Re: Question sur les évangéliques
Publié : ven. 05 oct. 2012, 20:41
Le père Dufour dit quelque chose d'intéressant :
- ... les exégètes s'accordent pour ranger l'action globale de Jésus sur le pain et sur la coupe dans un type de comportement propre aux prophètes dans la Bible. Souvent ceux-ci miment leurs annonces par des gestes qui sont à la fois figure et figure efficace. Pour annoncer à Paul qu'il va être fait prisonnier, le prophète Agabus lui prend sa ceinture et s'en lie les pieds et les mains (Ac 21,11) : ainsi Paul sera lié. Pour affirmer la prochaine dispersion des habitants de Jérusalem que Dieu entend punir de leur infidélité, Ézechiel doit se raser la tête et disperser ses cheveux au vent; après quoi il s'entend ordonner : Tu diras à la maison d'Israël Ainsi parle YHWH : «Cela, c'est Jérusalem !» (Ez 5,5) Le prophète identifie son geste et le sort de la ville; ses auditeurs comprennent qu'ils vont subir un sort semblable à celui de ses cheveux. Le mime prophétique annonce un événement à venir, que la parole explicite.
Un second élément se manifeste, selon la mentalité biblique : celui de l'efficacité. Le prophète ne vise pas une simple éventualité; son action anticipe l'événement, elle le produit en quelque sorte. C'est pourquoi lorsque Jérémie a posé un joug sur ses épaules pour signifier qu'une domination étrangère va peser sur Jérusalem, les faux prophètes se hâtent de le briser pour empêcher que cela arrive (Jr 27-28) Certains récits bibliques sont encore plus nets. Élisée invite le roi Josias à frapper contre terre, ce qui est aussitôt exécuté, mais à trois reprises seulement; et le prophète de s'écrier : «Il fallait frapper cinq ou six fois, alors tu aurais frappé Aram jusqu'à l'extermination, mais maintenant tu ne frapperas Aram que trois fois.» (2 Rois 13,19) Entre l'acte du roi et la bataille annoncée existe un lien réel, celui qui va du signifiant au signifié, ce dernier étant comme la conséquence du premier, en raison de l'efficacité qui est attribué au signifiant : si le roi avait frappé cinq fois au lieu de trois, c'eut été la déroute de l'ennemi.
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... dans l'exemple d'Ézéchiel se rencontre une tournure : «Cela, c'est Jérusalem», analogue à celle sur le pain. De cette mise en condition prophétique, il résulte que le verbe être dans le cas de la parole prophétique sur le pain, n'établit pas une correspondance matérielle immédiate entre le pain et le corps
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La parole et le geste de Jésus se range bien dans le genre du mime prophétique et en ont la caractéristique d'efficacité : en mangeant ce pain, ses disciples s'unissent au corps de Jésus. Le signe-pain produit la communion à Jésus.
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Toute parole est prononcée par un locuteur à l'adresse d'un interlocuteur. Selon qu'elle dit quelque chose et selon qu'elle est dite à quelqu'un, la parole présente deux pôles, l'un de détermination, l'autre de signification. Quand je dirais : «Ceci est mon pain», je prononce un jugement à la fois informatif et constatif en ce sens que je constate que ceci est du pain et non une pierre; mon langage est aussi performatif à savoir que j'invite mon interlocuteur à reconnaître que ce pain est à moi et non à un autre. D'une part je détermine la nature de cet objet que j'appelle pain, d'autre part je signifie à mon interlocuteur qu'il m'appartient. [...] avant tout l'interlocuteur doit reconnaître l'autorité du locuteur (il a le droit de dire que ce pain est sien) : c'est ce qui se passe entre Ézéchiel et ses auditeurs; connaissant la réputation du prophète, ceux-ci reconnaissent que la prophétie va s'accomplir réellement.
Dans le récit de la Cène, le dialogue est explicite; les mots «Prenez» ou «pour vous» concernent ceux auxquels s'adresse la parole de Jésus : elle ne veut pas simplement définir un nouvel état du pain que les disciples auraient à admettre, elle invite ceux-ci à faire quelque chose : prendre, accueillir. La parole de Jésus n'est pas une proclamation en soi, mais un appel à recevoir ce pain, et donc à devenir acteur dans la réalisation du signe lui-même. Et c'est là beaucoup plus que dans les actions symboliques des prophéties bibliques où seul le prophète agit. Pour être achevé, le mime de Jésus requiert de la part des convives une action correspondante. (p.67)
- ... dans le concept de la présence eucharistique. Celle-ci n'est pas celle d'un objet, d'une chose : je ne reçois pas passivement le corps du Christ; je m'engage en disant Amen, je ne crée aucunement la présence, mais je la reconnais au nom de ma foi en Jésus.
Diverses conséquences se montrent alors. La première, c'est de fonder la réflexion bien connue de saint Bonaventure : la souris mangeant une hostie consacrée ne reçoit pas le corps de Jésus, mais du pain ordinnaire : ne pouvant reconnaître la présence de Jésus, elle ne peut l'atteindre.
Ainsi l'on comprend mieux qu'il ne s'agit pas ici de la simple matière qu'on appelle du pain, mais d'une réalité transformée non seulement par la bénédiction mais proprement par la parole de Jésus : «Ceci est mon corps». Au sens le plus strict, à savoir le sens que Jésus donne à cette parole et que le disciple perçoit, «le pain est son corps». Mais en même temps d'un autre point de vue, celui des sens et de la raison non éclairée par la foi, le pain n'est pas le corps du Seigneur. (p.72)
- Un exemple aidera encore à entrer dans cette manière de penser. Le personnage «Jésus de Nazareth» est vu par ses contemporains comme un homme ordinnaire. Il est contemplé par le croyant comme le Fils de Dieu. On peut dire que Jésus de Nazareth symbolisait le Fils de Dieu. De même je puis dire que le pain symbolise le corps du Seigneur.