Bonjour Le Béréen,
Pour la formulation du dogme de la Trinité, l’Église a dû développer une terminologie propre à l’aide de notions d’origine philosophique : " substance ", " personne " ou " hypostase ", " relation ", etc. Ce faisant, elle n’a pas soumis la foi à une sagesse humaine mais a donné un sens nouveau, inouï à ces termes appelés à signifier désormais aussi un mystère ineffable, " infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir à la mesure humaine "
Cher Teano,
L’Eglise a dû développer dites-vous, une ‘terminologie’…
En fait, elle ne la créa pas, mais l’emprunta à la philosophie, et la prédominante était la grecque. Les Pères grecs ne firent pas qu’emprunter, mais aussi christianiser des raisonnements existants. Ils se servirent dans la philosophie grecque platonicienne que développa son élève prééminent Philon, pour expliquer le christianisme et le rendre acceptable à l’intelligentsia qui éclairait le monde méditerranéen de l’époque.
Je prends un seul exemple :
L’influence de Philon se fît sentir dans sa conception du Logos :
médiateur universel.Le Logos ressemble à Dieu et le monde ressemble au Logos. Grâce à ces ressemblances, la bonté divine peut se communiquer à l’homme intelligible
formé à l’image de Dieu. Le Logos est donc le lien infrangible de tout et préside au gouvernement du monde.Il est la révélation de Dieu et est aussi la parole de Dieu.
Philon donne à son logos une personnalité bien définie et
l’appelle le médiateur, messager de Dieu auprès des hommes.
Il fût source d’inspiration pour les Pères de l’Église. Eusèbe de Césarée le cite aussi dans son Histoire ecclésiastique lorsqu’il décrit la vie des Thérapeutes d'Alexandrie.
le Logos est la Sagesse même de Dieu, son pouvoir créateur. Les Anges des
hypostases dénommées ‘’ Fils de Dieu’’.
Cette théorie est une sorte de synthèse autour des termes employés par la Bible grecque pour parler de Dieu, de la création et de la prophétie. Alliant la terminologie de la Bible à la mystique de Platon, elle inspira la gnose, la philosophie de Plotin, etc..
Note : Œuvres de Philon d'Alexandrie- Editions du Cerf- R. Arnaldez, J. Pouilloux, C. Montdésert, 1961
Vous attribuez cette ‘idée’ théologique, non à la sagesse humaine mais à un sens ‘nouveau’ ‘inouï’ pour expliquer un’ mystère ineffable’.
Cela mériterait qu’on s’y arrête longuement car, c’est déjà induire par ce mot ‘Mystère ineffable’, une manière de ne pouvoir expliquer humainement une théorie dont ne parle pas les Ecritures lorsqu’elles l’emploie.
Paul parle bien de ‘mystère’, mais c’est de celui de la foi et de l’amour du Christ et de son Père pour le genre humain. ‘Insondable’ est d’ailleurs aussi employé pour décrire cette chose incroyable.
Les seuls passages des Ecritures qui parlent de ‘Mystère’ ne concernent pas un point d’appui à l’annonce d’une trinité, mais au rôle de Christ :
Eph. 3 :3,4,9 - Col.1:25-28- Col. 4 :3 - Rom. 16 :26.
Pourtant les apologistes du second siècle, commencèrent à s’inquiéter de l’évolution de l’enseignement après la disparition des Pères Apostoliques, que je tiendrais comme les seuls garants de la transmission. Ensuite, se ne fût que transmission de transmission, avec l’esprit propre à chaque époque et à chaque ‘transmetteur’ que l’Eglise catholique rassemble dans un corpus appelés ‘Pères Grecs’… Dans la plus part des Pères de l’Eglise d’expression grecque, et je vous communiquerais les écrits indiquant cette inculturation, qui servit comme vous l’écriviez à ‘traduire’ par des termes philosophiques " substance ", " personne " ou " hypostase ", " relation ", etc.Ce fût des emprunts purs et simples. Mais ils permirent la fusion des deux mondes …
Tertullien
Né vers 160 mourut vers 230… C’est lui qui eut le premier l’idée d’utiliser le terme latin trinitas.
Mais ça ne signifie pas qu’il pensait a trois personnes coégales, coéternelles, nous allons le voir…
Ses idées servirent de base a d’autres auteurs qui lui succédèrent
Dans son essai intitulé: Contre Praxéas
À l’époque, les liens entre Dieu et Christ étaient l’un des sujets les plus importants parmi les chrétiens déclarés.
Certains d’entre eux, notamment ceux d’origine grecque, avaient du mal à concilier la croyance en un seul Dieu avec le rôle de Sauveur et de Rédempteur de Jésus. Praxéas essayait de résoudre ce dilemme en enseignant que Jésus n’était qu’une autre “ modalité ” du Père et qu’il n’y avait pas de différence entre le Père et le Fils.
Cette théorie, connue sous le nom de modalisme, allègue que Dieu s’est révélé lui-même “ en tant que Père par la Création et l’établissement de la Loi, en tant que Fils en Jésus Christ, et en tant que Saint-Esprit après l’ascension de Jésus ”.
Mais Tertullien a démontré que les Écritures faisaient une claire distinction entre le Père et le Fils. Après avoir cité 1 Corinthiens 15:27, 28, il a tenu le raisonnement suivant :
“ De l’un qui substitue et de l’autre à qui il substitue, prouve nécessairement qu’ils sont deux. ” Puis, Tertullien a attiré l’attention sur les propres mots de Jésus :
Mon Père est plus grand que moi. ” (Jean 14:28).
Et, se servant d’extraits des Écritures hébraïques, comme Psaume 8:5, il a montré comment la Bible évoque “ l’infériorité ” du Fils.
Enfin, Tertullien conclut en disant :
“ Le Père est donc autre que le Fils, en ce sens qu’il est plus grand que le Fils ; en ce sens que celui qui engendre est autre que celui qui est engendré ; en ce sens que celui qui envoie est autre que celui qui est envoyé ; en ce sens que celui qui produit est autre que celui qui est produit. ”
Pour Tertullien, le Fils était subordonné au Père. Mais, en essayant de contrecarrer le modalisme, il est allé “ au-delà de ce qui est écrit ”. (1 Corinthiens 4:6.)
Alors qu’il cherchait à prouver la divinité de Jésus, à tort par le moyen d’une autre théorie, il a fabriqué la formule “ trois personnes en une substance ”. En se servant de ce concept, il a essayé de montrer que Dieu, son Fils, et l’esprit saint étaient trois personnes différentes qui existaient en une substance divine. Ainsi, Tertullien a été le premier à appliquer la forme latine du mot “ trinité ” au Père, au Fils et à l’esprit saint.
Un ouvrage de référence déclare :
“ L’élaboration et la formulation de la théologie trinitaire ont nécessité l’appui des principes et prédicats hellénistes. ” Et le livre La théologie de Tertullien (angl.) fait remarquer que “ ce curieux mélange d’idées et de termes légalistes et philosophiques a permis à Tertullien de présenter la doctrine trinitaire sous une forme qui, en dépit de ses limites et de ses imperfections, a servi plus tard de canevas à la proposition de cette doctrine au concile de Nicée ”. C’est ainsi que la formule de Tertullien — trois personnes en une substance divine — a joué un rôle majeur dans la diffusion d’enseignements religieux au sein de la chrétienté.
Comme l’a fait observer Henry Chadwick:
Tertullien a émis l’idée que Dieu est ‘une substance consistant en trois personnes. Cela ne signifie pas, cependant, qu’il pensait à trois personnes coégales et coéternelles. Quoi qu’il en soit, ses idées ont par la suite servi de base à des auteurs qui travaillaient à ce qui est devenu la doctrine de la Trinité.
Source : Début de l’Eglise - Henry Chadwick,-édit. de 1980, page 89.
La conception qu’avait Tertullien du Père, du Fils et de l’esprit saint n’avait rien à voir avec la Trinité présente, car il était subordinatianiste.
Il considérait le Fils comme subordonné au Père.
Dans Contre Hermogène, il a écrit:
“C’est afin que les hommes fussent bien convaincus qu’il n’y a rien qui n’ait pris naissance et n’ait eu un commencement, excepté Dieu. (...) Comment supposer qu’il y eut quelque chose, excepté le Père, qui soit plus ancien que le Fils de Dieu, son Verbe unique et premier-né et par là même qu’il y a quelque chose de plus noble que lui. (...) Ce [Dieu] qui n’a pas eu besoin d’un Créateur pour qu’il lui donne l’existence a un rang bien plus élevé que celui [le Fils] qui a eu un auteur.”
Dans Contre Praxéas, il montre que le Fils est différent du Dieu Tout-Puissant et qu’il lui est subordonné. Il dit:
“Le Père est la substance toute entière. Le Fils est la dérivation et la partie de ce tout, ainsi qu’il le déclare lui-même: ‘Mon Père est plus grand que moi.’ (...) Le Père est donc autre que le Fils, en ce sens qu’il est plus grand que le Fils; en ce sens que celui qui engendre est autre que celui qui est engendré; en ce sens que celui qui envoie est autre que celui qui est envoyé; en ce sens que celui qui produit est autre que celui qui est produit”
Dans Contre Hermogène, Tertullien déclare en outre qu’il fut un temps où le Fils n’existait pas en tant que personne, ce qui montre qu’il ne considérait pas le Fils comme un être éternel au sens où Dieu est éternel.
Source : Contre Hermogène, chapitre 18.
Le cardinal Newman a dit: “Tertullien doit être regardé comme hétérodoxe sur le dogme de l’existence éternelle de Notre-Seigneur.
Source : Un essai sur le développement de la doctrine du christianisme ( angl) , pages 19, 20.
Concernant Tertullien, Lamson déclare:
“Cette raison, ou Logos, comme l’appelaient les Grecs, a été par la suite, selon ce que croyait Tertullien, convertie en la Parole, ou Fils, c’est-à-dire en un être réel, ayant existé depuis l’éternité uniquement comme attribut du Père. Tertullien lui a, cependant, assigné un rang subordonné à celui du Père (...).“Si l’on en jugeait selon n’importe quelle explication de la Trinité reçue aujourd’hui, il serait vain de vouloir sauver Tertullien de la condamnation comme hérétique. Il ne résisterait pas un instant à l’examen
Source : R. Hanson, 1988, page 64.
Il me semble (et si je me trompe, corrigez-moi) que ce que vous nous proposez, dans le débat tel qu'il se présente, à travers la question de la proskynèse, ou de tel ou tel verset, participe de cette même entreprise de déconstruction des sources historiques : ce qui compte est moins le texte, que l'auteur du texte et l'intention plus ou moins honnête ou pernicieuse à l'origine de l'oeuvre.
Je crois vous avoir démontré le contraire ci-dessus… C’est en repartant des sources historiques et de l’utilisation qui en furent fait, et par quel chemin ils parvinrent à ‘s’intégrer ‘ au christianisme, que je tente de dialoguer sur le fait que ces éléments virent provoquer de graves problèmes, et qu'il fallut pour essayer de s'expliquer par des conciles qui ne firent qu'aggraver le problème par des explications e de plus en plus compliquées ..
Pour moi, le plus important dans l'analyse de ces problématiques, c'est la valeur de la méthode. Si la méthode est bonne, les conclusions doivent être acceptées, même si elles sont enquiquinantes. A l'inverse, si la méthode est mauvaise, les conclusions les plus séduisantes doivent être rejetées.
Pour vous, le dogme de la Trinité est le fruit d'un processus séculaire d'invention (dites-moi si je me trompe). Pour moi, c'est le fruit d'un processus séculaire de clarification et d'approfondissement de la Révélation.
Les sources comme les deux citées ci-dessus, et elles sont très nombreuses maintenant sorties des bibliothèques où elles étaient confinées et inaccessibles (qu'à certains), permettent de ne plus hésiter entre ces deux options.
La méthode et de repartir des textes sans aucune hypothèse pré-établie. et de descendre ensuite sur les éléments qui provoquèrent la scission exemple un des tout premiers sur la nature de Christ :
est-il Dieu égal au Père ou de nature divine issu du Père, sans en avoir tous les pouvoirs? Qu'implique le fait d'être Fils?
Bien cordialement
L.B.