RenéL a écrit :
Qui peut m'éclairer sur ce qu'est la théologie de la libération et peut être quelques raisons majeures de sa condamnation par l'église catholique.
Bonjour,
pour aller vite, et en précisant que je ne sais pas grand chose sur la question, voici ce que je peux vous dire. D'autres personnes complèteront ou corrigeront certainement ce qui manque ou est erroné dans mon message...
La Théologie de la Libération procède à partir d'un véritable renversement de la théologie catholique traditionnelle.
En effet, la démarche de théologie catholique est déductive (elle part de la Révélation divine pour en tirer toutes les applications logiques et concrètes possibles dans l'ordre du réel), alors que la Théologie de la Libération procède d’une démarche inductive (elle "construit" une pensée spécifiquement religieuse à partir de ce qu'elle pense du réel, analysé à l'aide de concepts empruntés au marxisme, et d'une "pratique sociale" qui aboutit à la libération du peuple par le peuple - ie la révolution).
La Théologie de la Libération constitue donc une grave dérive, qui s'inscrit en contradiction avec les principes même de la doctrine sociale de l'Eglise et qui conduit à une action politique et militante - la lutte armée révolutionnaire - justifiée par des arguments religieux.
Ce mouvement comprenait pourtant parmi ces "supporters" certains secteurs de l'Eglise catholique en France... notamment des mouvements de laïcs (l'Action catholique, la Jeunesse ouvrière chrétienne, la Jeunesse universitaire Chrétienne, le fameux CCFD, etc.).
La Théologie de la Libération n'est pas une théologie catholique à proprement parler, non pas tant qu'elle ne soit pas un discours sur Dieu, mais parce que ce qui la différencie d'avec la théologie catholique, c'est le fait de reconnaître explicitement que sa démarche est liée au contexte socio-culturel dans lequel elle s’exprime.
La théologie de la Libération fonde ainsi son action sur des "commissions pastorales" à "bases populaires" (pastorale ouvrière, pastorale de la terre - en Russe, des "soviets") et des "communautés ecclésiales de base" qui sont les lieux où chacun peut "prendre conscience" de l'oppression et trouver les moyens de réagir contre elle.
La Théologie de la Libération a en effet été confrontée à la réalité massive et brutale de la pauvreté en Amérique Latine. Aussi a-t-elle prit comme point de départ de sa réflexion le "peuple des opprimés" (identifié au "peuple de Dieu").
Selon les théologiens de la libération, un Dieu d'amour ne peut pas co-exister avec l'injustice, l'exploitation et la guerre. Il ne s'agit donc pas pour eux de se demander si Dieu existe, mais "où Il se trouve". C’est donc de la "réalité" des luttes sociales et de "l'engagement" des chrétiens en faveur de la "justice" que découle cette "pensée théologique".
Cette perspective exigeait, naturellement, de la part des théologiens de la Libération, l'emploi d'outils d'analyse socio-économique qui puissent leur permettent de rendre compte des mécanismes de "l'oppression" et de "l'injustice".
D'où l'emploi dans un premier temps du concept de "dépendance" pour analyser et expliquer les phénomènes sociaux latino-américains en fonction de la toute puissance du capitalisme et du libéralisme économique américains.
Mais ce concept de "dépendance" fut ensuite assorti de l’emploi d'éléments tirés de la doctrine marxiste, utilisés comme "outil de compréhension" du monde social, et permettant une formulation appropriée de l'"aspiration" (bien entendu utopique et sanglante, surtout sanglante...) aux changements sociaux dont rêvaient... Karl Marx, Antonio Gramsci, Georg Lukacs, Henri Lefebvre, Lucien Goldmann, Louis Althusser, Che Guevara, etc.
Les théologiens de la libération vont aussi renouveler certains thèmes fondamentaux du marxisme. Ils sont en effet des hommes religieux... ce sont donc des néo-marxistes "religieux" ou "chrétiens", qui donnent à la pensée marxiste une inflexion nouvelle et des perspectives inédites... voir, encore une fois, la tragique histoire de ces trente dernières années en Amérique du sud.
Cette réappropriation du marxisme représente bel et bien une véritable rupture avec la doctrine sociale de l'Eglise. En effet, cette dernière analyse la société en termes de groupes sociaux (les communautés naturelles) et il n'y est nullement question de "lutte de classes" et de "remise en question de la structure de la société", encore moins d’aller semer la révolution pour des lendemains qui chantent...
Les théologiens de la Libération n'ont d'ailleurs jamais semblé bien comprendre que l'utilisation du marxisme comme outil d'analyse et de "changement" de la société les entraînait vers un athéisme de fait. Ce fut l'argument principal du Pape actuel, alors Cardinal Ratzinger, lorsqu'il affirma que celui qui utilise l'analyse marxiste finit inéluctablement par devenir un athée. Pour lui, la Théologie de la Libération est fondamentalement une herméneutique, c'est à dire une "interprétation" théologique de la réalité à partir d'analyses inspirées d'une doctrine athée, le marxisme.
Elle reste cependant un moment important de l'histoire de l'Amérique du sud, notamment si l'on veut comprendre l'émergence des mouvement révolutionnaires en Amérique centrale (au Nicaragua, El Salvador), l'émergence de nouveaux mouvements ouvriers et paysans au Brésil, la situation politique actuelle dans de nombreux pays (la politique économique et sociale du président Chavez et sa position vis-à-vis de Etats-unis par exemple...).
Pour une référence à un texte relatif à la Théologie de la Libération, le nom de l'instruction donnée par le Cardinal Ratzinger sur ce sujet était "Libertatis Nuntius", mais je ne sais pas s'il est accessible sur l'Internet en français. On peut en revanche trouver la traduction anglaise sur le site du Vatican, ici:
http://www.vatican.va/roman_curia/congr ... on_en.html
Amicalement.
Virgile.
P.S.: les théologiens de la Libération, de nos jours, semblent par ailleurs avoir plus ou moins renoncé à la référence explicite au marxisme: on les retrouve pour la plupart dans les mouvement de l’Altermondialisme... où ailleurs!