@ Cracboum
. Je vous réinvite à relire Jean Daujat. Sa critique de Descartes pourra vous intéresser.
. Ce que vous affirmez me semble poser quelques problèmes possibles, ou réclamer quelques précisions :
> Lorsque vous dites que la réalité subjective est bien plus certaine que la réalité extérieure, on pourrait comprendre que nos intuitions sur la réalité sont plus sûres que la réalité elle-même, ce qui amène à prendre comme certitude première nos impressions sur les êtres qui nous entourent, et donc à les prendre comme point de départ de nos raisonnements.
Or, en fait, une impression subjective n'a rien de sûr (entendons nous bien : son existence est certaine puisque nous la ressentons directement, mais sa justesse n'est en rien assurée) et doit toujours être confrontée à la réalité.
Mais il me semble que ce n'est pas ce que vous vouliez dire, que c'est de la connaissance de la pensée, de l'intelligence, par elle-même, dont vous dites qu'elle est plus certaine que la connaissance de la réalité extérieure.
> Vous dites cependant ceci :
Il y a deux applications: -les idéologies, les utopies, les rêves, qui se mijotent en vase clos (pensée se pensant-mémoire d'éléments pris à la réalité) -la contemplation , ou la pensée est directement infuse par Dieu. La pensée n'a même pas besoin de se penser, il lui suffit de couper le moteur et le plein est fait par Dieu.
Dans les deux cas, la réalité subjective est bien plus certaine que la réalité extérieure.
Or, vous êtes là directement en train d'affirmer que les utopies, les rêves et les idéologies, sont plus certaines que la réalité !
Ce qui est absurde, puisque, justement, on reconnait qu'un rêve est un rêve en cela qu'il ne correspond pas à la réalité (sinon, cela ne s'appelle pas un rêve), une idéologie doit être confrontée à la réalité sinon elle n'a de valeur que pour celui qui la pense, et demeure inapplicable et fausse, et les utopies sont, par définition, des utopies, donc des choses souhaitées, imaginées ou rêvées, qui n'ont donc aucune existence concrète, et dont on sait qu'elles n'ont aucune existence concrète.
D'ailleurs, si vous les appelez "rêves", "utopies", c'est que vous affirmez qu'il s'agit de réalités imaginées ou rêvées n'ayant aucune réalité concrète en-dehors de la pensée du rêveur : ce faisant, vous affirmez bien une certitude sur la réalité extérieure, contredisant une fois de plus le principe que vous essayez de soutenir (et je vous assure que vous n'en sortirez pas : vous aurez beau faire, pour expliquer, défendre et soutenir le principe que l'on n'est sûr de rien concernant la réalité, vous serez obligé d'utiliser des éléments de la réalité que vous considérerez comme certains, tombant ainsi dans la contradiction).
Il semble qu'il faille préciser :
> l'existence du rêve en tant que sentiment expérimenté, de l'utopie en tant que pensée dans notre esprit, de l'idée en tant qu'idée, est certaine, puisque nous l'expérimentons directement en nous : mais cela ne permet pas du tout de conclure quant à l'existence de la chose rêvée, imaginée, souhaitée.
> d'autre part, cette certitude est du même ordre que la certitude que l'on a concernant tout ce que nous expérimentons directement : émotions, sentiments, perception des sens. La réalité d'une perception est certaine, puisqu'elle est pour nous une évidence directe. La question est ensuite de savoir si cette perception est correctement interprétée.
> nous retrouvons donc bien là le monde sensible, la réalité : nous connaissons ce monde sensible à travers ces perceptions des sens.
Nous connaissons de manière certaine le rêve que nous faisons en tant qu'ensemble de sensations, de perceptions ; si donc nous disons que nos perceptions de rêves, notre perception intérieure, est certaine, c'est bien
en tant que perception, en tant que
sensibilité intérieure ; nous la considérons comme certaine
en tant que sensation directement expérimentée.
Donc, dire que les rêves sont certains, que nous sommes certains de l'existence de nos rêves ou de ce que nous expérimentons en nous-même, implique que l'on affirme aussi la certitude de notre perception extérieure : nous sommes également certains de percevoir ceci ou cela de la réalité extérieure.
Ensuite, la question est alors de savoir si ce que nous percevons de cette réalité correspond bien à la réalité : mais alors, puisque nous avons vu qu'il s'agit de perception extérieure exactement comme il y a une perception intérieure, mettre en doute totalement l'adéquation entre la perception extérieure et la réalité extérieure implique que l'on mette en doute l'adéquation entre perception et réalité, donc implique que l'on mette en doute l'adéquation entre perception intérieure et réalité,
aussi on pourrait tout aussi bien dire que vous avez l'impression de rêver de dauphins alors qu'en réalité vous rêvez d'éléphants, on pourrait tout aussi bien dire que vous avez l'impression de vivre telle expérience intérieure alors qu'en réalité vous en vivez une toute différente :
exactement de la même façon que vous niez qu'il puisse naître une connaissance certaine de la réalité extérieure à partir de nos sensations, je peux tout aussi bien nier qu'il puisse vous naître une connaissance certaine de votre réalité intérieure à partir de vos sensations subjectives.
Nier la possibilité de la connaissance, c'est nier la possibilité de
toute connaissance.
> Notre connaissance de nous-même nous vient également, tout autant, à travers cette perception des sens. Nous avons connaissance de nous-même à travers notre sensibilité (sensibilité extérieure et intérieure), par ce que nous ressentons du monde et de nous-même. De plus, le fonctionnement de notre intelligence se forme et se développe à partir du travail des sens.
Ainsi, vous avez beau dire, mais cela se passe pour tous les bébés de la même manière : ils ne sont pas d'abord conscients d'eux-mêmes comme êtres pensants, ils sont d'abord conscients de la réalité, ils perçoivent et comprennent la réalité et leur intelligence se forme de cette manière, et ensuite seulement ils deviennent peu à peu conscients d'eux-mêmes, puis conscients d'eux-mêmes en tant qu'êtres pensants : mais, donc, leur perception d'eux-mêmes comme êtres pensants est forgée à partir de leur expérience sensible, se nourrit de cette expérience sensible, vient forcément après cette expérience sensible de la réalité.
Nos connaissances, toutes nos connaissances, sont d'abord dans notre connaissance sensible. Nous nous percevons nous-même, l'intelligence se perçoit elle-même, à travers la sensibilité intérieure : par des émotions, des sentiments, des expériences sensibles directes, intérieures. Ensuite l'intelligence relie ces sensations et en extrait, par l'abstraction, des idées, une connaissance de l'être, puis relie ces idées en jugements et ces jugements en raisonnements.
Nous ne sommes pas des intelligences immédiatement conscientes d'elles-mêmes en tant qu'intelligence ; ça, ce sont les anges. Et nous ne sommes pas des anges.
> Je reviens à votre message précédent :
. La contemplation n'est pas, en soi, une pensée directement infuse par Dieu : la contemplation de Dieu, oui... il s'agit alors d'une grâce. La contemplation en elle-même peut être contemplation de la création, et est alors acte de l'intelligence humaine.