par Cinci » jeu. 04 oct. 2018, 2:22
Deux beaux textes, en lien avec le sujet ...
L'Ancien Testament nous dit déjà que la douleur est une épreuve et non un châtiment ("Yavhé reprend celui qu'il chérit comme un père son fils bien-aimé") (Prov. 3,12). Rappelons aussi l'histoire de Job. Et Tobie : "Parce que tu étais agréable à Dieu, il a fallu que la souffrance t'éprouvât" (Tobie 12,13).
Le Nouveau Testament nous le crie à chaque page. Un bon travail à faire serait de rechercher tous les passages qui parlent de la souffrance.
Qu'en dit Jésus ?
L'histoire de l'aveugle-né (Jean 9) soulève le problème.
Les apôtres, curieux et cruels, avec la mentalité concierge que nous avons tous, voyant ce malheureux au bord du chemin, demandent à Jésus :"Rabbi, comment en est-il arrivé là ?! C'est sa faute ? ou c'est la faute de ses parents ?"
"Ni lui ni ses parents n'ont péché, répond Jésus. Mais c'est pour qu'en lui se manifestent les oeuvres de Dieu". Là est la grande réponse. Tel est le sens le plus riche et le plus beau de toutes nos adversités.
"Cette maladie ne va pas à la mort, dit Jésus; elle est pour la gloire de Dieu" (Jean XI, 4)
Nos souffrances sont le support, la matière d'un signe de Dieu. Elles sont toutes "significatives" - mais il nous faut parfois attendre, dans une longue patience, que la signification nous en soit donnée. Longtemps. Quel âge avait l'aveugle-né ? Combien d'années de cécité absurde, de nuit incompréhensible, pour que puisse éclater la joie de la Fontaine de Siloé ?
Nous devons, dans la foi, voir dans nos souffrances des promesses et non des mutilations. Dieu tisse un chef d'oeuvre que nous ne découvrirons qu'au dernier jour.
La parabole de la vigne nous rappelle aussi que si les sarments stériles sont coupés et éliminés, "tout sarment qui porte du fruit, le Père l'émonde pour qu'il en porte encore davantage" (Jean 15,2) Et il faut avoir travaillé à la vigne pour savoir ce qui reste après émondage ! Quand nous sentons la brisure, le craquement douloureux du sécateur ... est-ce pour notre retranchement , ou pour notre émondage ? Qui peut distinguer ? Au moment même, ça fait le même mal. Mais si notre coeur demeure en Lui, Il nous a promis qu'il demeurerait en nous et que nous porterions beaucoup de fruit".
Il nous faut croire ce mystère de cet émondage et de cette douloureuse croissance.
Jésus n'est pas venu supprimer d'un coup la souffrance, ni l'expliquer, ni la justifier. Il est venu l'assumer et la transformer. La portant avec infiniment d'amour, il nous a appris à soulager celle des autres, et à supporter patiemment, avec Lui et en Lui, celle qui reste inévitable. Fidèle, confiant, remis au Père jusque dans la mort, il nous a appris qu'il y a moyen d'être heureux malheureux. Jésus parlant au seuil de sa Passion de la plénitude de sa joie nous a révélé que l'une n'excluait pas l'autre. "Afin que le monde sache que j'aime mon Père et que j'obéis à sa volonté, levons-nous. Allons nous en d'ici" (Jean 14,31) : le chemin de croix, pour Jésus, a été aussi un chemin de joie. D'enthousiasme.
Du fond de sa joie de Fils, il a épousé la souffrance humaine afin de les unir à jamais. Les épousailles de saint François avec Dame Pauvreté ne sont qu'une des traditions séculaires des épousailles éternelles du Christ avec la Souffrance.
Accueillir l'amour du Christ c'est donc épouser sa souffrance. Et sa joie. Sa "bienheureuse Passion".
Il ne faut cependant pas en arriver à dire que la souffrance vient de Dieu. Le Père ne punit pas les hommes : les hommes se punissent. Dieu n'envoie pas malheur et châtiments : la méchanceté de l'homme suffit à expliquer le mal. Loin de vouloir se venger sur nous, Dieu pleure sur nos crimes et sur les conséquences qu'ils entraînent pour nous et nos descendants (Luc 19, 44) .
Même à l'origine du monde, Dieu avait fait l'homme capable de bonheur par son travail intelligent et son amour. A chaque étape de sa création, Dieu proclame que ce qu'il fait est bon. Mais l'homme a manqué son entrée dans cette joie et, au lieu de punir cet échec, Dieu a voulu en partager et en réparer progressivement les conséquences.
"Si Dieu nous laisse souffrir, pécher, douter, c'est qu'il ne peut pas, maintenant et d'un seul coup, nous guérir et se montrer. Et s'Il ne le peut pas, c'est uniquement parce que nous sommes encore incapable, en vertu du stade où se trouve l'Univers, de plus d'organisation et de lumière ... Non, Dieu ne se cache pas, j'en suis sûr, pour que nous le cherchions, pas plus qu'il ne nous laisse souffrir pour augmenter nos mérites. Bien au contraire, penché sur la Création qui monte à Lui, il travaille de toutes ses forces à la béatifier et à l'illuminer. Comme une mère, il épie son nouveau-né. Mais nos yeux ne sauraient encore le percevoir. Ne faut-il pas justement toute la durée des siècles pour que notre regard s'ouvre à la lumière ?" (Teilhard de Chardin)
Louis Évely (L'abbé), Souffrance, p. 58
"Il y a en ce moment, dans le monde, au fond de quelque église perdue, ou même dans une maison quelconque, ou encore au tournant d'un chemin désert, tel pauvre homme qui joint les mains et du fond de sa misère, sans bien savoir ce qu'il dit, ou sans rien dire, remercie le Bon Dieu de l'avoir fait libre, de l'avoir fait capable d'aimer. Il y a quelque part ailleurs, je ne sais où, une maman qui cache pour la dernière fois son visage au creux d'une petite poitrine qui ne battra plus, une mère près de son enfant mort qui offre à Dieu le gémissement d'une résignation exténuée, comme si la Voix qui a jeté les soleils dans l'étendue ainsi qu'une main jette le grain, la Voix qui fait trembler les mondes, venait de lui murmurer doucement à l'oreille : Pardonne-moi. Un jour, tu sauras, tu comprendras, tu me rendras grâce. Mais maintenant, ce que j'attends de toi, c'est ton pardon, pardonne. Ceux-là, cette femme harassée, ce pauvre homme, se trouvent au coeur du mystère, au coeur de la création universelle et dans le secret même de Dieu. Que vous en dire ? Le langage est au service de l'intelligence bien qu'elle ne soit nullement en contradiction avec elle - ou plutôt par un mouvement profond et irrésistible de l'âme qui engageait toutes les facultés à la fois, qui engageait à fond toute leur nature ... Oui, à ce moment où cet homme, cette femme, acceptaient leur destin, s'acceptaient eux-mêmes, humblement, - le mystère de la Création s'accomplissait en eux, tandis qu'ils couraient ainsi sans le savoir tout le risque de leur conduite humaine, se réalisaient pleinement dans la charité du Christ, devenant eux-mêmes, selon la parole de saint Paul, d'autres Christs. Bref, ils étaient des saints."
Bernanos,
La liberté, pourquoi faire ?, p. 280
Deux beaux textes, en lien avec le sujet ...
[quote]L'Ancien Testament nous dit déjà que la douleur est une épreuve et non un châtiment ("Yavhé reprend celui qu'il chérit comme un père son fils bien-aimé") (Prov. 3,12). Rappelons aussi l'histoire de Job. Et Tobie : "Parce que tu étais agréable à Dieu, il a fallu que la souffrance t'éprouvât" (Tobie 12,13).
Le Nouveau Testament nous le crie à chaque page. Un bon travail à faire serait de rechercher tous les passages qui parlent de la souffrance.
Qu'en dit Jésus ?
L'histoire de l'aveugle-né (Jean 9) soulève le problème.
Les apôtres, curieux et cruels, avec la mentalité concierge que nous avons tous, voyant ce malheureux au bord du chemin, demandent à Jésus :"Rabbi, comment en est-il arrivé là ?! C'est sa faute ? ou c'est la faute de ses parents ?"
"Ni lui ni ses parents n'ont péché, répond Jésus. Mais c'est pour qu'en lui se manifestent les oeuvres de Dieu". Là est la grande réponse. Tel est le sens le plus riche et le plus beau de toutes nos adversités.
"Cette maladie ne va pas à la mort, dit Jésus; elle est pour la gloire de Dieu" (Jean XI, 4)
Nos souffrances sont le support, la matière d'un signe de Dieu. Elles sont toutes "significatives" - mais il nous faut parfois attendre, dans une longue patience, que la signification nous en soit donnée. Longtemps. Quel âge avait l'aveugle-né ? Combien d'années de cécité absurde, de nuit incompréhensible, pour que puisse éclater la joie de la Fontaine de Siloé ?
Nous devons, dans la foi, voir dans nos souffrances des promesses et non des mutilations. Dieu tisse un chef d'oeuvre que nous ne découvrirons qu'au dernier jour.
La parabole de la vigne nous rappelle aussi que si les sarments stériles sont coupés et éliminés, "tout sarment qui porte du fruit, le Père l'émonde pour qu'il en porte encore davantage" (Jean 15,2) Et il faut avoir travaillé à la vigne pour savoir ce qui reste après émondage ! Quand nous sentons la brisure, le craquement douloureux du sécateur ... est-ce pour notre retranchement , ou pour notre émondage ? Qui peut distinguer ? Au moment même, ça fait le même mal. Mais si notre coeur demeure en Lui, Il nous a promis qu'il demeurerait en nous et que nous porterions beaucoup de fruit".
Il nous faut croire ce mystère de cet émondage et de cette douloureuse croissance.
Jésus n'est pas venu supprimer d'un coup la souffrance, ni l'expliquer, ni la justifier. Il est venu l'assumer et la transformer. La portant avec infiniment d'amour, il nous a appris à soulager celle des autres, et à supporter patiemment, avec Lui et en Lui, celle qui reste inévitable. Fidèle, confiant, remis au Père jusque dans la mort, il nous a appris qu'il y a moyen d'être heureux malheureux. Jésus parlant au seuil de sa Passion de la plénitude de sa joie nous a révélé que l'une n'excluait pas l'autre. "Afin que le monde sache que j'aime mon Père et que j'obéis à sa volonté, levons-nous. Allons nous en d'ici" (Jean 14,31) : le chemin de croix, pour Jésus, a été aussi un chemin de joie. D'enthousiasme.
Du fond de sa joie de Fils, il a épousé la souffrance humaine afin de les unir à jamais. Les épousailles de saint François avec Dame Pauvreté ne sont qu'une des traditions séculaires des épousailles éternelles du Christ avec la Souffrance.
Accueillir l'amour du Christ c'est donc épouser sa souffrance. Et sa joie. Sa "bienheureuse Passion".
Il ne faut cependant pas en arriver à dire que la souffrance vient de Dieu. Le Père ne punit pas les hommes : les hommes se punissent. Dieu n'envoie pas malheur et châtiments : la méchanceté de l'homme suffit à expliquer le mal. Loin de vouloir se venger sur nous, Dieu pleure sur nos crimes et sur les conséquences qu'ils entraînent pour nous et nos descendants (Luc 19, 44) .
Même à l'origine du monde, Dieu avait fait l'homme capable de bonheur par son travail intelligent et son amour. A chaque étape de sa création, Dieu proclame que ce qu'il fait est bon. Mais l'homme a manqué son entrée dans cette joie et, au lieu de punir cet échec, Dieu a voulu en partager et en réparer progressivement les conséquences.
"Si Dieu nous laisse souffrir, pécher, douter, c'est qu'il ne peut pas, maintenant et d'un seul coup, nous guérir et se montrer. Et s'Il ne le peut pas, c'est uniquement parce que nous sommes encore incapable, en vertu du stade où se trouve l'Univers, de plus d'organisation et de lumière ... Non, Dieu ne se cache pas, j'en suis sûr, pour que nous le cherchions, pas plus qu'il ne nous laisse souffrir pour augmenter nos mérites. Bien au contraire, penché sur la Création qui monte à Lui, il travaille de toutes ses forces à la béatifier et à l'illuminer. Comme une mère, il épie son nouveau-né. Mais nos yeux ne sauraient encore le percevoir. Ne faut-il pas justement toute la durée des siècles pour que notre regard s'ouvre à la lumière ?" (Teilhard de Chardin)
Louis Évely (L'abbé), [u]Souffrance[/u], p. 58 [/quote]
[i]"Il y a en ce moment, dans le monde, au fond de quelque église perdue, ou même dans une maison quelconque, ou encore au tournant d'un chemin désert, tel pauvre homme qui joint les mains et du fond de sa misère, sans bien savoir ce qu'il dit, ou sans rien dire, remercie le Bon Dieu de l'avoir fait libre, de l'avoir fait capable d'aimer. Il y a quelque part ailleurs, je ne sais où, une maman qui cache pour la dernière fois son visage au creux d'une petite poitrine qui ne battra plus, une mère près de son enfant mort qui offre à Dieu le gémissement d'une résignation exténuée, comme si la Voix qui a jeté les soleils dans l'étendue ainsi qu'une main jette le grain, la Voix qui fait trembler les mondes, venait de lui murmurer doucement à l'oreille : Pardonne-moi. Un jour, tu sauras, tu comprendras, tu me rendras grâce. Mais maintenant, ce que j'attends de toi, c'est ton pardon, pardonne. Ceux-là, cette femme harassée, ce pauvre homme, se trouvent au coeur du mystère, au coeur de la création universelle et dans le secret même de Dieu. Que vous en dire ? Le langage est au service de l'intelligence bien qu'elle ne soit nullement en contradiction avec elle - ou plutôt par un mouvement profond et irrésistible de l'âme qui engageait toutes les facultés à la fois, qui engageait à fond toute leur nature ... Oui, à ce moment où cet homme, cette femme, acceptaient leur destin, s'acceptaient eux-mêmes, humblement, - le mystère de la Création s'accomplissait en eux, tandis qu'ils couraient ainsi sans le savoir tout le risque de leur conduite humaine, se réalisaient pleinement dans la charité du Christ, devenant eux-mêmes, selon la parole de saint Paul, d'autres Christs. Bref, ils étaient des saints."
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Bernanos, [u]La liberté, pourquoi faire ?[/u], p. 280