impossible que l'Église promulgue un rite hérétique ou incitant à l'hérésie. Ceux qui tiennent cette thèse ont déchu de la foi catholique.
Il est monstrueux de refuser l’obéissance à la loi ecclésiastique - en l’occurrence à la loi portée par TC - par attachement à un rite particulier.
Je ne dirais pas que c'est monstrueux ; c'est une erreur compréhensible, mais elle est tragique. Quand, par exemple, le synode de Diamper en 1559 impose aux syro-malabares récemment unis une latinisation quasi complète de leur rite ancestral, je comprend que la réaction spontanée de la majeure partie de cette Église ait été de se séparer de la hiérarchie latine et de retourner au schisme pour préserver leur patrimoine liturgique traditionnel et ancestral. Je blâmerai bien davantage les jésuites d'avoir été cause d'un grand scandale.
Il importe aucunement de savoir si « la réforme de 1969 et les suivantes, quoique parfaitement orthodoxes, constituent une rupture grave du développement organique du rit romain ». Ce qui importe est de savoir si le nouveau rite est traditionnel. Il l’est de votre aveu même, puisque vous le dites orthodoxe.
Il me semble avoir suffisament répondu par ailleurs.
Quant à dire que le nouveau rite romain comporterait « un nombre considérable de changements injustifiés », je vous répondrais seulement que vous n’en êtes pas juge. La question de l’opportunité donc de la justification du nouveau rite n’est pas de votre ressort mais de celui du titulaire de l’autorité légitime. Le législateur suprême a jugé opportun de modifier le rite romain en substituant un nouveau rite à l’ancien : cela est de sa seule compétence.
Oui, et comme dit plus haut, je n'ai aucun droit de contester la validité de la promulgation de la liturgie réformée, qui est réellement un rite liturgique de l'Église catholique, ni de la modifier à ma sauce quand je la célèbre. Mais je peux contester la prudence de sa promulgation et du remplacement de la liturgie traditionnelle (au sens que j'ai donné).
Vous ne pouvez pas opposer Sacrosanctum Concilium à la loi pontificale ayant modifié le rite (ou la forme du rite).
(1) D’abors pour une raison générale. À supposer - supposé, non concédé - que SC ait ici porté une loi plutôt qu’une déclaration d’intention, restera toujours qu’un Pape peut modifier la loi ecclésiastique. Tout Pape étant sujet de la plénitude de juridiction, tout Pape peut annuler ou réformer la loi posée par l’un de ses prédécesseurs ou par lui-même antécédemment.
Cela est vrai. Et cependant, les mots ont un sens. Si l'on parle de "liturgie du Concile", il faut bien que cette dernière corresponde au cahier des charges fixé par le Concile. Si le Pape a modifié et allongé ce dernier, alors qu'on parle de la liturgie de Paul VI, et par de liturgie du Concile.
Ensuite pour cette raison particulière que SC 4 affirme vouloir conserver et favoriser le rite romain quitte au besoin à le réviser entièrement…**** : « Enfin, obéissant fidèlement à la Tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières ; et il souhaite que, là où il en est besoin, on les révise entièrement avec prudence dans l’esprit d’une saine tradition et qu’on leur rende une nouvelle vigueur en accord avec les circonstances et les nécessités d’aujourd’hui. »*****
SC est un document rempli de tensions, en partie sur l'ampleur à donner aux réformes. La citation que vous me donnez ne laisse certainement pas penser à une révision si radicale que celle que nous avons vu ; c'est d'ailleurs ce que laisse penser SC 23 :
Afin que soit maintenue la saine tradition, et que pourtant la voie soit ouverte à un progrès légitime, pour chacune des parties de la liturgie qui sont à réviser, il faudra toujours commencer par une soigneuse étude théologique, historique, pastorale. En outre, on prendra en considération aussi bien les lois générales de la structure et de l’esprit de la liturgie que l’expérience qui découle de la récente restauration liturgique et des indults accordés en divers endroits. Enfin, on ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique.
Typiquement, je ne vois pas comment les quatre PE supplémentaires "sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique". On sait bien qu'elles furent introduites pour contrer la prolifération de PE sauvages.
En tant que sujet de la loi, vous avez à vous soumettre à la loi [cf. 6.3], étant manifeste qu’elle n’attente pas au bien commun surnaturel, la sanctification des âmes.
Il est naturel qu'un peuple veuille conserver les richesses qui l'ont nourri dans la Foi. La liturgie est une réalité culturelle, avant d'être une réalité légale. Si l'autorité légitime dans l'Église use de son pouvoir de facon trop cassante, il est normal qu'elle rencontre des résistances ; et ca n'est pas, il me semble, parce qu'on résiste à une autorité qu'on la désavoue.
La conviction spontanée qui se cache derrière, et qui est largement partagée par l'Orient chrétien, est que les formes liturgiques se sont historiquement développées comme le trésor commun de toute l'Église, poli par la prière des générations, sous la conduite de l'Esprit-Saint, qui peut être dit avoir inspiré le développement organique de la liturgie chrétienne. L'attachement au rituel de ces dernières est une expression de foi et de piété filiale envers nos Pères dans la foi ; en la frustrant indûment, l'autorité ecclésiastique légitime impose une épreuve à ses enfants les plus fidèles.
Je vous conseille cet article :
https://espritdelaliturgie.org/2021/07/ ... ontificum/