Nicolas de Verdun (c.1130-c.1205) est un orfèvre actif dans le dernier quart du XIIe s. et dans les premières années du siècle suivant. Ce fut un artiste majeur de son époque, de renommée européenne, à qui l'on doit par exemple le célèbre et somptueux reliquaire des Roi Mages de la cathédrale de Cologne (cf.
ici). Son œuvre majeure est sans doute l'ambon confectionné pour l'abbaye bénédictine de Klosterneuburg, dans l'actuelle Autriche. Elle est précisément datée car dédicacée en 1181. Elle est constituée de 51 plaques émaillées, destinées à revêtir fastueusement l'ambon de l'abbaye. L'ensemble représente un vaste catalogue iconographique de grand intérêt. Les émaux s'organisent en quinze triades typologiques, auxquelles s'ajoutent deux autres triades qui traitent uniquement du Jugement dernier. Chaque triade est centrée sur un épisode du Nouveau Testament (
sub gratia), lequel est préfiguré par deux épisodes vétéro-testamentaires, l'un ayant eu lieu avant l'établissement de la loi de Moïse (
ante legem), l'autre après (
sub lege). Pour prendre un exemple concret de l'ambon, l'épisode de la dernière Cène est mise en relation avec l'offrande du pain et du vin de Melchisédech (
ante legem) et l'épisode de la manne au désert (
sub lege) (cf.
ici).
L'illustration proposée pour accompagner notre hymne est centrée sur l'épisode du baptême du Christ, vu comme le
prototype du baptême chrétien (*), accompagné du type vétéro-testamentaire de la traversée de Mer Rouge, interprétée comme une préfiguration du baptême chrétien (**). Cette exégèse typologique est au cœur de la liturgie de la Vigile pascale, au cours de laquelle on lit le passage de l'Exode ayant trait à la traversée de la Mer Rouge, avant que les catéchumènes ne reçoivent le baptême du salut. On trouve déjà cette exégèse chez saint Paul (
1 Cor X, 1-2 :
Frères, je ne veux pas que vous ignoriez que nos pères ont tous été sous la nuée, qu'ils ont tous passé au travers de la mer, qu'ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer.) et les Pères de l'Église l'ont développée avec beaucoup d'ampleur :
- « Lorsque le peuple d'Israël sortit de la captivité d'Egypte, comment évita-t-il les poursuites de Pharaon ? Ce fut en traversant les eaux de la mer Rouge ; les mêmes eaux engloutirent ce roi avec toute son armée. Quelle figure plus manifeste du sacrement de baptême ? Les nations sont délivrées de l'esclave du siècle ; et le démon, cet ancien tyran, perd son orgueilleux pouvoir dans les eaux. » - Tertullien, Sur Baptême, IX, 1
- « La Mer Rouge est l'emblême du baptême : Moïse qui conduit les Israélites à travers la Mer Rouge représente le Christ ; le peuple qui l'a franchi, ce sont les fidèles ; la mort des Égyptiens signifie la rémission des péchés. » - Saint Augustin, In Iohannis Evangelium Tractatus XLV, 9
- « Pharaon fut englouti sous les eaux avec une nombreuse armée, mais maintenant le péché est comme noyé dans les eaux salutaires du Baptême. Les Hébreux en passant la mer rouge faisaient retentir des chants de victoire : "Chantons les louanges du Seigneur, qui a fait éclater sa toute-puissance, et qui a précipité dans la mer les hommes et les chevaux". Ceux qui sont sortis des eaux salutaires du Baptême, disent aussi dans leurs chants de victoire "Il n'y a que Dieu qui soit Saint, il n'y a que notre Seigneur Jésus-Christ qui soit dans la gloire de son Père. Amen". » - Saint Proclus de Constantinople, Homélie pour le Saint Jour de Pâques
- « Le peuple libéré se dirige en grande hâte vers la mer Rouge, pour que soient sauvés par l'eau ceux qui avaient été délivrés d'un terrible ennemi […]. Moïse était la figure du Christ Seigneur, parce qu'il était le guide du peuple. Dans son bâton, reconnaissez la croix. Dans la mer Rouge, reconnaissez le baptême, empourpré par le sang du Christ ; le roi des Égyptiens et son peuple est l'auteur du péché, le diable avec tous ses serviteurs. Le diable se déchaîne quand il voit que vous allez être délivrés de sa tyrannie par l'eau du baptême. Criez vers votre Moïse, le Christ Seigneur, pour qu'il frappe la mer du baptême par le bâton de sa croix, que l'eau revienne et recouvre les Égyptiens. Ainsi, de même qu'il n'est pas resté un seul Égyptien, il ne restera pas un seul de vos péchés ; celui qui a tout créé purifiera tout. Celui qui a tout créé intact restaurera ce qui était perdu ; il anéantira Pharaon, le diable auteur de la mort, et délivrera son peuple par l'eau salutaire. » – Quodvultdeus, évêque de Carthage († 454), De Cataclysmo, 3
(*) Voici le distique latin qui entoure l'image et sa traduction : « Fit via dilutis / Christi baptisma salutis » (Le baptême du Christ devient la voie du salut pour ceux qui seront purifiés).
(**) Voici le distique latin qui entoure l'image et sa traduction : « Unda rubens mundam / baptismi misticat undam » (La Mer Rouge signifie l'onde pure du baptême).