Trinité rapportant un trait lancé par sa fille :
Mais si tu étais né musulmans ou juifs, tu ne serais pas catholique, pas baptisé et ne croyant pas à Jésus sauveur [...]
Le journaliste italien Messori répondait déjà à un pareil argument d'incroyant :
"... "Le chrétien de quelque confession qu'il soit, s'il était né ailleurs, serait sans nul doute musulman ou hindouiste, ou bouddhiste ou confucianiste", disait le marxiste italien Ambrogio Donini. Ce point de vue n'est pas nouveau : déjà Montaigne, au XVIe siècle, soutenait que nous sommes chrétiens de la même façon que nous sommes, par exemple, du Périgord ... Quand on connaît les mécanismes qui conduisent les gens aux conformismes plus qu'aux choix libres, aux croyances comme héritage social plutôt que comme décision autonome, ce point de vue n'a rien de choquant.
Il y a donc une part de vérité dans l'affirmation du vieux professeur communiste.
Mais est-ce vraiment là toute la vérité ?
Si ce choix ne devait être qu'un fait de culture, de racines ethniques, alors pourquoi ne retournerais-je pas à ma religion, celle de mon peuple, de mes ancêtres ? Celle-ci n'est nullement le christianisme, mais le culte de la nature des antiques paganismes.
L'évidente origine agricole et latine de mon nom (messores, moissonneurs) confirme que mes aïeux furent tous des travailleurs agricoles et des paysans de la plaine du Pô. A ce peuple, la nouvelle foi sémite arrivée du Moyen-Orient vers le quatrième siècle a été imposée, souvent par la force, en tout cas à une époque tardive : après l'an mille, les campagnes d'Italie du nord étaient encore païennes, et restaient attachées à des croyances ancestrales qui remontaient - d'après ce que l'on sait - à l'époque néolithique. La religion que les masses paysannes devenues ouvrières ont abandonnée au cours de ces dernières années, le plus souvent n'est pas le christianisme, mais quelque très ancien paganisme à peine teinté de superstitions d'origine chrétienne. Il est évident que ces obscurs travailleurs des campagnes émiliennes dont je suis issu ont été infiniment plus longtemps païens - et peut-être avec plus de spontanéité et de conviction - que chrétiens.
Si un Donini et d'autres comme lui avaient raison, je me donnerais du mal, mais pour défendre la religion de ma race, de ma culture, de mes anciens. De plus, dans ma défense du paganisme, je ne serais certes pas seul mais en compagnie d'humanistes, de philosophes, d'artistes, d'écrivains, d'intellectuels, depuis le XVe siècle jusqu'à aujourd'hui, en passant par le XVIIIe.
Il me semble clair, en tout cas, que pour un Latin de la plaine du Pô (où sont mêlées des influences gauloises, ligures, celtiques, étrusques), il serait plus naturel de faire confiance aux antiques divinités de la terre, des bois, des sources plutôt qu'à ce complexe système judéo-grec appelé "christianisme".
Qui a dit que pour un Européen comme moi, c'est spontanément que l'on peut se reconnaître fils spirituel d'un obscur pâtre nomade d'Ur en Chaldée nommé Abraham ? Qui a dit qu'entre les prétentions apparemment délirantes d'un artisan inculte de Galilée et le scepticisme latin distingué du procurateur de Rome, Ponce Pilate, il aurait été bien facile, pour l'un d'entre nous, de voir de quel côté se trouvait la raison ?
Si donc j'examine, avec une attention particulière, la proposition chrétienne sur la vie et la mort, ce n'est point à courte vue, ni par l'effet d'un patrimoine d'Occident, ni pour défendre mes propres racines culturelles. Ni dans l'ignorance des autres messages religieux.
Je dirais que c'est précisément dans la confrontation avec d'autres que le pari chrétien m'apparaît le plus complexe, le plus provocateur, le plus paradoxal : et par tant d'aspects, si contraire au common sense, au bon sens. Mais, malgré l'apparente impossibilité d'être proposé, il me semble que la réflexion peut y découvrir ce qui comble le plus le coeur et la raison."
- V. Messori, Pari sur la mort. L'espérance chrétienne : vérité ou illusion ?, 1984, p. 104