Avé
Le statu quo combien encore de morts? Combien encore d'enfants affamés sacrifiés sur l'autel de la toute petite classe dominante? Combien encore de guerres pour préserver les intérêts économiques de quelques-uns?
J'aime bien l'argument... le classique du classique : "les millions de morts des régimes communistes ne sont rien à côté de ceux du capitalisme".
Prenons la comparaison à la lettre. D'abord, évidemment, on apprécie la logique qui la dirige : "vous" tuez plein de gens d'un côté, donc ça nous donne le droit de faire pareil du nôtre. Voilà bien un raisonnement d'humanistes. Mais prenons un exemple simple. Le Cambodge, entre 1975 et 1979 (dictature Khmère rouge), a perdu 1 million d'habitants, soit le cinquième de la population. Admettons une hypothèse "basse" : le capitalisme tue
autant de gens que le communisme. Cela veut donc dire que, de 1971 à 1975, le Cambodge a perdu le cinquième de sa population ; on peut remonter dans le temps : de même entre 1967 et 1971, 1963 et 1967, etc. En gros, cela veut dire qu'en 1950, le Cambodge comptait 20 millions d'habitants...
(bien sûr, on va me répondre que les Khmers rouges, ce n'était pas vraiment des cocos, c'était du "fascisme tropical" comme dit Debray, etc.).
- Regardons aussi "les enfants affamés". Manque de bol, la mortalité infantile est en baisse dans tous les pays capitalistes (ou tout simplement non communistes), et ce depuis le début de la révolution industrielle ; à l'inverse, la mortalité infantile en URSS en 1990 est supérieure à ce qu'elle était en 1914. Remarquez, pour la sous-alimentation infantile, les communistes savent de quoi ils parlent, eux qui sont les meilleurs managers de famines de tout le 20ème siècle.
- Mais, me direz-vous, les victimes du capitalisme sont en fait morts de mort "naturelle" en raison de leurs mauvaises conditions de vie, imposées par la classe dirigeante ! Manque de pot, ça ne marche pas ; l'ouvrier anglais de 1930 (période de crise, pourtant, dans le pays le plus libéral d'Europe) s'en tire mieux, à tous points de vue, sanitaire, alimentaire, culturel, que le travailleur soviétique le plus qualifié du moment.
Parlons de développement : le prolo français de 1970 a accès à la voiture, aux aliments qu'il souhaite, au logement, à l'hosto, aux congés payés ; l'équivalent polonais de la même époque n'a pas toujours les congés payés (contrairement à ce qu'on croit souvent), n'a pas de voiture (tout à fait inaccessible), n'a pas accès à de la nourriture (en période difficile : que du sel et du vinaigre dans les boutiques, et sinon, que de la malbouffe inimaginable ici), n'a pas accès au logement (grosse crise, pas encore terminée du reste) ; pourtant, me dit mon père qui a connu cette époque, les seventies étaient le meilleur moment : "en cherchant bien, on pouvait trouver une agrafeuse en allant en RDA". Et je ne parle pas de la qualité des soins, des conditions de travail, etc. Et encore ! l'exemple que je cite est relativement soft (l'exploitation des stakhanovistes dans les années 30 est bien supérieure à ce qu'aucun patron manchestérien, même le plus dénué de scrupules, aurait pu imaginer ; sans parler de la condition du travailleur chinois entre 1949 et les années 1980, qui était bien heureux d'avoir un bol de riz tous les trois jours...). A tout points de vue, justement, les dégâts de l'exploitation de l'homme par l'homme (ou plutôt, de l'homme ordinaire par l'homme de pouvoir) sont immensément supérieurs du côté des pays communistes que du côté de
tous les autres types de régimes.
J'entends la réponse : "vous vous attachez à des plaisirs bas et petits-bourgeois". C'est vrai que vouloir vivre, se nourrir, se vêtir, se soigner, c'est d'un petit bourgeois... "ce qui compte, c'est la lutte contre l'aliénation" : on voit que vous n'avez pas connu les pays de l'Est, vous...
- Evidemment, j'entends l'argument des guerres lancées par l'impérialisme occidental motivé par le capitalisme, etc... tout cela a été invalidé depuis au moins 50 ans. Et puis c'est vrai que les pays communistes sont innocents, entre les conquêtes de l'URSS en 1939-1941 (avec la complicité des nazis), les annexions de 1945, l'invasion du Tibet par la Chine en 1950, l'invasion du Mozambique et de l'Angola par les castristes en 1975, l'invasion de l'Afghanistan en 1979, la guerre civile au Guatémala dans les années 80... et je ne parle pas des interventions plus ponctuelles en Afrique. Après cela, on comprend Brejnev : quand on l'interviouvait sur les objectifs de la diplomatie soviétique, il répondait avec la meilleure foi qui fût : "mais enfin, la paix dans le monde !"
- Le fond de cette argumentation, c'est aussi la mentalité complotiste.
Tout ce qui n'est pas communiste forme un tout cohérent et unifié (= le capitalisme), et il est légitime de le poser en équivalent fonctionnel du monde communiste. Alors qu'il n'y a pas, et il n'y a jamais eu d'équivalence entre deux "blocs" : il y a eu le monde dans toute sa diversité, avec tous ses modes de vies différents, ses religions, ses traditions, et il y a eu un parasitage qui s'appelait le bloc communiste.
Mais bien sûr, on va m'expliquer que ce n'était pas des vrais régimes communistes, qu'ils avaient été corrompus, que c'était du capitalisme d'Etat, etc... De toute façon, à moins d'être atteint des rayons de la grâce, je ne me fais guère d'illusion pour vous, cher "Exploité" : vous vivez dans la logocratie, dans un monde doublé de l'arrière-monde du langage et de la théorie, où le cadre conceptuel double et phagocyte le réel. Bonne chance !
Amicalement quand même
MB