par Xavi » mer. 20 mars 2024, 15:02
Bonjour à chacun,
@Gaudens
Merci pour votre réflexion profonde.
« jouer sur les mots », « se payer de mots »… Cela exprime certes la méfiance que vous ressentez.
Hélas, dans tout dialogue, nous n’avons que des mots pour nous exprimer et chacun de nous les ressent de manière personnelle avec des nuances parfois très inconscientes, de sorte qu’un dialogue exige toujours d’explorer le sens des mots pour celui qui les utilise. Cela peut donner l’impression d’une manipulation trompeuse et on trouve aisément dans la réalité des raisons pour nourrir cette impression.
Ainsi, lorsque vous écrivez que « S’il est vrai que Dieu est fidèle et ne révoque pas son Alliance, celle-ci peut être rompue par l’autre partie », c’est certain et personne ne le conteste et, pourtant, vous voulez exprimer une contradiction avec des mots qui sont exacts, mais qui, cependant, cachent le vrai désaccord. L’autre partie peut certes rompre l’alliance, mais tout ce sujet concernant les Juifs s’intéresse surtout au fait que cette rupture de la part d’humains ne supprime pas l’Alliance par Dieu. Dieu continue à maintenir son alliance et à inviter son peuple à y être fidèle même après qu’il l’ait rejetée et rompue. Cette alliance subsiste et n’est pas révoquée, même après avoir été rejetée et rompue par l'autre partie.
Mais, la difficulté concrète est réelle.
Vous en faites un excellent résumé de ce qui me semble être votre pensée et le fondement de votre méfiance : « L’Alliance sinaïtique avec Israël se concrétisait du côté de Dieu par un soutien aux guerres menées par Israël, dont la Révélation chrétienne nous enseigne qu’elles servaient à la pérennité du peuple, maintenu souvent difficilement dans la fidélité à cette alliance, afin que de ce peuple vienne le Messie Fils de Dieu, seul capable .d’établir une Alliance nouvelle et éternelle avec l’humanité entière, à travers l’Église, Nouvel Israël. ».
Vous semblez limiter ainsi l'alliance sinaïtique à la venue du Christ et vous méfier de cette alliance sinaïtique parce qu’elle « se concrétisait du côté de Dieu par un soutien aux guerres menées par Israël » ce qui, aussitôt, vous fait craindre le pire dans la réalité concrète actuelle : « Qu’aurait aujourd’hui le sens réel de l’Alliance sinaïtique supposée maintenue telle quelle avec le Vieil Israël ? Ne croyez-vous pas que celui-ci l’interpréterait (de fait l’interprète) de la même manière, belliqueuse en fait, que dans les temps pré-christiques ? ».
Merci d’être ainsi aussi franc que clair. Vous avez raison de craindre l’interprétation belliqueuse que vous indiquez dans la situation concrète actuelle dans l’antique pays de Canaan. Vous serez cependant d’accord pour considérer qu’aucune interprétation humaine ne peut suffire à écarter la Parole de Dieu elle-même qu’il incombe de comprendre à la lumière de l’Évangile.
Mais, à ce sujet, vous pouvez aussitôt penser qu’il ne « faut pas se payer de mots » et, à cet égard, la vraie difficulté se trouve dans la Parole de Dieu elle-même. Vous écrivez que « du côté de Dieu » cela se concrétisait, dans l’Ancien Testament, par un « soutien » aux guerres d’Israël.
Et, oui, c’est une vraie difficulté. Comment comprendre aujourd’hui un tel soutien ? Que signifie-t-il réellement ?
La violence de certains propos de Dieu dans l’Ancien Testament est parfois extrême.
Cette question nous plonge dans une perplexité tout aussi extrême. En 2024, notre sensibilité, notre culture, nos valeurs, sont tellement autres que ce qu’elles étaient il y a plus de 3.000 ans, que nous sommes confrontés à une réelle impossibilité de nous représenter exactement le sens des paroles exprimées à cette époque.
Je n’ai hélas pas de réponse satisfaisante à vous proposer et cette observation est très importante dans le sujet concernant le peuple d’Israël qui subsiste aujourd’hui encore depuis plus de 3.000 ans.
Dans le dialogue judéo-chrétien, un rabbin américain, Yozef Soloveitchik, a attiré l’attention à cet égard sur l’importance de pouvoir reconnaître une « incommunicabilité » entre les Juifs, héritiers d’une culture et d’un langage spécifiques nourris de la Torah et de sa mise en pratique depuis des millénaires, et les chrétiens qui, après quelques générations, ont abandonné cette mise en pratique et ont développé une compréhension particulière de la Torah fondée sur le Nouveau Testament.
Cette incommunicabilité ne concerne pas que le dialogue judéo-chrétien, mais fait partie de la réalité humaine qui peut se retrouver partout.
En effet, le langage de chacun de nous est façonné dans un creuset personnel jamais identique à celui de personne d’autre. Cette source, dans la chair de chacun de nous, nous différencie des autres dans une mesure plus ou moins grande selon ce que nous avons en commun.
Et, c’est à cet égard que notre dialogue avec les Juifs se révèle d’une importance essentielle pour nous chrétiens.
L’Israël de l’alliance avec Abraham et Moïse est, et restera à jamais, le berceau du Christ. Ce berceau subsiste, quelles que soient les évolutions qu’on peut constater. Ce berceau (le peuple juif) donne une compréhension particulière à ceux qui en vivent encore aujourd’hui dont nous ne disposons pas.
Le peuple juif est en cela semblable à une mère dont l’expérience de la maternité, avec neuf mois de grossesse et un accouchement, ne peut être « pleinement » partagée avec ceux qui n’ont pas vécu cette expérience dans leur chair. Il faut accepter qu’il y a là, par exemple, une partie incommunicable d’un vécu dont une mère peut être le témoin d’une manière plus étendue et particulière que celui qui n’a jamais été mère.
Il en est de même de Jésus de Nazareth et de sa vie dans la chair que nous rapportent les évangiles. N’oublions pas que non seulement Jésus, mais aussi que tous les apôtres et ses premiers disciples étaient juifs ou, du moins, pétris de culture juive. C’est dans le peuple juif que Dieu s’est incarné. Même si certains païens s’en sont rapprochés et ont été intégrés, les débuts de l’Église sont juifs.
Même les pèlerins de toutes les nations le jour de la Pentecôte étaient des personnes qui venaient en pèlerinage à Jérusalem, au temple de l’alliance mosaïque.
Ce n’est qu’après quelques dizaines d’années et l’intervention déterminante de saint Paul que l’adhésion à la foi chrétienne s’est détachée de la loi mosaïque et donc de la judéité lorsqu’il a été décidé que les chrétiens venant du monde païen ne devaient plus être circoncis, ce qui est la base de l’alliance selon la chair conclue avec Abraham.
Depuis lors, les chrétiens ont cependant perdu la connaissance de la pratique de la loi mosaïque et de l’ancienne alliance qui fonde le peuple juif.
Mais, ce peuple juif nous reste essentiel pour comprendre les évangiles dans lesquels Jésus parle et agit en juif à l’égard d’autres juifs.
L’évangile de dimanche nous a rappelé à cet égard que Jésus lui-même était attentif au caractère essentiel du cadre juif pour comprendre ses paroles, ses actes, sa messianité et sa divinité.
Dans cet évangile, quelques Grecs voulaient seulement « le voir » (Jn 12, 20-21) et il n’a donné aucune réponse positive à leur demande, mais au contraire il a choisi de se cacher (cf. Jn 12, 36). Il a dit ailleurs qu’il n’était venu que pour les brebis perdues d’Israël. Ce n’est pas par sectarisme qu’il le faisait, mais parce que sa présence, dans la chair, était seulement pour les Juifs à ce moment et Jésus a postposé la rencontre demandée par ces Grecs : « quand j'aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32).
Qui, mieux que les Juifs, pourrait nous aider à comprendre le sens et la portée, dans la chair, des paroles et des actes de Jésus de Nazareth ? La connaissance par l’esprit est, bien certainement, prépondérante et l’Esprit Saint est essentiel pour notre connaissance. Mais, ce que nous ressentons dans la chair n’est pas négligeable car nous sommes faits d’une nature corporelle et spirituelle, indivisiblement. Aussi, la connaissance du berceau de la foi, dans la chair et par les Juifs qui continuent à en vivre, peut enrichir notre compréhension humaine de l’Évangile.
Les Juifs ont l’expérience de la vie juive qui était celle du Christ et des débuts de l’Église. C’est un trésor irremplaçable.
Nous ne cessons pas d’attendre des fruits de l’Ancienne Alliance par laquelle le Christ nous est donné et qui continue à pouvoir contribuer à la vie de l’Église.
Même sur les questions théologiques principales qui nous divisent, et en premier la messianité et la divinité du Christ, les Juifs sont, par l’alliance mosaïque, sur un chemin qui mène au Christ d’une manière particulière et la conversion des Juifs est au bout de ce chemin. Ils restent des témoins vivants du berceau du Christ qui peuvent éclairer de manière spécifique la judéité du Christ qui imprègne tout son être humain dans la chair.
Il y a, dans la Torah et les autres livres juifs qui forment notre Ancien Testament, toutes les écritures nécessaires pour révéler dans toute son étendue ce qu’est la promesse d’un Messie. Ce que les Juifs peuvent nous en dire dans le berceau juif de cette promesse peut enrichir notre compréhension du fait de leur pratique concrète de l’Ancienne Alliance que nous n’avons pas, et nos frères juifs pourraient eux-mêmes découvrir des aspects cachés dans ce que les chrétiens perçoivent de cette promesse d’un Messie et enrichir par là leur propre foi fondée dans l’Ancienne Alliance.
De même, à un niveau plus profond encore, la double interdiction pour les Juifs de représenter et de nommer le divin reste un socle fondamental qui, du fait même de cette interdiction, laisse des ouvertures dans la connaissance du divin qui n’épuisent pas l’enrichissement mutuel qui demeure possible là où, dans un contexte autre, les chrétiens ont l’habitude d’utiliser de manière banale des concepts comme la divinité de Jésus et la Trinité.
Mais, restons attentifs, notamment dans notre compréhension de l’Évangile, à la pensée juive dont Jésus et ses apôtres étaient pétris.
Le nom c’est l’identité et les Juifs attirent notre attention sur le fait que le divin ne peut être identifié par l’humain, ce qui est vrai en ce sens qu’aucun de nos mots, ni aucune de nos pensées, ne peut prétendre définir ou limiter le divin, ni le représenter, car il est au-delà de tout ce que nous pouvons dire ou penser. Il est transcendant. Absolument.
Les chrétiens le savent, bien sûr, et peuvent entrer en dialogue sans restriction avec les Juifs à cet égard. Tout est affaire de nuances parfois très subtiles dont la Bible est remplie.
Le « nom » que nous, chrétiens, attribuons au divin sans gêne en parlant de « Dieu » est un mode de langage largement « incommunicable » qui fait partie de notre langage et de notre culture dont nous avons une expérience que nos frères juifs n’ont pas en ce que leur expérience est autre.
Parler de « Trinité », de « Dieu », ou d’une « incarnation » de « Dieu », ou encore d’un « Fils » de « Dieu », n’a pas de place dans leur langage puisque le concept même de « Dieu » n’y a pas et ne peut pas y avoir de contenu précis et puisqu’il ne peut en rien représenter ou nommer le divin.
Mais, Juifs ou Chrétiens, nous sommes des humains en présence de la même réalité et en présence d’un Juif nommé Jésus. La lumière que nous recevons de Lui est incomparable, mais, mystérieusement pour nous, elle continue à passer encore d’une manière particulière par le peuple élu d’Israël, pour le bien de toute l’Église et pour l’avènement de Jésus-Christ, notre Seigneur.
Et vos craintes d’interprétations déviantes et belliqueuses dans tout cela ? Bien réelles, bien concrètes, bien terrestres.
Avec un brin d’humour ou du moins de manière un peu décalée, je pense que Dieu devait craindre et se dire la même chose que vous lorsqu’il a fait alliance avec Abraham. Et avec raison.
« l’Église devrait-elle faire comme si elle ne percevait pas cette réalité ? » Non, bien sûr !
Mais, néanmoins, deux conclusions possibles et différentes se présentent à nous : soit l’incarnation du Christ et la réalisation de son œuvre, par la mort, la résurrection et l’effusion de l’Esprit, a achevé pleinement l’Ancienne Alliance désormais totalement morte et sans objet, soit cet achèvement ne se réalisera pleinement qu’à l’avènement du Christ à la fin des temps et, entretemps, l’Ancienne Alliance subsiste pour contribuer à l’œuvre du Christ.
Et l’enseignement de l’Église est qu’elle subsiste. Avec et malgré les craintes pertinentes que vous exprimez.
@Ombiace
Je vous remercie pour vos précisions qui nuancent votre message précédent. Mais par rapport au sujet en cause ici, je ne peux que vous confirmer mes réserves par rapport à cette approche exprimées dans mon message précédent.
Les questions en cause étant difficiles, il est important d’éviter de développer davantage des réflexions hors sujet.
Bonjour à chacun,
[i][b]@Gaudens[/b][/i]
Merci pour votre réflexion profonde.
« [i]jouer sur les mots[/i] », « [i]se payer de mots[/i] »… Cela exprime certes la méfiance que vous ressentez.
Hélas, dans tout dialogue, nous n’avons que des mots pour nous exprimer et chacun de nous les ressent de manière personnelle avec des nuances parfois très inconscientes, de sorte qu’un dialogue exige toujours d’explorer le sens des mots pour celui qui les utilise. Cela peut donner l’impression d’une manipulation trompeuse et on trouve aisément dans la réalité des raisons pour nourrir cette impression.
Ainsi, lorsque vous écrivez que « [i]S’il est vrai que Dieu est fidèle et ne révoque pas son Alliance, celle-ci peut être rompue par l’autre partie[/i] », c’est certain et personne ne le conteste et, pourtant, vous voulez exprimer une contradiction avec des mots qui sont exacts, mais qui, cependant, cachent le vrai désaccord. L’autre partie peut certes rompre l’alliance, mais tout ce sujet concernant les Juifs s’intéresse surtout au fait que cette rupture de la part d’humains ne supprime pas l’Alliance par Dieu. Dieu continue à maintenir son alliance et à inviter son peuple à y être fidèle même après qu’il l’ait rejetée et rompue. Cette alliance subsiste et n’est pas révoquée, même après avoir été rejetée et rompue par l'autre partie.
Mais, la difficulté concrète est réelle.
Vous en faites un excellent résumé de ce qui me semble être votre pensée et le fondement de votre méfiance : « [i]L’Alliance sinaïtique avec Israël se concrétisait du côté de Dieu par un soutien aux guerres menées par Israël, dont la Révélation chrétienne nous enseigne qu’elles servaient à la pérennité du peuple, maintenu souvent difficilement dans la fidélité à cette alliance, afin que de ce peuple vienne le Messie Fils de Dieu, seul capable .d’établir une Alliance nouvelle et éternelle avec l’humanité entière, à travers l’Église, Nouvel Israël. [/i]».
Vous semblez limiter ainsi l'alliance sinaïtique à la venue du Christ et vous méfier de cette alliance sinaïtique parce qu’elle « [i]se concrétisait du côté de Dieu par un soutien aux guerres menées par Israël[/i] » ce qui, aussitôt, vous fait craindre le pire dans la réalité concrète actuelle : « [i]Qu’aurait aujourd’hui le sens réel de l’Alliance sinaïtique supposée maintenue telle quelle avec le Vieil Israël ? Ne croyez-vous pas que celui-ci l’interpréterait (de fait l’interprète) de la même manière, belliqueuse en fait, que dans les temps pré-christiques ?[/i] ».
Merci d’être ainsi aussi franc que clair. Vous avez raison de craindre l’interprétation belliqueuse que vous indiquez dans la situation concrète actuelle dans l’antique pays de Canaan. Vous serez cependant d’accord pour considérer qu’aucune interprétation humaine ne peut suffire à écarter la Parole de Dieu elle-même qu’il incombe de comprendre à la lumière de l’Évangile.
Mais, à ce sujet, vous pouvez aussitôt penser qu’il ne «[i] faut pas se payer de mots[/i] » et, à cet égard, la vraie difficulté se trouve dans la Parole de Dieu elle-même. Vous écrivez que «[i] du côté de Dieu[/i] » cela se concrétisait, dans l’Ancien Testament, par un « [i]soutien[/i] » aux guerres d’Israël.
Et, oui, c’est une vraie difficulté. Comment comprendre aujourd’hui un tel soutien ? Que signifie-t-il réellement ?
La violence de certains propos de Dieu dans l’Ancien Testament est parfois extrême.
Cette question nous plonge dans une perplexité tout aussi extrême. En 2024, notre sensibilité, notre culture, nos valeurs, sont tellement autres que ce qu’elles étaient il y a plus de 3.000 ans, que nous sommes confrontés à une réelle impossibilité de nous représenter exactement le sens des paroles exprimées à cette époque.
Je n’ai hélas pas de réponse satisfaisante à vous proposer et cette observation est très importante dans le sujet concernant le peuple d’Israël qui subsiste aujourd’hui encore depuis plus de 3.000 ans.
Dans le dialogue judéo-chrétien, un rabbin américain, [i][b]Yozef Soloveitchik[/b][/i], a attiré l’attention à cet égard sur l’importance de pouvoir reconnaître une « [i]incommunicabilité[/i] » entre les Juifs, héritiers d’une culture et d’un langage spécifiques nourris de la Torah et de sa mise en pratique depuis des millénaires, et les chrétiens qui, après quelques générations, ont abandonné cette mise en pratique et ont développé une compréhension particulière de la Torah fondée sur le Nouveau Testament.
Cette incommunicabilité ne concerne pas que le dialogue judéo-chrétien, mais fait partie de la réalité humaine qui peut se retrouver partout.
En effet, le langage de chacun de nous est façonné dans un creuset personnel jamais identique à celui de personne d’autre. Cette source, dans la chair de chacun de nous, nous différencie des autres dans une mesure plus ou moins grande selon ce que nous avons en commun.
Et, c’est à cet égard que notre dialogue avec les Juifs se révèle d’une importance essentielle pour nous chrétiens.
L’Israël de l’alliance avec Abraham et Moïse est, et restera à jamais, le berceau du Christ. Ce berceau subsiste, quelles que soient les évolutions qu’on peut constater. Ce berceau (le peuple juif) donne une compréhension particulière à ceux qui en vivent encore aujourd’hui dont nous ne disposons pas.
Le peuple juif est en cela semblable à une mère dont l’expérience de la maternité, avec neuf mois de grossesse et un accouchement, ne peut être « [i]pleinement[/i] » partagée avec ceux qui n’ont pas vécu cette expérience dans leur chair. Il faut accepter qu’il y a là, par exemple, une partie incommunicable d’un vécu dont une mère peut être le témoin d’une manière plus étendue et particulière que celui qui n’a jamais été mère.
Il en est de même de Jésus de Nazareth et de sa vie dans la chair que nous rapportent les évangiles. N’oublions pas que non seulement Jésus, mais aussi que tous les apôtres et ses premiers disciples étaient juifs ou, du moins, pétris de culture juive. C’est dans le peuple juif que Dieu s’est incarné. Même si certains païens s’en sont rapprochés et ont été intégrés, les débuts de l’Église sont juifs.
Même les pèlerins de toutes les nations le jour de la Pentecôte étaient des personnes qui venaient en pèlerinage à Jérusalem, au temple de l’alliance mosaïque.
Ce n’est qu’après quelques dizaines d’années et l’intervention déterminante de saint Paul que l’adhésion à la foi chrétienne s’est détachée de la loi mosaïque et donc de la judéité lorsqu’il a été décidé que les chrétiens venant du monde païen ne devaient plus être circoncis, ce qui est la base de l’alliance selon la chair conclue avec Abraham.
Depuis lors, les chrétiens ont cependant perdu la connaissance de la pratique de la loi mosaïque et de l’ancienne alliance qui fonde le peuple juif.
Mais, ce peuple juif nous reste essentiel pour comprendre les évangiles dans lesquels Jésus parle et agit en juif à l’égard d’autres juifs.
L’évangile de dimanche nous a rappelé à cet égard que Jésus lui-même était attentif au caractère essentiel du cadre juif pour comprendre ses paroles, ses actes, sa messianité et sa divinité.
Dans cet évangile, quelques Grecs voulaient seulement « [i]le voir[/i] » (Jn 12, 20-21) et il n’a donné aucune réponse positive à leur demande, mais au contraire il a choisi de se cacher (cf. Jn 12, 36). Il a dit ailleurs qu’il n’était venu que pour les brebis perdues d’Israël. Ce n’est pas par sectarisme qu’il le faisait, mais parce que sa présence, dans la chair, était seulement pour les Juifs à ce moment et Jésus a postposé la rencontre demandée par ces Grecs : « [i]quand j'aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi[/i] » (Jn 12, 32).
Qui, mieux que les Juifs, pourrait nous aider à comprendre le sens et la portée, dans la chair, des paroles et des actes de Jésus de Nazareth ? La connaissance par l’esprit est, bien certainement, prépondérante et l’Esprit Saint est essentiel pour notre connaissance. Mais, ce que nous ressentons dans la chair n’est pas négligeable car nous sommes faits d’une nature corporelle et spirituelle, indivisiblement. Aussi, la connaissance du berceau de la foi, dans la chair et par les Juifs qui continuent à en vivre, peut enrichir notre compréhension humaine de l’Évangile.
Les Juifs ont l’expérience de la vie juive qui était celle du Christ et des débuts de l’Église. C’est un trésor irremplaçable.
Nous ne cessons pas d’attendre des fruits de l’Ancienne Alliance par laquelle le Christ nous est donné et qui continue à pouvoir contribuer à la vie de l’Église.
Même sur les questions théologiques principales qui nous divisent, et en premier la messianité et la divinité du Christ, les Juifs sont, par l’alliance mosaïque, sur un chemin qui mène au Christ d’une manière particulière et la conversion des Juifs est au bout de ce chemin. Ils restent des témoins vivants du berceau du Christ qui peuvent éclairer de manière spécifique la judéité du Christ qui imprègne tout son être humain dans la chair.
Il y a, dans la Torah et les autres livres juifs qui forment notre Ancien Testament, toutes les écritures nécessaires pour révéler dans toute son étendue ce qu’est la promesse d’un Messie. Ce que les Juifs peuvent nous en dire dans le berceau juif de cette promesse peut enrichir notre compréhension du fait de leur pratique concrète de l’Ancienne Alliance que nous n’avons pas, et nos frères juifs pourraient eux-mêmes découvrir des aspects cachés dans ce que les chrétiens perçoivent de cette promesse d’un Messie et enrichir par là leur propre foi fondée dans l’Ancienne Alliance.
De même, à un niveau plus profond encore, la double interdiction pour les Juifs de représenter et de nommer le divin reste un socle fondamental qui, du fait même de cette interdiction, laisse des ouvertures dans la connaissance du divin qui n’épuisent pas l’enrichissement mutuel qui demeure possible là où, dans un contexte autre, les chrétiens ont l’habitude d’utiliser de manière banale des concepts comme la divinité de Jésus et la Trinité.
Mais, restons attentifs, notamment dans notre compréhension de l’Évangile, à la pensée juive dont Jésus et ses apôtres étaient pétris.
Le nom c’est l’identité et les Juifs attirent notre attention sur le fait que le divin ne peut être identifié par l’humain, ce qui est vrai en ce sens qu’aucun de nos mots, ni aucune de nos pensées, ne peut prétendre définir ou limiter le divin, ni le représenter, car il est au-delà de tout ce que nous pouvons dire ou penser. Il est transcendant. Absolument.
Les chrétiens le savent, bien sûr, et peuvent entrer en dialogue sans restriction avec les Juifs à cet égard. Tout est affaire de nuances parfois très subtiles dont la Bible est remplie.
Le «[i] nom [/i]» que nous, chrétiens, attribuons au divin sans gêne en parlant de « [i]Dieu [/i]» est un mode de langage largement « [i]incommunicable[/i] » qui fait partie de notre langage et de notre culture dont nous avons une expérience que nos frères juifs n’ont pas en ce que leur expérience est autre.
Parler de «[i] Trinité[/i] », de « [i]Dieu [/i]», ou d’une « [i]incarnation[/i] » de «[i] Dieu[/i] », ou encore d’un «[i] Fils[/i] » de « [i]Dieu [/i]», n’a pas de place dans leur langage puisque le concept même de « [i]Dieu[/i] » n’y a pas et ne peut pas y avoir de contenu précis et puisqu’il ne peut en rien représenter ou nommer le divin.
Mais, Juifs ou Chrétiens, nous sommes des humains en présence de la même réalité et en présence d’un Juif nommé Jésus. La lumière que nous recevons de Lui est incomparable, mais, mystérieusement pour nous, elle continue à passer encore d’une manière particulière par le peuple élu d’Israël, pour le bien de toute l’Église et pour l’avènement de Jésus-Christ, notre Seigneur.
Et vos craintes d’interprétations déviantes et belliqueuses dans tout cela ? Bien réelles, bien concrètes, bien terrestres.
Avec un brin d’humour ou du moins de manière un peu décalée, je pense que Dieu devait craindre et se dire la même chose que vous lorsqu’il a fait alliance avec Abraham. Et avec raison.
«[i] l’Église devrait-elle faire comme si elle ne percevait pas cette réalité ?[/i] » Non, bien sûr !
Mais, néanmoins, deux conclusions possibles et différentes se présentent à nous : [u][b]soit[/b][/u] l’incarnation du Christ et la réalisation de son œuvre, par la mort, la résurrection et l’effusion de l’Esprit, a achevé pleinement l’Ancienne Alliance désormais totalement morte et sans objet, [i][b]soit[/b][/i] cet achèvement ne se réalisera pleinement qu’à l’avènement du Christ à la fin des temps et, entretemps, l’Ancienne Alliance subsiste pour contribuer à l’œuvre du Christ.
Et l’enseignement de l’Église est qu’elle subsiste. Avec et malgré les craintes pertinentes que vous exprimez.
[i][b]
@Ombiace[/b][/i]
Je vous remercie pour vos précisions qui nuancent votre message précédent. Mais par rapport au sujet en cause ici, je ne peux que vous confirmer mes réserves par rapport à cette approche exprimées dans mon message précédent.
Les questions en cause étant difficiles, il est important d’éviter de développer davantage des réflexions hors sujet.