Chère Milla,
Je peux enfin me poser un peu et esquisser une réponse à au moins quelques aspects de votre questionnement.
Pour cela je vais largement vous présenter les raisons qui font que moi, je suis du côté du Christ, malgré des doutes continuels qui font presque partie prenante ce que j'appelle la foi chez moi.
D'abord - commençons par le plus simple - je m'étonne un peu que l'idée du "dieu cruel" soit une si grande difficulté. Oh, que cette idée soit solidement ancrée dans la psychologie humaine sans doute, et qu'elle constitue une dérive de tout théisme auquel le catholicisme n'échappe pas - oui, sans le moindre doute. Mais je ne crois pas qu'adhérer au Catéchisme de l'Eglise Catholique, à l'interprétation magistérielle de l'écriture et de la tradition, demande la moindre concession à un Dieu qui serait "un peu" cruel, "un peu" haineux. Je n'y vois que l'affirmation du Dieu pur-amour, pur amour dans sa nature d'acte pur trinitaire, pur don, pur relation, manifesté dans le monde par Jésus qui est l'alpha et l'oméga de notre connaissance de Dieu, l'Image parfaite du Dieu Invisible. Personne ne vous demande d'aller au-delà et d'adhérer à toutes les conneries qu'on qura écrit en 2000 ans de Christianisme. Je lisais il y a quelques jours un morceau de la
Généalogie de la Morale dans lequel Nietzche cite
Des Spectacles de Tertullien, dans lequel ce dernier dans le but d'encourager les chrétiens à ne pas se rendre au jeux du cirque se trouve arguer, en gros, qu'au ciel la torture des damnés sera autrement plus intéréssante et jouissive que les combat de gladiateur et que leur désir de sang y sera amplement rassasié. Et bah si c'est là le Christianisme, rassurez-vous, je ne suis pas plus chrétien que vous.
Après, j'ajouterai une petite chose, lié à la question de l'enfer. Une chose certaine que l'on découvre sans doute d'avantage en vivant de la spiritualité chrétienne, c'est noirceur du péché. Enfait, c'est un corrolaire de la découverte de la Sainteté de Charité ; cette dernière est si grande, la splendeur de l'humilité de Dieu est si éblouissante, la Gloire de la Croix si infinie, que notre propre manque absolu de participation à cet idéal n'est pas rien. La Sainteté est si grande qu'elle nous convoque à elle-même. Et moi en tout cas, je n'aime pas, plus je médite sur l'amour plus j'en prends conscience. Ma vie n'est pas une grande offrande à Dieu et aux pauvre, au Christ et à ceux qu'il aime. Tout au plus il y a quelques tâches lumineuses sur la tunique du péché, tâche qui grandissent sous l'effet de la grâce sans doute, mais diable que je suis loin de l'idéal chrétien. C'est à ce moment que la conscience de l'enfer naît, de façon très sensible. Kierkegaard disait, substanciellement, que si il avait toute confiance en la miséricorde de Dieu pour les autres, il se savait lui-même en grand danger de mort spirituelle. Je suis une boursouflure d'orgeuil devant un Dieu qui s'immole pour racheter chaque crachat que j'ai procheté à sa face en offrant pour chaqu'un d'entre eux une surabondance d'amour. La péché n'est pas à prendre à la légére. Oh non.
Mais nous arrivons au coeur du sujet. Vous écrivez :
Je ne sais pas si je poursuis un reflet ou une chimère. Rien que l'idée d'infini me fait peur (quelque chose que rien de visible ne borne, c'est juste effrayant ; pour me faire déprimer faites-moi contempler les étoiles en me disant que l'univers est en expansion). La radicalité aussi : j'ai parfois l'impression que ce que Dieu demande aux chrétiens c'est d'être de la pâte à pain et de se laisser faire pour devenir autre chose, et moi je suis trop control-freak pour ça. Alors un amour infini qui vous change et où vous ne contrôlez rien, et où vous ne pourrez jamais répondre comme il faut parce que ça vous dépasse de toute façon...
Ce n'est pas ce que j'écris au-dessus qui vous rassurera alors.
Il y a certainement du vrai dans cette description que vous faites du Christianisme. Cependant, on peut aussi en voir, comme souvent, l'autre face. Dieu demande peut-être aux chrétien d'être de la pâte à pain, mais il leur donne aussi la "dignité royale" de la liberté, comme disent les Pères Orientaux. Un moine, dans un superbe documentaire sur le Barroux, commentait la profession solennelle d'un frère en disant "c'est la grandeur de l'homme que de changer sa vie sur une parole". Et c'est vrai. "L'esclavage" du chrétien est réel, pour utiliser un grand mot, mais il est aussi, paradoxalement, absolument libre. La liberté chrétienne nous arrache, vraiment, à l'esclavage des passions, des pauvres désirs concupiscent, de la médiocrité d'une vie mondaine. Le Christ nous rend libre en nous proposant son joug facile et son fardeau léger.
Enfin, vous écrivez, et on arrive au plus intéréssant :
Et quand je parle comme ça, j'ai l'impression d'être une vraie illuminée, complètement ridicule, et de me prendre la tête pour quelque chose qui n'est qu'une fable.
J'aimerais vous dire comment je vois les choses. Lorsque vous écrivez cette phrase, vous postulez qu'il existe un espèce d'espace de la normalité, un lieu rationnel dépourvu de croyance, une sorte de "sens de la vie" naturel. Vous postulez qu'il existe une position intellectuelle sécurisée, une sorte d'agnosticisme je suppose, dans lequel on n'a besoin de faire aucun choix épistémologiquement risqué.
Une des grandes raisons pour laquelle je professe la foi catholique malgré des doutes similaires, c'est que je ne crois pas qu'un tel espace existe.
Un texte qui pose bien cette question, c'est
Mes Confessions, de Tolstoï. L'auteur y expose, en gros, le problème de son questionnement existentiel. Chaque action qu'il pose amène une chaîne de "pourquoi" qui en déconstruisent la raison d'être. Pourquoi chercher la gloire littéraire ? Pourquoi administrer ses biens ? Pourquoi fonder une famille ? Pourquoi vivre ? Pourquoi même survivre ?
La question du Sens est parfaitement inévitable. Et il n'existe pas de paradis laïc, de position intellectuelle neutre de tout postulat épistémologique non-déductible, qui offre une version du Sens, fut-elle modeste. L'existence du sens, de la morale, l'éthique, de valeurs objectives, tout cela est inaccessible d'une façon directe. Nous nous contraignons, d'une manière ou d'une autre, à vivre en postulant que ces choses existent, plus ou moins consciement et avec plus ou moins de réfléxion derrière.
La question n'est pas de savoir si il faut avoir la foi ou non, mais de savoir en quoi avoir la foi. Si on veut vivre pleinement, il faut croire, parce que si nous ne croyons pas, nous sommes des hypocrites ; nos actions, nos efforts pour simplement vivre, témoignent de notre foi, fut-elle simpliste, en la valeur de la vie, en la valeur du libre-arbitre, de la morale, etc...
Reste à savoir, avec le peu d'information que nous tenons du monde qui nous entoure, en quoi nous devons avoir foi.
De mon point de vue, lorsque je vois l'athée "lambda", si vous voulez, je pense que c'est lui au fond l'illuminé. Moi, je peux dire pourquoi je crois en la vie, en la morale, aux valeurs objectives. Je peux expliquer pourquoi métaphysiquement l'existence de Dieu me paraît probable, en quoi le message du Christ est-il crédible, en quoi le Catholicisme, sans être déductible par la raison naturelle, est à mon sens la plus solide des position intellectuelle à laquelle on peut préter une foi raisonnable, rationnelle, pour fonder l'existence du Bien - du sens de la vie, de la morale, des valeurs...
L'athée lambda - je ne parle pas de vous - est incapable d'expliquer, métaéthiquement, pourquoi il croit aux Droits de l'Homme, métaphysiquement, en sa propre unité ontologique et à son libre-arbitre, existentiellement, à la raison pour laquelle sa propre vie a une valeur objective - et il y croit, même si il le nie. Les vrai nihilistes ont une balle dans la tête ou une corde autour du cou.
Voilà mon avis ; il n'y a nul part où l'on peut se cacher des questions existentielles. Certes, le consensus d'une époque apporte une sorte de réconfort moral - je ne suis pas taré, puisque les autres pensent comme moi. Mais sur le fond, le consensus d'une époque en matière de sens, de morale, de métaphysique, n'est pas plus crédible que celui d'une autre. Regardez-vous en face : vous êtes déjà une illuminée, vous croyez déjà aux contes de fé.
Moi, dans l'ordre naturel, j'ai choisi le conte de fé la plus crédible, celui qui m'a semblé être le plus probablement vrai. "Le Mythe vrai à l'origine de tous les mythes" dirait Tolkien.
Dans l'ordre surnaturel, si j'ose dire, j'ai vu la face du Christ Tout-Amour, et je n'ai pas pu la quitter de vue depuis.
C'est là le tout de la proposition chrétienne, pour autant que j'en sache.
Dieu vous garde. Je vous souhaite de trouver ce que vous trouverez le plus proche du Vrai et du Bien. J'espère que ce sera le Christ.
Héraclius -