Dialogue sur le principe protestant Sola Scriptura
Publié : jeu. 20 juil. 2017, 11:27
Je viens d’avoir un échange de lettres avec un vieil ami pasteur protestant évangélique.
Ce 17 juillet, après un échange de réflexions sur diverses divergences entre protestants et catholiques, il m’a écrit :
Évidemment il y a beaucoup à dire … Finalement cela revient à la source d'autorité : pour nous c'est l'écriture seule alors que pour toi c'est l'écriture plus la tradition plus tout ce que l'Église catholique a pensé au fil des siècles y compris la notion du Pape comme successeur de Pierre que tu mentionnes dans ton mail…
En tout cas comme tu dis si bien notre union en Christ et notre amour fraternel demeurent au travers de ces différences quoi qu'elles paraissent parfois très importantes et je te souhaite de continuer à aimer le Seigneur et à œuvrer pour lui pour le salut des âmes et pour la gloire de notre Sauveur…
Cela m’a donné l’occasion de revenir sur le principe protestant du Sola Scriptura en lui écrivant ceci :
Je me réjouis toujours de pouvoir échanger avec toi et j’ai bien sûr observé tes multiples références au catéchisme catholique que tu consultes certainement souvent. C’est le meilleur ouvrage possible pour comprendre la foi catholique. Je connais aussi tes multiples contacts avec des catholiques et cela ne peut que contribuer à mûrir ta réflexion.
Malgré les désaccords, tu manifestes beaucoup d’affection et d’attention, et tu situes exactement le nœud des difficultés lorsque tu me réponds : « Finalement cela revient à la source d'autorité : pour nous c'est l'écriture seule alors que pour toi c'est l'écriture plus la tradition ».
Je ne peux que te confirmer que je ne suis pas d’accord lorsque tu affirmes (contre l’évidence !) que « pour nous c’est l’écriture seule ». Ce n’est pas vrai parce que c’est contraire à la réalité : la Parole de Dieu nous parvient par et avec une tradition. C’est un fait.
L’écriture « seule », « sans la tradition » : cela n’existe pas. La Parole de Dieu a été écrite par des hommes, avec une langue d’homme (l’hébreu ou le grec) et des modes d’expression d’une époque antique (la culture juive principalement) dans un contexte historique de référence qui n’est plus le nôtre. La Parole de Dieu ne parvient pas uniquement et directement à notre esprit, mais elle est comprise et expliquée par l’intermédiaire de notre cerveau.
Même si l’Esprit Saint nous inspire et nous conduit, c’est ton cerveau humain qui a rédigé, composé et expliqué tout ce que tu écris …, exactement comme le cerveau de chaque auteur biblique l’a fait pour chaque texte de l’Ecriture même s’il était inspiré par Dieu lui-même d’une manière lui permettant d’exprimer la parole de Dieu.
De même que le Christ est vrai Dieu et vrai homme de manière indivisible, la Parole de Dieu écrite qu’est la Bible est aussi vraiment divine que vraiment humaine. Il est impossible de distinguer ou de séparer, dans la Bible, la Parole de Dieu de la parole humaine qui l’a écrite, faite de mots humains, d’une langue humaine, d’une culture humaine, en utilisant une modalité de fonctionnement du cerveau terrestre humain (la capacité de recevoir et de comprendre un texte écrit) qui ne nous donne accès à ce texte que par la lecture ou l’audition (qui sont des facultés humaines) et par la compréhension (qui est aussi une faculté humaine).
Un texte qui ne peut pas être lu ou entendu et qui ne peut pas être compris est semblable à un texte mort pour son destinataire.
La parole de Dieu est un texte qui nous est donné par l’intermédiaire de la compréhension de l’humain qui le reçoit.
L’écriture « seule » cela n’a aucun sens et cela n’existe pas. Une écriture, c’est indivisiblement un message écrit par quelqu’un « et » compris par un autre. Une écriture ou une parole c’est toujours deux personnes : celui qui parle (ou écrit) et celui qui écoute et comprend.
Donc, ni pour toi, ni pour aucun protestant, ni pour personne, il n’est possible d’affirmer que l’autorité c’est l’Ecriture « seule » : c’est impossible. C’est seulement une astuce fausse pour cacher une partie de la réalité. La vérité, c’est qu’à défaut d’Eglise, lorsque tu écris « pour nous c’est l’écriture seule », cela signifie en réalité : c’est « l’écriture et ma pensée (l’autorité suprême de ma conscience individuelle) et/ou une tradition protestante évangélique », mais en cachant une partie de cette réalité.
La Parole de Dieu nous parvient uniquement par et avec une tradition. Si ce n’est pas celle de l’Eglise fondée par le Christ, c’est inévitablement la pensée individuelle et la compréhension particulière de l’individu qui lit ou de sa tradition religieuse particulière.
Celui qui dit : je crois en l’écriture « seule », croit, en réalité, à l’écriture « et » à sa propre pensée, dans un mélange où sa propre pensée est par nature et inévitablement dominante par rapport à la pensée de l’autre d’où provient le texte. Il devient pour lui-même le pape de sa propre foi.
Le principe de l’Ecriture « seule » n’est qu’un refoulement qui cache la vérité de l’autorité réelle qui est reconnue. Cette autorité véritablement reconnue ce n’est pas la parole de Dieu, mais c’est la pensée de l’homme qui lit et comprend. En cela, le principe Sola scriptura est faux en ce qu’il donne, en réalité, l’autorité suprême à la conscience de l’individu qui lit, en cachant, par un mensonge par omission, que ce principe remplace l’autorité de Dieu qui parle par la libre interprétation de celui qui lit.
Et, pire encore, celui qui lit de cette manière ne distingue plus sa propre pensée de celle de Dieu. Il confond la parole de Dieu avec la compréhension de sa propre pensée et finit par la considérer comme la pensée de Dieu lui-même. L'assistance de l'Esprit Saint n'y change rien car c'est toujours un humain pécheur qui l'accueille plus ou moins dans ses pensées.
Tu vas penser néanmoins que le catholique à tort parce qu’il « ajoute » la tradition à la Parole de Dieu et parce qu’il attribue ainsi une même autorité à des paroles d’hommes.
Cette pensée ne comprend pas correctement la foi catholique.
La Bible est la Parole de Dieu. La Tradition est faite de paroles d’hommes. Donc, tu as raison : la Bible a une autorité absolument supérieure et aucun enseignement du Pape n’est une parole de Dieu. La Bible et la Tradition, cela ne veut pas dire que la tradition des hommes a la même autorité que la parole de Dieu.
Mais, et c’est là ton problème, je dois ici te répéter que la Bible ne nous parvient et ne peut être comprise que « par » et « avec » une tradition humaine. Sans l’Eglise fondée par le Christ sur Pierre et ses successeurs, la Bible n’est plus reçue et comprise que par une myriade de traditions particulières plongeant les croyants dans un relativisme général sur toute la révélation qui se retrouve perdue dans une foule d’interprétations et de compréhensions particulières entre lesquelles il ne reste que des consciences individuelles, se retrouvant, chacune, seule et incapable de comprendre de manière certaine, sauf à attribuer par un orgueil fou à sa propre conscience personnelle une capacité suffisante pour discerner le vrai du faux dans les innombrables querelles théologiques des compréhensions différentes.
La tradition catholique n’ajoute rien à la révélation. Comme toi, nous croyons que la révélation par la Bible, la Parole de Dieu, est complète et clôturée. Il n’y a rien à y ajouter. Mais, tout reste à comprendre.
Car, entre les mille pages de la Bible, et les milliards de pages de nos vies et de nos pensées qui se succèdent dans l’histoire depuis déjà plus de deux mille ans, la révélation reste à comprendre et à être reçue. L’Eglise du Christ nous aide sans cesse à comprendre, au cœur des questions soulevées à chaque époque, comment pouvoir entendre et comprendre la Parole de Dieu en communion au corps du Christ.
Car ce n’est pas à une existence et à une compréhension individuelles qui nous sommes appelés, ce n’est pas à une connaissance « seul » que nous sommes invités. Adam et Eve ont voulu s’emparer de la connaissance et ils en sont morts.
Nous recevons vraiment la Parole de Dieu en communion avec les autres membres du corps du Christ. Cette communion est réalisée par l’Esprit Saint dans le corps du Christ qu’est l’Eglise. La Parole de Dieu et la tradition de l’Eglise sont indivisibles. La tradition ne s’ajoute pas à la Parole de Dieu, elle est seulement le moyen par lequel la Parole nous parvient et peut être comprise. C’est un fait à reconnaître. Ce n’est pas un choix. Gardée et inspirée à l’Eglise par l’Esprit Saint, cette tradition nous permet de bien comprendre la parole de Dieu, en communion avec le Christ et avec tous les membres de son corps, et nous préserve de nous perdre dans le labyrinthe des interprétations particulières.
Celui qui l’ignore ne fait, hélas, que s’attribuer à sa propre conscience l’autorité suprême qu’il prétend attribuer à la seule parole de Dieu.
En réaction, mon ami protestant m’a répondu ce qui suit :
Je suis content de te lire lorsque tu dis certaines choses avec lesquelles je suis complètement d'accord. Tu dis par exemple que la Bible a une autorité absolument supérieure et que la Bible est une révélation clôturée et cela est un fondement important.
Cependant tes idées selon laquelle l’Ecriture ne peut pas être la seule source d'autorité à cause de l’inévitabilité de la comprendre et de l'interpréter par un individu ou une communauté me semblent manquer d’objectivité. Quand nous disons que la Bible est la seule autorité nous voulons dire qu'elle seule possède une autorité objective et immuable ; elle est donc en dernier recours la source finale de toute question à propos de la doctrine ou de la morale chrétienne.
Je suis d'accord que nous interprétons et comprenons la Bible toujours de manière imparfaite. D'autant plus alors avons-nous besoin d'une Parole de Dieu objective immuable qui garde l’autorité finale devant toute question.
Je suis aussi d'accord avec toi que nous lisons évidemment la Bible dans le cadre d'une tradition mais cela ne veut pas dire que notre façon traditionnelle de voir l'enseignement biblique est elle-même l’autorité. Toutes nos idées sont finalement soumises à examen devant la parole objective de Dieu.
Quand tu dis que nous recevons la Parole de Dieu en communion avec les autres membres du corps de Christ je suis d'accord avec toi et je pense que je fais partie de ce corps de Christ universel avec l’ensemble de tous les autres rachetés nés de nouveau dans le monde quelle que soit leur appartenance ecclésiologique.
Un dernier point que j'aimerais mentionner est celui où tu dis que chacun pense que sa propre pensée est la Parole de Dieu. Je dirais plutôt que chacun assume la responsabilité pour ses propres croyances à la lumière objective de la Parole de Dieu. En tant qu'enseignant j'ai la responsabilité d'assumer autant que faire se peut la responsabilité de traduire correctement le sens exact de la Bible et pour cela j'ai besoin d'aide des autres enseignants dans l'église qui connaissent Jésus et qui sont spécialistes dans la compréhension et l'enseignement de l'écriture. Mais toujours en fin de compte chaque croyant est responsable de ses propres croyances devant la Bible.
Cela m’a permis de développer en réponse les réflexions suivantes :
A l’écoute de la même et unique Parole de Dieu dont l’autorité s’impose aux dirigeants de l’Eglise autant qu’à tous les chrétiens, l’équilibre et la tension qui peuvent exister concrètement dans la compréhension et l’interprétation de l’Ecriture, entre l’autorité de la tradition de l’Eglise et l’autorité de la conscience individuelle, sont à considérer avec des nuances délicates qui demandent une attention et une prudence incessantes qui se soustraient souvent aux limites trop définies ou aux affirmations trop précises.
Tu écris, de manière exacte, que « Quand nous disons que la Bible est la seule autorité nous voulons dire qu'elle seule possède une autorité objective et immuable » ou encore que c’est la référence ultime et prépondérante (la « source finale » ou l’« autorité finale »), pour toute question « à propos de la doctrine ou de la morale chrétienne ».
Ici, le dialogue avance bien. Nous étions déjà d’accord pour constater que la Bible est la Parole de Dieu alors que l’enseignement des dirigeants de l’Eglise n’est qu’une parole d’hommes (donc, bien sûr, avec une autorité « objective » évidemment inférieure car on ne peut mettre au même niveau la parole de Dieu et des paroles d’hommes). D’accord aussi pour constater que la révélation est clôturée. La révélation est « complète » dans la parole de Dieu.
Mais, entre une autorité « objective et immuable » (ce sont des mots justes que tu utilises) et un enseignement concret au peuple de Dieu pour indiquer ce qui est réellement dit par la Bible, ce qui doit être compris dans la Bible, par rapport à des questions théologiques, eschatologiques ou autres, tu écris aussi de manière exacte : « Je suis d'accord que nous interprétons et comprenons la Bible toujours de manière imparfaite » et « je suis aussi d'accord avec toi que nous lisons évidemment la Bible dans le cadre d'une tradition ».
Ce double accord sur la faiblesse personnelle de la compréhension « imparfaite » de chaque chrétien et sur le fait que nous lisons « dans le cadre d’une tradition », « en communion avec les autres membres du corps de Christ », est un vrai rapprochement pour la compréhension mutuelle entre nous.
Tu es bien sûr membre du corps du Christ, même d’un point de vue catholique.
Ta réponse attentive permet de mieux préciser la différence qui subsiste au-delà des accords que nous pouvons constater.
Car, la portée et l’application concrètes de ces accords ne sont pas les mêmes pour tous.
Comment lire et comprendre la Bible « en communion avec les autres membres du corps de Christ » ? Il n’y a guère de problème pour les nombreuses convictions essentielles partagées par tous les chrétiens qui ont été reprises dans les Credos des anciens conciles.
Mais, pour toutes les autres questions où des opinions divergentes s’expriment parmi les chrétiens et qui sont souvent d’une grande importance pour la foi et le salut, comment départager les multiples opinions différentes, qui souvent sont transmises dans diverses traditions religieuses particulières (chaque dénomination a une doctrine plus ou moins étendue précisant dans un sens particulier diverses questions discutées entre les dénominations), entre lesquelles il n’y a pas d’autorité concrète reconnue pour trancher les différentes interprétations ou compréhensions de la Parole de Dieu qui est l’autorité « objective et immuable » ?
Il me semble qu’il faut admettre qu’il n’y a que deux possibilités.
La première possibilité, qui a ta préférence, c’est de considérer que, pour connaître la vérité sur ces questions, chacun n’a plus que sa conscience individuelle pour décider, sur la base de son « examen devant la parole objective de Dieu », de la vérité d’une interprétation de la Bible sur un point par rapport à une autre ou pour adhérer à un ensemble d’interprétations proposées par une tradition religieuse.
Ainsi, « chaque croyant est responsable de ses propres croyances devant la Bible ».
Mais, malgré ta formation de pasteur, ta longue expérience et tes nombreuses connaissances, tu reconnais que tu ne peux le faire que « de manière imparfaite » et qu’en outre, « pour cela j'ai besoin d'aide des autres enseignants dans l'église qui connaissent Jésus et qui sont spécialistes dans la compréhension et l'enseignement de l'écriture ».
C’est une mission et une responsabilité impossibles pour tous les petits dans l’Eglise.
Et même pour toi ou les personnes les mieux formées théologiquement et bibliquement, il n’est pas possible de prétendre pouvoir trancher des controverses et dire avec certitude le vrai au nom de Dieu. Chacun ne peut oublier qu’il est imparfait. Il ne reste alors qu’un relativisme profond : chacun a sa conviction, mais tous sont imparfaits et personne ne peut vraiment savoir si son interprétation est bonne ou mauvaise sur aucune question discutée.
La seule alternative, c’est la conviction catholique que, selon la Parole de Dieu (et, en particulier, l’institution des apôtres, les paroles de Jésus à Pierre et la succession apostolique), Jésus a lui-même établi une institution qui demeure sous la protection de l’Esprit Saint pour assurer dans son Eglise une interprétation authentique « qui ne défaille pas » pour l’essentiel par rapport à la foi et au salut.
Ce 17 juillet, après un échange de réflexions sur diverses divergences entre protestants et catholiques, il m’a écrit :
Évidemment il y a beaucoup à dire … Finalement cela revient à la source d'autorité : pour nous c'est l'écriture seule alors que pour toi c'est l'écriture plus la tradition plus tout ce que l'Église catholique a pensé au fil des siècles y compris la notion du Pape comme successeur de Pierre que tu mentionnes dans ton mail…
En tout cas comme tu dis si bien notre union en Christ et notre amour fraternel demeurent au travers de ces différences quoi qu'elles paraissent parfois très importantes et je te souhaite de continuer à aimer le Seigneur et à œuvrer pour lui pour le salut des âmes et pour la gloire de notre Sauveur…
Cela m’a donné l’occasion de revenir sur le principe protestant du Sola Scriptura en lui écrivant ceci :
Je me réjouis toujours de pouvoir échanger avec toi et j’ai bien sûr observé tes multiples références au catéchisme catholique que tu consultes certainement souvent. C’est le meilleur ouvrage possible pour comprendre la foi catholique. Je connais aussi tes multiples contacts avec des catholiques et cela ne peut que contribuer à mûrir ta réflexion.
Malgré les désaccords, tu manifestes beaucoup d’affection et d’attention, et tu situes exactement le nœud des difficultés lorsque tu me réponds : « Finalement cela revient à la source d'autorité : pour nous c'est l'écriture seule alors que pour toi c'est l'écriture plus la tradition ».
Je ne peux que te confirmer que je ne suis pas d’accord lorsque tu affirmes (contre l’évidence !) que « pour nous c’est l’écriture seule ». Ce n’est pas vrai parce que c’est contraire à la réalité : la Parole de Dieu nous parvient par et avec une tradition. C’est un fait.
L’écriture « seule », « sans la tradition » : cela n’existe pas. La Parole de Dieu a été écrite par des hommes, avec une langue d’homme (l’hébreu ou le grec) et des modes d’expression d’une époque antique (la culture juive principalement) dans un contexte historique de référence qui n’est plus le nôtre. La Parole de Dieu ne parvient pas uniquement et directement à notre esprit, mais elle est comprise et expliquée par l’intermédiaire de notre cerveau.
Même si l’Esprit Saint nous inspire et nous conduit, c’est ton cerveau humain qui a rédigé, composé et expliqué tout ce que tu écris …, exactement comme le cerveau de chaque auteur biblique l’a fait pour chaque texte de l’Ecriture même s’il était inspiré par Dieu lui-même d’une manière lui permettant d’exprimer la parole de Dieu.
De même que le Christ est vrai Dieu et vrai homme de manière indivisible, la Parole de Dieu écrite qu’est la Bible est aussi vraiment divine que vraiment humaine. Il est impossible de distinguer ou de séparer, dans la Bible, la Parole de Dieu de la parole humaine qui l’a écrite, faite de mots humains, d’une langue humaine, d’une culture humaine, en utilisant une modalité de fonctionnement du cerveau terrestre humain (la capacité de recevoir et de comprendre un texte écrit) qui ne nous donne accès à ce texte que par la lecture ou l’audition (qui sont des facultés humaines) et par la compréhension (qui est aussi une faculté humaine).
Un texte qui ne peut pas être lu ou entendu et qui ne peut pas être compris est semblable à un texte mort pour son destinataire.
La parole de Dieu est un texte qui nous est donné par l’intermédiaire de la compréhension de l’humain qui le reçoit.
L’écriture « seule » cela n’a aucun sens et cela n’existe pas. Une écriture, c’est indivisiblement un message écrit par quelqu’un « et » compris par un autre. Une écriture ou une parole c’est toujours deux personnes : celui qui parle (ou écrit) et celui qui écoute et comprend.
Donc, ni pour toi, ni pour aucun protestant, ni pour personne, il n’est possible d’affirmer que l’autorité c’est l’Ecriture « seule » : c’est impossible. C’est seulement une astuce fausse pour cacher une partie de la réalité. La vérité, c’est qu’à défaut d’Eglise, lorsque tu écris « pour nous c’est l’écriture seule », cela signifie en réalité : c’est « l’écriture et ma pensée (l’autorité suprême de ma conscience individuelle) et/ou une tradition protestante évangélique », mais en cachant une partie de cette réalité.
La Parole de Dieu nous parvient uniquement par et avec une tradition. Si ce n’est pas celle de l’Eglise fondée par le Christ, c’est inévitablement la pensée individuelle et la compréhension particulière de l’individu qui lit ou de sa tradition religieuse particulière.
Celui qui dit : je crois en l’écriture « seule », croit, en réalité, à l’écriture « et » à sa propre pensée, dans un mélange où sa propre pensée est par nature et inévitablement dominante par rapport à la pensée de l’autre d’où provient le texte. Il devient pour lui-même le pape de sa propre foi.
Le principe de l’Ecriture « seule » n’est qu’un refoulement qui cache la vérité de l’autorité réelle qui est reconnue. Cette autorité véritablement reconnue ce n’est pas la parole de Dieu, mais c’est la pensée de l’homme qui lit et comprend. En cela, le principe Sola scriptura est faux en ce qu’il donne, en réalité, l’autorité suprême à la conscience de l’individu qui lit, en cachant, par un mensonge par omission, que ce principe remplace l’autorité de Dieu qui parle par la libre interprétation de celui qui lit.
Et, pire encore, celui qui lit de cette manière ne distingue plus sa propre pensée de celle de Dieu. Il confond la parole de Dieu avec la compréhension de sa propre pensée et finit par la considérer comme la pensée de Dieu lui-même. L'assistance de l'Esprit Saint n'y change rien car c'est toujours un humain pécheur qui l'accueille plus ou moins dans ses pensées.
Tu vas penser néanmoins que le catholique à tort parce qu’il « ajoute » la tradition à la Parole de Dieu et parce qu’il attribue ainsi une même autorité à des paroles d’hommes.
Cette pensée ne comprend pas correctement la foi catholique.
La Bible est la Parole de Dieu. La Tradition est faite de paroles d’hommes. Donc, tu as raison : la Bible a une autorité absolument supérieure et aucun enseignement du Pape n’est une parole de Dieu. La Bible et la Tradition, cela ne veut pas dire que la tradition des hommes a la même autorité que la parole de Dieu.
Mais, et c’est là ton problème, je dois ici te répéter que la Bible ne nous parvient et ne peut être comprise que « par » et « avec » une tradition humaine. Sans l’Eglise fondée par le Christ sur Pierre et ses successeurs, la Bible n’est plus reçue et comprise que par une myriade de traditions particulières plongeant les croyants dans un relativisme général sur toute la révélation qui se retrouve perdue dans une foule d’interprétations et de compréhensions particulières entre lesquelles il ne reste que des consciences individuelles, se retrouvant, chacune, seule et incapable de comprendre de manière certaine, sauf à attribuer par un orgueil fou à sa propre conscience personnelle une capacité suffisante pour discerner le vrai du faux dans les innombrables querelles théologiques des compréhensions différentes.
La tradition catholique n’ajoute rien à la révélation. Comme toi, nous croyons que la révélation par la Bible, la Parole de Dieu, est complète et clôturée. Il n’y a rien à y ajouter. Mais, tout reste à comprendre.
Car, entre les mille pages de la Bible, et les milliards de pages de nos vies et de nos pensées qui se succèdent dans l’histoire depuis déjà plus de deux mille ans, la révélation reste à comprendre et à être reçue. L’Eglise du Christ nous aide sans cesse à comprendre, au cœur des questions soulevées à chaque époque, comment pouvoir entendre et comprendre la Parole de Dieu en communion au corps du Christ.
Car ce n’est pas à une existence et à une compréhension individuelles qui nous sommes appelés, ce n’est pas à une connaissance « seul » que nous sommes invités. Adam et Eve ont voulu s’emparer de la connaissance et ils en sont morts.
Nous recevons vraiment la Parole de Dieu en communion avec les autres membres du corps du Christ. Cette communion est réalisée par l’Esprit Saint dans le corps du Christ qu’est l’Eglise. La Parole de Dieu et la tradition de l’Eglise sont indivisibles. La tradition ne s’ajoute pas à la Parole de Dieu, elle est seulement le moyen par lequel la Parole nous parvient et peut être comprise. C’est un fait à reconnaître. Ce n’est pas un choix. Gardée et inspirée à l’Eglise par l’Esprit Saint, cette tradition nous permet de bien comprendre la parole de Dieu, en communion avec le Christ et avec tous les membres de son corps, et nous préserve de nous perdre dans le labyrinthe des interprétations particulières.
Celui qui l’ignore ne fait, hélas, que s’attribuer à sa propre conscience l’autorité suprême qu’il prétend attribuer à la seule parole de Dieu.
En réaction, mon ami protestant m’a répondu ce qui suit :
Je suis content de te lire lorsque tu dis certaines choses avec lesquelles je suis complètement d'accord. Tu dis par exemple que la Bible a une autorité absolument supérieure et que la Bible est une révélation clôturée et cela est un fondement important.
Cependant tes idées selon laquelle l’Ecriture ne peut pas être la seule source d'autorité à cause de l’inévitabilité de la comprendre et de l'interpréter par un individu ou une communauté me semblent manquer d’objectivité. Quand nous disons que la Bible est la seule autorité nous voulons dire qu'elle seule possède une autorité objective et immuable ; elle est donc en dernier recours la source finale de toute question à propos de la doctrine ou de la morale chrétienne.
Je suis d'accord que nous interprétons et comprenons la Bible toujours de manière imparfaite. D'autant plus alors avons-nous besoin d'une Parole de Dieu objective immuable qui garde l’autorité finale devant toute question.
Je suis aussi d'accord avec toi que nous lisons évidemment la Bible dans le cadre d'une tradition mais cela ne veut pas dire que notre façon traditionnelle de voir l'enseignement biblique est elle-même l’autorité. Toutes nos idées sont finalement soumises à examen devant la parole objective de Dieu.
Quand tu dis que nous recevons la Parole de Dieu en communion avec les autres membres du corps de Christ je suis d'accord avec toi et je pense que je fais partie de ce corps de Christ universel avec l’ensemble de tous les autres rachetés nés de nouveau dans le monde quelle que soit leur appartenance ecclésiologique.
Un dernier point que j'aimerais mentionner est celui où tu dis que chacun pense que sa propre pensée est la Parole de Dieu. Je dirais plutôt que chacun assume la responsabilité pour ses propres croyances à la lumière objective de la Parole de Dieu. En tant qu'enseignant j'ai la responsabilité d'assumer autant que faire se peut la responsabilité de traduire correctement le sens exact de la Bible et pour cela j'ai besoin d'aide des autres enseignants dans l'église qui connaissent Jésus et qui sont spécialistes dans la compréhension et l'enseignement de l'écriture. Mais toujours en fin de compte chaque croyant est responsable de ses propres croyances devant la Bible.
Cela m’a permis de développer en réponse les réflexions suivantes :
A l’écoute de la même et unique Parole de Dieu dont l’autorité s’impose aux dirigeants de l’Eglise autant qu’à tous les chrétiens, l’équilibre et la tension qui peuvent exister concrètement dans la compréhension et l’interprétation de l’Ecriture, entre l’autorité de la tradition de l’Eglise et l’autorité de la conscience individuelle, sont à considérer avec des nuances délicates qui demandent une attention et une prudence incessantes qui se soustraient souvent aux limites trop définies ou aux affirmations trop précises.
Tu écris, de manière exacte, que « Quand nous disons que la Bible est la seule autorité nous voulons dire qu'elle seule possède une autorité objective et immuable » ou encore que c’est la référence ultime et prépondérante (la « source finale » ou l’« autorité finale »), pour toute question « à propos de la doctrine ou de la morale chrétienne ».
Ici, le dialogue avance bien. Nous étions déjà d’accord pour constater que la Bible est la Parole de Dieu alors que l’enseignement des dirigeants de l’Eglise n’est qu’une parole d’hommes (donc, bien sûr, avec une autorité « objective » évidemment inférieure car on ne peut mettre au même niveau la parole de Dieu et des paroles d’hommes). D’accord aussi pour constater que la révélation est clôturée. La révélation est « complète » dans la parole de Dieu.
Mais, entre une autorité « objective et immuable » (ce sont des mots justes que tu utilises) et un enseignement concret au peuple de Dieu pour indiquer ce qui est réellement dit par la Bible, ce qui doit être compris dans la Bible, par rapport à des questions théologiques, eschatologiques ou autres, tu écris aussi de manière exacte : « Je suis d'accord que nous interprétons et comprenons la Bible toujours de manière imparfaite » et « je suis aussi d'accord avec toi que nous lisons évidemment la Bible dans le cadre d'une tradition ».
Ce double accord sur la faiblesse personnelle de la compréhension « imparfaite » de chaque chrétien et sur le fait que nous lisons « dans le cadre d’une tradition », « en communion avec les autres membres du corps de Christ », est un vrai rapprochement pour la compréhension mutuelle entre nous.
Tu es bien sûr membre du corps du Christ, même d’un point de vue catholique.
Ta réponse attentive permet de mieux préciser la différence qui subsiste au-delà des accords que nous pouvons constater.
Car, la portée et l’application concrètes de ces accords ne sont pas les mêmes pour tous.
Comment lire et comprendre la Bible « en communion avec les autres membres du corps de Christ » ? Il n’y a guère de problème pour les nombreuses convictions essentielles partagées par tous les chrétiens qui ont été reprises dans les Credos des anciens conciles.
Mais, pour toutes les autres questions où des opinions divergentes s’expriment parmi les chrétiens et qui sont souvent d’une grande importance pour la foi et le salut, comment départager les multiples opinions différentes, qui souvent sont transmises dans diverses traditions religieuses particulières (chaque dénomination a une doctrine plus ou moins étendue précisant dans un sens particulier diverses questions discutées entre les dénominations), entre lesquelles il n’y a pas d’autorité concrète reconnue pour trancher les différentes interprétations ou compréhensions de la Parole de Dieu qui est l’autorité « objective et immuable » ?
Il me semble qu’il faut admettre qu’il n’y a que deux possibilités.
La première possibilité, qui a ta préférence, c’est de considérer que, pour connaître la vérité sur ces questions, chacun n’a plus que sa conscience individuelle pour décider, sur la base de son « examen devant la parole objective de Dieu », de la vérité d’une interprétation de la Bible sur un point par rapport à une autre ou pour adhérer à un ensemble d’interprétations proposées par une tradition religieuse.
Ainsi, « chaque croyant est responsable de ses propres croyances devant la Bible ».
Mais, malgré ta formation de pasteur, ta longue expérience et tes nombreuses connaissances, tu reconnais que tu ne peux le faire que « de manière imparfaite » et qu’en outre, « pour cela j'ai besoin d'aide des autres enseignants dans l'église qui connaissent Jésus et qui sont spécialistes dans la compréhension et l'enseignement de l'écriture ».
C’est une mission et une responsabilité impossibles pour tous les petits dans l’Eglise.
Et même pour toi ou les personnes les mieux formées théologiquement et bibliquement, il n’est pas possible de prétendre pouvoir trancher des controverses et dire avec certitude le vrai au nom de Dieu. Chacun ne peut oublier qu’il est imparfait. Il ne reste alors qu’un relativisme profond : chacun a sa conviction, mais tous sont imparfaits et personne ne peut vraiment savoir si son interprétation est bonne ou mauvaise sur aucune question discutée.
La seule alternative, c’est la conviction catholique que, selon la Parole de Dieu (et, en particulier, l’institution des apôtres, les paroles de Jésus à Pierre et la succession apostolique), Jésus a lui-même établi une institution qui demeure sous la protection de l’Esprit Saint pour assurer dans son Eglise une interprétation authentique « qui ne défaille pas » pour l’essentiel par rapport à la foi et au salut.