par Cinci » sam. 04 févr. 2017, 20:04
Bonjour,
Je peux toujours "tenter" de vous aider grâce au numéro 118 des Cahiers Évangile. Il est justement consacré au sacrifice du Christ.
On peut y lire ceci :
"Voici l'agneau de Dieu"
La mention de l'agneau est tout à fait explicite dans la première scène du récit évangélique (1, 19-51) présentant Jean Baptiste, Jésus et les premiers disciples, dont quatre sont nommés :André, Simon-Pierre, Philippe, Nathanaël.
L'épisode est divisé en quatre journées [...] La deuxième journée (v,29-34), Jean Baptiste, voyant Jésus arriver, proclame : "Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde" [...] L'expression l'agneau de Dieu (ho amnos tou théou) est un hapax : elle est unique dans toute la Bible! Elle constitue donc le premier titre décerné à Jésus [...] Comment faut-il entendre ce titre?
Le serviteur souffrant
Une autre piste offerte à l'interprétation du titre d'agneau de Dieu consiste à exploiter la seconde des occurences du mot amnos en dehors du 4e évangile. Il s'agit de la catéchèse pré-baptismale administrée par Philippe à l'eunuque éthiopien rencontré sur la route de Gaza (Ac 8,26-39). Le chant du Serviteur souffrant d'Isaïe 52-53 y est cité au verset 32 : "Comme une brebis, il a été conduit à la boucherie, comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n'ouvre pas la bouche" (Isaïe 53,7)
Non seulement le mot amnos figure comme métaphore du Serviteur souffrant, mais le commentaire de Philippe en suggère aussitôt l'application à Jésus, présenté comme l'objet de l'évangile (v.35) . Dès lors, il ne s'agit plus tant de l'agneau pascal que du Christ Serviteur, désigné à travers la métaphore isaienne de l'agneau docile et muet. Dans le même perspective, J. Jeremias a suggéré d'expliquer amnos par un jeu de mots entre l'araméen talya (agneau) et l'hébreu taleh (serviteur).
[...]
Le salut par la croix
Il se trouve que la première épitre de Jean introduit un vocabulaire relativement nouveau pour exprimer le rôle propre du Christ dans l'oeuvre du salut : à deux reprises figure le mot grec hilasmos, signifiant littéralement "expiation" ou "propriation", mais traduit le plus souvent par "victime d'expiation" ou "victime de propriation".
Une première fois (1 Jean 2,1-2), la référence au pardon est explicite : "Si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste. C'est lui qui est victime de propriation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier." On remarque ici la conjoncture du vocabulaire judiciaire (le Christ avocat, litt. Paraclet; cf Jn 14,16 où l'Esprit n'est Paraclet qu'en second lieu, après Jésus) et du vocabulaire rituel, la victime évoquant les sacrifices pour le péché.
La seconde fois (4,10) , il est fait rappel de l'ensemble de la "carrière" du Fils dépêché pour le salut du monde (cf. également Jean 3,16) ; mais, à la différence de l'évangile, l'envoyé est qualifié de "victime de propriation pour nos péchés". Si, de l'évangile de Jean à l'épitre, la source de l'envoi demeure l'amour du Père pour les hommes, le mode d'action du Fils envoyé implique désormais le mode sanglant du sacrifice.
Il est par ailleurs affirmé sans ambages que "le sang de Jésus nous purifie de tout péché" (1,7) ou encore, dans une paraphrase du récit évangélique de la croix, que Jésus Christ est venu par eau et par sang, non avec l'eau seulement, mais avec l'eau et le sang (5,6) Une telle insistance n'est pas fortuite [...]
S'il fallait revenir au tout début de l'évangile, on pourrait dire que l'agneau vainqueur, qui enlevait le péché du monde du seul fait de sa manifestation, est désormais perçu comme l'agneau immolé qui ne sauve les hommes qu'au prix de sa vie livrée et de son sang versé. [...]
Victime de propriation ou grand prêtre intercesseur?
Si la dimension sacrificielle de la christologie johannique paraît bien attestée au stade de la première épitre, on peut cependant se demander à quel type de sacrifice il est ainsi fait référence et s'il est légitime de réduire le terme hilasmos à la seule victime, alors même que la forme grammaticale du mot désigne plutôt un processus qu'un objet. Notons cependant sa proximité lexicale avec le nom neutre hilastérion désignant un objet, le propriatoire, c'est à dire la plaque d'or pur couvrant l'arche d'alliance (Exode 25,17) et faisant une fois par an, à l'occasion du grand Pardon ou fête de Kippour, l'objet d'une aspersion avec le sang des victimes (Lévitique 16, 14-15)
Or le fameux propriatoire (hilastérion) figure dans deux textes du Nouveau Testament : d'abord la lettre de Paul aux Romains (3,25), où le propriatoire désigne métaphoriquement le Christ, instrument de la rédemption "par son propre sang moyennant la foi"; ensuite dans la lettre aux Hébreux (9,5) où il constitue une pièce maîtresse de l'ancien sanctuaire, évoqué comme figure de la tente céleste, avec une évocation circonstanciée des rites de Kippour, selon les indications portées en Lévitique 16. La question est alors de savoir dans quelle mesure le mot hilasmos de 1 Jean 2,2 et 4,10 n'évoquerait pas le rituel du grand Pardon, plutôt que n'importe quel sacrifice de l'ancien Israël.
De fait, une brève enquête philologique à travers la Septante révèle que le mot hilasmos et son composé exhilasmos, s'ils peuvent traduire différents mots hébreux désignant la miséricorde divine, le pardon (Psaume 130,4 ; Dn 9,9), voire le sacrifice pour les péchés (Ez 30,10; 44, 27; 45,19) , s'appliquent le plus souvent au rituel du grand Pardon (Ex 30,10; Lv 23,27; 25, 9; Nb 5,8; 2 M 3,33). Les deux mots en question correspondent alors à l'hébreu ha-kippourim, littéralement les "expiations" ou les "pardons", ce pluriel suggérant sans doute le caractère complexe de ce rituel, mettant en oeuvre la médiation du grand prêtre, le saint des saints du Temple, le sang d'un taureau ou d'un bouc versé sur le propriatoire, sans compter le bouc émissaire chassé au désert. Les deux mots figurent notamment dans l'expression "au jour des expiations" (Lv 23,27) et, s'Il est parfois fait mention de l'une des victimes, ce n'est jamais par le mot hilasmos; on trouve plutôt alors l'expression "le bélier de l'hilasmos" (Nb 5,8) ou encore "le sang de la purification des péchés", de l'expiation (Exode 30,10)
Autrement dit, s'il est indéniable qu'un arrière-plan rituel sous-tend la christologie johannique de l'hilasmos, c'est à dire de Kippour dans son ensemble qui fournit la typologie du Christ rédempteur à l'heure de la croix, et non la seule victime - laquelle des deux d'ailleurs, vu la complexité de ces sacrifices? On peut dire que, selon le modèle de Kippour, le Christ est à la fois l'autel (ou plutôt le propriatoire), le prêtre et la victime. On peut même dire que, s'il fallait choisir l'une des figures du rituel de Kippour pour l'appliquer plus précisément au Christ, il pourrait s'agir de la personne du grand prêtre intercesseur : Jésus n'est-il pas justement qualifié de Paraclet auprès de son Père (2,1) intercédant pour les péchés des hommes, au titre de sa propre justice, et ce au coeur même du rituel d'expiation (2,2) ?
Le Christ de cette lettre n'est pas le grand prêtre de la première Alliance, mais sa spécificité ne peut se dire sans référence à la figure révolue du grand prêtre. De même, dans la première épitre de Jean le salut par la croix participe du modèle de Kippour, mais il est aussi d'un autre ordre; de plus, la figure du Christ ne saurait être identifiée à un seul élément du rituel, victime ou grand prêtre. Le Christ est à lui seul, et de façon complètement neuve, le grand Pardon de Dieu, la réconciliation accomplie, la rédemption définitivement acquise.
Source : Le sacrifice du Christ et des chrétiens, Cahiers Évangile, numéro 118, pp. 42-47
Bonjour,
Je peux toujours "tenter" de vous aider grâce au numéro 118 des [i]Cahiers Évangile[/i]. Il est justement consacré au sacrifice du Christ.
On peut y lire ceci :
"Voici l'agneau de Dieu"
La mention de l'agneau est tout à fait explicite dans la première scène du récit évangélique (1, 19-51) présentant Jean Baptiste, Jésus et les premiers disciples, dont quatre sont nommés :André, Simon-Pierre, Philippe, Nathanaël.
L'épisode est divisé en quatre journées [...] La deuxième journée (v,29-34), Jean Baptiste, voyant Jésus arriver, proclame : "Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde" [...] L'expression l'agneau de Dieu (ho amnos tou théou) est un hapax : elle est unique dans toute la Bible! Elle constitue donc le premier titre décerné à Jésus [...] Comment faut-il entendre ce titre?
Le serviteur souffrant
Une autre piste offerte à l'interprétation du titre d'agneau de Dieu consiste à exploiter la seconde des occurences du mot amnos en dehors du 4e évangile. Il s'agit de la catéchèse pré-baptismale administrée par Philippe à l'eunuque éthiopien rencontré sur la route de Gaza (Ac 8,26-39). Le chant du Serviteur souffrant d'Isaïe 52-53 y est cité au verset 32 : "Comme une brebis, il a été conduit à la boucherie, comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n'ouvre pas la bouche" (Isaïe 53,7)
Non seulement le mot amnos figure comme métaphore du Serviteur souffrant, mais le commentaire de Philippe en suggère aussitôt l'application à Jésus, présenté comme l'objet de l'évangile (v.35) . Dès lors, il ne s'agit plus tant de l'agneau pascal que du Christ Serviteur, désigné à travers la métaphore isaienne de l'agneau docile et muet. Dans le même perspective, J. Jeremias a suggéré d'expliquer amnos par un jeu de mots entre l'araméen talya (agneau) et l'hébreu taleh (serviteur).
[...]
[b]Le salut par la croix
[/b]
Il se trouve que la première épitre de Jean introduit un vocabulaire relativement nouveau pour exprimer le rôle propre du Christ dans l'oeuvre du salut : à deux reprises figure le mot grec hilasmos, signifiant littéralement "expiation" ou "propriation", mais traduit le plus souvent par "victime d'expiation" ou "victime de propriation".
Une première fois (1 Jean 2,1-2), la référence au pardon est explicite : "Si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste. C'est lui qui est victime de propriation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier." On remarque ici la conjoncture du vocabulaire judiciaire (le Christ avocat, litt. Paraclet; cf Jn 14,16 où l'Esprit n'est Paraclet qu'en second lieu, après Jésus) et du vocabulaire rituel, la victime évoquant les sacrifices pour le péché.
La seconde fois (4,10) , il est fait rappel de l'ensemble de la "carrière" du Fils dépêché pour le salut du monde (cf. également Jean 3,16) ; mais, à la différence de l'évangile, l'envoyé est qualifié de "victime de propriation pour nos péchés". Si, de l'évangile de Jean à l'épitre, la source de l'envoi demeure l'amour du Père pour les hommes, le mode d'action du Fils envoyé implique désormais le mode sanglant du sacrifice.
Il est par ailleurs affirmé sans ambages que "le sang de Jésus nous purifie de tout péché" (1,7) ou encore, dans une paraphrase du récit évangélique de la croix, que Jésus Christ est venu par eau et par sang, non avec l'eau seulement, mais avec l'eau et le sang (5,6) Une telle insistance n'est pas fortuite [...]
S'il fallait revenir au tout début de l'évangile, on pourrait dire que l'agneau vainqueur, qui enlevait le péché du monde du seul fait de sa manifestation, est désormais perçu comme l'agneau immolé qui ne sauve les hommes qu'au prix de sa vie livrée et de son sang versé. [...]
[b]Victime de propriation ou grand prêtre intercesseur?
[/b]
Si la dimension sacrificielle de la christologie johannique paraît bien attestée au stade de la première épitre, on peut cependant se demander à quel type de sacrifice il est ainsi fait référence et s'il est légitime de réduire le terme [i]hilasmos[/i] à la seule victime, alors même que la forme grammaticale du mot désigne plutôt un processus qu'un objet. Notons cependant sa proximité lexicale avec le nom neutre [i]hilastérion[/i] désignant un objet, le propriatoire, c'est à dire la plaque d'or pur couvrant l'arche d'alliance (Exode 25,17) et faisant une fois par an, à l'occasion du grand Pardon ou fête de Kippour, l'objet d'une aspersion avec le sang des victimes (Lévitique 16, 14-15)
Or le fameux propriatoire (hilastérion) figure dans deux textes du Nouveau Testament : d'abord la lettre de Paul aux Romains (3,25), où le propriatoire désigne métaphoriquement le Christ, instrument de la rédemption "par son propre sang moyennant la foi"; ensuite dans la lettre aux Hébreux (9,5) où il constitue une pièce maîtresse de l'ancien sanctuaire, évoqué comme figure de la tente céleste, avec une évocation circonstanciée des rites de Kippour, selon les indications portées en Lévitique 16. La question est alors de savoir dans quelle mesure le mot [i]hilasmos[/i] de 1 Jean 2,2 et 4,10 n'évoquerait pas [b]le rituel du grand Pardon[/b], plutôt que n'importe quel sacrifice de l'ancien Israël.
De fait, une brève enquête philologique à travers la Septante révèle que le mot [i]hilasmos[/i] et son composé [i]exhilasmos[/i], s'ils peuvent traduire différents mots hébreux désignant la miséricorde divine, le pardon (Psaume 130,4 ; Dn 9,9), voire le sacrifice pour les péchés (Ez 30,10; 44, 27; 45,19) , s'appliquent le plus souvent au rituel du grand Pardon (Ex 30,10; Lv 23,27; 25, 9; Nb 5,8; 2 M 3,33). Les deux mots en question correspondent alors à l'hébreu [i]ha-kippourim[/i], littéralement les "expiations" ou les "pardons", ce pluriel suggérant sans doute le caractère complexe de ce rituel, mettant en oeuvre la médiation du grand prêtre, le saint des saints du Temple, le sang d'un taureau ou d'un bouc versé sur le propriatoire, sans compter le bouc émissaire chassé au désert. Les deux mots figurent notamment dans l'expression "au jour des expiations" (Lv 23,27) et, s'Il est parfois fait mention de l'une des victimes, ce n'est jamais par le mot hilasmos; on trouve plutôt alors l'expression "le bélier de l'hilasmos" (Nb 5,8) ou encore "le sang de la purification des péchés", de l'expiation (Exode 30,10)
Autrement dit, s'il est indéniable qu'un arrière-plan rituel sous-tend la christologie johannique de l'hilasmos, c'est à dire de Kippour dans son ensemble qui fournit la typologie du Christ rédempteur à l'heure de la croix, et non la seule victime - laquelle des deux d'ailleurs, vu la complexité de ces sacrifices? On peut dire que, selon le modèle de Kippour, le Christ est à la fois l'autel (ou plutôt le propriatoire), le prêtre et la victime. On peut même dire que, s'il fallait choisir l'une des figures du rituel de Kippour pour l'appliquer plus précisément au Christ, il pourrait s'agir de la personne du grand prêtre intercesseur : Jésus n'est-il pas justement qualifié de Paraclet auprès de son Père (2,1) intercédant pour les péchés des hommes, au titre de sa propre justice, et ce au coeur même du rituel d'expiation (2,2) ?
Le Christ de cette lettre n'est pas le grand prêtre de la première Alliance, mais sa spécificité ne peut se dire sans référence à la figure révolue du grand prêtre. De même, dans la première épitre de Jean le salut par la croix participe du modèle de Kippour, mais il est aussi d'un autre ordre; de plus, la figure du Christ ne saurait être identifiée à un seul élément du rituel, victime ou grand prêtre. Le Christ est à lui seul, et de façon complètement neuve, le grand Pardon de Dieu, la réconciliation accomplie, la rédemption définitivement acquise.
Source : Le sacrifice du Christ et des chrétiens, [i]Cahiers Évangile[/i], numéro 118, pp. 42-47