par philémon.siclone » dim. 21 févr. 2010, 19:01
Aimer ses ennemis : une mission quasi impossible. Gardons en mémoire quelques commandements divins :
- L'accomplissement de la Loi tient en résumé dans l'amour de Dieu et du prochain.
- Celui qui n'aime pas son prochain n'aime pas Dieu.
- Celui qui n'aime pas son ennemi ne peut être appelé "disciple", car il n'y a rien d'extraordinaire à n'aimer que ceux qui nous font du bien.
Comment est-il possible d'arriver à un tel degré de sainteté ? Cela relève du mystère...
Encore, tous les hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a des pauvres qui manquent de tout, des riches qui ne manquent de rien. Il y a des humiliés, des faibles, qui subissent des persécutions, et des dominateurs, des forts, qui les exercent. Prenons le cas extrême : le pauvre, le faible, l'homme humilié. Prenons Lazare. Comment Lazare ne détesterait-il pas l'homme riche qui le traite si dédaigneusement ?
Car ce rapport entre le fort et le faible, le tyran et l'esclave, est un rapport de souffrance. Le faible souffre. Il est tourmenté. Comment nier la réalité de la souffrance ? Lorsque vous vous coincez le doigt dans une porte, vous vous rappelez soudain la réalité de la souffrance physique (que l'on oublie quelques fois). La souffrance existe, elle est réelle. On ne peut pas la nier. Notre nature nous expose à cette souffrance. Il est impossible de l'éviter. Et ce n'est pas une question d'effet placebo.
Dans un rapport d'humiliation, de violence morale, il y a une souffrance d'ordre psychologique. L'homme est ainsi fait qu'il n'aime pas être rabaissé. Nous sommes tous comme ça, quoique l'on s'en défende, que l'on soit laïc ou religieux. Nous avons tous besoin de reconnaissance, d'attention, de respect, d'affection, d'admiration, d'amour... Voyez toutes les variétés possibles et imaginables des combines, calculs et procédés auxquels les hommes, quels qu'ils soient, s'appliquent avec grand soin dans l'espoir de recueillir quelques unes de ces richesses mondaines, que l'on appelle "honneurs" ou "louanges" des hommes. Bien sûr qu'elles sont illusoires. Bien sûr qu'elles sont incapables de nous apporter le bonheur. Bien sûr que ce sont des idoles. "Elles ont des oreilles, et n'entendent pas, une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, etc." Cependant, retirez toutes ces richesses à un homme, et que devient-il ? Le plus désespéré de la Terre. Car l'homme est fait de chair...
Et la souffrance ressentie étant ce qu'elle est, comment l'aimerions-nous ? Et comment aimerions-nous la main qui fait peser sur nous un tel joug ? Comment aimerions-nous le visage de celui qui nous tourmente, comment supporter encore son regard, le son de sa voix, sa silhouette ? Comment ne détesterions-nous pas sa présence, son nom, jusqu'à son souvenir même ?
Comment éviter de ressentir de la haine envers celui qui nous hait et nous méprise ? Comment ne voudrions-nous pas tirer vengeance de l'injure reçue ? Comment ne ressasserions-nous pas sans fin dans notre esprit les persécutions dont nous aurions injustement fait l'objet, comment trouverions-nous le repos jusqu'à ce que justice ait été faite ?
Car la souffrance est là. Elle exerce sa terrible répression dans l'âme. Sans cesse, c'est un écrasement continu qui se renouvelle. Et rien ne peut l'apaiser. Dès le matin, au réveil, elle reprend sa ritournelle. Et chaque jour, c'est le même refrain qui tourne sans se lasser.
Aimez vos ennemis ! Priez pour ceux qui vous persécute ! Pardonnez comme vous voulez que l'on vous pardonne ! On vous jugera selon la mesure avec laquelle vous aurez jugé vous aussi !
Finalement, n'est-ce pas plus simple d'immoler une paire de pigeons sur un autel... ?
Le commandement du Christ se dresse tel une formidable citadelle imprenable. Un large fossé l'entoure, dont le fond est hérissé de pieux acérés. L'eau qui l'environne est empoisonnée et peuplée de monstres affamés. Une armée de gardiens vigilants occupe à toute heure du jour et de la nuit le chemin de ronde. Celui qui approche reçoit aussitôt un essaim de flèches enflammées dont aucune ne manque sa cible. Du reste, le terrain est farci de pièges de toutes sortes : pièges à loup, mines, filets, pals, fosses, sables mouvant, tous parfaitement dissimulés. Et des chiens enragés rôdent aux environs. Il est impossible de s'aventurer ne serait-ce qu'à la lisière du bois qui entoure cette fantastique demeure. Tel est le parvis du Seigneur !
Comment aimer son ennemi ? Comment aimer celui qui nous persécute, dont nous ressentons le mal jusque dans la chair de notre âme ? Comment ne pas détester la langue perfide dont le venin nous atteint chaque jour au plus profond du coeur ? Comment aimerions-nous la souffrance ? Car aimer celui qui nous persécute, cela revient à aimer la persécution, à jouir de la souffrance qu'elle nous procure. C'est un non sens total. Absurde, en fait. On ne peut pas aimer la souffrance. Et je n'ai jamais rencontré âme qui vive qui soit manifestement capable de cela. Tout le monde réagit très mal aux plus légères vexations, même imaginaires.
Pour réussir un tel tour de force, il nous faudrait ne pas être nous-même. Il nous faudrait être comme à l'extérieur de nous-même. Assister à notre vie qui se déroule sur le théâtre, en nous tenant sur le balcon. Comment atteindre le balcon de notre vie ? Il est vrai qu'un spectateur est capable d'aimer tous les personnages d'une pièce, même les plus sombres, même les plus cruels. Tous les personnages d'une oeuvre de fiction emportent, au fond, notre sympathie. Parce que nous ne ressentons pas les souffrances qu'ils infligent : elles ne s'adressent pas à nous. Ce n'est jamais qu'une comédie...
Je sais, et je comprends, que le vrai commandement du Christ n'est pas d'abord d'aimer et de pardonner à ceux qui nous persécutent, mais plutôt de nous détacher de ce monde, pour être en mesure de réaliser cela, et nous rapprocher du Ciel en même temps. Il y a le but, et il y a le moyen d'atteindre le but.
Mais comment atteindre à ce détachement lorsque tout nous incite à courir après les vanités du monde. Les hommes d'Eglise ne nous encouragent-ils pas eux-même à accomplir ce qu'ils appellent le "devoir d'état" ? Comment réaliser un tel grand écart, lorsqu'on s'appelle Lazare... ? Pour un homme brillant et pourvu des plus grandes facilités, la tâche est aisée. Il est facile de se détacher de tout, lorsqu'on a tout facilement. Mais pour Lazare ?
[b]Aimer ses ennemis : une mission quasi impossible.[/b] Gardons en mémoire quelques commandements divins :
- L'accomplissement de la Loi tient en résumé dans l'amour de Dieu et du prochain.
- Celui qui n'aime pas son prochain n'aime pas Dieu.
- Celui qui n'aime pas son ennemi ne peut être appelé "disciple", car il n'y a rien d'extraordinaire à n'aimer que ceux qui nous font du bien.
Comment est-il possible d'arriver à un tel degré de sainteté ? Cela relève du mystère...
Encore, tous les hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a des pauvres qui manquent de tout, des riches qui ne manquent de rien. Il y a des humiliés, des faibles, qui subissent des persécutions, et des dominateurs, des forts, qui les exercent. Prenons le cas extrême : le pauvre, le faible, l'homme humilié. Prenons Lazare. Comment Lazare ne détesterait-il pas l'homme riche qui le traite si dédaigneusement ?
Car ce rapport entre le fort et le faible, le tyran et l'esclave, est un rapport de souffrance. Le faible souffre. Il est tourmenté. Comment nier la réalité de la souffrance ? Lorsque vous vous coincez le doigt dans une porte, vous vous rappelez soudain la réalité de la souffrance physique (que l'on oublie quelques fois). La souffrance existe, elle est réelle. On ne peut pas la nier. Notre nature nous expose à cette souffrance. Il est impossible de l'éviter. Et ce n'est pas une question d'effet [i]placebo[/i].
Dans un rapport d'humiliation, de violence morale, il y a une souffrance d'ordre psychologique. L'homme est ainsi fait qu'il n'aime pas être rabaissé. Nous sommes tous comme ça, quoique l'on s'en défende, que l'on soit laïc ou religieux. Nous avons tous besoin de reconnaissance, d'attention, de respect, d'affection, d'admiration, d'amour... Voyez toutes les variétés possibles et imaginables des combines, calculs et procédés auxquels les hommes, quels qu'ils soient, s'appliquent avec grand soin dans l'espoir de recueillir quelques unes de ces richesses mondaines, que l'on appelle "honneurs" ou "louanges" des hommes. Bien sûr qu'elles sont illusoires. Bien sûr qu'elles sont incapables de nous apporter le bonheur. Bien sûr que ce sont des idoles. "Elles ont des oreilles, et n'entendent pas, une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, etc." Cependant, retirez toutes ces richesses à un homme, et que devient-il ? Le plus désespéré de la Terre. Car l'homme est fait de chair...
Et la souffrance ressentie étant ce qu'elle est, comment l'aimerions-nous ? Et comment aimerions-nous la main qui fait peser sur nous un tel joug ? Comment aimerions-nous le visage de celui qui nous tourmente, comment supporter encore son regard, le son de sa voix, sa silhouette ? Comment ne détesterions-nous pas sa présence, son nom, jusqu'à son souvenir même ?
Comment éviter de ressentir de la haine envers celui qui nous hait et nous méprise ? Comment ne voudrions-nous pas tirer vengeance de l'injure reçue ? Comment ne ressasserions-nous pas sans fin dans notre esprit les persécutions dont nous aurions injustement fait l'objet, comment trouverions-nous le repos jusqu'à ce que justice ait été faite ?
Car la souffrance est là. Elle exerce sa terrible répression dans l'âme. Sans cesse, c'est un écrasement continu qui se renouvelle. Et rien ne peut l'apaiser. Dès le matin, au réveil, elle reprend sa ritournelle. Et chaque jour, c'est le même refrain qui tourne sans se lasser.
Aimez vos ennemis ! Priez pour ceux qui vous persécute ! Pardonnez comme vous voulez que l'on vous pardonne ! On vous jugera selon la mesure avec laquelle vous aurez jugé vous aussi !
Finalement, n'est-ce pas plus simple d'immoler une paire de pigeons sur un autel... ?
Le commandement du Christ se dresse tel une formidable citadelle imprenable. Un large fossé l'entoure, dont le fond est hérissé de pieux acérés. L'eau qui l'environne est empoisonnée et peuplée de monstres affamés. Une armée de gardiens vigilants occupe à toute heure du jour et de la nuit le chemin de ronde. Celui qui approche reçoit aussitôt un essaim de flèches enflammées dont aucune ne manque sa cible. Du reste, le terrain est farci de pièges de toutes sortes : pièges à loup, mines, filets, pals, fosses, sables mouvant, tous parfaitement dissimulés. Et des chiens enragés rôdent aux environs. Il est impossible de s'aventurer ne serait-ce qu'à la lisière du bois qui entoure cette fantastique demeure. Tel est le parvis du Seigneur !
Comment aimer son ennemi ? Comment aimer celui qui nous persécute, dont nous ressentons le mal jusque dans la chair de notre âme ? Comment ne pas détester la langue perfide dont le venin nous atteint chaque jour au plus profond du coeur ? Comment aimerions-nous la souffrance ? Car aimer celui qui nous persécute, cela revient à aimer la persécution, à jouir de la souffrance qu'elle nous procure. C'est un non sens total. Absurde, en fait. On ne peut pas aimer la souffrance. Et je n'ai jamais rencontré âme qui vive qui soit manifestement capable de cela. Tout le monde réagit très mal aux plus légères vexations, même imaginaires.
Pour réussir un tel tour de force, il nous faudrait ne pas être nous-même. Il nous faudrait être comme à l'extérieur de nous-même. Assister à notre vie qui se déroule sur le théâtre, en nous tenant sur le balcon. Comment atteindre le balcon de notre vie ? Il est vrai qu'un spectateur est capable d'aimer tous les personnages d'une pièce, même les plus sombres, même les plus cruels. Tous les personnages d'une oeuvre de fiction emportent, au fond, notre sympathie. Parce que nous ne ressentons pas les souffrances qu'ils infligent : elles ne s'adressent pas à nous. Ce n'est jamais qu'une comédie...
Je sais, et je comprends, que le vrai commandement du Christ n'est pas d'abord d'aimer et de pardonner à ceux qui nous persécutent, mais plutôt de nous détacher de ce monde, pour être en mesure de réaliser cela, et nous rapprocher du Ciel en même temps. Il y a le but, et il y a le moyen d'atteindre le but.
Mais comment atteindre à ce détachement lorsque tout nous incite à courir après les vanités du monde. Les hommes d'Eglise ne nous encouragent-ils pas eux-même à accomplir ce qu'ils appellent le "devoir d'état" ? Comment réaliser un tel grand écart, lorsqu'on s'appelle Lazare... ? Pour un homme brillant et pourvu des plus grandes facilités, la tâche est aisée. Il est facile de se détacher de tout, lorsqu'on a tout facilement. Mais pour Lazare ?