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par Cinci » ven. 20 juil. 2012, 17:52
Exemples :
Le terme ''religion du livre'' est une conception islamique étrangère au monde biblique, puisque la Bible n'est pas descendue du ciel, mais est le fruit de l'Alliance de Dieu et des hommes. Or cette idée d'Alliance n'est pas familière à l'islam. Il y a là une sorte d'islamisation inconsciente de la culture.
p.47
Mireille Hadas-Lebel, intellectuelle juive le dit fort bien : «À défaut de tronc commun des Écritures que le judaïsme partage avec le christianisme, le Coran est rempli de réminescence bibliques. Mais celles-ci sont transformées : Ismaël est substitué à Isaac, La Mecque à Jérusalem, la Ka'aba au Temple. Si l'islam était biblique, il n'y aurait pas de problème. Mais il récuse la Bible comme falsifiée; alors, l'apparente correspondance fait illusion car les deux cohérences sont complètement différentes.»
p.48
Pour le père Guy Monnot : la fréquence des récits portant sur des personnages bibliques est un fait. Mais il ne faut jamais oublier ce grand principe : les matériaux d'une pensée n'en déterminent jamais le caractère. En vérité, la pensée coranique et musulmane n'est pas de caractère biblique. Le Coran n'est pas le cousin de la Bible. La sève biblique ne circule pas dans l'islam.
p.51
En islam, la révélation ne concerne pas Dieu qui demeure «impénétrable»; ce qui est révélé, ce sont ses décrets, par descente discontinue du même message divin sans progression ni modification du contenu : ce qui serait resté oral avec Adam est substantiellement identique à ce qui est dans le Coran du Muhammad. C'est pourquoi le Coran se désigne souvent lui-même par le Rappel (3, 58). [...] Il n'y a pas dans l'islam, de dessein, de projet pour aboutir à un futur de l'histoire humaine avant la fin des temps. Tout a déjà été donné au premier homme, Adam, et tous les hommes naissent comme Adam dans l'état d'islam naturel (fitrat). Il n'y a pas d'Alliance ni de peuple élu en islam. L'histoire n'apporte rien, elle ne compte pas.
p.96
Autre conception d'inspiration manichéenne : le texte est premier, avant toute tradition interprétative mûrissante. Mani aurait reçu la visite d'un ange, son alter ego ou compagnon jumeau venu de Dieu, le Paraclet promis par Jésus : «Je suis avec toi, ton auxiliaire et ton protecteur, en tout lieu où tu proclameras tout ce que je t'ai annoncé.» Pour éviter les hérésies et les schismes, les déformations, Mani a voulu écrire lui-même sa révélation et ainsi la préserver intacte : six ouvrages en syriaques, le septième en perse pehlevi. Ce que nous disent M. Talbi et A. Mérad montre que dans un contexte où l'écriture arabe venait d'être inventée et n'était que peu connue, Muhammad a tenu à contrôler la transmission de Jibril oralement et même par écrit puisqu'il a parfois dicté à des secrétaires. C'est le même principe qu'avec Mani : le texte arrive en premier. Ce fonctionnement n'a rien à voir avec le monde de la Bible où le travail rédactionnel humain s'étend sur des générations dans une tradition orale première et où ses relectures typiques (midrash) développent une épaisseur humaine consistante : le texte n'est fixé qu'après et avec la garantie de la tradition.
p.103
Le commentateur coranique Ibn Kathir dit à propos des livres antérieurs au Coran : «Le Coran est garant, témoin et juge de toutes ces écritures, et c'est pourquoi Dieu s'est porté en personne garant de sa préservation [...] Il abrogea toutes ses lois par celle qu'il envoya avec son serviteur Muhammad en tant que Sceau et dernier des prophètes.» Quand donc les musulmans déclarent reconnaître les révélations antérieures, ils veulent dire qu'ils reconnaissent les prophètes (supposés musulmans avant la lettre et antérieurs à Muhammad, attestés comme tels par la seule parole de Muhammad) et leurs livres (supposés issus des version islamiques précédentes, totalement conformes à la doctrine coranique).
[...]
La chronologie prophétique est absolument secondaire, sans importance. Il n'y a ni date ni temps. Le prophétisme, le livre et la temporalité sont entièrement dans les mains de Dieu et donc soustraits à tout autre instance. [...] L'intemporalité déprécie le facteur humain et renforce l'unique facteur divin transcendant qui, par son autorité absolue, interdit la critique. Le temps ne compte pas. D. Bouzar le dit à sa manière : Le seul repère des croyants, c'est le rétroviseur. Ils en oublient la route à suivre. Prisonniers du passé, leur seule façon de rester fidèles est de raisonner comme les pieux ancêtres. [...] On fait vivre le passé au présent. On enjambe la chronologie pour entrer dans un temps sacré. [...] Au lieu de comprendre l'univers grâce à son histoire, on tente de la répéter. Elle devient le paradis à retrouver. La répétition donne l'impression de rester soi. L'historicité est refusée sous prétexte de fidélité. Rémi Brague ose en conclure : «Ce rapport à l'histoire ne permet pas de considérer que l'islam se situe dans la continuité d'Israël.»
Dans la cohérence profonde de l'islam, structurellement liée à la vision spécifique de Dieu, les conceptions de la révélation, du prophétisme, des Écritures et du temps n'ont rien de biblique. Du point de vue doctrinal, l'islam n'est pas biblique : il n'a ni Sauveur, ni histoire du salut, ni messianisme, ni Alliance déployée dans une histoire.
p.107
Contrairement à l'islam dont le Coran est premier, descendu en direct du texte céleste, bien avant que se forme une tradition orale après la mort de Muhammad pour rechercher des garanties, la tradition juive et chrétienne a commencé bien avant la mise par écrit, et elle continue.
Il reste une liberté de recherche interprétative spécifique que l'on appelle théologie, utilisant le matériau culturel propre à chaque époque. La Tradition et le Magistère ont la charge du discernement, sous l'action de l'Esprit. Ils peuvent cadrer, stimuler ou freiner le travail d'élaboration rationnelle sur le donné révélé, en particulier les thèmes difficiles : Création, Révélation, Incarnation, Rédemption, Trinité, sacramentaire, ecclésiologie et morale. Le christianisme, semble-t-il, est la seule religion à avoir un besoin impératif de scruter et d'élaborer le dépôt révélé de sa foi pour se comprendre lui-même. Les commentaires ne sont pas suffisants, car le donné révélé est tellement hors normes humaines qu'il nécéssite un travail de déploiement rationnel incontournable. [...] La théologie est une nécéssité interne à la foi chrétienne, et pas seulement pour la présentation extérieure aux non chrétiens. Au contraire, en islam, le «discours» (kalâm, que l'on traduit beaucoup trop facilement par théologie) est une apologétique discursive en confrontation avec les non musulmans, mais n'est pas une nécéssité interne.
p. 117
Source : F. Jourdan, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans, Paris, Éditions de l'Oeuvre, 2007, 207 p.