Socrate d'Aquin, épisode II : Encore un pavé.
Dans vos interventions respectives (desquelles je vous remercie évidemment) je retiens un certain nombre d'avis et de positions contradictoires, auxquelles j'aimerais répondre autant que faire se peut.
Tout d'abord, la question des chants de l'Emmanuel ou de Taizé. Leur beauté est indéniable ; on peut certes ne pas apprécier, mais le fait est qu'ils portent la prière des chrétiens (en tous cas de nombre d'entre eux). Et ils sont souvent d'un contenu bien plus orthodoxe (au sens strict, la droite doctrine, ou droite louange) que nombre de chansonnettes remarquable par leur ineptie... et leur côté très désuet. Ces chants-ci, au moins, favorisent l'ouverture à la contemplation (quoique certaines compositions de l'Emmanuel soient très bruyantes et plus proches d'un concert des Beatles que de la Sainte Messe...).
Cela ne veut toutefois pas dire qu'ils sont irréprochables. Un problème grave se pose en particulier à leur sujet : leurs textes n'ont aucun rapport de près ou de loin avec les textes de la liturgie romaine. En d'autres termes ce ne sont pas des chants liturgiques (les compositions du P. Gouzes s'en rapprochent plus, au moins pour certaines d'entre elles). On ne devrait même pas avoir à se dire « Oh mais au fait, quel chant va-t-on prendre comme chant d'entrée ? ». Tout simplement parce que ce chant existe déjà, on l'appelle l'introit, qui est le chant d'entrée prévu par le rite romain. Cela dit, rien n'empêche d'avoir les deux : un cantique populaire pour ouvrir la célébration suivi immédiatement par le chant de l'introit ; mais dans ce cas, le cantique sera « en plus » de l'introit, il ne s'y substituera pas (comme cela se fait malheureusement dans la plupart des paroisses...).
Telle n'est pas ma suggestion, qui consiste tout simplement à adapter ou à composer un chant en langue française qui reprendrait les textes mêmes du Missel romain, pour l'ordinaire (Kyrie, Gloria, Credo...) et surtout pour le propre (Introit, graduel ou psaume, Alléluia, séquence, offertoire, communion...).
Au sujet de la langue, il ne s'agit pas vraiment d'éliminer le latin (ce qui serait contraire aux vœux du Concile), mais seulement d'apporter une réponse à la disparition des propres de la liturgie romaine et de faire en sorte qu'ils soient connus et chantés. La langue est de ce point de vue, une question beaucoup plus secondaire, qu'il conviendrait de ne pas absolutiser.
Et pour ce qui est du chant grégorien, les mêmes qui citent à raison l'article 116, feraient souvent bien de le lire dans son intégralité :
L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place.
Les autres genres de musique sacrée, mais surtout la polyphonie, ne sont nullement exclus de la célébration des offices divins, pourvu qu’ils s’accordent avec l’esprit de l’action liturgique, conformément à l’article 30.
Il me faut répondre ensuite rapidement à cet argument courant qui voudrait que la Messe avant le Concile était partout la même en raison d'une même langue (le latin), et que par conséquent, chaque catholique pouvait s'y retrouver et la suivre. Pour répondre, j'utiliserai une citation d'un superbe article, pour lequel je remercie l'inestimable Théodore (traduit de l'anglais) :
Cet argument est idiot, et repose sur plusieurs fausses prémisses, mais il est très émotionnellement très puissant ; même ceux qui savaient parfaitement que ce n'était pas vrai arrivaient encore à y croire. Ils voulaient que ce soit vrai ; par conséquent, il doit être vrai. Et la preuve du contraire doit être laissée dans l'ombre. La liturgie devrait être célébrée de la même façon partout (en préparant Vatican II, les évêques catholiques romains américains ont sérieusement demandé la suppression des Eglises catholiques orientales aux Etats-Unis) ; personne ne devrait connaître les différentes liturgies des ordres religieux ; le rite mozarabe devrait être enfermé dans sa petite chapelle à Tolède.
Archimandrite Serge Kelleher
Et voici le lien (excellent article) :
http://www.angelfire.com/pa3/OldWorldBasic/litniks.html
Un mot sur la théologie de la Messe. Il ne peut en exister plusieurs. On peut préférer le rite romain dans l'état où il se trouvait avant les réformes ordonnées par le Concile Vatican II ; on peut même, à l'extrême rigueur, considérer qu'il y a deux rites distincts (le rite romain et le rite de Paul VI) aussi différents l'un de l'autre que l'est le rite byzantin par rapport au rite mozarabe (bien qu'une telle pensée soit officiellement désapprouvée par Benoit XVI dans
Summorum Pontificum). Mais on ne peut pas prétendre que les nouveaux livres liturgiques représentent une autre théologie que celle « de toujours ». Affirmer le contraire frôle le sédévacantisme. Avant d'en arriver là, mieux vaut y penser sérieusement...
Il en va de même concernant les modifications que Suliko évoque et l'article (très intéressant) qu'elle a la bonté de partager ; il s'appuie sur trois prémisses qui sont plus que contestables, en particulier la seconde, qui admet le plus tranquilement du monde que l'Eglise latine puisse donner à ses enfants un rite invalide et dangereux pour la foi (ce qui fut d'ailleurs réfuté par Dom Guéranger) et qui reposent en fait plus ou moins implicitement sur un présupposé sédévacantiste que l'on est en devoir de rejeter.
Aussi ma critique demeure-t-elle. Les traditionalistes (certains d'entre eux du moins) n'en font qu'à leur tête en matière liturgique. AdoramusTe évoquait ainsi la paroisse Sainte-Eugène-Sainte-Cécile qui me semble être justement la parfaite illustration de cette attitude. Ayant participé au Triduum Pascal en leur compagnie cette année, j'ai pu le constater aisément. Il est évident qu'une telle attitude est à cent lieux de certaines aberrations que l'on peut voir dans certaines paroisses ; mais à cent lieux sur un seul et même chemin, celui de la désobéissance et du subjectivisme, très post-moderne...
Enfin, il ne saurait être question (pour moi en tous cas) de dénigrer le chant grégorien. Seulement de prendre conscience du fait que les catholiques romains ne reviendront pas de sitôt à une liturgie célébrée exclusivement en latin, et qu'en attendant, il faut bien pourvoir aux besoins des fidèles pour leur rendre le goût de leur tradition, en rendant plus accessibles les trésors de la liturgie « grégorienne ». Ce qui impliquerait concrètement d'adapter ou de composer en langue française, au moins à titre provisoire. Et pour l'avenir... à Dieu vat !
Merci d'avoir tout lu ^^
Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος. Οὗτος ἦν ἐν ἀρχῇ πρὸς τὸν θεόν. Πάντα δι’ αὐτοῦ ἐγένετο, καὶ χωρὶς αὐτοῦ ἐγένετο οὐδὲ ἓν ὃ γέγονεν. Ἐν αὐτῷ ζωὴ ἦν, καὶ ἡ ζωὴ ἦν τὸ φῶς τῶν ἀνθρώπων, καὶ τὸ φῶς ἐν τῇ σκοτίᾳ φαίνει, καὶ ἡ σκοτία αὐτὸ οὐ κατέλαβεν.