Une mère chrétienne

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Fée Violine
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Une mère chrétienne

Message non lu par Fée Violine » dim. 06 avr. 2014, 21:21

Le frère Manuel Rivero, dominicain d'origine espagnole et actuellement au couvent de St Denis de la Réunion, vient de perdre sa mère. Voici comment il la décrit:
Ma mère Victoria est partie vers le Père le jeudi 3 avril 2014
Bilbao, le 5 avril 2014
Bonjour,
Ma mère est partie vers le Père le jeudi 3 avril 2014 à 13h en l’hôpital Santa Marina de Bilbao. Entrée en agonie la veille, elle s’est éteinte doucement entourée de mes sœurs Victoria et Rosa ainsi que de moi-même. Pendant de longues heures sa respiration était difficile et son cœur en souffrait. Quelques minutes avant son arrêt définitif, nous avons entrevu le décès. Nous l’avons entourée de notre affection et de notre prière. Mes sœurs lui disaient qu’elles l’aimaient. Je lui tenais la main et lui caressait ses tempes et ses cheveux. Elle est allée à la rencontre du Christ accompagnée des Ave Maria du Rosaire.
Arrivé lundi soir à Bilbao après vingt-quatre heures de voyage depuis La Réunion, je me suis rendu à l’hôpital Santa Marina construit jadis sur les collines des montagnes qui cerclent Bilbao pour accueillir les malades de la tuberculose. L’endroit est beau, avec une vue superbe sur la ville et sur les monts encore quelque peu enneigés en ce début de printemps. De nombreux promeneurs marchent souvent dans ces forêts environnantes pour respirer l’air pur et frais, loin du centre contaminé aujourd’hui davantage par les voitures que par l’industrie dont Bilbao a été fière pendant longtemps.
Ma mère avait été hospitalisée il y a dix jours dans le service des soins palliatifs, au dernier étage, le cinquième, le plus proche du ciel à tout point de vue. Technologie de pointe, service impeccable de la part du corps médical, espaces d’accueil, wifi, restaurant … Tout est prévu pour alléger la souffrance et la peine dans ce lieu où la mort s’impose chaque jour.
Dans ce contexte douloureux, j’ai eu la satisfaction d’être avec ma mère pour sa pâque –son passage vers Dieu- ; mes sœurs m’avaient dit : « maman te demande et t’attend ». Elle m’a attendu. En 1979, mon père m’avait aussi attendu avant de mourir dans l’hôpital de Cruces, près de Bilbao, et j’avais accueilli son dernier soupir. Diacre à cette époque, j’avais célébré ses funérailles dans notre paroisse Notre-Dame-du-Mont-Carmel de Bilbao. C’est là que j’ai été baptisé. C’est dans cette même église du quartier d’Indautxu que j’ai officiée hier vendredi 4 avril la messe pour ma mère.
Nous avons eu trois célébrations. Hier matin, dans la chapelle du tanatorium j’ai évoqué le dépouillement éprouvé par ma mère au long de sa maladie. Elle qui était si habile et autonome a dû se faire aider pour toutes les démarches de la vie quotidienne : se laver, s’habiller, manger … La maladie d’Alzheimer lui avait fait perdre sa mémoire au point qu’elle me disait il y a quelques mois : « je deviens bête ». Le cancer du foie lui provoquait des douleurs. Aussi ai-je choisi l’hymne de saint Paul apôtre aux Philippiens au chapitre deuxième, où Jésus est révélé dans son humiliation se vidant de la gloire qui était la sienne sur la croix.
Lors de la messe des funérailles hier soir, nous étions sept prêtres (deux diocésains, deux religieux claretins et deux religieux dominicains espagnols) et un évêque, Monseigneur Juan Maria Uriarte, évêque émérite de San Sebastian, théologien et bien connu pour son engagement envers le processus de paix au pays basque. Trois cents personnes ont participé à cette prière : famille, amis, voisins … Les chants étaient en espagnol et en basque. J’aime chanter en basque même si je n’ai pas eu l’occasion de l’étudier. La force de cette langue et de sa musique élèvent vers Dieu.
Née en Castille, le pays de saint Dominique, le 7 décembre 1923, ma mère est arrivée à Bilbao à l’âge de dix ans. « Une personne âgée qui meurt c’est une bibliothèque qui disparaît », dit un proverbe africain. C’est à Bilbao qu’elle a étudié la couture et le dessin. Adolescente, elle a connu l’horreur de la guerre civile espagnole de 1936-1939 : bombardements, fuite dans les refuges, famine … Le fameux pain noir. Des gens qui mangeaient même des rats.
Depuis sa jeunesse, ma mère aimait le théâtre, les comédies musicales (« las zarzuelas ») et l’opéra. La maladie d’Alzheimer lui avait fait perdre depuis deux ans la mémoire immédiate mais non celle des paroles des chansons de sa jeunesse ! Encore récemment, dès que nous commencions en famille un chant classique elle le reprenait sans problèmes avec les autres couplets.
Mes tantes disaient que ma mère avait « des mains en or ». Outre des travaux professionnels pour la vente, ma mère a souvent habillé la famille : robes de baptême, de Première Communion, de mariage, robes de soirées pour mes nièces… Il n’y a pas longtemps elle m’avait offert un habit dominicain façonné par ses mains malgré l’engourdissement de ses doigts dû à l’âge. Combien de personnes m’ont dit tel vêtement important dans ma vie a été l’œuvre de ta mère.
Que dire sur ma mère ? Elle aimait les choses bien faites. Toujours joyeuse, heureuse avec un rien, elle rayonnait l’empathie et l’espérance. Pas de repliement sur elle-même ou d’amertume. Depuis son enfance, elle a dû travailler beaucoup menant une vie austère qui ne l’a pas empêché de chanter et d’embellir le quotidien par ses gestes simples, précis et efficaces.
Un jour que nous évoquions les détenus dans les prisons, ma mère s’exclamait : « Ah ! Les pauvres ils doivent aspirer à la liberté ! » Parfois j’entends des propos aux antipodes de cette vision : « Ah ! La prison ! C’est devenu un hôtel. Il faudrait des peines plus dures ». Quand je célèbre la messe dans un centre pénitentiaire à La Réunion que les détenus me font part de leur attente –« Ah C’est long ! »- ; je pense parfois à ma mère et à sa miséricorde.
Douée pour les travaux manuels, je n’ai pas vu ma mère se plonger dans la lecture d’ouvrages spéculatifs. Mon père aimait les romans. C’est lui qui m’a raconté au cours de mon enfance l’histoire du compte de Montecristo, l’abbé Faria et le Château d’If mis en scène par Alexandre Dumas. J’admirais le talent de ma mère crayon noir à la main tout en ayant honte de ce que gribouillais dans mes cours des dessins à l’école.
En regardant en arrière, je me rends compte de la présence de ma mère tout au long de mon enfance et de ma jeunesse. Je quittais la maison le matin. Ma mère était là. Je rentrais à midi. Elle avait préparé le déjeuner. Le soir elle nous attendait. Je pense à cela quand je vous enfants rentrer le soir dans des maisons vides et partir le matin alors que les parents ont déjà quitté la demeure pour aller travailler.
Pour la messe des funérailles j’ai choisi l’épître aux Galates où saint Paul nous parle des fruits de l’Esprit en citant la joie et l’évangile de l’enfant Jésus perdu et retrouvé au Temple de Jérusalem.
Avant de mourir, ma mère a beaucoup souffert. Sainte Bernadette de Lourdes avait aussi déclaré dans sa chambre à l’infirmerie du couvent de Nevers : « Je ne savais pas qu’il fallait tant souffrir pour mourir ». Face à la maladie et à la mort, nous avons à choisir entre l’absurde et le mystère. Le mystère du Christ éclaire le mystère de nos tragédies.
Marie et Joseph ont été dépassés par les événements. Marie a mis en avant son époux Joseph le citant en premier : « Pourquoi nous as-tu fait cela ? Ton père et moi nous te cherchions angoissés ». Il est fréquent d’entendre les épouses critiquer les pères traités d’irresponsables et égoïstes. Marie ne fait pas de reproches à Joseph : « On ne peut pas compter sur toi ! Où étais-tu ? Pourquoi n’as-tu pas veillé sur Jésus ? Les hommes sont tous pareils ». Marie oriente Jésus vers son père qui figure comme l’autorité première de la famille.
J’ai beau réfléchir je ne me souviens pas d’un mot de critique de mon père envers ma mère ni de ma mère envers mon père. Ils ne se contredisaient jamais sachant que les enfants comme les politiques cherchent à diviser pour régner. Si mon père avait dit, ma mère le confirmait. Si ma mère refusait quelque chose mon père l’approuvait.
Il importe d’aimer d’accorder la première place au conjoint plutôt qu’à l’enfant. Il est des mères qui apprécient leur mari à cause des enfants. En réalité, une bonne éducation fait comprendre à l’enfant qu’il arrive après le conjoint.
Mon père était affectueux mais il ne fallait pas contrarier ma mère. Si nous en désobéissant nous les enfants faisions souffrir ou pleure notre mère la punition tombait raide et sévère. J’ai gardé le souvenir amère du jour où mon père en colère nous avait mis dehors dans les escaliers de l’immeuble pour avoir fait de la peine à notre mère : « Vous avez fait souffrir celle que j’aime le plus au monde ! ». Nous avions compris le message.
Qu’il est triste de voir aujourd’hui des couples ayant suive de longues études universitaires se critiquer de manière vulgaire. Le risque existe de devenir intellectuel sans un véritable art de vivre. D’ailleurs, quand on dit de quelqu’un qu’il est intelligent il convient de demander : « Intelligent en quoi ? ».
En ce qui concerne le mariage, ma mère nous a toujours exhortés à regarder le cœur droit et sincère plutôt que l’argent et le statut social. Le langage avait à ses yeux une importance capitale : « Entre un homme et une femme il faut beaucoup de respect », nous enseigne-t-elle. Selon son expérience, le couple avait besoin d’autonomie tenait à l’autonomie des couples sans intervention excessive des belles-mères. La Bible dans le livre de la Genèse présente la naissance du couple comme un départ et une séparation d’avec les parents : « L’homme quittera son père et sa mère, il s’unira à sa femme et ils ne feront qu’une seule chair ». Il arrive que l’homme reste dépendant de sa mère et la femme de son père au point que le mariage, nouvelle création, n’avance pas dans la liberté. Ma mère nous a donné l’exemple d’un grand respect des familles. Ses enfants avaient la clé de sa maison. Ils allaient et venaient quand ils le voulaient. Elle ne se rendait jamais chez ses enfants sans avoir été invitée au préalable et avec un rendez-vous concret et utile.
Ma mère agissait avec sagesse. Elle gérait avec rigueur prenant conseil auprès des experts mais en même temps elle ne rendait pas visite à quelqu’un les mains vides. Elle choisissait le cadeau personnalisé qui ferait plaisir.
Avec le recul du temps, j’apprécie encore davantage les valeurs transmises par ma mère : l’amour de la vie et de la beauté, son sens de l’économie –que l’on gagne peu ou beaucoup- il s’agissait d’épargner chaque mois, sa vision de l’histoire comme progrès, sa confiance dans la jeunesse. Par exemple, ma mère estimait les jeunes médecins riches des dernières découvertes et qui manifestent plus d’enthousiasme que les anciens. Prudente, elle mesurait les mots utilisés. C’est ainsi que ses éloges étaient rares et il fallait les mériter. Quand elle voyait la télévision et ses coups médiatiques comme la Coupe du monde de football gagnée par l’Espagne, elle s’exclamait « Ils exagèrent ; ce n’est pas si important ». Quant aux diagnostics, elle s’en méfiait ayant beaucoup pleuré à cause d’un mauvais diagnostic alors qu’elle venait de se marier. Mon père était tombé malade, ma mère venait d’accoucher, et le médecin consulté avait informé mes parents que mon père ne tiendrait pas plus d’un an. La jeune mariée, qui était ma mère, s’était effondrée. Mon père, grâce à Dieu, allait vivre trente ans en plus.
Lors de son discours d’inauguration de l’École biblique de Jérusalem le 15 novembre 1890, le père Lagrange avait donné l’esprit de son projet de recherche en mettant en lumière la Bible comme source de progrès infini pour connaître Dieu. Ma mère aimait le progrès. Dans l’Évangile, saint Luc rappelait que l’enfant Jésus grandissait en âge, en sagesse et en grâce, sous le regard de Joseph et de Marie, ses parents. Cet élan vers une réalité encore plus profonde et belle habitait le cœur de ma mère. Elle ne nous a pas appris à gagner n’importe comment, ni à mentir ni à faire carrière. Elle désirait voir ses enfants grandir dans l’amour et l’unité. Elle nous poussait à étudier et à découvrir d’autres langues et cultures. Pour faire de petites économies, elle était capable d’aller dans une grande surface qui se trouvait loin de la maison et d’en revenir à pied évidemment fatiguée. Mais pour progresser dans la vie, ma mère ne faisait pas de restrictions ; tout au contraire, elle nous poussait à aller plus loin. Le père Lagrange, dans son Commentaire à l’Évangile selon saint Jean, parle de la « Vérité en marche ». Le poète Antonio Machado, andalou, qui a fait resplendir la Castille, nous enchante avec son poème : « Caminante no hay camino se hace camino al andar » (« Voyageur, il n’y a pas de chemin, on fait le chemin en marchant »). De son côté, l’andalou Juan Ramon Jiménez, prix Nobel de littérature, nous fait voyager dans le ciel et sur la terre : « Des racines et des ailes. Mais des ailes pour s’enraciner et des racines pour s’envoler ». Le contraire du fondamentalisme, de la rigidité et du fixisme.
Ses valeurs familiales me viennent à la mémoire en pensant au prochain Synode de la famille qui aura lieu en octobre à Rome. Il importe de prêcher sur l’éducation et sur la vie familiale. Nous les prêtres, nous ne commentons pas assez la doctrine sociale de l’Église. Il me semble que nous devrions truffer nos homélies de richesses pour l’éducation qui sont si actives dans les paraboles et les discours de Jésus dans l’Évangile.
Un jour que nous visitions en famille Caleruega, le berceau de saint Dominique en Castille, ma mère s’était mis à chanter avec les fidèles d’une procession : « Viva Maria, viva el Rosario, viva Santo Domingo, que lo ha fundado » (« Vive marie, vive le rosaire, vive saint Dominique qui l’a fondé »). J’avais demandé à ma mère comment elle connaissait si bien le refrain. Elle m’avait répondu : « Je l’ai chanté enfant ».
Ma mère est partie. Le monde n’est plus le même. Il me reste à l’embellir selon son esprit.
Que la Vierge Marie, Notre-Dame-du-Rosaire, et saint Dominique, intercèdent pour elle au moment de passer de ce monde au Père de Jésus, dans l’espérance d’y retrouver mon père et notre famille dans la ronde de tous les saints.

Fr. Manuel
P.S. Ci-joint, photo de ma mère.
Cette semaine vous pouvez retroouvez mes commentaires de la Parole de Dieu sur Internet dans «retraitedanslaville » et dans « jevismafoi.com »
Pièces jointes
Foto mama Victoria Martinez, de Rivero.docx
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Re: Une mère chrétienne

Message non lu par astre » dim. 06 avr. 2014, 21:42

Il décrit sa maman avec autant d'amour et de respect qu'elle a su apporter à ses enfants...

Beaucoup de souvenirs qui ne sont pas prêt d'être oubliés...

Que Dieu l'accueille dans Sa maison et lui donne la paix !
L'amitié nous fait partager de grands moments de bonheur, mais aussi d'immenses peines. L'important est de partager, de s'écouter, de se soutenir.
Abbé Pierre

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