par etienne lorant » ven. 19 oct. 2012, 18:40
Ce sont trois particuliers qui ont saisi la justice turque. Ils s’estiment lésés par les prises de position de Fazil Say sur les réseaux sociaux. Agé de 42 ans, le virtuose du piano est un laïc convaincu. Il milite aussi contre le pouvoir du parti AKP du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qu’il accuse de vouloir islamiser la société. Dans sa défense écrite, Fazil Say assure qu’il ne voulait insulter quiconque, il affirme qu’il voulait dénoncer les personnes qui exploitent les valeurs religieuses de la population.
« Les problèmes de la Turquie proviennent en grande partie de la Constitution de 1982, imposée par la junte militaire de l’époque », explique le politologue Ali Kazancigil. « On attend toujours une nouvelle Constitution qui mette les droits de l’homme, les libertés fondamentales au-dessus des intérêts de l’Etat ». Un des articles du code pénal turc interdit le dénigrement, les critiques, les attaques contre les croyances des citoyens. C’est justement ce qu’on reproche à Fazil Say.
Le pianiste, qui est aussi compositeur, fait référence dans plusieurs de ses œuvres au drame qui a eu lieu dans la ville de Sivas en 1993. Une foule d’islamistes intégristes avait mis le feu à un hôtel où séjournaient des intellectuels laïcs, la plupart appartenant à la communauté alévie. Trente-sept d’entre eux ont perdu la vie. Le militantisme de Fazil Say irrite les conservateurs sunnites du gouvernement, à un moment où, pour des raisons électoralistes, le Premier ministre Erdogan, qui a perdu le soutien des Kurdes et des Alevis, se rapproche de plus en plus des nationalistes et des conservateurs.
Il y a aussi un autre facteur, sociologique, qui est essentiel aux yeux d’Ali Kazancigil. La république turque a été créée par les élites kémalistes, celles qui entouraient le père de la nation, Mustafa Kemal Atatürk, dans la première moitié du XXe siècle. Ces élites étaient partisanes d’une modernité à l’occidentale, alors que la grande majorité de la population, en Anatolie profonde, est restée en dehors de cette modernité, méprisée par les élites. Depuis les années 1980, et surtout durant ces dernières années, il y a eu un réveil social et économique en Anatolie.
Un besoin de revanche
Il existe maintenant dans la Turquie profonde un réseau très dense de PME et PMI, créé par des hommes d’affaires issus des mêmes milieux que les leaders de l’AKP. « Cette nouvelle élite est composée de conservateurs, qui sont aussi des puritains, ils ne supportent pas que leurs codes religieux, culturels et symboliques soient attaqués », souligne Ali Kazancigil. Chez Recep Tayyip Erdogan et chez d’autres dirigeants de l’AKP, il existe toujours un besoin de revanche, un besoin de se faire respecter dans leur être et leurs croyances.
La prochaine audience dans le procès de Fazil Say a été fixée au 18 février 2013. Le pianiste, qui est connu et apprécié dans le monde entier, s’est éloigné des réseaux sociaux depuis son inculpation. Il y a quelque mois il avait indiqué qu’il envisageait de s’exiler au Japon. « Si je suis condamné à la prison, ma carrière sera terminée », affirmait-il. Venu devant le tribunal avec une centaine de militants, des artistes pour la plupart, le sculpteur Mehmet Aksoy a exprimé son indignation : « Les procès de l'Inquisition étaient les mêmes. Ils interdisent tout ce qui pousse les gens à penser, ou même à rire. »
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Ce sont trois particuliers qui ont saisi la justice turque. Ils s’estiment lésés par les prises de position de Fazil Say sur les réseaux sociaux. Agé de 42 ans, le virtuose du piano est un laïc convaincu. Il milite aussi contre le pouvoir du parti AKP du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qu’il accuse de vouloir islamiser la société. Dans sa défense écrite, Fazil Say assure qu’il ne voulait insulter quiconque, il affirme qu’il voulait dénoncer les personnes qui exploitent les valeurs religieuses de la population.
« Les problèmes de la Turquie proviennent en grande partie de la Constitution de 1982, imposée par la junte militaire de l’époque », explique le politologue Ali Kazancigil. « On attend toujours une nouvelle Constitution qui mette les droits de l’homme, les libertés fondamentales au-dessus des intérêts de l’Etat ». Un des articles du code pénal turc interdit le dénigrement, les critiques, les attaques contre les croyances des citoyens. C’est justement ce qu’on reproche à Fazil Say.
Le pianiste, qui est aussi compositeur, fait référence dans plusieurs de ses œuvres au drame qui a eu lieu dans la ville de Sivas en 1993. Une foule d’islamistes intégristes avait mis le feu à un hôtel où séjournaient des intellectuels laïcs, la plupart appartenant à la communauté alévie. Trente-sept d’entre eux ont perdu la vie. Le militantisme de Fazil Say irrite les conservateurs sunnites du gouvernement, à un moment où, pour des raisons électoralistes, le Premier ministre Erdogan, qui a perdu le soutien des Kurdes et des Alevis, se rapproche de plus en plus des nationalistes et des conservateurs.
Il y a aussi un autre facteur, sociologique, qui est essentiel aux yeux d’Ali Kazancigil. La république turque a été créée par les élites kémalistes, celles qui entouraient le père de la nation, Mustafa Kemal Atatürk, dans la première moitié du XXe siècle. Ces élites étaient partisanes d’une modernité à l’occidentale, alors que la grande majorité de la population, en Anatolie profonde, est restée en dehors de cette modernité, méprisée par les élites. Depuis les années 1980, et surtout durant ces dernières années, il y a eu un réveil social et économique en Anatolie.
Un besoin de revanche
Il existe maintenant dans la Turquie profonde un réseau très dense de PME et PMI, créé par des hommes d’affaires issus des mêmes milieux que les leaders de l’AKP. « Cette nouvelle élite est composée de conservateurs, qui sont aussi des puritains, ils ne supportent pas que leurs codes religieux, culturels et symboliques soient attaqués », souligne Ali Kazancigil. Chez Recep Tayyip Erdogan et chez d’autres dirigeants de l’AKP, il existe toujours un besoin de revanche, un besoin de se faire respecter dans leur être et leurs croyances.
La prochaine audience dans le procès de Fazil Say a été fixée au 18 février 2013. Le pianiste, qui est connu et apprécié dans le monde entier, s’est éloigné des réseaux sociaux depuis son inculpation. Il y a quelque mois il avait indiqué qu’il envisageait de s’exiler au Japon. « Si je suis condamné à la prison, ma carrière sera terminée », affirmait-il. Venu devant le tribunal avec une centaine de militants, des artistes pour la plupart, le sculpteur Mehmet Aksoy a exprimé son indignation : « Les procès de l'Inquisition étaient les mêmes. Ils interdisent tout ce qui pousse les gens à penser, ou même à rire. »
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