Cher Carhaix,
Les chants de Kovalevsky sont connus, et certains chefs de chœur les utilisent (je connais une paroisse tradie qui y a recours). Il suffit de se pencher, et de les ramasser pour les utiliser. Libre aux chefs de chœur d'y faire leur moisson.
Il s'agit probablement de la paroisse à laquelle je pense
Les pièces de l'ordinaire ne posent aucune difficulté en latin à la foule. Il n'y a pas si longtemps, ils étaient chantés à pleins poumons par des gens sans instruction, parce que c'était dans la culture, et qu'il suffit d'entrenir cette culture (ce que font déjà les tradis, et que faisait l'Église jusqu'au Concile). Et il faut mettre une sacrée mauvaise volonté pour ne pas comprendre que Gloria in excelsis Deo veut dire Gloire à Dieu au plus haut des cieux.
Certes, et c'est très exactement ce que j'expliquais plus haut : il n'y a rien de plus beau qu'une foule chantant d'une seule voix le Pater, le Quia Tuum, le Credo, le Gloria...
Mais si vous voulez des chants qui traduisent tout cela en vernaculaire, y compris les trois mots grecs qui composent le Kyrie (et qui demanderaient un effort surhumain pour être compris), hé bien la vaste collection de chants notés regorgent de ces chants. On en compose à foison depuis soixante ans, et on continue à en ajouter de nouveaux. Ça existe déjà.
Certes. Aussi n'est-ce pas exactement ce que je suggère (quoi qu'il est permis de penser que l'on peut composer des « Gloria » en français qui soient beaux à entendre).
Reste donc les pièces du propre ! Pourquoi voulez-vous qu'ils soient chantés en français puisque la foule ne fait que les entendre ? Vous pensez vraiment que la foule qui écoute une chorale chanter fait attention à la langue, et arrive à comprendre le texte s'il est chanté en français ? Non, la plupart des gens décrochent. Et la langue chantée ne pose absolument aucun problème à qui que ce soit. Lorsque les gens écoutent le requiem de Mozart, sont-ils gênés par le latin ? Non. Personne n'est gêné. D'ailleurs on peut chanter des pièces de la Renaissance dans une messe, même moderne, si on veut, il n'y a absolument personne qui souffre et qui se plaint d'avoir ouï des chants en latin. Je crois très sincèrement que vous créez un problème qui n'existe pas, et que vous compliquez la situation plus qu'elle ne l'est.
Je crois que l'exemple du Requiem de Mozart n'est pas pertinent, car il s'agit d'une pièce de musique faite pour être jouée dans un concert et non dans le cadre d'un office ou d'une Messe (quoi qu'on en dise). Par ailleurs, les textes du propre sont suffisamment riches pour que cela vaille le coup que le peuple puisse comprendre ce qu'ils disent. En effet, ils ne sont pas sans lien avec l'action qu'ils commentent ou accompagnent. Et par ailleurs, ils sont très riches de sens et de signification, aussi irremplaçable que les lectures de la Messe.
Ensuite, recomposer tous ces chants représente un travail énorme. Je vous rappelle que la restauration des antiennes latines a demandé des décennies de travail acharné à des moines bénédictins érudits entièrement dévoués à la cause. Alors qui va faire ce travail énorme, qui doublonne inutilement ce qui existe déjà, ne sera utilisable que dans l'ère francophone (alors que les livres de Solesmes sont utilisables dans le monde entier) ? Et pour répondre à un problème qui n'existe même pas ! Cela me semble à la fois étrange et absurde.
Je suis d'accord, le travail sera énorme. Ce n'est pas une raison pour ne pas l'accomplir.
Et puis, est-ce qu'il n'y en a pas assez de se lancer dans des expérimentations encore et toujours pour inventer de nouvelles pratiques ? Ça fait soixante ans qu'on expérimente, pour les piteux résultats que nous voyons. Est-ce qu'à un moment, il ne faut pas dire : stop, on arrête les expériences ravageuses, et on revient aux fondamentaux ?
Ce n'est pas au sens strict une innovation, puisqu'il ne s'agit que d'une traduction en français de ce qui existe déjà en latin. Rien à voir avec les âneries de nombreuses paroisses.
Quant à la réunion des deux missels, c'est un autre problème. Je ne pense pas que ce soit à l'ordre du jour. Il faudrait déjà que le nouveau missel remplisse les paroisses, et suscite des vocations, avant de pouvoir proposer aux tradis de renoncer au missel de 62, au profit d'un nouveau missel qui fasse consensus. Franchement on ne prend pas cette direction. En revanche, je verrais bien une révision plus traditionnelle du missel de 69, notamment de son offertoire, à l'image de la reformulation des paroles du Notre Père (qui cependant n'est pas allé jusqu'à revenir à l'ancienne version, juste pour ne pas reconnaître les erreurs commises, par une espèce de fierté pas très constructive, et ainsi on continue à avoir deux Notre Père parallèles...)
Sauf que le gouvernement de la liturgie revient uniquement au siège apostolique, qui travaille progressivement (et lentement) à la réunification du rite romain ; ce gouvernement repose entièrement dans les mains du siège apostolique, et en ses seules mains, à l'exclusion de tout autre acteur (traditionaliste ou non). La question des vocations est une question importante, mais indépendante de celle que vous présentez.
Je suis d'accord avec vous sur la réforme de l'offertoire par ailleurs.
Et puis, Socrate d'Aquin, il y a quelque chose qui m'interpelle dans votre idée. Vous ne semblez pas prendre en compte la grande raison qui a conduit à écarter les antiennes dans la nouvelle liturgie. Cette grande raison, c'est de faire participer les fidèles. C'est pour cela d'ailleurs qu'on a ajouté des dialogues avec la foule là où ils n'existaient pas, à l'offertoire et à la consécration, ou après le Notre Père. L'échange de la paix du Christ répond à la même idée, qui voulait que la foule ne soit pas passive. Or, pendant le chant des antiennes, que fait la foule ? Rien, elle écoute. C'est exactement ce que la réforme voulait éliminer.
Je crois au contraire que si l'une des raisons qui a poussé les réformateurs de la liturgie romaine à effectuer cette réforme était effectivement la participation des fidèles (laquelle doit être comprise dans le sens qu'avait indiqué le concile : pieuse consciente et active (actuosa)), ce n'est pas la seule, et il n'est même pas certain que ce soit la principale. Comme vous l'avez vous-même dit, la foule peut chanter en latin, au moins l'ordinaire. L'une des raisons pour lesquelles l'Eglise a jugé bon d'autoriser les langues vernaculaires est la compréhension par les fidèles. Si la seule et unique raison avait été de faire chanter la foule, elle eut maintenu le latin obligatoire (car comme vous l'avez vous-même dit, l'assemblée peut chanter en latin, et souvent elle le fait encore très volontiers). Il est exact que des dialogues ont été introduits dans la liturgie romaine ; mais cette introduction ne signifie pas l'élimination de la schola cantorum, ni le chant de l'intégralité de la Messe par l'assemblée. Encore une fois, ce n'est pas ce que prévoit le missel.
Et ce n'est pas du tout parce que ces antiennes étaient en latin. Donc le latin n'est pas du tout le problème. Du moins, ce n'est pas le problème qui a été mis en avant à l'époque pour les éliminer.
Attention : si ces antiennes ont disparues de la plupart des paroisses, elles n'en sont pas moins présentes dans les textes officiels de la liturgie romaine. Si vous voulez vous en assurer, je vous invite à ouvrir le Missel romain (ed. ty. 2002), le Graduale romanum et le Graduale simplex.
Mais en fait, ça va beaucoup plus loin. L'élimination des antiennes répond totalement à l'architecture de la nouvelle messe.
Comme je l'ai expliqué plus haut, ce n'est pas vrai.
Passons en revue les cinq antiennes.
L'introït.
Dans la nouvelle messe, la célébration commence par un chant d'entrée. Et à l'issue, on passe directement au kyrie, ou éventuellement au Je confesse à Dieu.
Dans l'ancien Missel, il y a aussi un chant d'entrée pendant la procession, mais avant d'arriver au Kyrie, il y a les prières au bas de l'autel, et c'est à ce moment que la schola chante l'introït. Que fait la foule ? Elle prie avec le prêtre.
Vous voulez restaurer l'introït, mais traduit en français, pour le nouveau missel. Que vont faire le prêtre et la foule ? Rien, puisqu'il n'y a plus de prières au bas de l'autel. Ce sera la passivité totale (que voulait éliminer le nouveau missel).
À Solesmes, le problème ne se pose pas, puisque l'introït fait office de chant d'entrée (impensable dans une paroisse).
Le nouveau missel ne voulait pas la participation sans frein, ni le chant ininterrompu de la foule. C'est un mythe. D'ailleurs, vous citez Solesmes (qui a adopté le nouveau missel), qui ne connait pas la plupart des défauts que vous énumérez.
Par ailleurs, je ne vois pas ce qui empêcherait de chanter l'introit pendant la procession d'entrée du clergé, en latin ou en français, dans l'une ou l'autre forme du rite romain.
Cela pose un problème supplémentaire : dans l'ancienne doctrine, la liturgie est une action que rien ne peut interrompre. Le prêtre ne peut pas s'arrêter, puis reprendre la messe. C'est pour cela que tout se passe à l'autel entre le prêtre et le servant. C'est ce que dit le prêtre à l'autel qui agit et qui constitue l'action en cours. Ce que font la schola et la foule n'est qu'une association à ce que fait le prêtre. Donc la schola chante l'introït pendant que le prêtre dit les prières au bas de l'autel, uniquement par commodité. Ensuite, le prêtre monte à l'autel et lit l'introït, puis il lit le kyrie, d'une traite, pendant que la schola termine de chanter l'introït, et enchaîne avec le kyrie. En général, le prêtre attend que le Kyrie soit terminé pour se retourner vers la foule et chanter le début du Gloria, puis il se tourne de nouveau vers l'autel pour continuer le reste du Gloria à voix basse.
Ce n'est pas exact : à l'homélie, plusieurs détails de l'ancien missel (le prêtre qui ôte le manipule, voire la chasuble, commence et achève l'homélie par un signe de croix...) montre que l'homélie constitue une « pause » dans la Messe. Cela n'existe pas dans le nouveau missel...
Par ailleurs, on peut penser que le « doublage » de certaines parties de la Messe est une absurdité dont la disparition est réjouissante.
Les deux missels sont vraiment à des années lumière l'un de l'autre. Pas du tout la même philosophie, ni le même rapport au temps liturgique. C'est déjà une grande concession qui s'est faite au XXe siècle de prononcer l'homélie puis de distribuer la communion aux fidèles pendant la messe, ce qui oblige à interrompre l'action liturgique, alors qu'autrefois le sermon était prononcé à un autre moment, et la communion était distribuée une fois la messe terminée.
Sauf que c'est un abus : la raréfaction de la communion avait provoqué l'absurdité dont vous parlez ici. Et la déconnexion entre l'homélie et la Messe est dans la même logique.
Par ailleurs, je ne connais aucune paroisse traditionaliste où la communion est distribuée après la Messe et où l'homélie a lieu en-dehors d'icelle. Eux aussi sont tributaires du mouvement liturgique, eux aussi ont associé les fidèles à la Messe. Même à la FSSPX, il n'est pas rare de trouver un chantre diriger les chants depuis un pupitre, à l'entrée du sanctuaire (pratique que je n'aime guère, soit dit en passant).
Donc, s'il faut réintroduire l'introït, cela veut dire que les gens vont chanter le chant d'entrée pendant la procession. Puis tout le monde va s'asseoir pour écouter l'introït de la schola. Et enfin, la messe va commencer ? Je suis dubitatif.
C'est ce qui se fait déjà dans de nombreuses communautés et paroisses, tradies ou non. On chante un cantique pendant la procession du clergé, puis la schola chante l'introit pendant l'encensement de l'autel (dans la forme ordinaire) ou pendant les prières au bas de l'autel (dans la forme extraordinaire).
Graduel. Alléluia.
Dans l'ancienne messe, le prêtre ne quitte pas l'autel après la première lecture. Il va lire le graduel et l'Alléluia pendant que la schola chante. Si le prêtre à terminé avant la schola, il reste debout sans bouger, pendant que le servant déplace le missel, pour préparer la lecture de l'Évangile. Tout est fait en sorte que l'interruption de l'action soit le plus limitée possible.
Dans le nouveau missel, participation de la foule oblige, le Graduel a été remplacé par un psaume chanté par la foule, entre les deux premières lectures. Puis c'est au tour de l'Alléluia d'être chanté par la foule (un alléluia très simplifié).
Alors je me demande quelle solution vous allez proposer pour restaurer ici les antiennes. Suppression du psaume et du chant de l'Alléluia par la foule ? Mais c'est un sacrilège au vu de la nouvelle doctrine qui veut que la foule participe.
La « nouvelle doctrine » ne veut pas que la foule participe à tout bout de champ. C'est un mythe intégriste, et je suis peiné de vous voir le relayer. Il suffit d'ouvrir les nouveaux livres liturgiques pour s'en assurer.
Quand au graduel et à l'alléluia (sans parler du trait et de la séquence), ils existent encore ; l'on peut choisir entre le psaume responsorial et le graduel. Une fois de plus, je suis étonné que vous l'ignoriez, étant donnée votre culture.
L'offertoire.
Ce qui permet à la schola de chanter une antienne d'offertoire, c'est que la liturgie de l'offertoire dans l'ancien missel est très long. Surtout si on ajoute les encensements.
Dans le nouveau missel, c'est justement l'offertoire qui a été le plus charcuté pour être le plus bref possible. Il n'y a pas tellement de temps pour chanter une antienne, sauf si on prolonge le plus possible les encensements. Et du coup, le peuple ne pourra plus dialoguer avec le prêtre (tu es béni, Seigneur de l'univers, toi qui nous donnes ce pain, etc.).
Voici ce que dit l'IGMR de l'offertoire :
À l’autel, le prêtre prend la patène avec le pain et la tient des deux mains un peu élevée au-dessus de l’autel, en disant à voix basse : Benedictus es, Domine.
Puis il dépose la patène avec le pain sur le corporal.
Ensuite, se tenant sur le côté de l’autel, le prêtre verse dans le calice du vin et un peu d’eau, en disant à voix basse : Per huius aquæ, un servant lui présentant les burettes. Revenu au milieu de l’autel, prenant le calice des deux mains, il le tient un peu élevé, en disant à voix basse : Benedictus es, Domine.
Puis il dépose le calice sur le corporal et, s’il le juge opportun, le couvre de la pale.
Toutefois, si le chant d’offertoire est omis et que l’on ne touche pas l’orgue, il est permis au prêtre, lors de la présentation du pain et du vin, de prononcer à haute voix les formules de bénédiction, et le peuple acclame : Benedictus Deus in sæcula
.
La fameuse option qui consiste à dire les prières d'offrande à voix haute est donc une option prévue seulement s'il n'y a pas de chant à cet instant. C'est d'ailleurs ce qui se produit la plupart du temps : lorsqu'il y a un chant d'offertoire, les prières d'offrande sont dites à voix basse. Croyez-moi, j'ai vu de nombreuses messe dans la forme ordinaire de l'unique rite romain, et je sais de quoi je parle. S'il y a une chose qui est respectée à cet instant, c'est bien celle-ci.
La communion : seule antienne qui pourrait être réintroduite sans grand dommage à la nouvelle messe, puisqu'elle est courte et peut être chantée pendant la communion. Mais ça veut dire que le chant de communion par la foule sera amputée de ce temps (grave entorse à la nécessité de faire participer la foule). Alors que dans l'ancien missel, l'antienne se chante pendant les ablutions (qui ont été supprimées dans le nouveau missel).
D'abord les ablutions existent encore dans le nouveau missel. Ensuite, comme je l'ai déjà dit, la participation ne signifie pas que le peuple doit chanter tout le temps, sans arrêt.
Enfin, l'antienne de communion existe encore. Je suis même surpris que vous l'ignoriez au point de proposer sa réintroduction, vous qui semblez connaître Solesmes.
Conclusion : beaucoup de difficultés en perspective.
D'où la nécessité de se retrousser les manches !