par Cinci » lun. 28 nov. 2016, 4:04
Mais ...
Le milieu politique canadien ne peut qu'affaiblir la potentialité d'une résistance du Québec à l'offensive des pipelines. Maintenant, si on veut bien comprendre, aussi, pourquoi le Canada va tellement insister pour pousser plus avant avec ses projets d'extraction de pétrole sale en Alberta, il faudra se tourner vers
Jane Jacobs qui résume cela très bien.
Ici :
- "... il faut bien saisir la vision traditionnelle de l'économie canadienne et l'approche qui en découle en matière de développement économique. Le Canada exploite et exporte des ressources naturelles et néglige le développement d'industries et de services axés sur la fabrication de produits et les innovations. Le pays privilégie une approche économique profondément coloniale, mais ce colonialisme ne lui a pas été imposé. Le Canada fait librement le choix du colonialisme.
Les fortunes canadiennes les plus grosses et les plus rapides amassées, qu'elles soient publiques ou privées, sont venues constamment de l'exploitation des ressources naturelles : les fourrures, le bois, le cuivre, l'argent, le blé, le cobalt, le poisson, l'uranium, l'hydroélectricité, l'aluminium, la potasse, le pétrole, le gaz naturel, pour ne nommer que quelques unes des sources des fortunes les plus influentes. Or, à l'instar des personnes, les sociétés se façonnent au fil de leur expérience, ce qui fait que l'expérience de l'enrichissement rapide a façonné toutes les grandes institutions du pays : le gouvernement national, les gouvernements provinciaux, les banques et les autres institutions financières. Elle a orienté l'utilisation du capital de risque et les subventions, le choix de certains projets de développement plutôt que d'autres, ainsi que les principes suivis par pratiquement tous les dirigeants. Ce ne sont pas des choses faciles à changer,
Lorsqu'une telle approche unique et dominante de l'économie et de la création de la richesse a été appliquée avec autant de constance et aussi longtemps, comme c'est le cas au Canada, elle devient profondément enracinée dans les moeurs. Elle fini en particulier par gouverner l'utilisation du capital. Des sommes d'argent énormes sont disponibles pour exploiter les ressources naturelles ou réaliser de vastes projets de construction liés à leur exploitation, comme des barrages, des pipelines, des raffineries, des grands réservoirs et des entrepôts.
A l'Inverse, on n'investit que des capitaux dérisoires dans le développement initialement modeste de l'innovation. Et encore, de tels investissements sont largement limités à l'Ontario. Si une entreprise veut produire une vanne électromagnétique pour les systèmes de canalisation des réacteurs chimiques ou encore un nouveau type de poêle à bois à haute efficacité, elle aura de la difficulté à trouver le petit capital de risque dont elle a besoin. Pratiquement aucun capital n'est mis à la disposition des nombreux petits fournisseurs de composants de pièces, d'outils et de services qui sont essentiels au développement pragmatique d'une économie novatrice et diversifiée.
Tout cela a d'énormes conséquences.
L'une d'entre elles a été résumée comme suit en 1967 par J.J. Brown, spécialiste de l'histoire des technologies au Canada :
La valeur des contributions des Canadiens à la science et aux technologies dépasse largement leur petit poids démographique. Certaines innovations canadiennes sont à l'origine d'industries dans le monde entier, mais nous en sommes réduits à importer d'Angleterre, de Belgique, d'Italie et des États-Unis des milliards de dollars d'équipement inventé chez nous. Voilà le problème fondamental de notre pays [...] S'il n'est pas corrigé bientôt, nous ne serons pas capables d'affronter la concurrence en tant que pays industrialisé, dans le monde moderne. (J.J. Brown, Ideas in Exile, Toronto McClelland and Stewart, 1967; un ouvrage fondamental et éclairant sur l'économie canadienne)
[...]
Les métropoles régionales du Canada n'agissent pas comme de véritables moteurs économiques. Elles sont en plein essor lorsque l'exploitation des ressources de leur arrière-pays va bon train. Elles stagnent lorsque l'exploitation des ressources plafonne. Elles subissent un déclin lorsque l'exploitation des ressources régresse. Les régions canadiennes où les ressources naturelles cessent d'engendrer toujours plus de richesses s'en trouvent dévastées.
Les métropoles régionales passives sont incapables de se substituer à l'exploitation des ressources, puisqu'elles ne sont pas génératrices d'innovations [...] Halifax, qui s'est développé en flèche il y a longtemps, en même temps que l'exploitation des ressources dans les provinces maritimes, ne peut pas relancer l'économie de ces provinces (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et Île du Prince-Edouard), aujourd'hui appauvries. Bien que Winipeg ait connu une période de forte croissance liée au boom de la culture du blé dans les Prairies, et bien qu'elle ait connue son heure de gloire sous l'effet de la Bourse des grains, la plus importante au monde à une certaine époque, la ville s'est mise rapidement à stagner une fois achevée la colonisation des terres propres à la culture du blé et à la construction de vastes installations de transports et d'entreposages des grains. L'essor actuel des villes pétrolières d'Alberta, Edmonton et Calgary, débouchera probablement sur la stagnation, lui aussi, car nous sommes en présence d'une tendance lourde, qui est la conséquence de l'utilisation curieusement déséquilibrée des capitaux et de l'approche profondément coloniale de l'économie privilégiée par le Canada.
Source : Jane Jacobs, La question du séparatisme. Le combat du Québec pour sa souveraineté, VLB, 2012, pp. 66-67 [1980, pour l'édition originale : Quebec and the Struggle over Sovereignty, New-York, Random House]
Mais ...
Le milieu politique canadien ne peut qu'affaiblir la potentialité d'une résistance du Québec à l'offensive des pipelines. Maintenant, si on veut bien comprendre, aussi, pourquoi le Canada va tellement insister pour pousser plus avant avec ses projets d'extraction de pétrole sale en Alberta, il faudra se tourner vers [b]Jane Jacobs[/b] qui résume cela très bien.
Ici :
[list]"... il faut bien saisir la vision traditionnelle de l'économie canadienne et l'approche qui en découle en matière de développement économique. Le Canada exploite et exporte des ressources naturelles et néglige le développement d'industries et de services axés sur la fabrication de produits et les innovations. Le pays privilégie une approche économique profondément coloniale, mais ce colonialisme ne lui a pas été imposé. Le Canada fait librement le choix du colonialisme.
Les fortunes canadiennes les plus grosses et les plus rapides amassées, qu'elles soient publiques ou privées, sont venues constamment de l'exploitation des ressources naturelles : les fourrures, le bois, le cuivre, l'argent, le blé, le cobalt, le poisson, l'uranium, l'hydroélectricité, l'aluminium, la potasse, le pétrole, le gaz naturel, pour ne nommer que quelques unes des sources des fortunes les plus influentes. Or, à l'instar des personnes, les sociétés se façonnent au fil de leur expérience, ce qui fait que l'expérience de l'enrichissement rapide a façonné toutes les grandes institutions du pays : le gouvernement national, les gouvernements provinciaux, les banques et les autres institutions financières. Elle a orienté l'utilisation du capital de risque et les subventions, le choix de certains projets de développement plutôt que d'autres, ainsi que les principes suivis par pratiquement tous les dirigeants. Ce ne sont pas des choses faciles à changer,
Lorsqu'une telle approche unique et dominante de l'économie et de la création de la richesse a été appliquée avec autant de constance et aussi longtemps, comme c'est le cas au Canada, elle devient profondément enracinée dans les moeurs. Elle fini en particulier par gouverner l'utilisation du capital. Des sommes d'argent énormes sont disponibles pour exploiter les ressources naturelles ou réaliser de vastes projets de construction liés à leur exploitation, comme des barrages, des pipelines, des raffineries, des grands réservoirs et des entrepôts.
A l'Inverse, on n'investit que des capitaux dérisoires dans le développement initialement modeste de l'innovation. Et encore, de tels investissements sont largement limités à l'Ontario. Si une entreprise veut produire une vanne électromagnétique pour les systèmes de canalisation des réacteurs chimiques ou encore un nouveau type de poêle à bois à haute efficacité, elle aura de la difficulté à trouver le petit capital de risque dont elle a besoin. Pratiquement aucun capital n'est mis à la disposition des nombreux petits fournisseurs de composants de pièces, d'outils et de services qui sont essentiels au développement pragmatique d'une économie novatrice et diversifiée.
Tout cela a d'énormes conséquences.
L'une d'entre elles a été résumée comme suit en 1967 par J.J. Brown, spécialiste de l'histoire des technologies au Canada :
[quote]La valeur des contributions des Canadiens à la science et aux technologies dépasse largement leur petit poids démographique. Certaines innovations canadiennes sont à l'origine d'industries dans le monde entier, mais nous en sommes réduits à importer d'Angleterre, de Belgique, d'Italie et des États-Unis des milliards de dollars d'équipement inventé chez nous. Voilà le problème fondamental de notre pays [...] S'il n'est pas corrigé bientôt, nous ne serons pas capables d'affronter la concurrence en tant que pays industrialisé, dans le monde moderne. ([b]J.J. Brown[/b], [i]Ideas in Exile[/i], Toronto McClelland and Stewart, 1967; un ouvrage fondamental et éclairant sur l'économie canadienne)
[/quote]
[...]
Les métropoles régionales du Canada n'agissent pas comme de véritables moteurs économiques. Elles sont en plein essor lorsque l'exploitation des ressources de leur arrière-pays va bon train. Elles stagnent lorsque l'exploitation des ressources plafonne. Elles subissent un déclin lorsque l'exploitation des ressources régresse. Les régions canadiennes où les ressources naturelles cessent d'engendrer toujours plus de richesses s'en trouvent dévastées.
Les métropoles régionales passives sont incapables de se substituer à l'exploitation des ressources, puisqu'elles ne sont pas génératrices d'innovations [...] Halifax, qui s'est développé en flèche il y a longtemps, en même temps que l'exploitation des ressources dans les provinces maritimes, ne peut pas relancer l'économie de ces provinces (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et Île du Prince-Edouard), aujourd'hui appauvries. Bien que Winipeg ait connu une période de forte croissance liée au boom de la culture du blé dans les Prairies, et bien qu'elle ait connue son heure de gloire sous l'effet de la Bourse des grains, la plus importante au monde à une certaine époque, la ville s'est mise rapidement à stagner une fois achevée la colonisation des terres propres à la culture du blé et à la construction de vastes installations de transports et d'entreposages des grains. L'essor actuel des villes pétrolières d'Alberta, Edmonton et Calgary, débouchera probablement sur la stagnation, lui aussi, car nous sommes en présence d'une tendance lourde, qui est la conséquence de l'utilisation curieusement déséquilibrée des capitaux et de l'approche profondément coloniale de l'économie privilégiée par le Canada.
Source : Jane Jacobs, [u]La question du séparatisme. Le combat du Québec pour sa souveraineté[/u], VLB, 2012, pp. 66-67 [1980, pour l'édition originale : [i]Quebec and the Struggle over Sovereignty[/i], New-York, Random House] [/list]