L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

« Aimez la justice, vous qui gouvernez la terre » (Sg 1.1)
Règles du forum
Forum de discussions entre personnes de bonne volonté sur la doctrine sociale, politique, économique et écologique de l'Église
Avatar de l’utilisateur
Atrahasis
Censor
Censor
Messages : 144
Inscription : sam. 12 févr. 2011, 11:33

L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

Message non lu par Atrahasis » sam. 12 févr. 2011, 12:51

Bonjour à tous,
comme vous le savez tous, notre douce religion a une longue tradition dans l'aide envers les démunis. En fait, c'est presque sa raison d'être ; quoi que je sois un peu simplificateur, elle est encore plus riche.
J'ai sous les yeux la reproduction d'un document datant de 1252 : visiblement c'est un acte épiscopal décrétant la fondation d'un hôpital (ou maison Dieu) à Saint-Malo. C'est de l'évêque Geoffroy il est décrit comment les travailleurs du Christ vont s'organiser pour mettre en oeuvre toutes ces actions charitables. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir en quelles proportions étaient-elles opératoires, leurs liens éventuels avec des commanderies. Est-ce que l'on parle de clergé régulier ou séculier ?
Geoffroy se présente comme « humble pasteur de l'église de Saint-Malo etc.). Est-ce que la multiplication d'établissements de ce genre a un rapport avec la réforme grégorienne ; ou sinon avec quoi ?
Je crois que ce type d'établissements a permis de faire reconnaître aux yeux du monde entier le caractère altruiste du christianisme.
Beaucoup de questions, j'espère autant de réponses...
Bien à vous.

Avatar de l’utilisateur
Sofia
Barbarus
Barbarus

Re: L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

Message non lu par Sofia » sam. 12 févr. 2011, 20:20

Bonjour et bienvenue Atrahasis,

Je n'y connais pas grand chose - je sais, c'est pas très utile de répondre dans ce cas-là :sayo: - mais je trouve ce sujet intéressant et j'espère que d'autres seront moins ignorants que moi sur la question ! Le site de l'AP-HP donne quelques renseignements historiques sur divers établissements parisiens : http://www.aphp.fr/index.php?module=arc ... o_moyenage.
Je suis tombée sur un livre qui peut vous intéresser, Lieux d'hospitalité : hospices, hôpitaux, hostellerie aux presses universitaires Blaise Pascal (2001).

« L'hôpital est originellement le lieu de la charité et celui de l'hébergement charitable, les termes pour le désigner étaient variés : hôtel-Dieu, maison-Dieu, maison de charité. L'hôpital comme institution importante et même essentielle pour la vie urbaine depuis le Moyen Âge n'est pas à l'origine une institution médicale. Avant le XVIIIe siècle l'hôpital est une institution d'assistance aux pauvres. Le pauvre en tant que tel avait besoin d'assistante, qu'il soit malade, propagateur de contagion ou potentiellement dangereux et facteur de désordres. » p.19
« La pratique de la charité au XIIIe siècle s'inscrit dans une tradition d'hospitalité et dans un mouvement générale de développement de l'assistance amorcé à la fin du XIe siècle et amplifié par la puissante réforme grégorienne. Elle repose sur une réflexion approfondie touchant à la signification de la pauvreté et de la souffrance et à un nouvel effort de définition de la vertu de Charité. » p.53
« Reprenant les modes d'organisation des ordres hospitaliers qui se sont développés au long du XIIe siècle, ils mettent en pratique à leur échelle et dans le cadre d'établissements souvent modestes les œuvres de miséricorde « nourrir, désaltérer, vêtir, accueillir, soigner, visiter les prisonniers, donner une sépulture ». Des laïcs viennent soutenir leur action en se rendant auprès des assistés ou en se mettant à leur service pour quelques heures. » p.57
« Les établissements de secours les plus nombreux sont les maisons-Dieu. On les trouve au long des routes, dans les localités d'importance secondaire et dans les faubourgs des grandes villes. [...] La plupart ne comportent que quelques lits. Leur gestion, assurée par un personnel très restreint est placée sous le contrôle de l'évêque par l'intermédiaire de l'archidiacre. Ce dernier doit également inspecter les léproseries, également très nombreuses. » p.59

Bien à vous,

Avatar de l’utilisateur
Atrahasis
Censor
Censor
Messages : 144
Inscription : sam. 12 févr. 2011, 11:33

Re: L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

Message non lu par Atrahasis » sam. 12 févr. 2011, 22:04

merci j'ai fait un commentaire de ce texte; si vous voulez:



« la fondation de l’ Hôpital de Saint-Malo » est un extrait du Pouillé historique (État et dénombrement de tous les bénéfices qui étaient situés dans une étendue de pays déterminée ) de l’archevêché de Rennes (XIXe siècle). Et c’est dans cet historique qu’apparaît la décision épiscopale de l’évêque Geoffroy.c’est une source normative du clergé, visant à encadrer les modalités de mise en œuvre de cette fondation ; officielle, il est donc intéressant de comprendre quel rôle elle a pu jouer.
La Bretagne, au XIIIe siècle, est encore indépendante du domaine royal français tandis que Saint-Malo balance habilement entre les autorités anglaise , française et Bretatone. Elle est composée de quatre évêchés : le diocèse de Rennes, le diocèse de Vannes, le diocèse de Dol et le diocèse de Saint-Malo.
Geoffroi de Pontual issu de la famille des seigneurs de Pontual, transigea, en 1231, pour les dîmes de la paroisse de Broons.. Le 10 avril 1240, Geoffroi de Pontual institue la Confrérie Saint-Jean-Baptiste dans le chœur de la Cathédrale de Saint-Malo. En 1236 il serait rentré en Bretagne où il confirma les donations faites à l'Abbaye de Saint-Aubin-des-Bois. En 1252, il est à l'origine de la création de l'hôpital de la maison-dieu qui alors était près la chapelle Saint-Thomas au lieu-dit la "Licorne". Il fit également doter la Cathédrale d'un chœur dans le style gothique normand.
Le Pouillé de Rennes précise qu'en 1252, Geoffroy, évêque de Saint-Malo, et le Chapitre de cette ville fondèrent un hôpital près de la chapelle Saint-Thomas, qui fut affecté au service spirituel des malades (nota : cette chapelle, dédiée à saint Thomas de Cantorbéry, ne devait pas être bien ancienne à cette époque, puisque son saint patron ne fut canonisé qu'en 1173). Ils construisirent cette « Maison-Dieu » en faveur des malades pauvres, des infirmes, des étrangers et des femmes en couches.
Quel est l’apport de ce texte dans la compréhension du rapport entre le temporel et le spirituel dans l’essor urbain médiéval ?
La maison Dieu de Saint-Malo est une fondation chrétienne pour les déshérités (I)devant composer avec le principe de réalité (II) et au centre de luttes diverses (III)
I) une fondation chrétienne pour les déshérités…
1/une fondation chrétienne
- ligne 1 « humble Pasteur de l’ Église» ligne 3 « au service de Jésus-Christ »ligne 18 « ce chanoine y célébrera la messe chaque jour… » Etc.
- à nuancer cependant : « du prieur du lieu et de deux bourgeois spécialement choisis à cet effet. »dernière ligne.
2/pour les déshérités
- ligne 3 « à l’usage des pauvres… » Ligne 6 « dans un but de charité » ligne 7 « pour les besoins des pauvres, des étrangers, des infirmes et des femmes en couches (…) Des secours nécessaires aux malades »
II)… et bien dans le siècle…
1/la dimension pécuniaire
- Des apports en nature : ligne 12 «dix mines de froment » ligne 18« cinq mines de seigle et d’avoine par moitié… »
- Des apports monétaires : « « toutes les dimes que nous avons reçues et que nous donnons… » Ligne 8
2/la dimension pratique
-Financement tributaire de la foire de Dinan
- «… Pour l’entretien de ses chaussures de ses habits »
III) mais une fondation inscrite dans une lutte.
1/des velléités d’indépendance
- l’importance du champ lexical : « librement et tranquillement »« sans le consentement » « nous entendons que » «… De tout son pouvoir des droits de l’église paroissiale » etc.

2/le rôle du Vatican
-Le 26 juin 1234, le Pape Grégoire IX écrivait à l'Evêque d'Orléans afin de faire loger en les Monastères de la province de Rouen l'Evêque et le Chapitre de Saint-Malo, car Geoffroi de Pontual devait, cette année là, s'exiler en Normandie à la suite des actions de Pierre 1er Mauclerc de Dreux qui occupait militairement la ville de Saint-Malo et pillait ses églises
- le concile du Latran II donne la dîme aux évêques d’où l’importance de la dîme dans ce texte.
3/on perçoit aussi, à travers ce texte, les prémices d’une lutte entre le spirituel et le temporel : la dernière ligne : « et de deux bourgeois spécialement choisis à cet effet »




La création de ce genre d’établissement est foncièrement ancrée dans une vision charitable et chrétienne. Pour autant, elle n’est pas obligatoirement neutre. Elle peut s’inscrire, comme ici à Saint-Malo, dans des enjeux de luttes d’influences notamment entre les pouvoirs dits spirituels et temporels dans lesquelles le Vatican a aussi son mot à dire.
Plus tard, en 1565, les habitants voulurent gouverner eux-mêmes leur Hôtel-Dieu et obtinrent un arrêt du Parlement confiant l'administration temporelle à deux bourgeois nommés par la Communauté de ville, et laissant l'administration spirituelle seulement au chanoine prieur. Ce chanoine, appelé prieur de Saint-Thomas, dut rendre ses comptes tous les trois mois en présence de l'évêque, du doyen du Chapitre et de deux bourgeois ; ce qui montre que la lutte est décrite ici n’est qu’à ses débuts. « L'Hôtel-Dieu demeura à Saint-Thomas pendant quatre cent cinquante-quatre ans. A la fin du XVIème siècle, on le trouva insuffisant, malgré de nombreux accroissements apportés en 1576 et les années suivantes » (M. Michel, Monographie de l'Hôtel-Dieu de Saint-Malo, 28)


bien à vous

Avatar de l’utilisateur
Sofia
Barbarus
Barbarus

Re: L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

Message non lu par Sofia » dim. 13 févr. 2011, 11:59

Bonjour,
Atrahasis a écrit :1/une fondation chrétienne
- ligne 1 « humble Pasteur de l’ Église» ligne 3 « au service de Jésus-Christ »ligne 18 « ce chanoine y célébrera la messe chaque jour… » Etc.
- à nuancer cependant : « du prieur du lieu et de deux bourgeois spécialement choisis à cet effet. »dernière ligne.
Quel est le rôle de ces deux bourgeois et du prieur ? Pourquoi dites-vous que cela nuance le côté « fondation chrétienne » ?

Avatar de l’utilisateur
Atrahasis
Censor
Censor
Messages : 144
Inscription : sam. 12 févr. 2011, 11:33

Re: L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

Message non lu par Atrahasis » dim. 13 févr. 2011, 12:19

Sofia a écrit :Bonjour,
Atrahasis a écrit :1/une fondation chrétienne
- ligne 1 « humble Pasteur de l’ Église» ligne 3 « au service de Jésus-Christ »ligne 18 « ce chanoine y célébrera la messe chaque jour… » Etc.
- à nuancer cependant : « du prieur du lieu et de deux bourgeois spécialement choisis à cet effet. »dernière ligne.
Quel est le rôle de ces deux bourgeois et du prieur ? Pourquoi dites-vous que cela nuance le côté « fondation chrétienne » ?
parce que, à mon grand regret, le monopole de l'église sur le caritatif s'est dilué avec la montée en force du mouvement communal (très dirigiste à tous les niveaux mais il n'y a pas que l'Eglise qui en a fait les frais) à partir du XIe siècle. Vous noterez qu'à quelques exceptions près, les centres de soins sont désormais hors du giron de l'église ; la sécularisation des soins infirmiers est une réalité, discutable mais une réalité.
Je réponds aussi pour ces deux bourgeois : ils avaient un droit de regard tant sur l'organisation, sur le financement que sur l'administration des soins...
Merci Sophia,
Amicalement.

Avatar de l’utilisateur
Sofia
Barbarus
Barbarus

Re: L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

Message non lu par Sofia » lun. 14 févr. 2011, 22:20

Merci pour vos précisions Atrahasis :)

Je cite votre commentaire de texte : « ligne 3 “ à l’usage des pauvres… ” Ligne 6 “ dans un but de charité ” ligne 7 “ pour les besoins des pauvres, des étrangers, des infirmes et des femmes en couches (…) Des secours nécessaires aux malades ” ».
Je suis un peu surprise : entre une personne malade, un étranger (qui peut être malade, mais ce n'est pas précisé ici) et une femme en couches, il y a un monde ! Ils ne demandent pas les mêmes « soins », hors la maison-Dieu de Saint-Malo semble les mettre dans le même panier, un mélange entre maternité et auberge, si j'ose dire.

Donc, question : quels sont les soins prodigués à toutes ces personnes ? Est-ce qu'on se « contente » de les loger et les nourrir, qu'elles soient malades ou non ? Est-ce qu'on a conscience de quelques règles d'hygiène ? Je ne sais pas si c'est le reflet de la réalité ou une image d'Épinal, mais je me souviens avoir étudié en classe une gravure censée représenter une scène du bas Moyen-Âge où les malades étaient trois ou quatre par lit.

Bien à vous,

Avatar de l’utilisateur
Atrahasis
Censor
Censor
Messages : 144
Inscription : sam. 12 févr. 2011, 11:33

Re: L'origine des maisons Dieu au XIIIe siècle

Message non lu par Atrahasis » mar. 15 févr. 2011, 11:26

Bonjour Sofia,
C’est avec un plaisir non dissimulé que je vois que vous semblez vous intéresser à ce que je fais.
Pour vous répondre, dans la mesure de mes compétences, je vous dirai que le public susceptible d’être pris en charge dans une maison Dieu (à séparer du célèbre Hôtel-Dieu que l’on trouve sur l’île de la cité ou à Lyon et qui sont bien plus grands)est un public que l’on pourrait qualifier de « guérissable ».Alors, si cela vous choque vous n’avez qu’à penser qu’il faut bien faire avec les moyens du bord à une époque où l’on croit que la peste se transmet par le regard. Mais pensez aussi au célèbre édit de Louis XIV imposant aux malades d’être enfermés. En effet, un aveugle, un lépreux ou tout simplement quelqu’un atteint d’une pathologie incurable était écarté ou renvoyé ailleurs(par exemple une léproserie). Il faut bien comprendre une chose c’est qu’à l’époque, une maladie est bien souvent considérée comme une punition de Dieu.
Alors, essayons de ne pas être trop simplificateur : ce que l’on pourrait appeler « l’image du pauvre » a évolué lors du Moyen Âge. En effet, sensiblement avant le moment de la fondation de la maison Dieu de Saint-Malo, le christianisme se voulait flamboyant pour donner à Dieu ce qu’il y a de meilleur et de plus beau(pensez au goût de la magnificence du célèbre abbé Suger de Saint-Denis). Ensuite, apparaissent les ordres mendiants ou l’on voit dans le pauvre l’image du Christ. Alors, je ne dis pas que le christianisme d’avant les ordres mendiants méprisait les indigents, au contraire !
Ce ne sont que des tendances grossières et presque caricaturales mais dont l’histoire ne peut faire abstraction. Si vous voulez développer ce point, je vous conseille certains livres de Jacques le Goff : ils sont clairs, sans parti pris contre ce que j’appelle la religion de l’Amour.
Alors, maison Dieu : hôpital ou auberge ? En fait, dans la limite des pouvoirs disponibles, il s’agissait grossièrement non de guérir mais de prendre soin à peu près une semaine du déshérité de passage. En fait, il s’agissait de soigner l’hygiène de l’âme (des messes étaient prononcées chaque jours,) et de soigner l’hygiène du corps (bains réguliers, régimes appropriés etc.), mais bien sur finalement rien de commun avec la médecine actuelle.
J’espère que vous y voyez un tout petit peu plus clair et vous souhaite une très bonne journée à la lumière de notre Seigneur.
Bien à vous.

Répondre

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 18 invités