Une morale d'un autre monde

« Dieu leur donnera peut-être de se convertir et de connaître la vérité. » (2Tm 2.25)
Règles du forum
Forum de débats dialectiques entre personnes de bonne volonté autour de la religion chrétienne (catholicisme) et des objections formulées à son encontre

NB : L'attention des intervenants est particulièrement attirée sur la courtoisie et le respect ; les blasphèmes et provocations visant à blesser le sentiment religieux des lecteurs seront modérés ; les discussions inutilement polémiques seront verrouillées et leur initiateurs sanctionnés.
Avatar de l’utilisateur
Raistlin
Prætor
Prætor
Messages : 8038
Inscription : jeu. 01 mars 2007, 19:26
Localisation : Paris

Une morale d'un autre monde

Message non lu par Raistlin » lun. 17 mai 2010, 16:59

Bonjour à tous,

Je partage avec vous ce texte trouvé sur ce site. Il s'agit d'un extrait de l'œuvre de Chesterton - l'Homme éternel - sur la profonde originalité de la morale du Christ.

En effet, s’il y a bien quelque chose qui me semble singulier avec la morale chrétienne, c’est qu’elle est valable pour tous les Hommes de toutes les époques, et qu’elle est en même temps inégalée et, selon moi, indépassable (étant fondée sur l’Amour). Ce texte essaie de montrer combien la morale du Christ est justement inexplicable si l’on s’en tient au contexte historique dans lequel a vécu le Christ alors que, dans d’autres religions, le rôle du contexte est aisément identifiable.
[+] Texte masqué
Je m’attarde sur les zones ombragées ou éblouissantes, mystérieuses ou bien encore provocantes des paroles de l’Evangile, qui ont un aspect immédiat et populaire, parce que c’est la réponse à une critique commune sur un point crucial. Le libre penseur dit souvent que Jésus était un homme de son époque, même s’il était en avance sur son temps ; mais il dit aussi que nous ne pouvons pas accepter sa morale comme définitive pour l’humanité. Le libre penseur critique alors cette morale, par exemple en disant que les hommes ne peuvent tendre l’autre joue, ou qu’ils doivent se préoccuper du lendemain, ou que le renoncement à soi est trop ascétique ou encore que la monogamie est trop pénible. Mais les zélotes et les légionnaires ne tournaient pas plus l’autre joue que nous le faisons, si ce n’est moins. Les banquiers juifs et les collecteurs d’impôts romains se préoccupaient du lendemain autant que nous, sinon plus. Nous ne pouvons pas prétendre abandonner cette morale du passé pour une morale plus adaptée au présent. Car la morale du Christ n’est certainement pas la moralité d’un autre âge, mais ce pourrait bien être celle d’un autre monde.

En résumé, nous pouvons dire que ces idéaux sont impossibles en eux-mêmes. Par contre, nous ne pouvons pas dire, qu’ils sont impossibles pour nous. Ils sont plutôt notablement marqués par un mysticisme qui, si avait été une sorte de folie, aurait frappé toujours les mêmes sortes de gens par sa folie. Prenez par exemple le cas du mariage et des relations entre les sexes. Il se peut qu’un rabbi galiléen ait enseigné des choses naturelles à un environnement galiléen ; mais l’enseignement du Christ sur le mariage ne l’était pas. On peut raisonnablement attendre d’un homme de l’époque de Tibère qu’il avance des idées conditionnées par l’époque de Tibère ; mais il ne l’a pas fait. Ce qu’il a avancé fut quelque chose de plutôt différent ; quelque chose de plutôt difficile, mais pas quelque chose de plus difficile maintenant qu’à l’époque. Par exemple, quand Mahomet fit un compromis avec la polygamie, on peut raisonnablement dire que ce compromis était conditionné par une société polygame, celle dans laquelle il se trouvait. Quand il permit à un homme d’avoir quatre femmes, il ne faisait réellement qu’une chose adaptée aux mœurs de son environnement. Cette chose pourrait avoir été différente en d’autres circonstances. Personne ne prétendra que les quatre femmes étaient comme les quatre points cardinaux, c’est-à-dire une chose qui semblant appartenir à l’ordre même de la nature ; personne ne dira que le chiffre quatre était inscrit éternellement dans les étoiles du ciel. Mais personne ne dira non plus que le chiffre quatre est un idéal inconcevable ; ou qu’il est au-delà du pouvoir de l’esprit humain de compter jusqu’à quatre ; ou de compter le nombre de ses femmes et de voir qu’il y en a quatre. C’est un compromis pratique portant avec lui le caractère d’une société particulière. Si Mahomet était né à Acton au XIXe siècle, on peut douter qu’il ait immédiatement rempli cette banlieue avec des harems de quatre femmes chacun. Mais comme il est né en Arabie au VIe siècle, ce qu’il a fait dans ses arrangements conjugaux reflète les conditions de l’Arabie du VIe siècle. En revanche, la vision du mariage apportée par le Christ ne reflète pas les conditions de la Palestine du Ier siècle. Elle ne suggère rien d’autre que la vision du mariage sacramentel que l’Eglise catholique développa par la suite . Ce mariage sacramentel était aussi difficile pour les gens de cette époque qu’il l’est pour les gens d’aujourd’hui. Les juifs, les romains, et les grecs n’ont pas cru dans l’idée mystique que l’homme et la femme deviennent une seule substance sacramentelle ; et ils n’ont même pas compris assez pour refuser d’y croire. Nous pouvons penser que c’est un idéal incroyable ou impossible ; mais nous ne pouvons pas penser que cet idéal est plus incroyable ou impossible pour nous que pour les gens d’alors. En d’autres termes, il n’est pas vrai que la polémique a diminué avec le temps ; et il n’est absolument pas vrai que les idées de Jésus de Nazareth convenaient plus à son époque qu’à la nôtre. La manière dont ses idées convenaient à son époque est suggérée par la fin de sa vie.

Cette même vérité peut se dire d’une autre manière : si on regarde l’histoire de manière purement humaine et descriptive, il est extraordinaire de constater combien peu de paroles du Christ le rattachent à son propre temps. Je ne parle pas ici des détails propres à une époque, détails que l’homme cette époque sait passagers. Je parle plutôt des bases fondamentales, celles dont même l’homme le plus sage pense qu’elles sont éternelles. Prenons l’exemple d’Aristote qui a peut être été l’homme le plus sage et le plus large d’esprit qui ait jamais existé. Il s’était lui même édifié sur des bases fondamentales dont on a généralement estimé qu’elles restaient rationnelles et solides à travers tous les changements sociaux et historiques. Il a vécu dans un monde où l’on pensait qu’il était aussi naturel d’avoir des esclaves que d’avoir des enfants. Et par conséquent, il établit lui-même une différence entre les esclaves et les hommes libres. Le Christ, tout comme Aristote, vivait dans un monde où l’on tenait l’esclavage comme allant de soi. Mais il a commencé un mouvement qui pouvait exister même dans un monde sans esclavage. Il n’a jamais utilisé une phrase qui ferait dépendre sa philosophie de l’existence même de l’ordre social dans lequel il vivait. Il a parlé comme une personne consciente que toute chose est éphémère, y compris ces choses qu’Aristote pensait éternelles. A cette époque l’Empire romain représentait l’« orbis terrarum », un autre nom pour désigner le monde. Mais il n’a jamais fait dépendre sa moralité de l’existence de l’Empire romain, ni même de l’existence du monde. « Le Ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ».

La vérité est que lorsque les critiques ont parlé de limites du Galiléen du fait de son origine, il s’est en réalité toujours agi des limites des critiques du fait de leurs origines. Il est certain que le Christ croyait en des choses qu’une secte moderne particulière de matérialistes rejette. Mais il ne s’agissait pas de choses spécifiques à son époque. Il serait plus proche de la vérité de dire que c’est plutôt le rejet des matérialistes qui est particulier à notre époque. Et sans aucun doute, il serait encore plus vrai de dire que l’importance sociale donnée à cette minorité incroyante qui est particulière à notre époque. Par exemple, Jésus croyait dans l’existence d’esprits mauvais et dans la guérison spirituelle des corps malades, mais pas parce qu’il était un galiléen né sous Auguste. Il est absurde de dire qu’un homme croyait ces choses parce qu’il était un galiléen sous Auguste quand il aurait très bien pu croire ces mêmes choses s’il avait été un égyptien sous Toutankhamon, ou un indien sous Gengis Khan. Mais de ces questions générales de philosophie sur le diable ou sur les miracles de Dieu, je reparlerai ailleurs. Il me suffit simplement de dire que le matérialiste doit prouver l’impossibilité du miracle contre le témoignage de l’humanité toute entière, et pas seulement contre des préjugés provinciaux du Nord de la Palestine sous les premiers empereurs romains. Ce que les matérialistes doivent prouver pour la discussion en cours, c’est la présence dans les Evangiles de ces préjugés provinciaux particuliers. Et, humainement parlant, il est surprenant de voir le peu de preuves qu’ils peuvent produire, ne serait-ce que pour commencer leur démonstration.

C’est ainsi le cas du sacrement du mariage. Nous pouvons ne pas croire dans les sacrements, tout comme nous pouvons ne pas croire dans les esprits ; mais il est très clair que le Christ croyait dans ce sacrement, et d’une manière qui lui était propre, pas d’une manière commune ou contemporaine. Il n’a certainement pas tiré son argumentation contre le divorce de la loi mosaïque, ni de la loi romaine, ni des habitudes du peuple palestinien. Ce sacrement est apparu à ses critiques d’alors, exactement comme il apparaît à ses critiques d’aujourd’hui : un dogme arbitraire et transcendant venant de nulle autre part que de lui. Je ne me préoccupe pas ici de défendre ce dogme. Le fait est qu’il est aussi facile de le défendre aujourd’hui qu’il était facile de le défendre à l’époque. C’est un idéal en dehors du temps, difficile à toute époque, impossible à aucune. En d’autres termes, si quelqu’un dit que cet idéal est ce qu’on pouvait attendre d’un homme de cette époque marchant dans la rue, on peut lui répondre que cela ressemble plutôt à l’adage mystérieux d’un être qui serait plus qu’un homme, et qui marcherait vivant au milieu des hommes.
« Dieu fournit le vent. A l'homme de hisser la voile. » (Saint Augustin)

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 321 invités