Bonjour Gaudens,
Gaudens a écrit : ↑mar. 21 avr. 2020, 14:04
Je crains que la discussion autour de ces thèmes n’aboutisse chez vous à l’effet presque inéluctable de toute polémique :le raidissement des positions,surtout quand un contributeur se sentant minoritaire dans un groupe s’arc-boute à sa position initiale sans jamais laisser passer fût-ce l’ombre d’un argument contraire.Et en cela si vous relisez vos fils des semaines passées,vous verrez que vos premières contributions étaient plus ouvertes,moins tendues.
Mais mon cher Gaudens, je suis prêt à laisser passer non seulement une ombre, mais même une cohorte d’ombres, et les légions d’arguments qui vont avec, à condition que ceux-ci soient justifiés par le bon sens, la Raison, l’Histoire et les Saintes Écritures ! Voilà mes critères. Maintenant, il est clair que le sujet est délicat, puisque je suis orthodoxe, et que si je reconnaissais la primauté du pape, il me faudrait immédiatement embrasser le catholicisme ; et vous, chers Gaudens, Kerygme, ô Suliko, êtes catholiques romains, et en tant que tels, il vous sera très difficile d’accepter une primauté purement honorifique de l’évêque de Rome.
Mais je ne me raidis pas, et je ne suis pas plus tendu que d’habitude, croyez-le bien : j’aime le dialogue
pour le dialogue, la réflexion
pour la réflexion, car même sans aboutir à un résultat opérationnel, nous en retirerons toujours quelque chose, peut-être quelque détail utile, peut-être même une information importante qui nous manquait ! C’est ce que je disais à Kerygme un peu plus haut : la dialectique doit être légère afin d’accueillir la maïeutique ! (Voilà une phrase que tout le monde devrait encadrer et accrocher au-dessus de sa porte.)
-A propos de Jérusalem vous comptez pour rien le bouleversement inoui de ce siège apostolique ,jusqu’à sa quasi disparition et sa re-création ultérieure par de Grecs (ou du moins des héllénophones) ;c’est d’autant plus curieux qu’à propos de Rome vous faites grand cas des conditionnements historiques (réels ou supposés),comme j’aimerais y revenir ci-dessous).Vous balayez bien vite l’importance de la lignée à la fois apostolique et familiale qui était pourtant un grand facteur de prestige jusqu’en 170 (voir Eusèbe de Césarée ,par exemple) :les évêques de Jérusalem jusqu’à cette date fatidique étaient bien plus qu’une « obscure lignée d’épiscopes ».
Eh bien, vous voyez ! Quand je disais qu’on retirait toujours quelque chose du dialogue et qu’il n’est jamais vain d’échanger des points de vue. J’ignorais ce que vous dites à propos du prestige de la lignée apostolique et familiale des épiscopes de Jérusalem. Et j’accepte volontiers ce « conditionnement » par l’Histoire ! Seulement, il ne me paraît pas cohérent, et vous en convenez avec moi à demi-mot, de n’appliquer ce conditionnement historique qu’à Rome seule ou à Jérusalem seule. Il faut l’appliquer soit partout, soit nulle part.
Si donc nous acceptons que l’importance de tel ou tel siège apostolique ait pu varier au gré des vicissitudes politiques, alors il faut bien reconnaître que ce fut un facteur important dans l’émergence de Rome comme centre du christianisme occidental.
Or, si nous n’en tenons pas compte, si nous ne considérons que la légitimité apostolique et scripturaire, alors Jérusalem éclipse Rome.
de l’an 170 jusqu’à la découverte de la vraie croix par l’impératrice Hélène et sans doute bien après , Jérusalem et la Terre Sainte étaient une tache blanche inexistante dans la géographie spirituelle des croyants et de leurs Eglises.L’important était ce que les grandes fêtes évoquant la Terre du Christ prenaient dans la vie liturgique et festive,pas les lieux,lointains et inaccessibles,presque vides de chrétiens.
D’accord pour dire que, du fait des persécutions, la Palestine était presque vide de chrétiens... mais je ne suis pas du tout convaincu que l’on ait pu « oublier » ce lieu où le Christ fut crucifié, où il ressuscita, ni que la Terre d’Israël était la Terre promise de l’Ancienne alliance... que la sainte impératrice Hélène ait entrepris les fouilles que l’on sait immédiatement après la reconnaissance du christianisme par son fils prouve que personne n’avait oublié les Lieux saints et leur extrême importance. Personne n’avait oublié non plus, parmi les chrétiens restés sur place, l’emplacement du Golgotha et du saint Sépulcre !
or depuis la fin du IIIè siècle Rome avait cessé d’être la capitale de l’Empire,ce rôle étant assumé par Milan en 286 puis Ravenne à partir de 402 et jusqu’à l’aube des temps Carolingiens,Ravenne fut la capitale de l’Italie ostrogothe puis le siège du diocèse byzantin (au sens civil) d’Italie après la reconquête par Justinien.Pendant ce temps,Rome ne cessa de décliner jusqu’à être un vrai champ de (belles) ruines après les nombreuses invasions barbares.Le seul élément de prestige de Rome ,à une époque où on n’avait pas redécouvert le monde antique ,c’était justement la « lignée » apostolique née de Saint -Pierre,autorité morale et spirituelle la plus éminente de tout le monde chrétien.D’importance politique et économque,nada, rien,nichts !
Vous m’étonnez, Gaudens, à la fois par la compétence que vous manifestez en la matière et votre affirmation étrange sur l’importance (économique) inexistante de Rome entre le IVe et le VIIIe siècle. C’était quand même loin d’être un village perdu peuplé de pêcheurs et de bergers (sans mauvais jeu de mots) ?
D’autre part, même si ce devait être le cas, cela ne contredit pas vraiment la logique narrative de ma démonstration, puisque je situe le « point de basculement » d’un pouvoir papal plus ou moins conforme à la Tradition vers un accaparement illégitime et croissant de prérogatives temporelles vers l’époque carolingienne, très précisément !
Malgré les dérives ultérieures ce comportement pontifical fut sûrement préférable à celui des Etats qui se sont pris pour des Eglises, c’est-à-dire qui se sont cru (et se croient encore,comme en Arabie Séoudite) habilités à dicter à leurs sujets ce qu’ils doivent croire pour être sauvés : en termes d’histoire contemporaine et de religions post sacrales, cela donne in fine le marxisme-léninisme soviétique et le nazisme allemand.
Non, ce n’est pas du tout la vision de Dostoïevski et en parlant d’islam, prenons garde à ne pas tout mélanger : l’islam est dans son essence une religion politique. Pas le christianisme !
A son propos, vous en faites évidemment faites grand cas,un peu trop,je le crains:littérairement je vous suis à 100% mais je crains que le penseur n’ait durablement ancré le monde russe dans une sorte d’autisme spirituel,une conviction d’être ,non seulement la troisième Rome mais en plus une sorte de Terre Sainte de remplacement.
En effet, et pour y avoir vécu longtemps, je souscris de toute mon âme à cette conviction. Je peux vous assurer qu’à l’heure actuelle, la Russie est mille fois plus riche spirituellement que la France ou l’Allemagne (mes deux « patries ») ; je ne m’exprimerais pas au sujet des autres pays occidentaux, puisque je ne les connais pas directement, mais enfin leur situation ne me semble pas très différente. Donc oui : Moscou est la Troisième Rome, et il n’y en aura pas de quatrième.
Au nom du ciel,Nebularis, prenez un contre-poison dès que possible ;à ce titre je vous conseille à nouveau la lecture de Vladimir Soloviev !
Ahah, je vous remercie de votre sollicitude et du conseil de lecture ; je me suis intéressé à Soloviov fut un temps, mais ce n’est pas à proprement parler un penseur chrétien (ni catholique, ni orthodoxe). Je lui préfère un Léontiev ou un Khomiakov.
Soyez assuré, cher Gaudens, de toute mon affection et de grâce, ne vous retirez pas du débat par crainte de sa stérilité : vos apports me sont utiles et bénéfiques !