Commentaire
V. 8 :
Lis très pur parmi les épines (
Inter spinas lilia) - Référence à
Ct II, 2 :
Sicut lilium inter spinas, sic amica mea inter filias (Vulg.)/Tel qu'est le lis entre les épines, telle est ma bien-aimée entre mes filles (Lemaître de Sacy). On remarquera que le lis, symbole de pureté et donc de la conception virginale, est représenté de manière extrêmement fréquente dans les représentations picturales de l'Annonciation, soit tenu en main par l'ange Gabriel, soit disposé dans un vase, lequel est souvent en verre transparent (autre symbole de la conception virginale : comme les rayons solaires traversent le verre sans l'affecter, de même l'Esprit Saint féconde la Vierge Marie sans qu'elle perde sa virginité).
V. 10 :
Toison de Gédéon (
vellus Gedeonis) – Référence à
Juges VI, 36-40 :
Gédéon dit à Dieu : « Si vous voulez sauver Israël par ma main, comme vous l'avez dit, voici, je mettrai une toison de laine sur l'aire : si la toison seule se couvre de rosée, et que tout le sol alentour reste sec, je connaîtrai que vous délivrerez Israël par ma main, comme vous l'avez dit. » Et il arriva ainsi. Le jour suivant, s'étant levé de bon matin, il pressa la toison, et en fit sortir la rosée, plein une coupe d'eau. Gédéon dit à Dieu : « Que votre colère ne s'enflamme pas contre moi ; que je puisse encore parler une fois : je voudrais une fois encore seulement faire une épreuve avec la toison : que la toison seule reste sèche, et que la rosée tombe sur tout le sol alentour. » Et Dieu fit ainsi cette nuit-là : la toison seule resta sèche, et tout le sol se couvrit de rosée (Trad. Crampon). Cf. aussi
Ps LXXI, 6 :
Descendet sicut pluvia in vellus (Vulg.)/Il descendra comme la pluie sur une toison (Lemaître de Sacy) – Cet épisode fut, à l'époque romane, interprété comme une figure, un type prophétique de la conception virginale de la Vierge. Voici par exemple ce qu'en dit
Honorius d'Autun († c. 1154) dans son
Speculum Ecclesiæ (PL 172, 904 B-C) : «
La toison humectée de rosée représente la Vierge sacrée fécondée par l'Esprit. Le sol alentour resté sec signifie sa virginité intacte. Lorsque par la suite le sol est imprégné de rosée, cela représente l'Église fécondée par les dons du Saint-Esprit. […]
Quand la toison, au contraire, reste sèche, elle représente la Synagogue stérile fermée aux dons spirituels. » Cette exégèse mariale se retrouve dans la liturgie, dans l'antienne
Quando natus es des vêpres de l'Octave de la Nativité (Solennité de Sainte Marie Mère de Dieu dans la forme ordinaire).
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4.
V. 18 :
Signe du buisson (
signum dumi) – Référence à l'épisode célèbre de Moïse et du buisson ardent (
Ex III, 1-20). Voici comment
Honorius d'Autun interprète cet épisode dans son
Speculum Ecclesiæ (PL172, 904 A-B) : «
Cela [l'épisode du Buisson ardent] préfigurait la Vierge que le feu de l'Esprit Saint illumina pour qu'elle conçoive, sans que la flamme de la concupiscence ne lui porte atteinte. » La séquence publiée l'année dernière faisait déjà référence à l'interprétation mariale du Buisson ardent (Strophe 4 :
Grande signum et insigne/
Est in rubo et in igne). Le panneau central du
Triptyque du Buisson ardent (1475-76) de
Nicolas Froment (c. 1430/35-1486), actuellement à la cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence (
fig. 1), en est une illustration remarquable et unique, en ce sens qu'elle est, à ma connaissance, la seule qui ne se contente pas de mettre en rapport le type (buisson ardent) et l'anti-type (conception virginale) par deux images parallèles, mais qui les
imbrique étroitement dans une même image complexe, en une vision quasiment
fantasmagorique. Le sens en est clairement indiqué par l'inscription latine qui figure sur le cadre, en dessous du tableau, pour expliciter le message : «
Rubrum quem viderat Moises incombustum conservatam agnovimus tuam laudabilem virginitatem sancta Dei genetrix/Dans le buisson incombustible que Moïse avait vu, nous avons reconnu ta glorieuse virginité, sainte mère de Dieu. » Ce texte n'est rien d'autre que celui d'une autre antienne des vêpres de l'Octave de la Nativité. Le Buisson ardent, où trône la Vierge à l'Enfant, est donc à la fois un symbole de la Nativité (la théophanie en elle-même qui se dévoile à Moïse) et de la Virginité perpétuelle de Marie (le buisson qui reste intact au milieu des flammes). La partie basse du panneau central est à mettre en relation avec l'épisode de l'Annonciation, puisque la configuration formelle de l'apparition de l'ange à Moïse fait clairement référence au type classique de la représentation de l'annonce faite à Marie que représente en grisaille le retable une fois fermé (
fig. 2). L'ange annonciateur porte d'ailleurs un médaillon qui représente la tentation d'Adam et Eve au jardin d'Eden, en référence au rôle de Marie comme nouvelle Eve qui, par son humble fiat répara en quelque sorte la chute d'Eve (
fig. 3).
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7.
8.
Cette exégèse typologique des épisodes de la Toison de Gédéon et du Buisson ardent, développée au XIIe s. (
fig. 4, 5 & 6), fut popularisée à la fin du Moyen-Âge par les différentes éditions, latines et en langues vulgaires, des
Biblia pauperum (
fig. 7) et du
Speculum Humanæ Salvationis (
fig. 8). Au début du XVI s., on la retrouve encore dans certains tableaux (
fig 9.) et dans certaines tapisseries (
fig. 10). La Contre-Réforme lui portera un coup mortel.
9.
10.
V. 19 :
Nuée d'odorantes essences (
Aromatum virga fumi) – Référence à
Cant., III, 6 :
Quæ est ista quæ ascendit per desertum sicut virgula fumi ex aromatibus myrrhæ, et thuris, et universi pulveris pigmentarii ? (Vulg.)/ « Qui est celle-ci qui s'élève du désert, comme une fumée qui monte des parfums de myrrhe, d'encens, et de toutes sortes de poudres de senteur ? » (Lemaistre de Sacy). Le Bienheureux
Gilbert de Hoyland († 1172), continuateur de saint Bernard, a interprété ce verset dans un sens marial : «
C'est un délicieux désert enfin que le sein d'une vierge. Tel était celui de la bienheureuse et incomparable Vierge, que jamais ne ternit nul mouvement impur, que jamais n'altéra une affection moins droite. Sa chair fut comme une terre déserte, et sans passage et sans eaux, c'est là que le Christ apparut. Elle n'est pas entièrement un désert, la chair qui enfanta le Christ, elle est arrosée, mais par les influences des vertus.» (
Sermons sur le Cantique des cantiques, XV, 3). On trouve une interprétation mariale semblable dans le
Commentaire sur le Cantique des Cantiques de
Rupert de Deutz († 1129) (PL 168, 377 A). On la retrouve dans le Répons «
Vidi speciosam sicut columbam» qui suit la 1ère lecture du 1er nocturne des Matines en la fête de l'Assomption.