Jésus a révolutionné le sens de la mort

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Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Didyme » jeu. 23 nov. 2017, 23:20

Cinci a écrit :Nous créant nous-mêmes tels que nous voulons être …
Tout à fait. Et ce que nous voulons être vient de qui l’on est, une créature de Dieu dans tout ce que ça implique. A savoir créé donc sujet à notre condition humaine. Et avec notre âme créée, siège de notre volonté, de notre identité, de notre personnalité. Âme créée par Dieu …
:-D

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » jeu. 23 nov. 2017, 6:13

Grégoire de Nysse :
"Or, être sujet au changement, c'est naître continuellement. Mais ici la naissance ne vient pas d'une intervention étrangère, comme c'est le cas pour les êtres corporels [...] Elle est le résultat d'un choix libre et nous sommes ainsi, en un sens, nos propres parents, nous créant nous-mêmes tels que nous voulons être, et, par notre volonté, nous façonnant selon le modèle que nous choisissons." (Vie de Moïse, II, 2-3 : cité dans Jean-Paul II, La Splendeur de la vérité, 71 cf chap. 2; IV L'acte moral)
Nous créant nous-mêmes tels que nous voulons être ...

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Didyme » mar. 21 nov. 2017, 22:35

Oui c'est vrai, nous nous "créons" dans le sens où nous nous construisons, où nous ne sommes pas "semés" tout fait.
Comme tu dis, nous devons collaborer à faire advenir ce que nous devenons.

Même si je pense que d'une certaine façon, tout cela suit une certaine logique.

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » mar. 21 nov. 2017, 5:44

Didyme a écrit :
D'ailleurs, s'il était question de se créer et non d'exprimer la logique de ce qu'on est, suivant notre condition, pourquoi Dieu viserait à nous détourner des voies que l'on choisit, de notre perdition ? Il respecterait cette auto-création en se faisant silence total, sans intervention, mise en garde, sans même l'incarnation.
Les seules voies dont il faudrait se détourner sont celles qui mènent au malheur de l'homme, à sa déshumanisation, à l'isolement, etc. Ce ne sont pas de voies qui sont comblantes. Un homme ne peut pas véritablement se construire en agissant contre Dieu et contre l'humanité.

En s'efforçant de se construire soi-même à rebours de ce pourquoi nous sommes crées (cf louer, adorer, servir Dieu), un homme s'abîmerait plutôt. Il endommagerait sa propre humanité. Dieu n'agit pas avec violence pour forcer les sujets à bien faire, mais il peut tout de même suggérer des chemins de vie.

[...]

Notre fin se trouve en Dieu, notre bonheur, notre liberté. Se construire = prendre des moyens qui puissent nous permettre d'atteindre à cet objectif ultime.

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » mar. 21 nov. 2017, 5:13

Didyme a écrit :
Mais que veut dire "se créer soi-même" ? C'est quelque chose que je ne comprends pas.
Je pense que le Père fait juste allusion à une faculté humaine, celle qui consiste à pouvoir choisir ce que l'on veut devenir. Nous ne sommes pas crées chrétiens tout faits, ni artistes ni professeurs, etc. Nous sommes co-créateurs de nous-mêmes.



Certes, l'homme exprime ce qu'il est mais cela ne vient pas de nulle part. Or, le terme de "se créer soi-même" me renvoie l'impression de se créer à partir de rien. Créer à partir de rien c'est Dieu qui le peut donc en fait, si on se créé nous-mêmes, à partir de rien, c'est qu'au final Dieu peut créer des dieux ...
Non. Il ne suggère pas que nous pourrions nous créer à partir de rien, mais que nous devons collaborer à faire advenir ce que nous devenons. On ne devient pas chrétien par accident, ni saint en notre absence.

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » lun. 20 nov. 2017, 4:37

Une petite capsule sympathique du Père Verlinde, tiens!



(cf 6e et 7e minute)

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Didyme » sam. 18 nov. 2017, 23:57

L'autre point concerne la phrase :
"Or l'amour veut que l'autre soit vraiment autre, et non pas un reflet de soi."

Un côté, j'ai envie d'acquiescer. Mais d'un autre, notre vocation n'est-elle pas de faire la volonté divine, non la notre. Notre vocation est l'unité, de faire un avec Dieu, l'union à la divinité par l'union de Dieu à l'homme. Nous sommes créés pour cela, pour le Christ.

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Didyme » sam. 18 nov. 2017, 23:48

Par contre, je bute sur deux points :

"Dieu ne veut ni ne peut créer des dieux mais il les créé capable de se créer eux-mêmes"

Mais que veut dire "se créer soi-même" ? C'est quelque chose que je ne comprends pas. Certes, l'homme exprime ce qu'il est mais cela ne vient pas de nulle part. Or, le terme de "se créer soi-même" me renvoie l'impression de se créer à partir de rien. Créer à partir de rien c'est Dieu qui le peut donc en fait, si on se créé nous-mêmes, à partir de rien, c'est qu'au final Dieu peut créer des dieux ...
Et encore, Dieu ne créé pas tout à fait de rien dans le sens où tout vient de sa volonté, qui elle pour le coup est incréée. Mais il me semble que notre volonté à nous est créée en ce qui la concerne.

D'ailleurs, s'il était question de se créer et non d'exprimer la logique de ce qu'on est, suivant notre condition, pourquoi Dieu viserait à nous détourner des voies que l'on choisit, de notre perdition ? Il respecterait cette auto-création en se faisant silence total, sans intervention, mise en garde, sans même l'incarnation.

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Didyme » sam. 18 nov. 2017, 23:34

Merci pour ces extraits et ces réflexions, c'est autre chose que certaines vidéos. :-D

Plus sérieusement, je partage complètement ce que tu dis sur la victoire par la mort. Je partage également ce qui est dit sur le fait de créer un autre qui soit autre et ce que ça implique.
Et je partage également ce tout dernier post concernant la liberté, ce qui m'étonne d'ailleurs vu nos désaccords sur le sujet. :?:

Tout comme certains autres passages d'ailleurs (mais tant mieux), à savoir :

"Pour parler comme notre catéchisme élémentaire, ce n'est qu'à la fin du monde que tous les hommes seront au ciel"

Ou encore "on entend parfois demander " Retrouverais-je au ciel mon fils décédé à vingt ans ? " Il faut être absolument net : bien entendu, Madame, puisque vous êtes constituée par cette relation à vos enfants. C'est cela que j'ai appelé le corps, c'est cela votre histoire et elle ressuscite dans le Christ ; que sommes-nous sans les êtres que nous aimons ? "
Une belle expression d'unité humaine. :)

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » ven. 17 nov. 2017, 7:11

La résurrection commence dès la mort mais ne sera totale qu'à la fin des temps

Celui que saint Paul appelle "le Premier-Né de toute créature", l'Apocalypse l'appellera "le Premier-Né des morts" (1,5), le Premier Vivant de tous ceux qui sont morts et qui mourront. La mort demeure bien une fin (il est impossible qu'il en soit autrement), mais la fin seulement d'une forme de vie et le passage à une autre forme de vie, celle de Dieu lui-même.

Quand nous passons le seuil de la mort, nous rencontrons le Christ ressuscité. Comment pouvons-nous le représenter? En rigueur de terme, nous ne le pouvons pas. Notre certitude de foi ne supprime pas l'obscurité profonde où nous restons sur ce qu'est en lui-même le Christ ressuscité. Ce qu'est la Vie au-delà de la mort, la Vie qui n'est que Vie ou, ce qui revient au même, l'Amour qui n'est qu'Amour, nous ne pouvons pas l'imaginer.

[...]

Cette résurrection commence dès la mort (il n'y a pas de salle d'attente où l'âme, séparée du corps, attendrait la fin du monde pour récupérer son corps!) mais elle ne sera totale qu'à la fin des temps, car je ne suis vraiment moi qu'en compagnie de tous les frères. Pour parler comme notre catéchisme élémentaire, ce n'est qu'à la fin du monde que tous les hommes seront au ciel.

Le Christ ressuscité sera tout pour moi mais tous mes frères sont les membres du Christ. Le Christ n'est pas séparable des membres de son Corps : comment voulez-vous que je rencontre le Christ qui est la Tête sans rencontrer les membres de son Corps? On entend parfois demander : "Retrouverais-je au ciel mon fils décédé à vingt ans?" Il faut être absolument net : bien entendu, Madame, puisque vous êtes constituée par cette relation à vos enfants. C'est cela que j'ai appelé le corps, c'est cela votre histoire et elle ressuscite dans le Christ; que sommes-nous sans les êtres que nous aimons?

Le corps spirituel est un corps de liberté

Le corps spirituel est l'expression de l'homme parvenu à la liberté. Devenir un homme libre, c'est mourir à tout ce qui n'est pas amour ou charité. L'homme est libre quand il est capable d'affronter la mort, la mort de l'égoïsme sous toutes ses formes : tranquillité, confort, possession de privilèges, consentement tranquille aux inégalités insolentes du monde. L'homme est libre quand il meurt activement à tout cela, quand il travaille à ne pas être esclave de soi. Je dis : activement, c'est à dire en posant des actes libres, en prenant des décisions, petites ou grandes, qui font advenir, jour après jour, une liberté plus grande.

Tous les actes de la vie du Christ ont été des actes d'amour. Il ne s'est pas donné en partie, dans tels actes à l'exclusion de tels autres. En rigueur de terme, il a donné sa vie, tout au long de sa vie, et sans jamais la reprendre pour soi. Il est donc mort à toutes les limites qui constituent un homme et à tous les péchés qui replient l'homme dans ces limites. Mort quotidienne pleinement volontaire qui est vraiment son acte, l'ensemble des actes posés par lui. La mort du Christ - comprenons bien : mort constituée par chacun des actes tout au long de sa vie, et mort finale sur la croix - est l'acte parfait d'une liberté humaine, donc l'expression parfaite en un homme de la liberté même de Dieu.

Cet homme de chair et de sang que nous appelons Jésus passe intégralement dans sa liberté, dans l'acte de liberté par lequel il se donne. Si nous prenons bien à la lettre le mot intégralement, c'est une vérité de la Palice de dire qu'il est libre sans résidu. Et c'est à dire qu'il est vivant sans résidu, ou qu'en mourant il ressuscite. "Il n'a pas connu la corruption" (Ac 2,31).

Si la mort de Jésus avait été une mort naturellement subie, le tombeau ne serait pas vide : il y aurait un résidu, voué à la destruction pure et simple. Mais si la vie de Jésus est sa vie donnée, elle est donc la Vie tout court, car la vie n'est vraiment la Vie que lorsqu'elle est donnée, puisque être et aimer, c'est la même chose. Dieu est Amour, la Vie est donc l'amour. En Jésus, la mort est l'expression parfaite de la vie. Le corps mort de Jésus, c'est la Vie même, l'accomplissement, et, du même coup, la révélation de la liberté. Il est un homme libre et il n'y a pas de liberté dans les tombeaux, il ne peut y avoir que des résidus. Rien ne devient poussière de ce qu'a été Jésus : le tombeau est vide.

En nous, il y a autre chose que de l'amour, autre chose que de la liberté, nous sommes esclaves de tant de choses! Nous exprimons cela en reconnaissant que nous sommes pécheurs. Il y a donc en nous autre chose que de la Vie. Le contraire de la vie, la mort, nous la portons déjà en nous tout au long de notre existence terrestre. La mort est intérieure à chacune de nos décisions égoïstes. Cette mort, c'est le refus de la mort volontaire, c'est la mort subie. C'est la part d'énergie, née dans nos corps, qui n'est pas passé en actes de vraie liberté, qui n'a pas été transformée en énergie d'amour ou de mort volontaire.

Il faut prononcer le mot qui exprime bien que mort volontaire et amour sont la même chose : c'est le mot "sacrifice". L'énergie qui monte de mon être de chair et de sang, si elle ne devient pas, au niveau de mon être spirituel (de ma liberté), sacrifice, est vouée à la décrépitude : c'est un résidu, qui ne peut que tomber en poussière.

Le tombeau du Christ est vide, car tout en lui fut holocauste, acte d'amour, don volontaire de soi. Nos tombeaux ne sont pas vides, car tout en nous n'est pas holocauste, acte d'amour, don volontaire de nous-mêmes : notre tombe est le signe, pour tous ceux qui viennent y déposer des fleurs, que nous sommes de pauvres pécheurs.

tiré de :
F. Varillon, Joie de croire joie de vivre, p. 189

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » ven. 17 nov. 2017, 6:19

Dans l'envoi du 8 novembre dernier :
Cinci a écrit :
Pour que la nature humaine du Christ (et la nôtre) profitât de cette victoire, il fallait la résurrection. Mais cette dernière constitue la récolte. Ce n'est pas la victoire elle-même. Non, Jésus a vaincu en mourant. Il a récolté les fruits de sa victoire en ressuscitant. Jésus ne dit au mal :"Tu ne m'empêcheras pas de ressusciter." Il a dit au mal :"Tu ne m'empêcheras pas de mourir ... parce que tu ne m'empêcheras pas d'aimer."
Je voulais insister sur le fait que cette histoire de "Jésus qui meurt sur la croix" représenterait la victoire, non pas la résurrection. Est-ce assez déroutant? De fait, je n'avais jamais compris cela.

C'est pourquoi je restais toujours "agacé" devant l'emphase avec lequel l'art religieux s'arrêtait à représenter le Christ en croix, ensuite avec toutes ces pietas de la Renaissance ... comme du pathétique vulgaire et larmoyant, comme si le but devrait être d'attirer toujours l'attention du chaland sur les souffrances endurées par Jésus, sa mère, pour les amis par extension ... peut-être pour culpabiliser éternellement son chrétien?

"Vises un peu de quoi tu es capable, mon salaud."; "C'est ta faute!" ... toujours à ressasser la faiblesse de Jésus, l'échec, la mort ... Une drôle d'habitude morbide.

Je sais aussi que beaucoup de "nouvelles églises" vont toujours préférer les représentations de la résurrection ou des croix vides, comme des croix à partir desquels Jésus serait parvenu à s'arracher enfin, à se déclouer dessus.

On voudra dire alors que la victoire serait la résurrection. Dans un premier temps, il faudrait que les ennemis triomphent en abattant le bouc-émissaire et pendant que le Père devrait faire payer lui-même à Jésus le capital et les intérêts, tout ce que le crime devrait rembourser aux innocents bafoués (pour venger Abel, le Père devrait massacrer Jésus ... afin de s'éviter de devoir lui-même massacrer les autres). Dans un deuxième temps, le Père enfin satisfait par l'administration du châtiment, nous, avec le Christ, nous pouvons remporter la victoire qui se comprendra ici comme étant la résurrection. "Au matin de Pâques, la victoire!"

- Nein!

La victoire à proprement parler c'est la mort en croix (Faudra repenser par exemple au texte de Platon. Le juste par excellence qui va jusqu'au bout de la justice, c'est à dire qui expérimente l'amour le plus grand. Le juste qui ne cède pas d'un poil à l'injustice). La résurrection c'est plutôt le moment où le juste peut commencer de cueillir les fruits de sa victoire.

Je viens juste de découvrir que c'est bien là ce que dit aussi notre p'tit frère Samuel :

http://conferencedesamarie.com/videogal ... 014-05-22/
L'amour est-il toujours victorieux?
cf. la 26ième minute et plus (je crois qu'il le dit explicitement vers la 28ième quand il évoque saint Jean) Et au passage je recommande ce qu'il dit vers les 40 et 43e minute, ce qu'il dit de l'Apôtre Pierre interrogé par Jésus "Pierre, m'aimes-tu?" C'est vraiment beau. C'est important.

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » jeu. 16 nov. 2017, 8:20

(suite)

La souffrance de Dieu


Dieu est amour, l'amour est nécessairement vulnérable. Ce dont notre monde enrage (le mot est de Jacques Maritain), c'est d'imaginer un Dieu qui surplombe la souffrance humaine dans une sorte de sérénité parfaitement olympienne; un peu comme une femme qui dirait : je sais que mes enfants souffrent beaucoup mais moi, je suis tellement heureuse que la souffrance de mes enfants ne m'atteint pas. Si nous entendions une femme tenir un tel langage nous dirions que son bonheur est proprement monstrueux. Et nous l'acceptons tout bonnement quand il s'agit de Dieu que nous imaginons comme une espèce de Jupiter, derrière les nuages, que la souffrance des hommes n'atteindrait pas dans une sérénité indéfectible.

"Si les gens savaient que Dieu souffre avec nous et beaucoup plus que nous de tout le mal qui ravage la terre, bien des choses changeraient sans doute et bien des âmes seraient libérées" (Jacques Maritain)

Si Dieu n'avait pas risqué la souffrance de l'homme, il se serait épargné aussi la souffrance à lui-même, mais il nous aurait crée tout-faits!

Éternellement, Dieu prévoit la détresse de l'homme devant la mort. Mais, selon la foi chrétienne, en même temps, il abolit le scandale de cette détresse. Dans l'acte même où Dieu crée l'homme mortel, il crée le dépassement de la mort dans la résurrection. Il brise le cercle de la mortalité dans l'acte même qui le crée.

Vous allez dire : n'est-ce pas un jeu? Pourquoi, dans un même acte, briser ce qu'on établit? N'aurait-il pas été plus divin de ne pas l'établir et de créer l'homme immortel? Nous voici au centre du mystère de l'amour : au lieu de nous éviter la mort par un acte qui eut été un prodige, je dirais volontier une magie (où l'homme n'aurait pas été respecté, où Dieu n'aurait rien risqué ni pour Lui, ni pour nous), il décide éternellement d'entrer lui-même dans notre finitude et d'y participer. Autrement dit, il décide de mourir lui-même.

C'est dans un même acte que Dieu crée et s'incarne. En même temps (le mot "temps" est inadéquat, je devrais dire dans la même éternité) que l'infini crée le fini, il devient lui-même fini pour introduire le fini dans la vie même de l'infini. Il se fait homme pour que l'homme soit fait Dieu, selon l'adage traditionnel. Dieu ne veut ni ne peut créer des dieux mais il les crée capable de se créer eux-mêmes, et il se fait homme pour que leur histoire débouche sur leur divinisation.

Il faut nous arracher à cette imagination quelque peu infantile selon laquelle il y aurait eu d'abord création (au commencement) et ensuite incarnation. La création n'est pas au commencement, elle est maintenant et, s'Il est très vrai que le Christ est apparut au centre de l'histoire (Noël est historiquement daté), il préexiste éternellement en Dieu. Relisez les débuts de l'épitre aux Éphésiens et de l'épitre aux Colossiens, saint Paul insiste : "Dieu est indivisiblement Créateur et Incarné." Il dit explicitement que le Christ est "le Premier-Né de toute créature". Je crois fermement que la création n'est pas pensable du point de vue de Dieu indépendamment de l'Incarnation. Dieu, dit Teilhard de Chardin, devient l'homme qu'il crée. Cette phrase est inoubliable!

Au jardin de Gethsémani, le Christ a tremblé, a été angoissé, a eu peur : tous ces mots sont l'Évangile. Précisément, et j'oserais dire, heureusement pour nous! Si Dieu s'incarne, ce n'est pas pour surplomber notre angoisse, c'est pour la vivre, afin que, devenant elle-même le fait de Dieu (je dis une chose énorme: que notre angoisse d'homme devant la mort devienne le fait de Dieu lui-même!), elle soit transformée. Non pas supprimée (nous retomberions dans la magie), mais transformée; la mort, assumée avec tout ce qu'elle comporte de détresse, d'angoisse et de solitude, devient le seuil d'une résurrection.

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » jeu. 16 nov. 2017, 7:36

De notre ami le feu Père Varillon. C'est très brillant. On se fait rarement parler des vérités de la foi de manière aussi intelligente.


Pourquoi la mort?

Il vaut mieux regarder les choses bien en face et dire, dans un premier temps : la mort est humainement une détresse, un scandale ou, comme le pensait Albert Camus, une absurdité. La mort n'est pas un drame parmi d'autres drames : elle est LE drame, le drame intégral, le drame sans retour, osons dire, le drame absolu. La mort détruit l'existence de l'homme à sa racine même. Il n'est pas bon, il n'est pas sain de court-circuiter ce premier temps : on ne peut le faire qu'en dévalorisant indûment le corps et donc, finalement, en reléguant au plan du mythe, ou du moins d'une croyance secondaire, le dogme de la résurrection de la chair.

Si la mort est une détresse, un scandale, une absurdité, comment penser que Dieu, et surtout un Dieu dont nous croyons qu'il n'est qu'Amour, consente à ce que la créature (qu'il crée, disons-nous, par amour) connaisse un tel désastre? Est-ce parce que l'homme est pécheur qu'il doit mourir? Le fait de mourir, c'est à dire de finir, ne vient pas du péché.

Ce qui vient du péché, ce qui est "le salaire du péché" (Rm 6,32), c'est la mort en tant qu'elle est un arrachement paniquant. Mais la mort en tant que telle, en tant que fin, est tout bonnement le fait de notre finitude. Vérité de la Palice! Ce qui est fini doit finir. Alors, comment innocenter Dieu?

Dieu veut que l'homme soit quelqu'un, quelqu'un pour lui, quelqu'un devant lui. Il me veut sujet ou personne. Ce n'est possible que si je suis différent de Lui, c'est à dire si je ne suis pas Dieu. C'est élémentaire, mais on a toujours tendance à l'oublier : vous êtes quelqu'un pour moi que si vous êtes autre que moi. Or, puisque Dieu est infini, il est nécessaire que la créature soit finie. Sinon, elle serait non pas quelqu'un mais une émanation de la divinité, comme le fleuve est une émanation de la source et n'est pas vraiment autre que la source. Or il n'y a pas de fini sans fin : le fait de devoir finir - vérité de la Palice encore - est le signe de notre finitude. Je ne suis pas Dieu, infini, donc je suis fini, mortel.

Vous me direz peut-être : Dieu est cependant le Tout-Puissant! Ne pouvait-il donc faire l'homme autrement que fini? Puisqu'il est parfait, ne pouvait-il pas faire l'homme aussi parfait que lui? Je comprends que cette idée traîne dans vos esprits : c'est normal, étant donné qu'il ne s'agit pas d'un détail de notre vie mais de cette chose scandaleuse qu'est la mort.

Entre beaucoup de réponses qui nous entraîneraient sur un plan métaphysique, je rappelle cette simple réflexion : la puissance de Dieu est la puissance de l'amour. Or l'amour veut que l'autre soit vraiment autre, et non pas un reflet de soi. Un homme ne dira jamais à une femme qu'il aime : je veux que tu sois un reflet de moi; il lui dira : je veux que tu sois toi, autre que moi, pleinement toi et pleinement autre que moi. L'amour veut que l'autre ne soit pas crée tout-fait. Un être crée qui serait parfait ne serait pas un être qui se crée lui-même. Il serait une créature peut-être merveilleuse, mais cette créature ne serait pas créatrice de soi.

Parce qu'il est amour, Dieu crée un non-Dieu, un être fini, donc qui, par nature, doit finir.

Dirons-nous que, prévoyant les douleurs qu'implique la finitude, Dieu aurait dû s'interdire de créer? C'est ce que pensent beaucoup, qui ne pardonnent pas à Dieu d'avoir créer un monde où la finitude engendre tant de désastres et de souffrances. Il est bien vrai que la création, pour Dieu, est une aventure. je ne redoute pas le mot : en créant, Dieu s'est aventuré, en ce sens qu'il ne recule pas devant le drame qui va résulter de la création d'êtres libres et finis. Aventure, drame, risque : ces mots disent quelque chose de vrai. Drame pour nous, mais pour Dieu aussi : c'est pourquoi je pense que, contrairement à ce que plus d'un prétend, il y a une souffrance en Dieu.

(à suivre)

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » jeu. 09 nov. 2017, 19:13

Du côté de la philosophie :

"... en face de l'injuste plaçons le juste, homme simple et généreux, qui veut, d'après Eschyle, non pas paraître, mais être bon. Ôtons-lui donc cette apparence. Si, en effet, il paraît juste il aura, à ce titre, honneurs et récompenses; alors on ne saura si c'est pour la justice ou pour les honneurs et les récompenses qu'il est tel. Aussi, faut-il le dépouiller de tout, sauf de justice, et en faire l'opposé du précédent. Sans commettre d'acte injuste, qu'il ait la plus grande réputation d'injustice, afin d'être mis à l'épreuve de sa vertu en ne se laissant pas amollir par un mauvais renom et par ses conséquences; qu'il reste inébranlable jusqu'à la mort, paraissant injuste toute sa vie, mais étant juste, afin qu'arrivés tous les deux aux extrêmes, l'un de la justice, l'autre de l'injustice, nous puissions juger lequel est le plus heureux.

Maintenant, s'il sont tels que je viens de les poser, il n'est pas difficile, je pense, de décrire le genre de vie qui les attend l'un et l'autre. Disons-le donc; et si ce langage est trop rude, souviens-toi, Socrate, que ce n'est pas moi qui parle, mais ceux qui placent l'injustice au-dessus de la justice. Ils diront que le juste, tel que je l'ai représenté, sera fouetté, mis à la torture, chargé de chaînes [...] qu'enfin, ayant souffert tous les maux, il sera crucifié et connaîtra qu'il ne faut point vouloir être juste mais le paraître. "

- Platon, "Livre II" dans La République, Paris, Garnier Flammarion, 1966, p. 111 (date présumée : 315 avant J.C.)


Portrait de l'injuste :

"D'abord, il gouverne dans sa cité, grâce à son aspect d'homme juste; ensuite il prend femme là où il veut, fait marier les autres comme il veut, forme des liaisons de plaisir ou d'affaires avec qui bon lui semble, et tire profit de tout cela, car il n'a point de scrupule d'être injuste. S'il entre en conflit, en privé ou en public, avec quelqu'un, il a le dessus et l'emporte sur son adversaire; par ce moyen il s'enrichit, fait du bien à ses amis, du mal à ses ennemis, offre aux dieux sacrifices et présents avec largesse et magnificité, et se concilie bien mieux que le juste, les dieux et les hommes à qui il veut plaire; aussi convient-il naturellement qu'il soit plus cher aux dieux que le juste. De la sorte, disent-ils, Socrate, les dieux et les hommes font à l'injuste une vie meilleure qu'au juste."

(Platon, idem)

Re: Jésus a révolutionné le sens de la mort

par Cinci » jeu. 09 nov. 2017, 19:06

Merci pour le petit mot, Trinité. :)


Il ne sera déjà arrivé, dans le passé, d'être un peu ennuyé par ce passage à la messe où l'on proclame la mort de Jésus. Comment ça? Pourquoi proclamer la mort de Jésus? Proclamer la mort de Jésus sur un mode quasi-triomphal reste comme une attitude bizarre à première vue. "Nous proclamons ta défaite, Seigneur Jésus."

Hum ...

Et après l'on nous parlera de la Croix comme une magnifique chose. - Pardon?

Il faut bien que cette mort sur la croix soit une victoire. "Nous proclamons ta victoire, Seigneur Jésus." Ha! ... sounds much better, much better ,,,

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