par Spectateur engagé » ven. 20 sept. 2019, 16:06
Suliko a écrit : ↑jeu. 19 sept. 2019, 15:08
Bonjour,
J'aimerais en revenir à la question de l'après al-Assad, car c'est à mon avis ce qui conduit beaucoup de catholiques (ou pas) à ne pas être très désireux d'un changement de régime. Vous me répondiez précédemment ceci :
J'entends bien ce que vous dites, mais je ne me pose justement pas la question de savoir par qui / quoi les remplacer. Je pense qu'il n'appartient qu'aux peuples égyptien, saoudien et syrien d'y répondre : personne d'autre ne peut revendiquer le droit de légitimer ou de délégitimer leurs dirigeants.
Et moi je vous répondais :
Quant à la volonté populaire, c'est une arme à double tranchant : pensez-vous que la volonté populaire, dans des pays comme l'Arabie saoudite ou la Syrie, pencherait aujourd'hui vers le système de la démocratie libérale ? C'est très peu probable ! Peut-être que la volonté populaire actuelle, en Syrie, serait à la marginalisation sociale, voir à la répression des 'Alaouites et des autres minorités.
C'est un aspect de la situation en Syrie qu'il me semble important de ne pas négliger. Vous écriviez par ailleurs dans un précédent message, que les manifestations pacifiques ont commencé parce que la légitimité d'al-Assad avait atteint un point de non-retour tel qu'il avait dû en venir aux armes pour se maintenir au pouvoir. Certes, mais en soi, même avant 2011, vu à travers le prisme occidental, ce dirigeant n'avait déjà pas véritablement de légitimité : il avait hérité le pouvoir de son père, les
mukhâbarât existaient déjà, les détentions et tortures d'opposants aussi, etc... En fait, en élargissant le problème, on se rend bien compte qu'à l'aune des valeurs démocratiques libérales, la plupart des chefs d'Etat, surtout en dehors de l'Occident, apparaissent comme des autocrates. Et je pense que ce qui, dans le fond, dérange beaucoup de catholiques, c'est que certain de ces chefs d'Etat ne sont presque pas inquiétés, bien qu'auteurs de nombreux et graves méfaits (j'ai en tête par exemple la Chine...). A vous lire, je comprends bien que vous n'avez aucun désir de passer cela sous clé, mais le fait est qu'actuellement, c'est le pouvoir syrien qui est le principal objet de votre attention, pouvoir qui malgré ses nombreux défauts maltraitait bien moins sa minorité chrétienne que nombre d'autres pays de la région. C'est pour cela que la question de l'après-régime est si fondamentale : il n'y a pas de véritable culture démocratique dans ce pays (comme dans bien d'autres) et l'islam sunnite - majoritaire - y est conservateur. Si la majorité décide des orientations futures du pays, les minorités - et avant tout les 'Alaouites - risquent d'en baver, ce qui m'inquiète beaucoup ! C'est aussi un peu dans ce sens que j'écrivais plus haut ceci :
Un des plus grands leurres de nombre de chefs et analystes occidentaux est leur conviction profonde, quasi religieuse, que la démocratie libérale est l'avenir de l'humanité et la solution à la plupart des problèmes politiques et sociaux. C'est oublier un peu vite que tous sont loin d'être séduits par ce système et que même en Occident, un certain désamour commence à se faire ressentir.
Pour finir, il serait intéressant de savoir ce que pense réellement la minorité chrétienne de Syrie. Je sais qu'il y a eu également des opposants au régime de confession chrétienne, mais cela ne me renseigne guère sur l'opinion majoritaire dans leurs communautés. J'imagine qu'étant donné ce qui s'est passé de tragique en Iraq et en Syrie, une certaine méfiance envers les sunnites s'est développée. Je me rappelle avoir lu des témoignages de chrétiens de Ma'alûlâ expliquant que leurs voisins sunnites avaient pris le parti de l'envahisseur jihadiste lorsque la ville fut attaquée...De telles trahisons ont également eu lieu en Iraq... Et comment s'expliquent-elles, si ce n'est pas l'attrait d'une partie du monde sunnite pour l'instauration d'un régime islamique strict ?
Je suis désolée de ma prose confuse. J'aurais bien aimé exprimer mes pensées avec un peu plus de rigueur et de logique et moins partir dans tous les sens, mais le manque de temps m'en a empêché...
Bonjour,
Tout d'abord, je tiens à vous assurer de la clarté de votre prose et du plaisir que j'ai d'échanger avec vous, dans le respect et la courtoisie.
Je tombe naturellement d'accord avec vous sur le fait que la majorité des systèmes politiques non-européens se caractérisent par leur autoritarisme répressif. Selon moi,
cet état de fait ne saurait s'expliquer par une détermination essentialiste, selon laquelle "nous" serions naturellement conditionnés pour la démocratie et "eux" pour la dictature. L'histoire européenne a largement démontré ce dont nous sommes capables en matière de barbarie, et certains Etats comme le Botswana, le Japon, l'Uruguay et peut-être bientôt la Tunisie nous prouvent que le modèle démocratique est compatible avec l'humanité en général.
Vous rappelez à juste titre que la majorité d'entre eux ne souffre pas d'anathème, à l'exemple de la Chine et au contraire de la Syrie. Je vous donne raison sur le fait que certains des régimes les plus corrompus et les plus brutaux sont largement épargnés par la critique : la Chine en effet, mais aussi l'Egypte, les Emirats arabes unis, le Tchad, le Rwanda et tant d'autres. Les actes des personnes qui accaparent le pouvoir et les ressources de ces pays sont documentés, et
mériteraient d'être dénoncés avec plus de vigueur.
Cela dit, je n'oublie pas qu'aucun pouvoir ne se perpétue sans le consentement, tacite ou explicite, de ceux sur qui il s'exerce. Voilà où réside selon moi toute la différence entre
B. Assad et la plupart des autres autocrates : cet homme est devenu l'archétype du tyran le jour où, ayant perdu ce consentement, il a délibérément choisi de recourir à tout ce qui justifie le tyrannicide selon
saint Thomas d'Aquin. En effet,
c'est bien lui qui est entré en sédition lorsqu'il a choisi de détruire son peuple et son pays, plutôt que de céder son pouvoir personnel. Ce que
B. Assad a voulu éviter, ce n'est pas la création de l'Etat islamique, mais plutôt une répétition en Syrie de la révolution du Cèdre (
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9vo ... C%C3%A8dre).
Vous écrivez qu'il n'y a pas de véritable culture démocratique en Syrie, et que la révolution aurait pu balayer les minorités ethniques et religieuses.
Mais le mouvement d'opposition initial démontrait précisément le contraire, avec ses cortèges intercommunautaires et ses assemblées délibératives. Il s'agit là de faits bien documentés Impossible de prédire ce qu'il aurait pu en sortir si la répression n'avait pas été si sauvage. Ce qui est certain, c'est ce qui a été en tuant cette opportunité dans l'oeuf, à savoir l'horreur absolue.
Pas question pour autant de faire l'impasse sur la complexité de la situation, sur les craintes légitimes des chrétiens de Syrie (traumatisés à juste titre par le sort de leurs coreligionnaires irakiens), ni sur certains discours de haine qui, visant les minorités, ont été entendus dès 2011. Mais, comme le dit excellemment bien cet article, les chrétiens dans le conflit syrien n'ont jamais été "ni les seules victimes, ni seulement des victimes" :
https://www.lemonde.fr/blog/syrie/2013/ ... -victimes/
[quote=Suliko post_id=407326 time=1568898535 user_id=3603]
Bonjour,
J'aimerais en revenir à la question de l'après al-Assad, car c'est à mon avis ce qui conduit beaucoup de catholiques (ou pas) à ne pas être très désireux d'un changement de régime. Vous me répondiez précédemment ceci :
[quote]J'entends bien ce que vous dites, mais je ne me pose justement pas la question de savoir par qui / quoi les remplacer. Je pense qu'il n'appartient qu'aux peuples égyptien, saoudien et syrien d'y répondre : personne d'autre ne peut revendiquer le droit de légitimer ou de délégitimer leurs dirigeants.[/quote]
Et moi je vous répondais :
[quote]Quant à la volonté populaire, c'est une arme à double tranchant : pensez-vous que la volonté populaire, dans des pays comme l'Arabie saoudite ou la Syrie, pencherait aujourd'hui vers le système de la démocratie libérale ? C'est très peu probable ! Peut-être que la volonté populaire actuelle, en Syrie, serait à la marginalisation sociale, voir à la répression des 'Alaouites et des autres minorités.[/quote]
C'est un aspect de la situation en Syrie qu'il me semble important de ne pas négliger. Vous écriviez par ailleurs dans un précédent message, que les manifestations pacifiques ont commencé parce que la légitimité d'al-Assad avait atteint un point de non-retour tel qu'il avait dû en venir aux armes pour se maintenir au pouvoir. Certes, mais en soi, même avant 2011, vu à travers le prisme occidental, ce dirigeant n'avait déjà pas véritablement de légitimité : il avait hérité le pouvoir de son père, les [i]mukhâbarât[/i] existaient déjà, les détentions et tortures d'opposants aussi, etc... En fait, en élargissant le problème, on se rend bien compte qu'à l'aune des valeurs démocratiques libérales, la plupart des chefs d'Etat, surtout en dehors de l'Occident, apparaissent comme des autocrates. Et je pense que ce qui, dans le fond, dérange beaucoup de catholiques, c'est que certain de ces chefs d'Etat ne sont presque pas inquiétés, bien qu'auteurs de nombreux et graves méfaits (j'ai en tête par exemple la Chine...). A vous lire, je comprends bien que vous n'avez aucun désir de passer cela sous clé, mais le fait est qu'actuellement, c'est le pouvoir syrien qui est le principal objet de votre attention, pouvoir qui malgré ses nombreux défauts maltraitait bien moins sa minorité chrétienne que nombre d'autres pays de la région. C'est pour cela que la question de l'après-régime est si fondamentale : il n'y a pas de véritable culture démocratique dans ce pays (comme dans bien d'autres) et l'islam sunnite - majoritaire - y est conservateur. Si la majorité décide des orientations futures du pays, les minorités - et avant tout les 'Alaouites - risquent d'en baver, ce qui m'inquiète beaucoup ! C'est aussi un peu dans ce sens que j'écrivais plus haut ceci :
[quote]Un des plus grands leurres de nombre de chefs et analystes occidentaux est leur conviction profonde, quasi religieuse, que la démocratie libérale est l'avenir de l'humanité et la solution à la plupart des problèmes politiques et sociaux. C'est oublier un peu vite que tous sont loin d'être séduits par ce système et que même en Occident, un certain désamour commence à se faire ressentir.[/quote]
Pour finir, il serait intéressant de savoir ce que pense réellement la minorité chrétienne de Syrie. Je sais qu'il y a eu également des opposants au régime de confession chrétienne, mais cela ne me renseigne guère sur l'opinion majoritaire dans leurs communautés. J'imagine qu'étant donné ce qui s'est passé de tragique en Iraq et en Syrie, une certaine méfiance envers les sunnites s'est développée. Je me rappelle avoir lu des témoignages de chrétiens de Ma'alûlâ expliquant que leurs voisins sunnites avaient pris le parti de l'envahisseur jihadiste lorsque la ville fut attaquée...De telles trahisons ont également eu lieu en Iraq... Et comment s'expliquent-elles, si ce n'est pas l'attrait d'une partie du monde sunnite pour l'instauration d'un régime islamique strict ?
Je suis désolée de ma prose confuse. J'aurais bien aimé exprimer mes pensées avec un peu plus de rigueur et de logique et moins partir dans tous les sens, mais le manque de temps m'en a empêché...
[/quote]
Bonjour,
Tout d'abord, je tiens à vous assurer de la clarté de votre prose et du plaisir que j'ai d'échanger avec vous, dans le respect et la courtoisie.
Je tombe naturellement d'accord avec vous sur le fait que la majorité des systèmes politiques non-européens se caractérisent par leur autoritarisme répressif. Selon moi, [u]cet état de fait ne saurait s'expliquer par une détermination essentialiste[/u], selon laquelle "nous" serions naturellement conditionnés pour la démocratie et "eux" pour la dictature. L'histoire européenne a largement démontré ce dont nous sommes capables en matière de barbarie, et certains Etats comme le Botswana, le Japon, l'Uruguay et peut-être bientôt la Tunisie nous prouvent que le modèle démocratique est compatible avec l'humanité en général.
Vous rappelez à juste titre que la majorité d'entre eux ne souffre pas d'anathème, à l'exemple de la Chine et au contraire de la Syrie. Je vous donne raison sur le fait que certains des régimes les plus corrompus et les plus brutaux sont largement épargnés par la critique : la Chine en effet, mais aussi l'Egypte, les Emirats arabes unis, le Tchad, le Rwanda et tant d'autres. Les actes des personnes qui accaparent le pouvoir et les ressources de ces pays sont documentés, et [u]mériteraient d'être dénoncés avec plus de vigueur[/u].
Cela dit, je n'oublie pas qu'aucun pouvoir ne se perpétue sans le consentement, tacite ou explicite, de ceux sur qui il s'exerce. Voilà où réside selon moi toute la différence entre [b]B. Assad[/b] et la plupart des autres autocrates : cet homme est devenu l'archétype du tyran le jour où, ayant perdu ce consentement, il a délibérément choisi de recourir à tout ce qui justifie le tyrannicide selon [b]saint Thomas d'Aquin[/b]. En effet, [u]c'est bien lui qui est entré en sédition lorsqu'il a choisi de détruire son peuple et son pays[/u], plutôt que de céder son pouvoir personnel. Ce que [b]B. Assad[/b] a voulu éviter, ce n'est pas la création de l'Etat islamique, mais plutôt une répétition en Syrie de la révolution du Cèdre (https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_du_C%C3%A8dre).
Vous écrivez qu'il n'y a pas de véritable culture démocratique en Syrie, et que la révolution aurait pu balayer les minorités ethniques et religieuses. [u]Mais le mouvement d'opposition initial démontrait précisément le contraire[/u], avec ses cortèges intercommunautaires et ses assemblées délibératives. Il s'agit là de faits bien documentés Impossible de prédire ce qu'il aurait pu en sortir si la répression n'avait pas été si sauvage. Ce qui est certain, c'est ce qui a été en tuant cette opportunité dans l'oeuf, à savoir l'horreur absolue.
Pas question pour autant de faire l'impasse sur la complexité de la situation, sur les craintes légitimes des chrétiens de Syrie (traumatisés à juste titre par le sort de leurs coreligionnaires irakiens), ni sur certains discours de haine qui, visant les minorités, ont été entendus dès 2011. Mais, comme le dit excellemment bien cet article, les chrétiens dans le conflit syrien n'ont jamais été "ni les seules victimes, ni seulement des victimes" : https://www.lemonde.fr/blog/syrie/2013/01/14/les-chretiens-dans-le-conflit-syrien-ni-les-seules-victimes-ni-seulement-des-victimes/