L'Église et l'esclavage... depuis les premiers chrétiens

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Cinci
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Re: L'Église et l'esclavage... depuis les premiers chrétiens

Message non lu par Cinci » ven. 08 févr. 2019, 14:41

- L'Église condamne-t-elle le libéralisme économique ?

L'Église condamne le libéralisme économique, parce qu'il n'accepte que le principe de l'offre et de la demande en vue du plus grand profit possible, au mépris des besoins des hommes.

Catéchisme de l'Église, 1944

Vous avez votre réponse, je pense.

L'appétit pour le plus grand profit n'est pas un thème directement relié à la question de l'esclavage même 'il est vrai que les uns, à force de vouloir s'enrichir d'une manière incroyable, finissent souvent par plonger bien du monde dans l'esclavage réel littéralement ou dans des conditions de vie qui ne valent pas mieux.

Il est assez évident que la relance de l'esclavage dans le commerce transatlantique dans les XVIe, XVIIe ou XVIIIe siècle est une question liée au désir d'enrichissement de plusieurs.

[Attention, il existe un autre fil Sur l'esclavagisme d'hier et d'aujourd'hui. Ce fil n'aborde pas le thème spécifique de L'Église et l'esclavage… depuis les premiers chrétiens, mais donne plus ou moins un 'historique' de l'esclavage, en fait qui l'a pratiqué et qui le pratique encore de nos jours : viewtopic.php?f=37&t=38722&hilit=esclavagisme ]

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ChristianK
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Re: Catholicisme et esclavage

Message non lu par ChristianK » ven. 08 févr. 2019, 17:21

Sur le capitalisme et ou le socialisme, il y a analogie car il y a controle du travail, Marx disait de la force de travail et il utilisait la notion d'aliénation pour ca, mais la différence réside dans un libre contrat de travail, que le travailleuf peut casser. Pas dans la servitude. Détail intéressant: on pourrait dire qu'en certains cas la liberté du travailleur consiste entre choisir le travail ou la mort, et Marx va parler d'asservissement. Alors qu'un des titres de servage qui était considéré juste était de se vendre soi méme en cas de nécessité, pour ne pas mourir (principe:on peut sacrifier une liberté pour sauver une vie et sans esclavage il y aurait eu plus de morts).

Certes on peut dire qu'en l'an 1000 les chrétiens n'auraient pas du accepter d'esclaves, mais disons une sorte de contrat de travail temporaire, mais aurait-ce été efficace? Et pour les non chrétiens? Pour moi c'est la croissance économique qui cause évolution du droit positif et des préceptes seconds du droit naturel.
PaxetBonum a écrit :
ven. 08 févr. 2019, 9:48
Faites vous du travail obligatoire un esclavagisme ? Le bagne est-il un esclavagisme selon vous ?
C'est exactement la question. Si un bagne d'état ou une galère peuvent être vendus ou privatisés, oui. Une fois la liberté aliénée à un autre, cet autre peut l'aliéner à son tour. Je suis pratiquement sur que c'est la doctrine classique. Une difficulté: le vocabulaiire juridique est distinct du vocabulaire moral et un juriste verrait une différence assez tranchée entre travaux forcés et esclavage humanisé, même à vie.

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Re: Catholicisme et esclavage

Message non lu par PaxetBonum » ven. 08 févr. 2019, 17:56

ChristianK a écrit :
ven. 08 févr. 2019, 17:21
C'est exactement la question. Si un bagne d'état ou une galère peuvent être vendus ou privatisés, oui. Une fois la liberté aliénée à un autre, cet autre peut l'aliéner à son tour. Je suis pratiquement sur que c'est la doctrine classique.
Je ne comprends pas votre réflexion. Le bagne serait un esclavage si on peut le privatiser, mais cela reviendrait à privatiser la justice. Le bagne est une sentence de travail réparateur d'un crime.
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Re: L'Église et l'esclavage... depuis les premiers chrétiens

Message non lu par ChristianK » ven. 08 févr. 2019, 18:09

Bien sûr. Pour un juriste, il est possible que les travaux forcés privatisés ne soient plus des travaux forcés, pas pour un moraliste du point de vue du droit naturel. Et la privatisation (ou le transfert de contrôle à un autre état disons) n'a rien de contraire au droit naturel qui dit seulement que le travail forcé peut être une peine raisonnable en proportion de la pauvreté des sociétés.

Par incidence, de 1963 (et un peu après), Austin Fagothey sj, Right and reason, p 210 Slavery might be impose as punishment for crime"

https://www.amazon.com/Right-Reason-Eth ... 0895556685

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Re: L'Église et l'esclavage... depuis les premiers chrétiens

Message non lu par ChristianK » ven. 22 févr. 2019, 22:17

Je republie une fois de plus, mais en Francais, le texte de 1866, tel que rapporté par l'abbé Maxwell en 1970 dans une revue savante universitaire de l'Université catholique de Louvain, car ce texte de Maxwell est inédit en ligne (il a publié ca avant son livre en anglais de 1975, qui était comme un résumé.)
-----------------------------

John Francis Maxwell, "Le développement de la doctrine catholique sur l'esclavage" in Justice dans le monde, tome XI, 1969-1970, pp. 307-309


"En 1866 (...) le Saint Office publia une Instruction en réponse aux questions d'un Vicaire Apostolique de la tribu Galla en Afrique. Ce document est important parce que le Saint Office y a inclus une déclaration philosophique sur sa position en ce qui concerne la nature essentielle de l'esclavage légal et du commerce des esclaves:

"Bien que les pontifes romains aient essayé de toutes la manières possibles d'abolir l'esclavage d'hommes dans le monde, et il devrait être reconnu que c'est principalement à cause d'eux que la majorité des nations chrétiennes n'ont plus possédé d'esclaves depuis de nombreux siècles, l'esclavage en lui-même est quand même dans sa nature essentielle nullement contraire à la loi naturelle et divine, et il peut y avoir plusieurs titres d'esclavage et ceux-ci sont signalés par les théologiens approuvés et commentateurs des saints canons.
Car le genre de possession qu'exerce un propriétaire d'esclaves sur un esclave est considéré comme un simple droit perpétuel à disposer du travail d'un esclave en sa faveur - service qu'il est normal qu'un homme rende à un autre. De ceci découle qu'il n'est pas contraire à la loi naturelle et divine qu'un esclave soit vendu, acheté, échangé ou donné pourvu que (...) les conditions données soient strictement observées comme les auteurs approuvés les décrivent et les expliquent. Parmi ces conditions, ce qui importe le plus c'est que l'acheteur doit examiner sérieusement si l'escalve mis en vente a été justement ou injustement privé de sa liberté et que le vendeur ne peut faire quoi que ce soit qui puisse mettre en péril la vie, la vertu ou la foi catholique de l'esclave qui va être transféré à un autre propriétaire.
Par conséquent les chrétiens (...) peuvent légalement acheter des esclaves (...) pour autant qu'ils aient la certitude morale que ces esclaves n'ont pas été (...) injustement réduits en esclavage (...)
Si (...) par libre choix personnel [ces esclaves réduits injustement] s'offrent à des chrétiens (...) avec l'intention délibérée d'obtenir une forme d'esclavage plus clémente (...) alors (...) il est permis à des chrétiens(...) d'acquérir de tels prisonniers à un juste prix (...) pourvu qu'ils aient l'intention de les traiter selon les préceptes de la charité chrétienne (...) afin que si possible (...) ils puissent être librement et heureusement convertis à la vraie foi (...) sans aucune contrainte
(instruction du St Office, 20 juin 1866, Collectanea S.C. de Propaganda Fide I, n. 1203, 719 (Rome, 1907)"

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Re: L'Église et l'esclavage... depuis les premiers chrétiens

Message non lu par Riou » jeu. 02 avr. 2020, 16:42

Bisdent a écrit :
ven. 06 nov. 2009, 13:02
Bonjour,

Pourriez-vous m'éclairer sur un point ? Je lis dans un livre traitant de l'armée romaine antique que personne, pas même les premiers chrétiens eux-mêmes, n'ont remis en cause l'esclavage. Je lis toujours dans le même livre "Les chrétiens eux-mêmes, au Bas-Empire et depuis saint Paul, ont admis cette institution et ils trouvaient qu'elle entrait dans un ordre normal".

Avez-vous des informations théologiques ou historiques (avec sources svp) concernant le positionnement des premiers chrétiens par rapport à l'esclavage. Il est évident que ce rapport devait être différent de l'heure actuelle, étant donné le contexte et les moeurs de l'époque. Les références bibliques et les références dans des documents historiques des cinq premiers siècles de notre ère (tant chez les pères de l'Eglise que chez les païens) m'intéressent.

Merci pour votre attention,

Bien à vous,
Bonjour,

La lettre à Philémon est un texte central sur la question.

A vrai dire, Paul ne soutient pas l'esclavage, pas plus qu'il n'en combat politiquement l'institution, puisque son objectif n'était pas de fonder un Etat de droit, mais de veiller à l'institution des premières communautés chrétiennes dans un monde non chrétien qui a ses lois propres (et Paul n'avait aucun pouvoir sur l'ordre socio-politique de son temps).

Chercher dans la Bible un soutien politique ou une contestation politique de l'esclavage n'a à mon avis aucun sens. Car les choses se jouent à un niveau bien plus profond. La lettre à Philémon nous en montre l'exemple rapidement. Paul parle d'un esclave nommé Onésime, qui signifie "utile". Et Paul demande de ne plus voir en Onésime un esclave utile qui a fauté et qui mérite une sanction, mais un frère bien aimé dans le Christ. La révolution, s'il y a révolution, est spirituelle : regarde celui que je t'envoie avec amour, et non avec les yeux de chair utilitariste qui réduisent l'autre à une fonction sociale bornée. A travers le Christ se fonde une véritable communauté de personnes libres et égales: reçois-le comme si c'était moi, dit Paul, c'est-à-dire non pas comme un serf, un coût ou je ne sais quoi d'autre, mais comme un frère libre à égalité dans la foi, sans distinction d'ordre social ou de hiérarchie juridique. Les premières communautés chrétiennes n'avaient pas besoin de renverser politiquement l'esclavage dans l'ordre de la chair, puisqu'ils l'avaient déjà aboli dans l'ordre du cœur et mis en pratique cette abolition par la charité.

L'accusation contre Paul et les chrétiens d'avoir soutenu l'esclavage est donc infondée. Car un fervent défenseur de l'esclavage n'aurait pas pu écrire cette lettre à Philémon. Au contraire, il aurait été demandé de punir sévèrement cet esclave en fuite, car le droit autorisait cette sanction, jusqu'à la crucifixion s'il y avait lieu. Paul fait tout l'inverse dans cette lettre.

Pour répondre à la question, le christianisme implique une conversion du regard sur autrui, conversion spirituelle aux conséquences pratiques réelles. Ceci se joue à un niveau plus profond qu'une revendication politique.
Que cette conversion du regard ait ouvert l'espace de l'abolition politique de l'esclavage plus tard dans l'histoire, c'est fort possible. Mais alors il s'agit d'une conséquence de cette conversion et de son implantation dans l'ordre social, et non d'un militantisme politique révolutionnaire.

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