L'Etat peut-il être autre chose qu'un problème ?

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par Markos » jeu. 18 janv. 2007, 0:00

(Re-)Bonsoir!!
Christian a écrit : Je suis heureux de vous lire, car il me semble qu’il n’y a que deux positions logiquement tenables :
Soit tout échange doit porter sur des ‘valeurs objectivement égales’ pour être licite.
Soit l’échange est licite, ou juste, parce qu’il porte sur des valeurs déclarées inégales, mais qui satisfont chaque partie. C’est le cas du don.
C'est tout à fait cela. Echange ou Don.
Et je serai moi aussi très heureux si nous arrivons à un accord! (Je ne cherche pas la dispute à tout prix! :P )
Mais alors...., mais alors, si je vends mes roses 2 euros au lieu de 1 euro, je ne vois pas où se situe l’injustice, puisque des clients sont satisfaits de l’échange. En fait, selon votre théorie, ils me font don de 1 euro par rose. C’est le surcoût qu’ils payent, parce qu’ils aiment mon sourire, mon service, la joliesse de mon arrangement floral, etc. toutes choses qui ne sont pas quantifiables, pas plus que ma motivation de réduire le prix des fleurs founies à la paroisse. S’il est permis de s’écarter de l’égalité dans un sens, il est permis de le faire dans l’autre (le sens du don est simplement inversé).
Oui, vous avez raison, il serait tout à fait possible d'envisager le don dans l'autre sens : des paroissiens qui paient une rose deux fois son juste prix par exemple, pour soutenir la réfection de leur Eglise!!

Cependant, pour que le don soit juste, il faut qu'il soit pleinement consenti. Et pour qu'il soit tel, il faut bien que j'ai conscience que je fais un don. Il ne faut donc pas qu'il se cache et qu'il se déguise en échange. Si ma fleuriste me dit qu'elle a besoin d'un peu plus que le juste prix de sa prestation, il m'appartient alors de lui donner davantage si je désire lui faire plaisir et la soutenir particulièrement. Mais si elle ne me dit rien et qu'elle augmente simplement le prix, faisant comme s'il s'agissait d'un simple échange, pour m'extorquer mon don, en quelque sorte, là il y a tromperie et manipulation. Et dans ce cas l'échange n'est plus juste.

Amicalement,

par Christian » mer. 17 janv. 2007, 18:40

certains exemples, certaines reflexions que vous avez faites m'ont obligé à préciser à vous - et à moi-même, ce qui est autrement précieux d'un point de vue philosophique - ma propre position!
Itou de mon côté. :) C’est peut-être pourquoi je reviens brièvement sur ma résolution de mettre fin à ce débat pour relever le point suivant :
C'est que vous n'avez pas procédé ici à un simple échange, mais à un échange et à un don.
Le don n'est pas une injustice s'il est pleinement volontaire.
Je suis heureux de vous lire, car il me semble qu’il n’y a que deux positions logiquement tenables :

Soit tout échange doit porter sur des ‘valeurs objectivement égales’ pour être licite. C’est votre position.

Soit l’échange est licite, ou juste, parce qu’il porte sur des valeurs déclarées inégales, mais qui satisfont chaque partie. C’est le cas du don.

Mais alors...., mais alors, si je vends mes roses 2 euros au lieu de 1 euro, je ne vois pas où se situe l’injustice, puisque des clients sont satisfaits de l’échange. En fait, selon votre théorie, ils me font don de 1 euro par rose. C’est le surcoût qu’ils payent, parce qu’ils aiment mon sourire, mon service, la joliesse de mon arrangement floral, etc. toutes choses qui ne sont pas quantifiables, pas plus que ma motivation de réduire le prix des fleurs founies à la paroisse. S’il est permis de s’écarter de l’égalité dans un sens, il est permis de le faire dans l’autre (le sens du don est simplement inversé).

Christian










[align=center]Un seul petit mot montre le lien étroit entre don et liberté, c’est le mot merci.
Comme le dit Chesterton, si l’homme n’était pas libre, il ne pourrait dire merci pour la moutarde.

Fulton Sheene, Le premier amour du monde[/align]

par Markos » mer. 17 janv. 2007, 18:00

Bonjour,
Christian a écrit : Une réponse très vite, car j’ai encore beaucoup de boulot.
Je le comprends parfaitement, et c'est aussi mon cas.
Vous pouvez donc prendre tout le temps que vous jugez nécessaire (ne vous sentez pas pressé par mes interventions)!! :)
Car, à supposer que j’ai suffisamment de clients pour le service que j’offre et que mon travail soit de qualité satisfaisante, je dois pouvoir vivre de mon travail.
Et je dois donc en demander un prix qui me permette d’avoir de quoi vivre de manière satisfaisante pendant que je travaille
Je vends tous les jours des fleurs à une clientèle diversifiée, et je facture une rose à 1 euro. Compte tenu de mon état de célibataire, ce commerce me permet de vivre de manière satisfaisante. Vous le qualifiez donc de juste.
Un fleuriste, père de 5 enfants, s’installe à deux rues de là. Compte tenu de sa situation familiale, doit-il demander un prix de 2 euros pour vivre de manière satisfaisante pendant qu’il travaille ?
[...]Ne voyez-vous pas que nous rémunérons un service rendu (des fleurs), pas la personne qui le rend ? (C’est d’ailleurs pourquoi le marché détruit toutes ces notions de nationalisme, de racisme et de sexisme).
Le fait est que votre argument se renverse : doit-on ne pas pouvoir vivre de son travail si on a une famille au pretexte que c'est le (même) service qui est rendu?
Mais, que l'on dise rémunérer le service ou le travail, le fait est toujours le même : on travaille pour pouvoir vivre.
Votre argument ne prouverait donc qu'une chose, dans le fond : il ne faudrait pas lier son activité avec la recherche de ses moyens de subsistance. Ce qui est une théorie étonnante (mais en cohérence avec ce que vous soutenez par ailleurs, il est vrai).

Mais en fait, dans votre argumentaire, vous jouez sur le flou de "satisfaisante" (or il faut distinguer ce qui est objectivement tel de ce qui ne l'est que subjectivement) :
Or on ne pourrait pas objectivement considérer qu'un célibataire gagne sa vie de manière satisfaisante si la faiblesse de son revenu l'empêchait absolument, le cas échéant, de nourrir une famille, et donc d'en fonder une tout en étant quelqu'un de responsable. Car une aspiration naturelle de l'être humain, et dont on ne peut lui nier le droit, est de fonder une telle famille. La "satisfaction" objective cesse donc lorsqu'encore une fois la justice cesse, cad lorsqu'obtenir ce qui revient de droit naturel est rendu impossible.

Ainsi le juste prix n'est pas différent du célibataire et de l'homme marié, il est celui de l'homme marié (cad de l'homme qui, si il avait une famille à nourrir, le pourrait, sans faire d'excès, évidemment).

Ceci n'empêche pas qu'il puisse envisager de travailler plus, travailler mieux, ou que son épouse travaille etc. pour sortir d'un "strict minimum" et gagner davantage.
Mais cet échange consenti est en outre objectivement juste (et non subjectivement) lorsque les objets échangés sont de valeur égale.
Parce que je suis un bon catho, je décide de vendre des roses à ma paroisse 50 centimes seulement pour l’embellissement des autels. Cet échange, selon votre théorie, n’est pas juste. :o
En effet, la satisfaction, dites-vous, ne doit pas entrer en ligne de compte dans la détermination du prix, seulement dans l’acte d’échanger. Comme l’objet échangé ici, la rose, était de ‘valeur’ 1 euro (selon votre critère), et que je la vends à une ‘valeur’ qui n’est pas égale à 1 euro, je participe à une transaction (et la paroisse aussi) qui n’est pas juste.
C'est que vous n'avez pas procédé ici à un simple échange, mais à un échange et à un don.
Le don n'est pas une injustice s'il est pleinement volontaire. Vous désirez faire don d'une part de la valeur de ces roses, c'est donc votre droit. Mais le don n'est pas un échange (par définition : le don est dans un seul sens...) et il n'y a donc pas lieu à son propos de se demander si l'échange est juste.
Dans votre exemple, vous décidez de faire don de la moitié de la valeur de ces roses.
Mais pour l'autre moitié, vous réclamez bien l'équivalent de cette valeur restante en argent (pour cette autre moitié il y a donc bien échange, et échange juste).
PS. Je crois, cher Markos, que nous avons à peu près tout dit, et plus, sur ce sujet. Je serai ravi de lire votre réponse à ce message et vous laisser le dernier mot dans cet échange.
J'ai été moi-même ravi de cet échange, bien que j'eus aimé le poursuivre! N'hésitez pas si cela vous fait envie.
Je suis toujours heureux de savoir ce que pense autrui; c'est ainsi que l'on affine sa propre pensée! Et à ce propos je dois vous remercier, car certains exemples, certaines reflexions que vous avez faites m'ont obligé à préciser à vous - et à moi-même, ce qui est autrement précieux d'un point de vue philosophique - ma propre position! :)

Amicalement,

par Christian » mer. 17 janv. 2007, 14:04

Bonjour, Markos,

Une réponse très vite, car j’ai encore beaucoup de boulot.
Car, à supposer que j’ai suffisamment de clients pour le service que j’offre et que mon travail soit de qualité satisfaisante, je dois pouvoir vivre de mon travail.
Et je dois donc en demander un prix qui me permette d’avoir de quoi vivre de manière satisfaisante pendant que je travaille
Je vends tous les jours des fleurs à une clientèle diversifiée, et je facture une rose à 1 euro. Compte tenu de mon état de célibataire, ce commerce me permet de vivre de manière satisfaisante. Vous le qualifiez donc de juste.

Un fleuriste, père de 5 enfants, s’installe à deux rues de là. Compte tenu de sa situation familiale, doit-il demander un prix de 2 euros pour vivre de manière satisfaisante pendant qu’il travaille ? pourquoi les clients devraient-ils chez lui acheter plus cher que chez moi ? Ils ne sont pas responsables du choix familial de ce second fleuriste.

Pour éviter de rafler tous ses clients et ruiner ce père de famille, dois-je augmenter mes prix et réaliser un surprofit ? Voilà une conception originale de la solidarité ;-) (sauf pour les amoureux rançonnés). Comment faire pour que chacun ‘demande un prix qui lui permette de vivre de façon satisfaisante’ ?

Ne voyez-vous pas que nous rémunérons un service rendu (des fleurs), pas la personne qui le rend ? (C’est d’ailleurs pourquoi le marché détruit toutes ces notions de nationalisme, de racisme et de sexisme).
Si la satisfaction est une impression subjective, et si la justice ne dépend pas de notre point de vue subjectif, on ne doit pas admettre la justice de la transaction au simple fait que les deux parties sont satisfaites.

Pour résumer :
Il y a échange lorsque l’on remplace un objet par un autre de nature différente.
Il y a échange consenti lorsque cette nature apporte une satisfaction particulière à chacun (ce qui est le cas, comme vous le dites, dès lors qu'il n'y a pas usage de violence, physique ou psychologique).
Mais cet échange consenti est en outre objectivement juste (et non subjectivement) lorsque les objets échangés sont de valeur égale.
Parce que je suis un bon catho, je décide de vendre des roses à ma paroisse 50 centimes seulement pour l’embellissement des autels. Cet échange, selon votre théorie, n’est pas juste. :o

En effet, la satisfaction, dites-vous, ne doit pas entrer en ligne de compte dans la détermination du prix, seulement dans l’acte d’échanger. Comme l’objet échangé ici, la rose, était de ‘valeur’ 1 euro (selon votre critère), et que je la vends à une ‘valeur’ qui n’est pas égale à 1 euro, je participe à une transaction (et la paroisse aussi) qui n’est pas juste.

Qui l’eût cru ?

Cordialement,

Christian

PS. Je crois, cher Markos, que nous avons à peu près tout dit, et plus, sur ce sujet. Je serai ravi de lire votre réponse à ce message et vous laisser le dernier mot dans cet échange.

Des bienfaits de la distinction

par Markos » dim. 14 janv. 2007, 22:42

Bonsoir,
Une valeur est ce à quoi on tient. Nous souhaitons l’acquérir lorsque nous ne l’avons pas et à la conserver lorsque nous l’avons. La famille, la voiture, le travail, l’honneur, les amis, le chien, la liberté, la maison de campagne, la religion, l’argent, la nourriture …. sont des valeurs. La morale consiste à établir une hiérarchie entre ces valeurs, mais à l’évidence, tous les gens n’ont pas la même hiérarchie, la même morale (les uns, par ex., placent le travail au dessus de la famille, les autres ne tiennent pas la religion pour une valeur, etc.). En plus, les valeurs sont échangeables, on peut ainsi trahir un ami pour de l’argent, sa religion pour l’amour de quelqu’un.
J’ai rappelé cette définition de la valeur plus haut sur ce fil et la répète ici, parce qu’elle est à la fois indiscutable et fondamentale, et pour que nous nous comprenions bien.
Vous n’avez pas bien compris l’intention de mon précédent message.
J’ai, je crois, parfaitement saisi ce que vous entendez par « valeur ». Mais il me semble que vous commettez une erreur. Car on ne peut parler de « valeur » de manière univoque : la valeur marchande n’est pas la valeur morale.
Pour une raison bien simple : seules les valeurs marchandes sont échangeables !
Les exemples que vous donnez sont trompeurs : celui qui trahit son ami pour de l’argent n’a pas échangé la valeur « amitié » pour la valeur « argent ». Admettons que ce fut un vrai ami, il a respecté la hiérarchie de valeurs morales qui est la sienne : l’argent est meilleur que l’amitié.
De même, celui qui trahit sa religion par amour n’a rien échangé, il a respecté sa hiérarchie des valeurs : lorsque deux valeurs se présentent, dans certaines circonstances, de manière contradictoire, c’est la plus importante qui l’emporte. Les valeurs morales du « traître » n’est donc pas échangée, elle est observée.

Dans l’ensemble, votre définition, c’est un peu comme si vous me disiez que la « richesse », c’est « tout ce que l’on possède », et qu’ensuite vous mettiez « dans le même sac » la richesse de l’esprit, les valeurs morales, la famille que l’on a, les biens que l’on possède, la richesse d’argent, etc.
Ce n’est pas que l'on puisse pas trouver une certaine cohérence à parler de richesse (comme à parler de valeur) dans tous ces cas, mais pour autant on ne peut faire comme s’il s’agissait du même type de richesse ou de valeur et les mettre sur le même niveau pour les additionner les uns avec les autres.

Par ailleurs, une fois que l’on met de coté les valeurs morales pour conserver au mot valeur un sens utilitaire, on doit encore distinguer la valeur d’usage (qui dépend de la nature de l’objet) et la valeur d’échange (qui sera donc le prix que l’on devra payer).
Même lorsque les termes sont arithmétiquement égaux (un billet de 200 euros contre 20 billets de 10 euros), l’échange n’aura pas lieu parce que, pour qu’il ait lieu, il faut que chacun ‘y trouve son compte’, c-à-d se retrouve avec un plus, en langage économique, un profit.
Ce plus, vous l’appelez ‘utilité’. Je n’aime pas le mot ici, car il a un côté ‘ustensile de cuisine’. Quelle est l’utilité d’avoir un cactus sur sa cheminée ? Pourtant, nous connaissons des gens qui aiment les plantes, d’autres qui attachent une grande valeur à ces choses ‘inutiles’ pour lesquelles ils dépensent de l’argent, que sont la vénerie, les grosses voitures, les disques de Johnny, l’apprentissage du latin ou l’origami.
La valeur englobe donc l’utilité, elle ne s’y réduit pas.
Ce point acquis (s’il l’est !), vous comprendrez mieux que pour un acheteur, la valeur ‘argent’ est inférieure à la valeur ‘produit’, et pour le vendeur, la valeur ‘argent’ est supérieure. Donc, après l’échange, ils sont l’un et l’autre possesseurs de valeurs plus grandes qu’au départ, leur satisfaction est accrue, ils ont réalisé un profit (ces trois notions étant ici synonymes).
Chacun doit trouver son compte à l’échange.
Ce qu’apporte l’échange, peu importe donc comment on l’appelle : utilité (certains objets ont bien une utilité ornementale ou distractive), « profit » (mais ce terme est encore plus trompeur que le précédent : il revoit à l’idée d’argent) ou « satisfaction liée à son usage futur »…
Mais à quoi est dû ce « profit » ? Le « profit » provient du fait que les objets sont de nature différent : la valeur d’usage est donc différente.
Et cela est naturel : il n’y a échange qu’entre des objets différents !
Mais DIFFERENT ne veut pas dire INEGAL!
Parce que si différent voulait dire inégal, cela signifierait que de deux hommes différents, l’un serait nécessairement supérieur à l’autre ! (Ce qui nous emmènerait sur une pente dangereuse).
En d’autre terme, derrière le même mot valeur, vous confondez nature et valeur : dans un échange, la nature des objets est différente, la valeur (d’échange) doit être la même.

Par ailleurs, j’ai montré dans mon précédent message, que dans tout échange, ce que vous appelez le « profit » du vendeur est égal au « profit » de l’acheteur. Parce que chacun obtient un type d’objet qu’il préfère au précédent. Les deux « profit » s’annulent donc logiquement et n’ont pas à entrer en compte dans le calcul du prix.
La justice de l’échange
Puisque personne ne se déclare lésé, il faut donc pour que vous affirmiez la prétendue injustice vous référer à quelque autre critère. Ce ne peut pas être l’égalité, puisque par nature, l’échange porte sur des valeurs inégales. Et — voici le nœud de l’affaire — les valeurs (à part le prix) ne sont pas mesurables.
==> L’échange, pour exister, porte sur des objets de nature différente, mais, pour être juste, doit porter sur des valeurs égales.
Je sais, puisque j’ai effectué la transaction, que j’attache une plus grande valeur à un sandwich qu’à 2 euros dans ma poche. Mais combien plus ? comment mesurer cet écart entre la valeur et le prix ? Vous voulez que l’acheteur et le vendeur échangent des quantités égales. Fort bien. Sur quelle échelle allez-vous quantifier la satisfaction du boulanger à vendre son sandwich, afin qu’il puisse me réclamer un prix plus ou moins grand, lequel devra correspondre par ailleurs à la plus ou moins grande intensité de ma faim ?
==> Il ne s’agit pas de quantifier la satisfaction du boulanger ni même celle de l’acheteur, parce que la justice ne dépend pas de jugements subjectifs. Le montant de la valeur (d’échange) ne doit pas dépendre de la satisfaction. Ce qui en dépend, c’est ce que vous appelez « le profit », mais qui ne devrait pas entrer en jeu dans le calcul du prix (car les deux "profits" s'annulent, cf. plus haut).
Si personne ne saurait établir cette mesure pour soi-même, vous comprendrez qu’il est encore plus vain de vouloir l’établir entre deux personnes, l’acheteur et le vendeur, qui ont une hiérarchie de valeurs différente.
Tout ce que nous pouvons observer est la matérialité de la transaction. Elle est juste, puisque chacun a fait un profit (chacun se trouve mieux après la transaction qu’il n’était avant), et donc qui pourrait à leur place la déclarer injuste ?
(Encore une fois, le sentiment de justice fait que nous voudrions que l’élève méritant, de famille pauvre, etc., réussisse son examen. Mais la règle de justice — dura lex, sed lex — nous impose de le recaler si ses notes sont mauvaises. De même, si la règle de l’échange est respectée, le résultat est juste, même si le profit que réalise une des parties est moins élevé qu’elle et nous le voudrions — par exemple, qqn qui préfère prendre un travail pénible et mal payé à mourir de faim).
==> Je ne comprends toujours pas comment vous conciliez tout ce que vous dites :
« on doit admettre la justice de la transaction puisque les 2 parties sont satisfaites »,
« la satisfaction étant une impression subjective elle n’est pas quantifiable ».
et « la justice ne dépend pas de notre point de vue subjectif ».
Il me semble que :
Si la satisfaction est une impression subjective, et si la justice ne dépend pas de notre point de vue subjectif, on ne doit pas admettre la justice de la transaction au simple fait que les deux parties sont satisfaites.

Pour résumer :
Il y a échange lorsque l’on remplace un objet par un autre de nature différente.
Il y a échange consenti lorsque cette nature apporte une satisfaction particulière à chacun (ce qui est le cas, comme vous le dites, dès lors qu'il n'y a pas usage de violence, physique ou psychologique).
Mais cet échange consenti est en outre objectivement juste (et non subjectivement) lorsque les objets échangés sont de valeur égale.

Ce que vous ne comprenez pas dans ce cas, c’est comment l’on pourrait décider du prix.
Et vous préférez donc dire que le prix est laissé à l’appréciation de chacun. Comme si on pouvait apprécier un prix sans avoir au moins de manière subjective un certain critère de ce qui est juste en ce domaine.

Mais le critère objectif se révèle lorsque l’on se souvient de ce qu’est l’argent (donc ce à quoi il sert) et de la raison pour laquelle on se spécialise dans une ou + activités alors même que ce que l'on fait ne nous est pas immédiatement utile à nous-mêmes.

L’argent n’est qu’un moyen de faciliter les transactions (pour élargir le troc dans l’espace et le temps) : lorsque je paie quelque chose, je ne fais pas que donner des billets ou du papier, je donne (virtuellement) ce qui me les a fait légitimement gagné !
C’est donc un moyen de mettre en rapport deux activités humaines, et d’évaluer universellement ce rapport.

De fait, le prix devrait dépendre de 3 facteurs uniquement : l’espèce du travail fourni (cad les compétences requises), la qualité du travail fourni, et la durée de ce travail.
La durée du travail n’est pas le premier critère, mais il est important. Car, à supposer que j’ai suffisamment de clients pour le service que j’offre et que mon travail soit de qualité satisfaisante, je dois pouvoir vivre de mon travail.
Et je dois donc en demander un prix qui me permette d’avoir de quoi vivre de manière satisfaisante pendant que je travaille.
Telles sont les conditions du juste prix qui permet un juste échange.

Il doit ainsi s’opérer une adéquation de l’ensemble des prix (et des rémunérations) pour que cela soit possible. C’est au rôle de l’Etat de s’en assurer, car c’est son rôle d’assurer la Justice (cf. mon premier message) entre les citoyens et entre les divers types d’activité que ces citoyens sont susceptibles de pratiquer.

Amicalement,

par Christian » sam. 13 janv. 2007, 23:44

Bonsoir Markos, :)
Je sais qu'il est un peu difficile de s'entendre car nous n'employons pas le mot valeur dans le même sens
Effectivement, un petit glossaire des termes employés nous serait utile.

Une valeur est ce à quoi on tient. Nous souhaitons l’acquérir lorsque nous ne l’avons pas et à la conserver lorsque nous l’avons. La famille, la voiture, le travail, l’honneur, les amis, le chien, la liberté, la maison de campagne, la religion, l’argent, la nourriture …. sont des valeurs. La morale consiste à établir une hiérarchie entre ces valeurs, mais à l’évidence, tous les gens n’ont pas la même hiérarchie, la même morale (les uns, par ex., placent le travail au dessus de la famille, les autres ne tiennent pas la religion pour une valeur, etc.). En plus, les valeurs sont échangeables, on peut ainsi trahir un ami pour de l’argent, sa religion pour l’amour de quelqu’un.

J’ai rappelé cette définition de la valeur plus haut sur ce fil et la répète ici, parce qu’elle est à la fois indiscutable et fondamentale, et pour que nous nous comprenions bien.

Pourquoi l’échange ?

Vous acceptez l’évidence, illustrée naïvement par mes exemples, que nous n’échangeons pas des valeurs identiques (un billet de 10 euros pour un billet de 10 euros). Même lorsque les termes sont arithmétiquement égaux (un billet de 200 euros contre 20 billets de 10 euros), l’échange n’aura pas lieu parce que, pour qu’il ait lieu, il faut que chacun ‘y trouve son compte’, c-à-d se retrouve avec un plus, en langage économique, un profit. L’égalité ‘10 euros contre 10 euros’ n’apporte de profit à personne, celle ‘un billet de 200 euros contre 20 billets de 10 euros’ apporte un plus à celui qui demande l’échange (sinon pourquoi le demanderait-il ?), mais pas à l’autre partie, donc l’échange n’aura pas lieu (dans l’hypothèse d’un marché libre).

Ce plus, vous l’appelez ‘utilité’. Je n’aime pas le mot ici, car il a un côté ‘ustensile de cuisine’. Quelle est l’utilité d’avoir un cactus sur sa cheminée ? Pourtant, nous connaissons des gens qui aiment les plantes, d’autres qui attachent une grande valeur à ces choses ‘inutiles’ pour lesquelles ils dépensent de l’argent, que sont la vénerie, les grosses voitures, les disques de Johnny, l’apprentissage du latin ou l’origami.

La valeur englobe donc l’utilité, elle ne s’y réduit pas.

Ce point acquis (s’il l’est !), vous comprendrez mieux que pour un acheteur, la valeur ‘argent’ est inférieure à la valeur ‘produit’, et pour le vendeur, la valeur ‘argent’ est supérieure. Donc, après l’échange, ils sont l’un et l’autre possesseurs de valeurs plus grandes qu’au départ, leur satisfaction est accrue, ils ont réalisé un profit (ces trois notions étant ici synonymes).

La justice de l’échange

Ayant expliqué le pourquoi de l’échange, nous pouvons en déduire qu’il est juste. En effet, l’acheteur et le vendeur ont chacun réalisé un profit (pas nécessairement financier — ils ont chacun augmenté leur satisfaction). Maintenant, vous m’objectez : ‘mais ce pourrait être injuste’.

Injuste pour qui ?

Nous partons de l’hypothèse que les biens échangés (argent et produit) étaient la propriété légitime des acteurs, que le contrat explicite ou implicite de la transaction est respecté (les billets ne sont pas faux, le produit n’est pas avarié…).

Puisque personne ne se déclare lésé, il faut donc pour que vous affirmiez la prétendue injustice vous référer à quelque autre critère. Ce ne peut pas être l’égalité, puisque par nature, l’échange porte sur des valeurs inégales. Et — voici le nœud de l’affaire — les valeurs (à part le prix) ne sont pas mesurables.

Je sais, puisque j’ai effectué la transaction, que j’attache une plus grande valeur à un sandwich qu’à 2 euros dans ma poche. Mais combien plus ? comment mesurer cet écart entre la valeur et le prix ? Vous voulez que l’acheteur et le vendeur échangent des quantités égales. Fort bien. Sur quelle échelle allez-vous quantifier la satisfaction du boulanger à vendre son sandwich, afin qu’il puisse me réclamer un prix plus ou moins grand, lequel devra correspondre par ailleurs à la plus ou moins grande intensité de ma faim ?

Chaque individu classe ses valeurs selon un mode ordinal : je préfère A à B, B à C, C à D, etc. (l'ensemble de ce classement constituant ma moralité), mais il m’est impossible de spécifier de combien je préfère A à B (de combien je préfère aller au cinéma à pique-niquer avec des amis, de combien je préfère mettre mes enfants dans une bonne école privée à acheter un logement plus près de mon travail…).

Si personne ne saurait établir cette mesure pour soi-même, vous comprendrez qu’il est encore plus vain de vouloir l’établir entre deux personnes, l’acheteur et le vendeur, qui ont une hiérarchie de valeurs différente.

Tout ce que nous pouvons observer est la matérialité de la transaction. Elle est juste, puisque chacun a fait un profit (chacun se trouve mieux après la transaction qu’il n’était avant), et donc qui pourrait à leur place la déclarer injuste ?

(Encore une fois, le sentiment de justice fait que nous voudrions que l’élève méritant, de famille pauvre, etc., réussisse son examen. Mais la règle de justice dura lex, sed lex — nous impose de le recaler si ses notes sont mauvaises. De même, si la règle de l’échange est respectée, le résultat est juste, même si le profit que réalise une des parties est moins élevé qu’elle et nous le voudrions — par exemple, qqn qui préfère prendre un travail pénible et mal payé à mourir de faim).

Bien à vous

Christian

PS 1
Marx a cru pouvoir identifier une mesure objective des termes de l’échange en supposant que nous échangions toujours du travail contre du travail, et qu’il suffisait alors de mesurer la quantité de travail ‘coagulée’ dans un produit pour définir la quantité de travail nécessaire à son acquisition. Je peux vous dire que les autoportraits de ma femme lui demandent autant de travail que les siens à Rembrandt, mais qu’ils se vendent bcp moins bien (soupir…), même dans un pays socialiste.

PS 2
vous pourriez me dire que tous les économistes qu'a connu l'histoire ont déclaré que l'échange se fait entre valeurs inégales
En fait, au cours de l’histoire, bien peu d’économistes ont compris cette différence (pourtant évidente) entre la valeur (toujours propre à une personne) et le prix (toujours quantifiable et observable). Les premiers penseurs à l’avoir identifiée furent les Jésuites de l’Ecole de Salamanque au 16ème siècle (je me répète ici encore, parce que je crois important que des Catholiques en soient informés. Friedrich Hayek vit en eux les inventeurs de la théorie économique moderne du capitalisme). Ils furent complètement oubliés tant que dominèrent les théories fausses du mercantilisme au 17ème, des physiocrates au 18ème et les théories de la valeur-travail, d’Adam Smith à Marx et aux socialistes. C’est l’école autrichienne (Carl Menger, Böhm-Bawerk, von Mises, Hayek, etc.) qui les a remis à l’honneur.






[align=center]Après sa capture, Surcouf, l'intrépide corsaire malouin, fut raillé par un officier anglais:
"Vous, Français, vous vous battez pour de l'argent. Nous, Anglais, nous nous battons pour l'honneur."
"Chacun se bat pour acquérir ce qui lui manque", rétorqua notre héros.
[/align]

par Markos » sam. 13 janv. 2007, 1:57

Bonsoir,

Je vais moi aussi me concentrer sur l'essentiel.
Christian a écrit : Mon billet de 10 euros, en revanche, vaudra moins que du pain si j’ai faim. Et si j’ai vraiment très faim, je serai prêt à échanger ce billet de 10 euros pour un quignon et un verre d’eau. Essayez de me dire que je me fais rouler, que je devrais garder ce billet dans ma poche, etc., et je vous cogne. Je donnerai même 20 euros pour ne pas mourir de faim. Pas vous ?
Votre billet ne "vaut" pas moins. Vous abusez du mot "valoir" : il n'a pas le même usage que du pain. (Différence de nature entre les deux objets - et donc de fonction).
Et, bien sur, si vous mourez de faim, vous l'échangerez comme un quignon, comme vous échangeriez un tableau, ou une voiture pour ne pas mourir, et moi aussi, sans doute!
Et si c'est la seule possibilité, je ne vous dirai pas de garder votre billet en poche. Mais cela ne m'empêchera pas de penser que vous êtes victime d'une injustice! Que votre vendeur profite de votre situation pour tirer des profits indus. Car il augmente le prix en fonction de l'utilité que vous en avez. Or le prix devrait en être indépendant.
Si l'objet n'a pas d'utilité, il n'a pas de prix (puisque personne ne se propose de l'acheter).
Si l'objet a une utilité, quelque grande qu'elle soit aux yeux de son acheteur, il a un prix (puisque quelqu'un est susceptible de l'acheter).
L'utilité détermine l'existence du prix. Elle n'en détermine pas le montant.

Objet utile => Avantage pour l'acheteur => Avantage pour le vendeur (qui peut vendre et ainsi obtenir de l'argent).
Puis estimation du prix.

De même dans le troc : on se met d'abord d'accord sur la nature des objets (il faut que chacun ait quelque chose qui lui soit utile), puis on estime combien d'objets x = un objet y.
Si on ne fait pas trop d'erreur dans l'estimation, on peut considérer que l'échange est juste.

La seule différence est que dans le commerce ordinaire, l'objet reçu par le vendeur est toujours d'une nature utile : c'est de l'argent. Sans doute est-ce pour cela que l'on oublie cette première phase et que l'on veut tirer un profit supplémentaire de l'utilité qu'on offre.

D'ailleurs, s'il était juste de faire payer le service (ou l'utilité que l'on procure), il faudrait que l'acheteur fasse payer le vendeur aussi, car il lui rend aussi service en achetant. Mais ceci est absurde.

Je sais qu'il est un peu difficile de s'entendre car nous n'employons pas le mot valeur dans le même sens, mais j'espère être parvenu à me faire comprendre de cette manière.


Amicalement,

par Christian » ven. 12 janv. 2007, 10:48

Bonjour Guillaume, bonjour Markos, bonjour à tous,

Un tombereau d’affaires pressantes s’est déversé sur mon bureau, sitôt les cartes de vœux recyclées, et je n’ai pas encore émergé. Il y a une vie en dehors des forums. Levé ce matin dès potron-minet, je réponds hâtivement aux dernières interventions sur ce fil.
Guillaume
Christian Michel c'est vous?
Oui.

Guillaume, merci de votre contribution. :)
J’y reviendrai quand j’aurai un peu plus de temps.
Markos
Mais ma lecture m'a fait surgir une question, que je laisse ouverte : Et que penser de l'eau ?
Bonne question. Le drame des lacs, des fleuves et des océans, est qu’ils n’appartiennent à personne. On ne déverse pas des ordures dans votre jardin parce que vous pousseriez des hurlements furieux. Si le pollueur vous expliquait qu’il travaille pour Airbus ou pour l’hôpital local, vous répondriez que cela ne lui donne pas plus le droit de violer votre propriété. Mais depuis deux siècles, personne ne crie, parce que personne n’a un intérêt direct à le faire, lorsque des industriels rejettent leurs effluents dans les cours d’eau. Contrairement à vous, qui défendez votre bien, les hommes de l’Etat ont une foultitude de préoccupations, et pourquoi l’eau et l’environnement compteraient-ils plus qu’Airbus, les hôpitaux, le chômage et leur réélection ?

Si vous voulez éviter la pollution des fleuves, des lacs et des mers, donnez-leur des propriétaires. :clap:
Markos
==> Prétendue finitude du monde? J'ai pourtant bien l'impression que seul Dieu est infini! Et il y a certes une différence entre abondant et infini.
Dont acte. Ma formule était maladroite, je vous le concède volontiers.
Markos
==> Selon votre définition, si j'achéte par correspondance 200 tonnes de tomates et que je les revends la même journée 3 centimes le kilo plus cher, j'ai fais des affaires. (Ou si j'ai pris 200 actions d'une entreprise et que très peu de temps après je les revende). Est-ce bien cela?
Si oui, pb:
Oui, c’est tout à fait cela, et il n’y a pas de problème. Vous réussissez fort bien en affaires, félicitations, parce que vous travaillez peu, vos coûts sont limités, et néanmoins vous rendez de fiers services à vos clients. Vous avez identifié qqn qui cherchait des tomates et ne savait où s’en procurer, et un agriculteur qui avait un stock sans trouver preneur. L’acheteur aurait dû renoncer à faire ses sauces, le vendeur aurait vu se gâter ses fruits. N’est-il pas normal qu’ils rémunèrent votre intervention ? Ils n’auraient pas traité avec vous si vos conditions n’étaient pas à leur avantage.
==> Où voyez-vous que je me suis engagé dans la transformation du monde en achetant et en revendant mes tomates (que je n'ai même jamais vu)?
N’est-ce pas rendre le monde meilleur que de rendre service aux gens ?
==> Où voyez-vous qu'en achetant et revandant mes Tomates, j'ai produit de la richesse? Je suis moi devenu plus riche, ça oui. Mais j'ai bien l'impression d'avoir réussi à rouler celui qui me les a acheté et d'avoir donc simplement pris de Sa richesse.
Le commerce produit de la richesse puisqu’il met à la disposition des gens des produits venus de loin, pondéreux, difficiles à manier, etc. Personne ne vous empêche d’enfourcher votre vélo et de battre la campagne pour ramener un cabas de tomates. La plupart des gens préfèrent employer leur temps et leur énergie à d’autres activités. Si quelqu’un leur offre des tomates à des conditions intéressantes (sinon ils n’achèteraient pas), que leur importe que cette personne n’ait eu pour se les procurer qu’un coup de téléphone à passer ?
==> Je suis d'accord. Nous sommes légitimes possesseurs de la richesse que nous produisons.
Tant mieux.
Mais je n'ai pas l'impression d'avoir produit le moindre gateau nouveau avec mes tomates. Le problème, c'est donc lorsque nous échangeons nos part de gateaux. Certains en recoivent plus qu'ils n'en donnent. Et cela s'appellera toujours un échange injuste. Car encore une fois, ce n'est pas parce que les deux parties acceptent l'inégalité qu'elle cesse d'être injuste.
Comme j’ai démonté trois fois déjà votre sophisme qu’un échange doit porter sur des valeurs égales, je vais devenir plus agressif.

Tout échange porte nécessairement sur des valeurs inégales, sinon il n’aura pas lieu. Si je tends à ma boulangère un billet de 10 euros et je lui demande de me donner un billet de 10 euros, elle me regardera d’un air interloqué, sinon soupçonneux, elle me croira fou ou faux-monnayeur.

Maintenant si je demande à ma boulangère d’échanger un billet de 200 euros pour la même somme en petite monnaie, ma boulangère refusera. Pourquoi ? 200 euros ne valent-ils pas 200 euros ? l’échange n’est-il pas juste ?

Il est sans doute juste, mais il est idiot. Pourquoi ? parce qu’il est égal, encore une fois, donc il ne présente aucun intérêt. Ma boulangère préfère garder sa petite monnaie, qui dans son commerce vaut plus que des gros billets. Ma boulangère, qui est une femme sensée, n’échange que des valeurs inégales, du pain contre des euros, parce que les euros, pour elle, valent plus que le pain.

Mon billet de 10 euros, en revanche, vaudra moins que du pain si j’ai faim. Et si j’ai vraiment très faim, je serai prêt à échanger ce billet de 10 euros pour un quignon et un verre d’eau. Essayez de me dire que je me fais rouler, que je devrais garder ce billet dans ma poche, etc., et je vous cogne. Je donnerai même 20 euros pour ne pas mourir de faim. Pas vous ?

Si vous n’avez pas compris que nous échangeons toujours des valeurs inégales, mon cher Markos, vous n’avez rien compris à l’économie. Je dirai même plus : vous n’avez rien compris à l’action humaine. Car toute action humaine vise à substituer un état de choses plus satisfaisant à un autre qui l’est moins (dans l’esprit de celui qui agit), c'est-à-dire à échanger des valeurs inégales, c'est-à-dire à créer du profit.

Bien sûr, celui qui agit peut se tromper. Son action peut conduire à empirer sa situation. Mais au moment où il prend l’initiative d’agir, il vise un profit, c'est-à-dire un échange inégal, sinon il n’agirait pas.
Je crois qu'il faut faire une très grande différence entre ce que l'on peut appeler l'entreprise et la spéculation. La première crée de la richesse (en transformant une matière, en offrant un réel service), la seconde ne fait que gonfler les prix de manière artificielle pour soutirer des profits supplémentaires
Le richissime américain Bernard Baruch, qui fut conseiller de Roosevelt, etc., avait coutume de dire : « quand j’ai commencé dans les affaires, on me traitait de spéculateur ; ensuite on m’appelait financier ; maintenant on me déclare banquier ; mais toute ma vie, j’ai fait la même chose. »

Vous avez une vision tout à fait fausse des affaires. Il existe très peu de purs spéculateurs. Ils sont vite éliminés (traders die broke est un vieux dicton de Wall Street). Mais il existe un très important marché de produits financiers, bourses de matières premières, marchés à terme, produits dérivés, etc., dont la fonction est de permettre aux agriculteurs et aux industriels de reporter sur des financiers certains risques de leur activité. Je vous en ferai la démonstration une autre fois, cet article devenant trop long déjà.

Cordialement,

Christian



[align=center]They say hard work never killed anyone, but why take the risk?[/align]

Faire travailler les autres

par Markos » sam. 06 janv. 2007, 3:26

Bonjour Christian,

Je n'ai guere eu le temps d'analyser tout le texte en détail. Ceci dit il est intéressant (comme le site).
Il me semble qu'on y retrouve beaucoup d'arguments que vous aviez avancé dans le message auquel j'ai répondu.
Vous comprendrez qu'il m'est assez difficile d'imaginer à partir de là quels seraient vos réponses à mes arguments pour ensuite y répondre moi-même... Je risque de commencer à dialoguer tout seul et ca n'en finirait plus! :blink:
Si vous pouviez donc présenter un texte qui soit davantage en relation avec les objections que j'ai avancé, cela serait plus profitable pour tous, je crois.

Quelque remarque (de surface - j'aborderai peut-être le fond plus tard)

Je vous cite :
"Dans la Nature, il n'y a pas de « bien commun ». L'air ou la lumière du Soleil ne sont pas des biens. On ne peut leur assigner aucune valeur ; ça vaut combien, la lumière du Soleil ?"
==> Sur le Bien commun, a priori, je ne suis pas en desaccord avec vous. Mais ma lecture m'a fait surgir une question, que je laisse ouverte : Et que penser de l'eau ?

"La capacité d'invention de l'homme co-créateur surmonte la prétendue finitude du monde. [...]
Dieu nous a donné Sa Création et comment douter que ce don de Dieu, ce don de l'Amour, soit abondant."

==> Prétendue finitude du monde? J'ai pourtant bien l'impression que seul Dieu est infini! Et il y a certes une différence entre abondant et infini.

"Or, je pense que les hommes et les femmes d'affaires, plus que tous les autres humains, sont aujourd'hui les continuateurs directs de l'œuvre de Dieu.
Et, évidemment, Dieu appelle à être Ses co-créateurs plus particulièrement ceux qui sont les plus actifs, les plus engagés, dans la transformation du monde, c'est-à-dire les hommes et les femmes d'affaires.
Car, regardez autour de vous, ceux qui transforment le monde, qui construisent, qui transportent, qui font circuler l'information, qui habillent, qui nourrissent, ce ne sont pas les prêtres, ni les militaires, ni les politiciens, ni les intellectuels .. Tout, ou presque, que vous voyez autour de vous, a été fabriqué et vous est apporté par des hommes et des femmes d'affaires."
==> Donc si je vous comprends bien, ceux qui accomplissent le mieux la volonté de Dieu sur cette terre ce sont les hommes d'affaires.
Etes-vous donc dans une secte où les "prêtres" sont les businessmen, où Dieu est le Monde et où la finalité de l'humanité est de produire et d'échanger des biens? Vous avez en effet votre clergé, votre théologie et votre Bien Suprême. :lol:

Par ailleurs, dans ce texte, vous jouez sur une ambiguité (un petit peu de question de fond en passant).
Qu'est-ce que "faire des affaires"?
"Faire des affaires, c'est vendre un produit ou un service plus cher qu'il ne coûte et mettre le bénéfice ainsi réalisé à l'abri du fisc" (je passe sur la pique au fisc).
==> Selon votre définition, si j'achéte par correspondance 200 tonnes de tomates et que je les revends la même journée 3 centimes le kilo plus cher, j'ai fais des affaires. (Ou si j'ai pris 200 actions d'une entreprise et que très peu de temps après je les revende). Est-ce bien cela?
Si oui, pb:

"Et, évidemment, Dieu appelle à être Ses co-créateurs plus particulièrement ceux qui sont les plus actifs, les plus engagés, dans la transformation du monde, c'est-à-dire les hommes et les femmes d'affaires."
==> Où voyez-vous que je me suis engagé dans la transformation du monde en achetant et en revendant mes tomates (que je n'ai même jamais vu)?

"Faire des affaires, c'est produire des biens économiques, générer de la richesse"
==> Où voyez-vous qu'en achetant et revandant mes Tomates, j'ai produit de la richesse? Je suis moi devenu plus riche, ça oui. Mais j'ai bien l'impression d'avoir réussi à rouler celui qui me les a acheté et d'avoir donc simplement pris de Sa richesse.

"Et parce que toute richesse est produite par quelqu'un, ce quelqu'un, le producteur, est le propriétaire naturel de cette richesse."
"La réalité est qu’il n'y a pas qu'un seul gâteau à se partager, il y en a autant que nous voulons en fabriquer"
==> Je suis d'accord. Nous sommes légitimes possesseurs de la richesse que nous produisons. Mais je n'ai pas l'impression d'avoir produit le moindre gateau nouveau avec mes tomates. Le problème, c'est donc lorsque nous échangeons nos part de gateaux. Certains en recoivent plus qu'ils n'en donnent. Et cela s'appellera toujours un échange injuste. Car encore une fois, ce n'est pas parce que les deux parties acceptent l'inégalité qu'elle cesse d'être injuste.
Car suivons ce principe : quelqu'un de bien "endoctriné" peut croire que le vol d'une pomme mérite la mort (on a vu des croyances plus absurdes). Si tel est le cas, s'il est amené à voler une pomme et qu'il est pris, il acceptera la sentence. Le juge, le volé et le voleur seront donc d'accord que la justice sera rendu (même si le voleur aurait préféré ne pas être pris). Est-ce que pour autant on peut dire qu'il est juste que la "rémunération" du vol de pomme ce soit la mort?


Je crois qu'il faut faire une très grande différence entre ce que l'on peut appeler l'entreprise et la spéculation. La première crée de la richesse (en transformant une matière, en offrant un réel service), la seconde ne fait que gonfler les prix de manière artificielle pour soutirer des profits supplémentaires (ce que j'appelle - depuis que vous m'en avez glissé l'idée - "pomper").

Et pour répondre à la question de votre texte : oui, on peut "faire des affaires" sans avoir des mains sales, si ces affaires sont propres : cad pas "spéculatives", et si elles respectent la justice.
Je précise donc que je ne suis pas plus marxiste que libéral. Ce sont pour moi deux erreurs. L'une parce qu'elle est trop collectiviste, l'autre parce qu'elle croit en une justice immanente au libre marché.


Mais n'oubliez pas de penser aussi à mon précédent message. :)

Amicalement,

par Christian » sam. 06 janv. 2007, 1:46

Bonjour à tous,

Je souhaitais apporter une réponse trapue à l’intervention de Markos, :) mais une foultitude d’urgences s’est abattue sur mon bureau avec la nouvelle année. Tout ce que j’aurais à dire, cependant, se trouve déjà dans un texte (il s’agit d’une conférence) publié icisous le titre « Peut-on faire des affaires sans se salir les mains ? ».

Je serai curieux d’avoir vos réactions.

Cordialement

Christian





[align=center]If you can't annoy somebody, there's little point in writing.
Kingsley Amis[/align]

par Christian » jeu. 04 janv. 2007, 11:36

Bonjour Christophe,
Est-ce donc tellement problématique qu'aucune institution humaine (Gosplan, comité d'experts, majorité ou marché) ne soit reconnue comme pleinement compétente pour déterminer l'utilité d'un travail particulier ou définir ce qu'est fondamentalement un besoin social ?
Ce n’est nullement problématique puisque le marché fait apparaître les besoins sociaux et donne une utilité à notre travail.
Un concept ne trouve grâce à vos yeux que s'il est immédiatement utilisable et transposable dans l'ordre social (ex. : droit, bien commun, valeur, etc.). Je ne partage pas votre idéalisme (le messianisme politique, libéral dans votre cas), car le Royaume du Christ n'est pas de ce monde.
Lorsqu’on aborde des questions comme la politique, qui met en jeu la vie de millions d’êtres humains, la guerre et la paix, la misère et la prospérité, la civilisation et la barbarie, je ne pense pas qu’on puisse s’en tenir à de vagues bonnes intentions. Il faut oser des solutions concrètes. On est d’autant plus fondé de les proposer qu’elles sont pacifiques. Mais le marché, s’il est un modèle de société douce, ne cherche pas la perfection. Il est un constant tâtonnement. Il est donc pleinement de ce monde.
je suis pour une certaine tolérance du travail inutile. Pas vous ?
Si, mais il faut nous entendre sur cette notion d’utilité. Le marché n’est pas la somme des transactions marchandes, mais l’ensemble des transactions (dons et échanges) entre partenaires consentants. C’est le consentement, pas le caractère vénal, qui est le marqueur. Puisque personne ne nous y contraint, cette conversation que nous poursuivons fait partie du marché. Nous y trouvons tous deux une certaine utilité (plaisir, intérêt, ou autre satisfaction nullement mesurable en termes monétaires, mais bien réelle, sinon cet échange n’aurait pas lieu). En revanche, le questionnement du douanier tout à l’heure sur la route de Genève était bien hors marché. Nul doute que le douanier y a trouvé un plaisir malsain de petit chef, mais je n’étais nullement consentant ; son salaire est payé par des contribuables nullement consentants eux non plus (sinon il n’y aurait aucun besoin de rendre l’impôt obligatoire, avec vérifications à la clé) ; et la seule utilité — paradoxale — que j’ai trouvée à cet échange est de pouvoir vous montrer combien il est nuisible.

Il n’existe donc pas de travail ‘inutile’. Ce serait d’ailleurs un bien grand péché que de gâcher le temps et les talents que Dieu nous a donnés. Il existe, en revanche, beaucoup d’activités non rémunérées, que nous accomplissons pour notre plaisir, intérêt, gratification, etc., d’autres auxquelles nous nous livrons pour le plaisir ou l’utilité d’autrui (l’éducation de nos enfants, l’aide aux plus défavorisés, etc.), et ces activités (joyeusement) consenties doivent être mieux que ‘tolérées’ — encouragées.
un travail utile au bien commun est un travail qui oeuvre à promouvoir cette dignité, notamment dans ses aspects les plus pratiques en répondant à ses besoins fondamentaux, en rapport avec la nature même de l'homme. Voilà pour la détermination de l'utilité du travail utile et la définition d'un besoin social. Désolé de ne pas vous fournir un kit pratique d'évaluation de la valeur d'un bien, mais seulement une définition très "théorique".
A ce niveau d’abstraction, cher Christophe, je ne saurais être en désaccord avec vous. Je constate que des transactions entre adultes consentants respectent leur dignité, sans doute mieux que lorsqu’on les force à faire ce qu’ils ne veulent pas.
"il semble que [...] le libre marché [soit] l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins", il faut néanmoins émettre, à la suite du même Jean-Paul II, un certain nombre de réserves à l'encontre de ce même marché : son efficacité ne vaut que pour les besoins solvables, certains biens sont intrinsèquement non-marchands, le marché nécessite d'être régulé...
Comme je l’ai mentionné plus haut, la distinction entre transactions marchandes et celles à but non lucratif n’est pas pertinente. Car elle place dans le même sac l’activité de l’Etat, celles de l’Eglise et celles d’un club de pétanque. Manifestement, ces transactions n’ont rien en commun. Il est plus éclairant, à mon avis, de confronter les activités consenties et celles que nous effectuons sous la contrainte d’autres hommes.

A la suite de nombreux libéraux, on peut dire qu’il existe deux moyens de faire circuler les biens dans une société :

- par la violence, ou la menace de la violence, ce qui est le fait des arracheurs de sacs, des mafias et des hommes de l’Etat. Mais dans une société comme la nôtre, la criminalité de droit commun est heureusement marginale, alors que près de 50% du PIB passe par l’Etat ; on peut donc dire que cette contrainte est le moyen politique de faire circuler les biens

- par l’échange et par le don, qui forment le moyen économique, celui du marché, de faire circuler la richesse
Donc, oui le libre marché est un bon moyen de fixer des prix, une valeur marchande qui dans une certaine mesure (et dans une certaine mesure seulement) reflète la valeur authentique des biens. Mais, de grâce, n'allons pas au-delà, et n'idolâtrons pas le marché ! Admettons qu'il n'existe (peut-être) pas d'institution humaine capable de mesurer de façon quantitative, avec un étalon monétaire, la valeur d'un bien et la richesse d'une nation. En dernière instance, Dieu jugera.
Sur ces dernières paroles, notre accord est entier. Je n’idolâtre pas le marché. Je pense simplement qu’il n’est pas compatible moralement avec d’autres systèmes économiques, de même que l’on peut, me semble-t-il, sans idolâtrer l’honnêteté et la fidélité, affirmer qu’elles sont incompatibles avec l’escroquerie et la trahison.

La question de la valeur et du prix mérite un long développement. Je l’apporterai dans une réponse à la récente intervention de Markos. :)

Bien à vous,

Christian


[align=center]C'est n'être bon à rien de n'être bon qu'à soi.
Voltaire[/align]

par Markos » mer. 03 janv. 2007, 1:59

Bonjour Christian,
Christian a écrit : Le Droit a pour but unique de protéger les personnes contre l'agression physique d'autrui
D'une manière plus générale, le droit doit préserver de l'injustice, quelqu'elle soit. L'injustice est une infraction au droit. Mais on peut commettre une injustice même sans agresser physiquement une personne. En la diffamant, par exemple.

Sur le fond de la question qui nous sépare :
la justice ne dépend pas de notre volonté, mais nous devons nous y soumettre (comme à la vérité).
Dont acte également. Nous sommes entièrement d’accord sur ce point.
==> Le seul problème, c'est qu'après avoir admis le principe, vous concluez sur le contraire lorsque vous dites que la règle de la justice d'un échange, c'est le consentement mutuel.


Revenons aux principes. Oublions un peu le libéralisme et examinons froidement les concepts.

Un échange n'est juste que si aucune des deux parties n'est flouée.
Aucune n'est deux parties n'est flouée si (et seulement si) chacun donne autant (l'un donne autant que ce qu'il reçoit de l'autre).
Il faut donc qu'il y ait stricte égalité de valeur entre les biens échangés.

Et c'est pour permettre cette mesure universelle de la valeur des biens, quels qu'ils soient, que la monnaie a été inventée.

Vous répondez en disant qu'il y a toujours égalité, car, à partir du moment où il y a consentement mutuel, c'est bien que tous les deux considérent qu'il y a équivalence entre les biens.
Et c'est là que je vous rappelle le principe que vous aviez admis : la justice ne dépend pas de notre volonté. Ou encore, comme vous le dites, qu'il faut distinguer l'impression de justice et la justice réelle. Puisque la volonté - ou l'impression - ne peut fonder un jugement sur la justice, il n'est pas possible de le fonder sur le consentement mutuel (qui est bien une volonté).
Comment sortez-vous de cette contradiction?

Peut-être allez-vous me dire que ce n'est pas la justice qui dépend de la volonté de chacun, mais la valeur marchande de l'objet : comme lorsque l'on se demande "combien suis-je prêt à payer pour ceci ou cela?".
En réalité, en faisant cela, on cherche à savoir quelle valeur a l'objet et quel serait donc le juste échange. Mais une estimation ne crée pas la valeur réelle de l'objet, par plus que la mesure de mon salon n'en crée les dimensions. Elle essaie de les découvrir. Autrement dit, la valeur de l'objet existe avant mon estimation. Mon jugement subjectif (estimation) peut être faux (surestimé, par ex.). Et à partir de ce jugement, un consentement avec le vendeur (sur le prix) peut aussi avoir lieu (il aura trouvé un "pigeon"). Mais tous ces jugements, qui sont bien subjectifs, ne saurait fonder la justice. Car la justice ne dépend pas de notre volonté, comme vous l'aviez reconnu. Et, en l'occurence, comme le prix effectif sera supérieur à la valeur réelle de l'objet, l'échange sera injuste, et cela serait encore vrai même si aucune des deux parties n'en avait conscience.
Ignorer une injustice ou y consentir ne la rend pas juste.
La justice n’est pas une affaire de résultats, mais de règles.
Je peux vouloir échanger deux billets de 20 euros pour un billet de 10 (parce que je suis un peu idiot). Cela ne fera pas de mon échange un échange juste.
Si. L’échange sera juste, de même qu’un auto goal au foot donne un point tout à fait valide à l’adversaire. Dans les deux cas, la règle est respectée, donc le résultat est juste, par définition. Vous et moi déplorons ce résultat, mais comme vous dites plus haut, la justice ne dépend pas de notre volonté.
(A propos du Foot, vous comparez ce qui n'est pas comparable : un terrain de foot n'est pas un marché. Il ne s'y produit aucun échange de produits - des échanges de balles ou de maillots, au mieux - et il est donc naturel que les rêgles ne soient pas les mêmes).

Vous dites :
La règle de la justice économique, c'est le consentement mutuel. (1)
Est juste ce qui est conforme à la règle (2)
Donc le marché n'est jamais injuste. (3)

(1) est faux (voir ci-dessus)
(2) est faux car la règle n'est pas juste (cf. 1).
Donc (3) est faux.

Mais c'est ce raisonnement qui vous permet de déclarer sans sourciller qu'il est juste de spolier les idiots. L'ennui, c'est que s'il est juste de tirer parti des faiblesses des autres, il est juste que "le fort gouverne le faible". Et on en revient à un de mes premiers messages où je comparais la loi du marché à la loi du plus fort (car le "fort" peut toujours soutirer le consentement au "faible", ne serait-ce que par manipulation, pression ou intimidation - pas nécessairement par agression physique - et donc en dehors du recours possible du Droit tel que vous l'avez défini à Christophe). Tout ceci m'a rappelé une ancienne lecture que je vous conseille en passant, le Gorgias de Platon.

nous sommes sous l'occupation, avec restriction des vivres. Quelques épiciers ont encore du beurre à vendre. Selon la loi du marché, il est normal qu'ils le vendent aux plus offrants, même si (et surtout si) ils trouvent acquéreur à 100 euros la motte. Mais cela serait-il juste?
Même sous l’Occupation, qui ne fut pas idoine pour le marché, cette transaction que vous décrivez est juste, et j’ajouterai : non seulement juste, mais socialement nécessaire.

Imaginons les alternatives : La demande pour le beurre dépassant largement son stock disponible, le commerçant (on les appelait ‘bof’ à l’époque, Beurre-Œufs-Fromages) peut distribuer une lichette par tête de pipe (en admettant qu’il ait assez même pour ces portions congrues), il peut procéder à un tirage au sort, il peut servir uniquement les membres de sa famille, ou les aryens blonds, ou ses coreligionnaires, il peut échanger son beurre pour des faveurs sexuelles, le troquer pour d’autres produits, etc.
Je ne vois pas en quoi il est moins effarant de reserver son beurre aux riches qu'aux nazis. Dans les deux cas, s'opére une discrimination. L'alternative juste est pourtant simple : le commercant vend son beurre à son juste prix (sans le gonfler artificiellement) au premier qui le peut (sans autre discrimination. Car il est là pour cela, vendre - et non spéculer sur la rareté). Et en cas de longues pénuries, la justice serait même que l'on tienne compte de ceux qui ont déjà acheté pour permettre aux autres de s'en pourvoir aussi (afin que ce ne soit pas non plus simplement "au plus rapide", mais surtout en fonction des besoins).
Mais revenons à notre beurre. Toutes les solutions que j’ai énumérées, pour justes qu’elles soient, n’ont aucun effet d’entraînement sur la production de beurre. Si chacun produit pour sa famille ou pour la plus jolie fille du village, il n’a guère besoin d’investir. Mais si la motte de beurre, à cause de la pénurie, se négocie à 100 euros la motte, nul doute que les vaches vont faire l’objet de soins attentifs. [...]
Voilà pourquoi, cher Markos, ce prix exorbitant est non seulement juste, mais socialement nécessaire si l’on souhaite réellement faire baisser le cours du beurre pour que les plus pauvres aussi en mettent dans leurs épinards.
Vous trouvez les vertus là où elles ne sont pas. Ce qui amène à prendre soin des vaches, c'est la rareté, ce n'est pas le prix. Car, quelque soit le prix, il y aura le même nombre de personnes qui n'en profiteront pas. Simplement, ce ne seront pas les mêmes.
L'augmentation du prix n'augmente pas la quantité du produit (l'échange ne produit pas de richesses, on y reviendra).
Et je rappelle que le but premier de la production de lait n'est pas de faire baisser le cours, mais de nourrir les gens (autrement dit, vous trouvez dans le libéralisme une vertu médicinale à un problème dont il est l'origine : c'est certes mieux que rien, mais ce serait encore mieux s'il ne créait pas du tout ce problème).
Toutes ces options, si acceptées, sont justes (même si certaines choquent notre morale). Et j’affirme cette justice en m’appuyant sur votre propre définition : La justice d'un échange, c'est que celui qui donne recoive l'équivalent de ce qu'il a donné. Celui qui a accepté l’offre du commerçant, à l’évidence, a considéré que ce qu’il donnait était équivalent à la motte de beurre.
On a donc la confirmation que, selon vous, l'acceptation vaut justice (au contraire du principe selon lequel la justice ne dépend pas de notre volonté).
Et on voit également que vous ne faites plus ici la distinction, pourtant fort utile, entre impression et réalité : considérer que les biens sont de mêmes valeurs n'implique pas forcément que tel est le cas en réalité.
(Rectification : celui qui donnait jugeait qu’il donnait moins que la motte de beurre qu’il recevait, sinon il n’aurait pas pris la peine de procéder à l’échange, de même que le commerçant jugeait que ce qu’il recevait valait plus que de conserver le beurre dans son frigo. C’est un simple rappel d’une vérité élémentaire : dans tout échange, nous échangeons des valeurs inégales, sinon on ne voit pas pourquoi l’échange aurait lieu, et c’est cette inégalité qui permet de dire que chaque partie sort gagnante de l’échange, compte tenu des circonstances de chacune).
Je dois vous dire d'abord que j'apprécie d'échanger avec vous sur ce sujet, parce que j'apprends certaines choses. Même si j'en suis en désaccord complet (et peut-être à cause de cela - et d'une certaine naïveté, sans doute), je n'imaginais pas possible d'affirmer ce que vous déclarez ici. Mais cela m'a permis de mieux saisir le coeur du libéralisme.
Assez bêtement, je pensais que l'on échangeait parce que l'on avait besoin de ce que l'on achetait, et que l'acheteur du pot de beurre avait tout simplement faim. Mais non, vous m'apprenez qu'en fait il cherchait à s'enrichir, en donnant moins que ne valait le pot.
(Le cas du commercant n'est guère différent, si ce n'est que faisant une prestation (un travail utile), il est normal qu'il se fasse retribué : mais il vend parce qu'il a besoin d'argent pour vivre).

Vous comprendrez, je crois, que l'on touche là du doigt ce qui fait, selon moi, le vice central du libéralisme : il ne comprend pas que les échanges ne créent pas les richesses!

La richesse n'est pas le fruit des échanges, il en est l'objet.

La règle élémentaire que vous me donnez est la règle de la spéculation (cad de la spoliation masqué de la richesse d'autrui), pas de la saine économie. Car qu'est-ce qu'acheter un produit dont on n'a pas besoin pour le revendre plus cher sinon spéculer? Et qu'est-ce que spéculer, sinon augmenter atrificiellement la valeur réelle d'un objet (en en augmentant le prix) pour recevoir plus qu'il ne vaut, et ainsi "voler" l'acheteur? (Souvenez-vous de la "pompe aspirante" :) )
D'ailleurs, au fond, vous le savez : lorsque l'échange se fait entre valeurs trop visiblement inégales, l'une des parties a tout de même bien l'impression de "s'être fait roulé"! Ce qui prouve que ce n'est pas l'inégalité qui est recherché dans la plupart des échanges, sauf lorsqu'on veut en faire un moyen de s'enrichir. Là, comme l'échange ne crée rien, il faut une inégalité.
Mais c'est une erreur de croire que les deux parties sont réellement gagnantes. Le seul gagnant est celui qui a réussi à acheter moins cher que cela ne vaut ou à vendre plus cher. L'autre partie, toute consentante qu'elle soit, s'est fait avoir.
Vous me direz que si elle avait faim, elle a été bien contente d'avoir une motte de beurre, même un peu plus cher. Certes, mais je vous assure qu'elle aurait préféré l'avoir au juste prix si cela avait été possible. Ce qui montre bien qu'elle n'est pas gagnante. Seulement une perdante qui en a pris son parti (car que peut-elle faire d'autre que d'acheter ce beurre? Elle ne va pas se laisser mourrir de faim pour refuser une injustice - d'où, encore une fois, la très grande relativité de cette notion de "consentement mutuel").


A propos du "travail utile", la réponse à votre question est simple : il est utile s'il répond à un besoin ou si quelqu'un se propose de l'acheter. Pour autant cela n'implique pas le libéralisme.
S'il le veut, il doit évidemment en payer le prix. Mais pour que l'échange soit juste, (sans que personne ne se fasse voler), il doit donner en échange l'équivalent de l'objet sous forme de monnaie. La valeur ne dépend toujours pas du consentement mutuel.


Amicalement,

Travail utile

par Christophe » mer. 03 janv. 2007, 1:02

[align=justify]Détermination de l'utilité du travail ; Définition d'un besoin social

Est-ce donc tellement problématique qu'aucune institution humaine (Gosplan, comité d'experts, majorité ou marché) ne soit reconnue comme pleinement compétente pour déterminer l'utilité d'un travail particulier ou définir ce qu'est fondamentalement un besoin social ? Vous partagez avec Marx (si si :twisted: ) au moins une chose : vous aimez à ce que votre philosophie trouve une application concrète qui soit en parfaite adéquation avec elle. Un concept ne trouve grâce à vos yeux que s'il est immédiatement utilisable et transposable dans l'ordre social (ex. : droit, bien commun, valeur, etc.). Je ne partage pas votre idéalisme (le messianisme politique, libéral dans votre cas), car le Royaume du Christ n'est pas de ce monde.

Comme autorité morale, je dirais que l'Église est l'institution terrestre la mieux placée pour juger des critères d'utilité du travail et définir un besoin social. Mais qu'importe que l'on soit d'accord avec moi ou pas sur ce point précis : je suis - et je partage en cela la position de l'Église - favorable à la reconnaissance civile du droit à la liberté économique, en particulier la liberté d'entreprendre, qui est une liberté d'user et - dans de justes limites - de mésuser. Bref, je suis pour une certaine tolérance du travail inutile. Pas vous ? :oops: (Néanmoins, et puisque je reconnais des justes limites, j'admets également qu'il serait parfaitement licite de prohiber des activités dégradantes pour l'être humain...)

Si l'on admet, avec l'Église, que le critère ultime du discernement moral en matière sociale est le respect de la dignité de la personne alors un travail utile au bien commun est un travail qui oeuvre à promouvoir cette dignité, notamment dans ses aspects les plus pratiques en répondant à ses besoins fondamentaux, en rapport avec la nature même de l'homme. Voilà pour la détermination de l'utilité du travail utile et la définition d'un besoin social. Désolé de ne pas vous fournir un kit pratique d'évaluation de la valeur d'un bien, mais seulement une définition très "théorique".

Le marché

En reconnaissant prudemment, à la suite de Jean-Paul II (cf. Centisimus annus) qu'"il semble que [...] le libre marché [soit] l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins", il faut néanmoins émettre, à la suite du même Jean-Paul II, un certain nombre de réserves à l'encontre de ce même marché : son efficacité ne vaut que pour les besoins solvables, certains biens sont intrinsèquement non-marchands, le marché nécessite d'être régulé...

Si seul le travail utile est créateur de richesse, et de biens de valeur, cela ne signifie pas que la valeur de tout bien puisse être converti en monnaie sonnante et trébuchante. Si le niveau de développement - donc la richesse - d'une nation se mesure à l'aune du respect de la dignité humaine, à combien devons nous évaluer notre propre civilisation ?
Donc, oui le libre marché est un bon moyen de fixer des prix, une valeur marchande qui dans une certaine mesure (et dans une certaine mesure seulement) reflète la valeur authentique des biens. Mais, de grâce, n'allons pas au-delà, et n'idolâtrons pas le marché ! Admettons qu'il n'existe (peut-être) pas d'institution humaine capable de mesurer de façon quantitative, avec un étalon monétaire, la valeur d'un bien et la richesse d'une nation. En dernière instance, Dieu jugera.

Amicalement
Christophe

PS : J'avais préparé une réponse à votre première réponse, mais une erreur de manipulation me l'a fait perdre. J'y répondrai donc plus tard.[/align]

par Christian » mar. 02 janv. 2007, 19:04

Christophe, :)

Un dernier propos avant d’aller au cinéma :
c'est le travail utile (c'est-à-dire répondant à un besoin social) qui crée la richesse.
Marx, qui utilise la même formulation que vous a rencontré le même problème : qui détermine l’utilité du travail ? qui définit un besoin social ? :?:

Le Gosplan ? un comité d’experts ? une majorité ? Il me semble que ceux qui sont les mieux placés pour savoir ce qui leur est utile sont les acheteurs. Après tout, ils jugent tellement utile le résultat du travail d’autrui qu’ils le paient de leurs deniers. C’est une référence plus crédible que l’avis d’un ministre.

En plus, nous savons que ce travail là crée vraiment la richesse. Les ministres qui décident de l’achat d’armements, de dépenses de prestige, de subventions pour tel ou tel groupe social plus braillard ou activiste que les autres, ne créent pas de la richesse (plutôt du gâchis ou de la dépendance).

Donc si vous concluez que le travail utile, c’est celui qui produit un bien ou un service vendable sur le marché, je suis d’accord avec vous.

Cette constatation me rend tout guilleret.

Bonne soirée

Christian




[align=center]De chacun selon ses capacités
à nous selon nos besoins

Devise de tous les gouvernements du monde[/align]

par Christian » mar. 02 janv. 2007, 17:31

Bonjour Markos,
Ce n'est pas parce que les arbitrages privés se pratiquent dans le négoce international que cela prouve qu'il est meilleur.

Au fond, dans un premier temps, peu m'importe que le privé arbitre, s'il arbitre bien.
La pratique même de l’arbitrage prouve que le requérant et le fautif présumés préfèrent tous deux cette solution à la justice d’Etat. N’est-ce pas dans la circonstance une définition du ‘meilleur’ ? Si l’arbitrage (ou justice privée) était permise sur le territoire national, il est fort possible qu’un grand nombre de conflits y seraient adjugés. Comme vous dites, peu importe qui juge, privé ou étatique, pourvu que son verdict restaure la paix entre les parties.
certains ne sont pas payés de leur travail parce qu'ils fournissent un produit qui n'était voulu par personne.
Ici donc, je suis d'accord avec vous.
Dont acte.
la justice ne dépend pas de notre volonté, mais nous devons nous y soumettre (comme à la vérité).
Dont acte également. Nous sommes entièrement d’accord sur ce point. La justice n’est pas une affaire de résultats, mais de règles. Il faut ici distinguer entre, d'une part, le sentiment de justice qui fait que nous souhaitons la victoire de la jeune joueuse inexpérimentée contre sa rivale chevronnée, des David contre les Goliath, des enfants de lumière contre les malins, et, d'autre part, le concept de justice, qui est sec, frustrant, impersonnel, qui va souvent contre nos préférences, mais qui est notre protection à tous. Avec des sentiments, on lynche ; on ne rend pas la justice.

La justice fait acception des personnes, le salaud peut avoir raison, mon frère peut avoir tort, les pauvres peuvent l’être en toute justice. Dura lex, sed lex.

C’est pourquoi une autre vertu, la charité, doit corriger ce que la justice a d’inflexible.
Je peux vouloir échanger deux billets de 20 euros pour un billet de 10 (parce que je suis un peu idiot). Cela ne fera pas de mon échange un échange juste.
Si. L’échange sera juste, de même qu’un auto goal au foot donne un point tout à fait valide à l’adversaire. Dans les deux cas, la règle est respectée, donc le résultat est juste, par définition. Vous et moi déplorons ce résultat, mais comme vous dites plus haut, la justice ne dépend pas de notre volonté.

On pourrait espérer que l’autre partie d’une transaction ‘idiote’ signale l’égarement, et beaucoup le font (de même qu’un joueur peut laisser rejouer un point malheureux), mais il fait acte de charité, pas de justice.

C’est bien parce que nous ne sommes jamais à l’abri d’une 'idiotie' que nous devons prendre conseil, nous informer avant toute transaction, et le marché encourage l’éducation des acteurs.
nous sommes sous l'occupation, avec restriction des vivres. Quelques épiciers ont encore du beurre à vendre. Selon la loi du marché, il est normal qu'ils le vendent aux plus offrants, même si (et surtout si) ils trouvent acquéreur à 100 euros la motte. Mais cela serait-il juste?
Même sous l’Occupation, qui ne fut pas idoine pour le marché, cette transaction que vous décrivez est juste, et j’ajouterai : non seulement juste, mais socialement nécessaire.

Imaginons les alternatives : La demande pour le beurre dépassant largement son stock disponible, le commerçant (on les appelait ‘bof’ à l’époque, Beurre-Œufs-Fromages) peut distribuer une lichette par tête de pipe (en admettant qu’il ait assez même pour ces portions congrues), il peut procéder à un tirage au sort, il peut servir uniquement les membres de sa famille, ou les aryens blonds, ou ses coreligionnaires, il peut échanger son beurre pour des faveurs sexuelles, le troquer pour d’autres produits, etc.

Toutes ces options, si acceptées, sont justes (même si certaines choquent notre morale). Et j’affirme cette justice en m’appuyant sur votre propre définition : La justice d'un échange, c'est que celui qui donne recoive l'équivalent de ce qu'il a donné. Celui qui a accepté l’offre du commerçant, à l’évidence, a considéré que ce qu’il donnait était équivalent à la motte de beurre.

(Rectification : celui qui donnait jugeait qu’il donnait moins que la motte de beurre qu’il recevait, sinon il n’aurait pas pris la peine de procéder à l’échange, de même que le commerçant jugeait que ce qu’il recevait valait plus que de conserver le beurre dans son frigo. C’est un simple rappel d’une vérité élémentaire : dans tout échange, nous échangeons des valeurs inégales, sinon on ne voit pas pourquoi l’échange aurait lieu, et c’est cette inégalité qui permet de dire que chaque partie sort gagnante de l’échange, compte tenu des circonstances de chacune).

Mais revenons à notre beurre. Toutes les solutions que j’ai énumérées, pour justes qu’elles soient, n’ont aucun effet d’entraînement sur la production de beurre. Si chacun produit pour sa famille ou pour la plus jolie fille du village, il n’a guère besoin d’investir. Mais si la motte de beurre, à cause de la pénurie, se négocie à 100 euros la motte, nul doute que les vaches vont faire l’objet de soins attentifs.

Voilà pourquoi, cher Markos, ce prix exorbitant est non seulement juste, mais socialement nécessaire si l’on souhaite réellement faire baisser le cours du beurre pour que les plus pauvres aussi en mettent dans leurs épinards.
la valeur marchande d'un objet (son prix) n'est pas le produit de ses acheteurs potentiels. L'apparition d'acheteurs n'a qu'un seul effet : le fait que l'objet possède désormais une valeur marchande (ils se proposent de l'acheter - donc de l'échanger contre de l'argent). Mais ce n'est pas à eux d'en fixer le montant (car la justice de l'échange ne dépend pas de leur volonté ni même de celle du vendeur).
Vous confondez la valeur et le prix. La valeur est une notion subjective. C’est elle qui nous fait dire d’un objet que nous ne nous en séparerons à aucun prix. Mais pour convertir la valeur en prix, il faut une contrepartie. Il n’appartient pas à l’acheteur de fixer le prix, ni au vendeur, mais à l’un et l’autre conjointement.
Et c’est bien parce que
[align=center]Valeur pour l’acheteur > prix > valeur pour le vendeur [/align]
que les deux parties ont réalisé un profit dans l’échange, chacun a obtenu une valeur supérieure au prix de la transaction.

Mais comme personne ne peut être dans la tête de l’acheteur ou dans celle du vendeur, comme personne ne peut vivre à leur place, il est impossible d’évaluer la valeur que l’un et l’autre attachent au bien échangé, et donc nous ne pouvons pas nous prononcer à leur place sur la justice de l’échange.

Ouf, après ces deux interventions, j’ai des crampes dans les doigts, je m’arrête ici. :online:

Bien à vous

Christian





[align=center]Mais le tout petit bourgeois sourd et aveugle reste bouffon sans le savoir. Encore miraculeusement à l'aise dans ses grasses prairies d'Occident, il crie en louchant sur son plus proche voisin: "Faites payer les riches!" Le sait-il seulement, mais enfin le sait-il! que le riche, c'est précisément lui, et que ce cri de justice, ce cri de toutes les révoltes, hurlé par des milliards de voix, c'est contre lui et contre lui seul que bientôt il s'élèvera.
Jean Raspail, Le Camp des saints, 1973[/align]

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