par Héraclius » sam. 22 avr. 2017, 11:13
Cher Pierre,
Ce qui m'a toujours étonné, c'est qu'il est possible de résumer brièvement les décisions de chacun des conciles, en termes clairs, mais pas Vatican II. Dès qu'on aborde le dernier concile, les idées deviennent subitement vagues ou compliquées, et on est renvoyé à la lecture, ou plutôt l'étude, de textes très longs.
Oui et non. Le Concile de Trente, par exemple, est difficilement résumable à une formulle.
Mais Vatican II a pour particularité de ne pas avoir produit de condamnations solennelle ; il n'a pas été réuni pour contrer telle ou telle hérésie, mais pour formuller une réponse à la question : qu'est ce que l'Eglise doit faire face à la modernité ? L'idée était de faire une sorte de mise à jour, de ré-actualisation de l'Eglise pour lui rendre un dynamisme qu'elle avait un peu perdu.
L'instrument principale de ce renouveau était ce qu'on a appellé le Ressourcement, c'est à dire un retour aux sources bibliques, patristiques et médiévales de la Tradition et de la Doctrine, retour au sources jugé nécessaire pour enrayer le déclin du Catholicisme en Occident.
D'où ma question. Ce que j'aimerais surtout, c'est faire la part entre ce qu'a vraiment dit et acté le Concile, et ce qu'on appelle l'esprit du concile, réputé l'avoir trahi.
Pour voir ce qu'a vraiment dit le Concile, je ne peux que vous engager à en lire les documents. Il y a 4 grandes Constitutions du Conciles, qui globalement consituent le coeur de la démarche du Concile.
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Lumen Gentium est une Constitution Dogmatique qui parle de l'Eglise en définissant sa structure et son rôle. Elle est parfaitement traditionnelle mais elle s'emploie à mettre d'avantage l'accent sur le laïcat. Elle rappelle que l'Église ce n'est pas juste une hiérarchie cléricale, c'est avant tout la communion d'amour de tous les baptisés, tous également appellés à la sainteté. Le but est de rompre une espèce de vision de l'Eglise entre ceux qui s'intéresse au Christ à temps plein et ceux qui le font comme activité du Dimanche matin ; tous sont au même niveau, et chaque baptisé est appellé à se sanctifier, à être missionnaire, à grandir dans le Christ ; pas besoin d'être membre du clergé pour cela.
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Dei Verbum est également une Constitution Dogmatique. Elle a pour but de ramener l'attention sur la Bible, qui depuis la révolte protestante avait tendance à être reléguée au second plan par rapport à la théologie systématique ; en gros on enseignait la Doctrine sans la connecter avec l'Écriture dont elle était issue. La Consitution encourage son retour à la première place qu'elle occupait à l'ère patristique et au moyen-âge ; elle invite aussi sa diffusion parmi les laïcs et son usage pour l'enseignement de la foi.
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Gaudium et Spes est une Constitution Pastorale, qui est difficile à résumer mais qui en gros, parle du rapport de l'Eglise au monde. Une de ses nouveautés, si on peu appeller cela comme cela, est de s'appliquer à voir ce qui se fait de bon dans le monde, même en dehors de l'Eglise, et de bénir tous ce qui dans le monde est bon et juste comme quelque chose qui appartient en droit au Christ.
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Sacrostanctum Concilium est la Constitution sur la Sainte Liturgie. Elle appelle, dans la continuité du Mouvement Liturgique, à une réforme des rites destinée à purifier un rite romain qui était rempli d'un certain nombres de bizarreries depuis le Concile de Trente. Elle appelle à un renouveau de la formation en liturgie, vue comme une discipline quasi-théologique, et pareil qu'ailleurs elle insiste sur les racines bibliques et patristiques et médiévales de la liturgie. Plus de place à l'écriture sainte, plus de diversité dans les usages locaux, insistance sur l'usage du grégorien, etc... En sus de cela on veut rompre avec une certaine attitude du laïcat dans la messe qui consiste à écouter la messe, à y assister de loin en priant dans son coin avec son manuel de dévotion ou son chapelet : il s'agit de refaire du peuple de Dieu assemblé un des acteurs de la liturgie - la fameuse
participatio actuosa.
"L'esprit du Concile", à mon avis, procède d'une lecture du Concile comme un évènement sans forcément s'appuyer sur les textes. Elle voit surtout le Concile comme une rupture avec le Catholicisme tridentin qui l'a précédé, ce que le Concile est bel et bien en partie. Mais la où le Concile a voulu, d'une certaine manière, remédier à un certain nombre de dérives de l'esprit tridentin, de l,esprit de "l'église forteresse" du début du 20ème siècle, certains en ce réclammant de l'esprit plutôt que de la lettre du Concile ont voulu y voir un rejet total de ce passé et sont tombés dans les dérives symétriquement inverses de celles dont ont accuse la période pré-conciliaire. On est passé d'un extrême à l'autre.
Pour savoir à quelle point il y a une différence entre la lettre et "l'esprit du Concile" qui a motivé l'application des réformes post-conciliaires en France, lisez les textes. Un point particulièrement apparent, c'est la liturgie. Le Concile appelle au maintient du Latin, et on le fait disparaître. Le Concile appelle à donner au chant grégorien la première place, et aujourd'hui en dehors de trois monastères il est mort et enterré. Le Concile appelle à une attention renouvellée à l'art sacré et on s'est retrouvé avec des ponchos en polyester en guise de chasubles. On peut continuer la litanie indéfiniment...
C'est tout le travail de Benoît XVI que d'avoir voulu rendre visible ce paradoxe et d'avoir appellé à mener une hérméneutique de continuité, de lire le Concile dans la Tradition, dans la continuité avec l'histoire de l'Église et en fidélité aux textes conciliaires. A noter qu'il était lui-même en son temps, un réformateur qui a participé au Concile comme théologien ; mais comme tout une frange des réformateurs (Les de Lubac, les Bouyer, les Balthasar, etc...) il est devenu critique de la mise en application des réformes dans l'après-Concile.
Héraclius -
Cher Pierre,
[quote]Ce qui m'a toujours étonné, c'est qu'il est possible de résumer brièvement les décisions de chacun des conciles, en termes clairs, mais pas Vatican II. Dès qu'on aborde le dernier concile, les idées deviennent subitement vagues ou compliquées, et on est renvoyé à la lecture, ou plutôt l'étude, de textes très longs. [/quote]
Oui et non. Le Concile de Trente, par exemple, est difficilement résumable à une formulle.
Mais Vatican II a pour particularité de ne pas avoir produit de condamnations solennelle ; il n'a pas été réuni pour contrer telle ou telle hérésie, mais pour formuller une réponse à la question : qu'est ce que l'Eglise doit faire face à la modernité ? L'idée était de faire une sorte de mise à jour, de ré-actualisation de l'Eglise pour lui rendre un dynamisme qu'elle avait un peu perdu.
L'instrument principale de ce renouveau était ce qu'on a appellé le Ressourcement, c'est à dire un retour aux sources bibliques, patristiques et médiévales de la Tradition et de la Doctrine, retour au sources jugé nécessaire pour enrayer le déclin du Catholicisme en Occident.
[quote]D'où ma question. Ce que j'aimerais surtout, c'est faire la part entre ce qu'a vraiment dit et acté le Concile, et ce qu'on appelle l'esprit du concile, réputé l'avoir trahi.[/quote]
Pour voir ce qu'a vraiment dit le Concile, je ne peux que vous engager à en lire les documents. Il y a 4 grandes Constitutions du Conciles, qui globalement consituent le coeur de la démarche du Concile.
- [i]Lumen Gentium[/i] est une Constitution Dogmatique qui parle de l'Eglise en définissant sa structure et son rôle. Elle est parfaitement traditionnelle mais elle s'emploie à mettre d'avantage l'accent sur le laïcat. Elle rappelle que l'Église ce n'est pas juste une hiérarchie cléricale, c'est avant tout la communion d'amour de tous les baptisés, tous également appellés à la sainteté. Le but est de rompre une espèce de vision de l'Eglise entre ceux qui s'intéresse au Christ à temps plein et ceux qui le font comme activité du Dimanche matin ; tous sont au même niveau, et chaque baptisé est appellé à se sanctifier, à être missionnaire, à grandir dans le Christ ; pas besoin d'être membre du clergé pour cela.
- [i]Dei Verbum[/i] est également une Constitution Dogmatique. Elle a pour but de ramener l'attention sur la Bible, qui depuis la révolte protestante avait tendance à être reléguée au second plan par rapport à la théologie systématique ; en gros on enseignait la Doctrine sans la connecter avec l'Écriture dont elle était issue. La Consitution encourage son retour à la première place qu'elle occupait à l'ère patristique et au moyen-âge ; elle invite aussi sa diffusion parmi les laïcs et son usage pour l'enseignement de la foi.
- [i]Gaudium et Spes[/i] est une Constitution Pastorale, qui est difficile à résumer mais qui en gros, parle du rapport de l'Eglise au monde. Une de ses nouveautés, si on peu appeller cela comme cela, est de s'appliquer à voir ce qui se fait de bon dans le monde, même en dehors de l'Eglise, et de bénir tous ce qui dans le monde est bon et juste comme quelque chose qui appartient en droit au Christ.
- [i]Sacrostanctum Concilium[/i] est la Constitution sur la Sainte Liturgie. Elle appelle, dans la continuité du Mouvement Liturgique, à une réforme des rites destinée à purifier un rite romain qui était rempli d'un certain nombres de bizarreries depuis le Concile de Trente. Elle appelle à un renouveau de la formation en liturgie, vue comme une discipline quasi-théologique, et pareil qu'ailleurs elle insiste sur les racines bibliques et patristiques et médiévales de la liturgie. Plus de place à l'écriture sainte, plus de diversité dans les usages locaux, insistance sur l'usage du grégorien, etc... En sus de cela on veut rompre avec une certaine attitude du laïcat dans la messe qui consiste à écouter la messe, à y assister de loin en priant dans son coin avec son manuel de dévotion ou son chapelet : il s'agit de refaire du peuple de Dieu assemblé un des acteurs de la liturgie - la fameuse [i]participatio actuosa[/i].
"L'esprit du Concile", à mon avis, procède d'une lecture du Concile comme un évènement sans forcément s'appuyer sur les textes. Elle voit surtout le Concile comme une rupture avec le Catholicisme tridentin qui l'a précédé, ce que le Concile est bel et bien en partie. Mais la où le Concile a voulu, d'une certaine manière, remédier à un certain nombre de dérives de l'esprit tridentin, de l,esprit de "l'église forteresse" du début du 20ème siècle, certains en ce réclammant de l'esprit plutôt que de la lettre du Concile ont voulu y voir un rejet total de ce passé et sont tombés dans les dérives symétriquement inverses de celles dont ont accuse la période pré-conciliaire. On est passé d'un extrême à l'autre.
Pour savoir à quelle point il y a une différence entre la lettre et "l'esprit du Concile" qui a motivé l'application des réformes post-conciliaires en France, lisez les textes. Un point particulièrement apparent, c'est la liturgie. Le Concile appelle au maintient du Latin, et on le fait disparaître. Le Concile appelle à donner au chant grégorien la première place, et aujourd'hui en dehors de trois monastères il est mort et enterré. Le Concile appelle à une attention renouvellée à l'art sacré et on s'est retrouvé avec des ponchos en polyester en guise de chasubles. On peut continuer la litanie indéfiniment...
C'est tout le travail de Benoît XVI que d'avoir voulu rendre visible ce paradoxe et d'avoir appellé à mener une hérméneutique de continuité, de lire le Concile dans la Tradition, dans la continuité avec l'histoire de l'Église et en fidélité aux textes conciliaires. A noter qu'il était lui-même en son temps, un réformateur qui a participé au Concile comme théologien ; mais comme tout une frange des réformateurs (Les de Lubac, les Bouyer, les Balthasar, etc...) il est devenu critique de la mise en application des réformes dans l'après-Concile.
Héraclius -