par Nebularis » sam. 21 mars 2020, 12:39
Altior, Gaudens, Jean-Mic,
j'ai bien conscience que le sujet est douloureux, et les orthodoxes ne sont certes pas exempts de péché. Le meurtre de Josaphat est injustifiable, quels qu'aient pu être ses torts. D'ailleurs, ce crime a été puni de façon disproportionnée par les autorités catholiques, puisque 93 orthodoxes furent exécutés en représailles.
Je citerai toutes mes sources en bas de ce message.
Rappelez-vous également que ce ne sont pas les orthodoxes qui sont venus en pays catholique pour les convertir de force. C'est l'inverse.
Altior a écrit : ↑sam. 21 mars 2020, 0:41
Pourriez-vous, s'il vous plaît , reproduire verbatim cet ordre dont vous parlez et nous partager la source officielle ?
En 1623 s'est tenu à Varsovie une réunion du parlement polonais, le sejm. À cette occasion s'est exprimé le député orthodoxe Lavrentij Drievinskij (en russe Лаврентий Древинский). Comme pour tous les parlements polonais, il existe un compte-rendu écrit de celui de 1623, où sont consignés les propos de ce député orthodoxe. Voici ce qu'il a dit :
« Nous ne demandons rien qui ne soit déjà nôtre depuis plus de 600 ans et que, tel un sanctuaire, les rois polonais nous ont toujours conservé, que le roi actuel nous a également confirmé avec son serment lors de son accession au trône et par l'acte d'autoriser notre patriarche à nommer pour nous un métropolite ... En Lituanie, cela fait cinq ans que l'archevêque de Polotsk [c'est-à-dire Josaphat, ndt] a fait fermer les églises orthodoxes d'Orsha et de Moguilev. Les citoyens de Polotsk et de Vitebsk n'ont pas, par interdiction du même archevêque, accès dans leur ville aux églises, ni même à des maisons de culte, et sont obligés de sortir le dimanche et les jours de fête pour aller aux champs, et cela même sans prêtre, car ils ne sont pas autorisés à disposer de clercs, que ce soit dans la ville ou en-dehors ...
Enfin, voici une affaire terrible, incroyable, barbare et féroce : l'année dernière, dans la même ville lituanienne de Polotsk, le même évêque apostat, pour exaspérer davantage les citoyens, a délibérément ordonné de déterrer des corps chrétiens récemment enterrés en terre consacrée, et de les tirer hors de leurs tombes pour les donner à manger aux chiens, comme des charognes ... »
Ce discours de Drievinskij ne fournit évidemment pas la preuve que les faits se sont réellement déroulés de cette manière. Il n'est pas exclu que ce député ait menti. En ce sens, j'ai peut-être été trop affirmatif dans mon précédent message.
Mais d'un autre côté, on ne peut pas non plus exclure qu'il ait dit la vérité.
Il existe en effet tout un faisceau d'indices qui me porte à croire que les choses ont très bien pu se dérouler ainsi, et que les faits relatés sont même assez vraisemblables.
Prenons tout d'abord la fameuse lettre de
Lew Sapieha, un catholique, grand-chancelier de Pologne-Lituanie, qui écrit à Josaphat en 1623, en réponse à une lettre où ce dernier exigeait une intervention punitive contre des orthodoxes. Voici quelques extraits de la réponse de Sapieha à Josaphat :
« Je ne voudrais pas entrer en conflit et contester Votre Grâce, mais, voyant l'entêtement avec lequel vous défendez vos croyances, n'écoutant aucune raison, je me trouve obligé de répondre, contrairement à mon désir, à votre lettre sans fondement. J'avoue que moi aussi, je me souciais de l'Union [avec les orthodoxes] et je pensais qu'il serait déraisonnable d'abandonner cette affaire; mais il ne m'est jamais venu à l'esprit que Votre Éminence s'y serait attachée par de telles mesures violentes. ... Et vous, avec votre violence imprudente, avez incité et, pour ainsi dire, forcé le peuple russe à résister et à violer le serment donné à Son Altesse Royale. Il est difficile pour vous de vous obstiner lorsque vous êtes reconnu coupable de plaintes déposées par les dirigeants russes, polonais et lituaniens ... »
Et plus loin :
« Par l'abus de votre autorité, et par vos actions, qui prennent leur origine plutôt en votre vanité et votre haine personnelle que dans la charité envers vos voisins, et qui sont contraires aux lois de notre pays, vous avez produit les dangereuses étincelles qui pourraient allumer un feu dévastateur. (...) Une union générale ne peut être promue que par la charité, et non par la force, et c'est pourquoi il n'est guère étonnant que votre autorité rencontre de l'opposition.
Vous me dites que votre vie est en danger ; mais je crois que c'est votre propre faute. (...)
Votre Sainteté présume qu'elle est autorisée à spolier les schismatiques et à leur trancher la tête ; les Évangiles enseignent le contraire. Cette Union a créé un grand malheur ; vous faites preuve de violence envers les consciences, et vous fermez les églises, et ainsi des chrétiens meurent comme des infidèles, sans sacrements. (...)
Nous n'interdisons pas aux Juifs ni aux Musulmans d'avoir leurs lieux de culte, mais vous, vous fermez des temples chrétiens. »
Remarquez que Sapieha confirme les propos du député Drievinskij, lorsque celui-ci affirme que Josaphat a fermé les églises orthodoxes de Polotsk.
Il indique également que Josaphat estime être autorisé à
trancher la tête des orthodoxes ; on peut en conclure, dans le meilleur des cas, que Josaphat nourrissait des intentions de meurtre ; et dans le pire des cas, on peut en conclure que ces intentions ne sont pas restées à l'état de projet.
Laissez-moi vous donner un dernier exemple.
Lorsque Josaphat voulut se rendre à Moguilev, en 1618, la ville lui ferma ses portes, exaspérée par les exactions du prélat. Josaphat s'en plaignit au roi Sigismond III et au pape Grégoire XV, les pressant de sévir contre les rebelles. Sur ordre royal, et avec la bénédiction du pape, les instigateurs présumés du soulèvement (environ 20 personnes) furent exécutés, une importante amende fut infligée à la ville, et toutes les églises et lieux de culte orthodoxes avec leurs biens et leurs revenus furent transférés à l’archevêché de Polotsk, donc à Josaphat. Vous connaissez désormais la suite : les églises furent fermées aux orthodoxes, ce qui confirme encore une fois les propos de Drievinskij.
Voici donc trois sources indépendantes qui confirment chacune de façon autonome la brutalité et le fanatisme bestial de Josaphat. À tout le moins, il est permis de douter que ce personnage ait mérité sa béatification.
L'historien britannique Norman Davies, spécialiste de la Pologne et guère suspect de militantisme orthodoxe, écrit à propos de Josaphat :
« [Ce] n'était pas un homme de paix et il s'était rendu coupable de toutes sortes d'oppressions, y compris les persécutions les plus mesquines et les plus insultantes - notamment le refus de permettre aux paysans orthodoxes d'enterrer leurs morts en terre consacrée. »
En d'autres termes, il interdisait l'enterrement des orthodoxes dans les cimetières uniates. Là encore, nous avons une confirmation indirecte des accusations portées par Drievinskij : si Josaphat interdisait l'enterrement des orthodoxes en terre consacrée, il est tout à fait raisonnable d'admettre qu'il ait pu donner l'ordre de déterrer des cadavres, peut-être pas pour les donner à manger aux chiens (ce point reste à prouver) mais pour les enterrer ailleurs, en terre non-consacrée.
Personnellement, je ne vois pas de raison de douter de la parole de cet historien anglais, qui, je le répète, est neutre dans cette affaire.
Tout ce que j'affirme ici est documenté, de façon vérifiable, par des sources historiques, notamment des documents historiques polonais, biélorusses et lituaniens. Certains de ces documents ne sont hélas pas traduits, ni en français, ni en anglais. Libre à vous donc, de ne pas me croire. Mais si vous avez des amis parlant le polonais ou le russe, je me ferais un plaisir de vous communiquer toutes mes informations.
Par ailleurs, des historiens sérieux et des spécialistes de la période confirment le tableau que j'ai dressé ici de Josaphat.
Les sources :
Sur Josaphat :
http://www.self.gutenberg.org/articles/ ... Kuntsevych (en anglais, page très complète et neutre, abondamment sourcée)
La lettre de Lew Sapieha à Josaphat :
https://books.google.ca/books?id=FKgPAA ... &q&f=false (en anglais)
Altior, Gaudens, Jean-Mic,
j'ai bien conscience que le sujet est douloureux, et les orthodoxes ne sont certes pas exempts de péché. Le meurtre de Josaphat est injustifiable, quels qu'aient pu être ses torts. D'ailleurs, ce crime a été puni de façon disproportionnée par les autorités catholiques, puisque 93 orthodoxes furent exécutés en représailles. [u]Je citerai toutes mes sources en bas de ce message[/u].
Rappelez-vous également que ce ne sont pas les orthodoxes qui sont venus en pays catholique pour les convertir de force. C'est l'inverse.
[quote=Altior post_id=417905 time=1584744087 user_id=1720]
Pourriez-vous, s'il vous plaît , reproduire verbatim cet ordre dont vous parlez et nous partager la source officielle ?
[/quote]
En 1623 s'est tenu à Varsovie une réunion du parlement polonais, le sejm. À cette occasion s'est exprimé le député orthodoxe Lavrentij Drievinskij (en russe Лаврентий Древинский). Comme pour tous les parlements polonais, il existe un compte-rendu écrit de celui de 1623, où sont consignés les propos de ce député orthodoxe. Voici ce qu'il a dit :
[i]« Nous ne demandons rien qui ne soit déjà nôtre depuis plus de 600 ans et que, tel un sanctuaire, les rois polonais nous ont toujours conservé, que le roi actuel nous a également confirmé avec son serment lors de son accession au trône et par l'acte d'autoriser notre patriarche à nommer pour nous un métropolite ... En Lituanie, cela fait cinq ans que l'archevêque de Polotsk [c'est-à-dire Josaphat, ndt] a fait fermer les églises orthodoxes d'Orsha et de Moguilev. Les citoyens de Polotsk et de Vitebsk n'ont pas, par interdiction du même archevêque, accès dans leur ville aux églises, ni même à des maisons de culte, et sont obligés de sortir le dimanche et les jours de fête pour aller aux champs, et cela même sans prêtre, car ils ne sont pas autorisés à disposer de clercs, que ce soit dans la ville ou en-dehors ...
Enfin, voici une affaire terrible, incroyable, barbare et féroce : l'année dernière, dans la même ville lituanienne de Polotsk, le même évêque apostat, pour exaspérer davantage les citoyens, a délibérément ordonné de déterrer des corps chrétiens récemment enterrés en terre consacrée, et de les tirer hors de leurs tombes pour les donner à manger aux chiens, comme des charognes ... »[/i]
Ce discours de Drievinskij ne fournit évidemment pas la preuve que les faits se sont réellement déroulés de cette manière. Il n'est pas exclu que ce député ait menti. En ce sens, j'ai peut-être été trop affirmatif dans mon précédent message.
Mais d'un autre côté, on ne peut pas non plus exclure qu'il ait dit la vérité.
Il existe en effet tout un faisceau d'indices qui me porte à croire que les choses ont très bien pu se dérouler ainsi, et que les faits relatés sont même assez vraisemblables.
Prenons tout d'abord la fameuse lettre de [url=https://fr.wikipedia.org/wiki/Lew_Sapieha]Lew Sapieha[/url], un catholique, grand-chancelier de Pologne-Lituanie, qui écrit à Josaphat en 1623, en réponse à une lettre où ce dernier exigeait une intervention punitive contre des orthodoxes. Voici quelques extraits de la réponse de Sapieha à Josaphat :
[i]
« Je ne voudrais pas entrer en conflit et contester Votre Grâce, mais, voyant l'entêtement avec lequel vous défendez vos croyances, n'écoutant aucune raison, je me trouve obligé de répondre, contrairement à mon désir, à votre lettre sans fondement. J'avoue que moi aussi, je me souciais de l'Union [avec les orthodoxes] et je pensais qu'il serait déraisonnable d'abandonner cette affaire; mais il ne m'est jamais venu à l'esprit que Votre Éminence s'y serait attachée par de telles mesures violentes. ... Et vous, avec votre violence imprudente, avez incité et, pour ainsi dire, forcé le peuple russe à résister et à violer le serment donné à Son Altesse Royale. Il est difficile pour vous de vous obstiner lorsque vous êtes reconnu coupable de plaintes déposées par les dirigeants russes, polonais et lituaniens ... »[/i]
Et plus loin :
[i]
« Par l'abus de votre autorité, et par vos actions, qui prennent leur origine plutôt en votre vanité et votre haine personnelle que dans la charité envers vos voisins, et qui sont contraires aux lois de notre pays, vous avez produit les dangereuses étincelles qui pourraient allumer un feu dévastateur. (...) Une union générale ne peut être promue que par la charité, et non par la force, et c'est pourquoi il n'est guère étonnant que votre autorité rencontre de l'opposition.
Vous me dites que votre vie est en danger ; mais je crois que c'est votre propre faute. (...)
[b]Votre Sainteté présume qu'elle est autorisée à spolier les schismatiques et à leur trancher la tête ; les Évangiles enseignent le contraire. [/b]Cette Union a créé un grand malheur ; vous faites preuve de violence envers les consciences, et vous fermez les églises, et ainsi des chrétiens meurent comme des infidèles, sans sacrements. (...)
[b]Nous n'interdisons pas aux Juifs ni aux Musulmans d'avoir leurs lieux de culte, mais vous, vous fermez des temples chrétiens.[/b] »[/i]
Remarquez que Sapieha confirme les propos du député Drievinskij, lorsque celui-ci affirme que Josaphat a fermé les églises orthodoxes de Polotsk.
Il indique également que Josaphat estime être autorisé à [i]trancher la tête[/i] des orthodoxes ; on peut en conclure, dans le meilleur des cas, que Josaphat nourrissait des intentions de meurtre ; et dans le pire des cas, on peut en conclure que ces intentions ne sont pas restées à l'état de projet.
Laissez-moi vous donner un dernier exemple.
Lorsque Josaphat voulut se rendre à Moguilev, en 1618, la ville lui ferma ses portes, exaspérée par les exactions du prélat. Josaphat s'en plaignit au roi Sigismond III et au pape Grégoire XV, les pressant de sévir contre les rebelles. Sur ordre royal, et avec la bénédiction du pape, les instigateurs présumés du soulèvement (environ 20 personnes) furent exécutés, une importante amende fut infligée à la ville, et toutes les églises et lieux de culte orthodoxes avec leurs biens et leurs revenus furent transférés à l’archevêché de Polotsk, donc à Josaphat. Vous connaissez désormais la suite : les églises furent fermées aux orthodoxes, ce qui confirme encore une fois les propos de Drievinskij.
Voici donc trois sources indépendantes qui confirment chacune de façon autonome la brutalité et le fanatisme bestial de Josaphat. À tout le moins, il est permis de douter que ce personnage ait mérité sa béatification.
L'historien britannique Norman Davies, spécialiste de la Pologne et guère suspect de militantisme orthodoxe, écrit à propos de Josaphat :
[i]« [Ce] n'était pas un homme de paix et il s'était rendu coupable de toutes sortes d'oppressions, y compris les persécutions les plus mesquines et les plus insultantes - notamment le refus de permettre aux paysans orthodoxes d'enterrer leurs morts en terre consacrée. »[/i]
En d'autres termes, il interdisait l'enterrement des orthodoxes dans les cimetières uniates. Là encore, nous avons une confirmation indirecte des accusations portées par Drievinskij : si Josaphat interdisait l'enterrement des orthodoxes en terre consacrée, il est tout à fait raisonnable d'admettre qu'il ait pu donner l'ordre de déterrer des cadavres, peut-être pas pour les donner à manger aux chiens (ce point reste à prouver) mais pour les enterrer ailleurs, en terre non-consacrée.
Personnellement, je ne vois pas de raison de douter de la parole de cet historien anglais, qui, je le répète, est neutre dans cette affaire.
Tout ce que j'affirme ici est documenté, de façon vérifiable, par des sources historiques, notamment des documents historiques polonais, biélorusses et lituaniens. Certains de ces documents ne sont hélas pas traduits, ni en français, ni en anglais. Libre à vous donc, de ne pas me croire. Mais si vous avez des amis parlant le polonais ou le russe, je me ferais un plaisir de vous communiquer toutes mes informations.
Par ailleurs, des historiens sérieux et des spécialistes de la période confirment le tableau que j'ai dressé ici de Josaphat.
Les sources :
Sur Josaphat : http://www.self.gutenberg.org/articles/Josaphat_Kuntsevych (en anglais, page très complète et neutre, abondamment sourcée)
La lettre de Lew Sapieha à Josaphat : https://books.google.ca/books?id=FKgPAAAAQAAJ&pg=PA192&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false (en anglais)