par prodigal » ven. 04 avr. 2014, 10:47
Peccator a écrit :Bonjour à tous,
je relance ce vieux fil, car je viens de faire la même découverte que SacréNomDeDieu : je pensais que trichotomie et dichotomie étaient toutes deux possibles dans l'Eglise, et en lisant petit à petit les Pères, je voyais certains être plutôt l'un, d'autres plutôt l'autre.
Et aujourd'hui, à ma grande stupeur, je découvre que le Magistère a tranché la question au 4e concile de Constantinople. Malheureusement, l'énoncé qu'on peut lire dans le Denzinger est plutôt obscur : il condamne les théories de ceux qui disent que l'homme aurait 2 âmes. Et comme d'habitude, on a l'énoncé anathémisé, mais pas les arguments ayant mené à cette conclusion...
Est-ce que ma conception de l'homme corps, âme et esprit est alors erronée (que j'appuyais sereinement sur St Paul dans la 1e épitre aux Thessaloniciens) ?
Quelqu'un a-t-il des lectures à me suggérer pour m'éclairer sur les raisonnements des pères conciliaires ? y a-t-il un père de l'Eglise qui soit le "fer de lance" dans ce débat, comme d'autres on pu l'être sur les questions trinitaires ou christologiques ?
Je ne suis pas sûr que l'idée que je me fais de l'homme soit vraiment concernée (l'esprit n'est pas plus distinct de l'âme que les reins ne sont du corps, nous n'avons bien qu'une âme, mais cette âme peut être analysée), mais j'avoue que là je me trouve plutôt désemparé. J'ai toujours trouvé la conception dichotomiste (corps et âme, point) comme manquant beaucoup de finesse...
J'ai relu récemment de Jean Borella
La charité profanée, excellent ouvrage de philosophie et de théologie, où l'auteur entreprend d'expliquer la charité par le mystère trinitaire, ce qui l'amène à distinguer le psychique du spirituel, et à justifier au nom de saint Paul, comme vous, la tripartition de l'âme. Deux mauvaises nouvelles cependant : ce livre est difficile, je crois qu'il faut accepter de ne pas tout comprendre, et surtout il est épuisé! Cependant, je découvre en surfant du même auteur "Amour et vérité, la voie chrétienne de la charité" (éditions l'Harmattan) qui d'après sa présentation semble être une nouvelle édition revue et modifiée du livre dont je vous parle. A vérifier.
Je vais essayer de résumer ce que j'en ai compris, et ce que je sais par ailleurs de la question.
Schéma de base : la bipartition de l'âme (corps-âme) est plutôt latine, inspirée d'Aristote, et correspond à un point de vue biologique (tout être vivant est un corps animé, y compris l'homme, dont l'âme cependant est intellective, ce qui n'est pas le cas des autres animaux).
La tripartition de l'âme (corps-âme-esprit) est plutôt grecque, inspirée de Platon, et correspond à un point de vue spirituel ou initiatique. Elle engage à ne pas confondre ce qui relève des émotions et de l'affect (le psychique, domaine de l'âme) et ce qui relève de la spiritualité proprement dite.
Donc, à première vue, la tripartition de l'âme est plus riche, plus intéressante, que sa bipartition. Pourquoi alors l'Eglise l'a-t-elle condamnée?
Mais votre renseignement est très précieux : ce n'est pas la tripartition de l'âme qui est condamnée, c'est l'affirmation selon laquelle nous aurions deux âmes (et donc saint Paul n'est pas un hérétique!). Pourquoi?
D'abord à cause du gnosticisme, qui a fait de la tripartition de l'âme un de ses principes fondamentaux. Il y a donc un risque d'une interprétation hétérodoxe.
Ensuite, il est bon de savoir qu'une des grandes questions philosophiques du Moyen-Age est de savoir si quand l'homme pense il est bien sujet actif de sa propre pensée, ou si ce n'est pas Dieu qui pense à travers lui, comme un pianiste qui jouerait des instruments humains. La réponse de l'Eglise, qui doit beaucoup à saint Thomas d'Aquin, est que l'homme est bien le sujet de ses propres pensées. Quel rapport? Eh bien, si penser était être joué par Dieu, nous aurions deux âmes, une âme de vivant humain, et une âme-esprit, divine, identifiée à Dieu, qui penserait en nous. Ce que l'Eglise redoute ici, c'est la tentation illuministe.
Un enjeu important de cette querelle est la question du salut. Etre sauvé, est-ce être absorbé dans l'Esprit divin, ou bien le salut est-il individuel? Le dogme de la résurrection de la chair va dans le même sens que la condamnation dont vous parlez, il insiste sur l'unité indissociable de la personne, qui ne peut ressusciter qu'en personne, donc corps et âme, ou ne pas ressusciter du tout.
[quote="Peccator"]Bonjour à tous,
je relance ce vieux fil, car je viens de faire la même découverte que SacréNomDeDieu : je pensais que trichotomie et dichotomie étaient toutes deux possibles dans l'Eglise, et en lisant petit à petit les Pères, je voyais certains être plutôt l'un, d'autres plutôt l'autre.
Et aujourd'hui, à ma grande stupeur, je découvre que le Magistère a tranché la question au 4e concile de Constantinople. Malheureusement, l'énoncé qu'on peut lire dans le Denzinger est plutôt obscur : il condamne les théories de ceux qui disent que l'homme aurait 2 âmes. Et comme d'habitude, on a l'énoncé anathémisé, mais pas les arguments ayant mené à cette conclusion...
Est-ce que ma conception de l'homme corps, âme et esprit est alors erronée (que j'appuyais sereinement sur St Paul dans la 1e épitre aux Thessaloniciens) ?
Quelqu'un a-t-il des lectures à me suggérer pour m'éclairer sur les raisonnements des pères conciliaires ? y a-t-il un père de l'Eglise qui soit le "fer de lance" dans ce débat, comme d'autres on pu l'être sur les questions trinitaires ou christologiques ?
Je ne suis pas sûr que l'idée que je me fais de l'homme soit vraiment concernée (l'esprit n'est pas plus distinct de l'âme que les reins ne sont du corps, nous n'avons bien qu'une âme, mais cette âme peut être analysée), mais j'avoue que là je me trouve plutôt désemparé. J'ai toujours trouvé la conception dichotomiste (corps et âme, point) comme manquant beaucoup de finesse...[/quote]
J'ai relu récemment de Jean Borella [i]La charité profanée[/i], excellent ouvrage de philosophie et de théologie, où l'auteur entreprend d'expliquer la charité par le mystère trinitaire, ce qui l'amène à distinguer le psychique du spirituel, et à justifier au nom de saint Paul, comme vous, la tripartition de l'âme. Deux mauvaises nouvelles cependant : ce livre est difficile, je crois qu'il faut accepter de ne pas tout comprendre, et surtout il est épuisé! Cependant, je découvre en surfant du même auteur "Amour et vérité, la voie chrétienne de la charité" (éditions l'Harmattan) qui d'après sa présentation semble être une nouvelle édition revue et modifiée du livre dont je vous parle. A vérifier.
Je vais essayer de résumer ce que j'en ai compris, et ce que je sais par ailleurs de la question.
Schéma de base : la bipartition de l'âme (corps-âme) est plutôt latine, inspirée d'Aristote, et correspond à un point de vue biologique (tout être vivant est un corps animé, y compris l'homme, dont l'âme cependant est intellective, ce qui n'est pas le cas des autres animaux).
La tripartition de l'âme (corps-âme-esprit) est plutôt grecque, inspirée de Platon, et correspond à un point de vue spirituel ou initiatique. Elle engage à ne pas confondre ce qui relève des émotions et de l'affect (le psychique, domaine de l'âme) et ce qui relève de la spiritualité proprement dite.
Donc, à première vue, la tripartition de l'âme est plus riche, plus intéressante, que sa bipartition. Pourquoi alors l'Eglise l'a-t-elle condamnée?
Mais votre renseignement est très précieux : ce n'est pas la tripartition de l'âme qui est condamnée, c'est l'affirmation selon laquelle nous aurions deux âmes (et donc saint Paul n'est pas un hérétique!). Pourquoi?
D'abord à cause du gnosticisme, qui a fait de la tripartition de l'âme un de ses principes fondamentaux. Il y a donc un risque d'une interprétation hétérodoxe.
Ensuite, il est bon de savoir qu'une des grandes questions philosophiques du Moyen-Age est de savoir si quand l'homme pense il est bien sujet actif de sa propre pensée, ou si ce n'est pas Dieu qui pense à travers lui, comme un pianiste qui jouerait des instruments humains. La réponse de l'Eglise, qui doit beaucoup à saint Thomas d'Aquin, est que l'homme est bien le sujet de ses propres pensées. Quel rapport? Eh bien, si penser était être joué par Dieu, nous aurions deux âmes, une âme de vivant humain, et une âme-esprit, divine, identifiée à Dieu, qui penserait en nous. Ce que l'Eglise redoute ici, c'est la tentation illuministe.
Un enjeu important de cette querelle est la question du salut. Etre sauvé, est-ce être absorbé dans l'Esprit divin, ou bien le salut est-il individuel? Le dogme de la résurrection de la chair va dans le même sens que la condamnation dont vous parlez, il insiste sur l'unité indissociable de la personne, qui ne peut ressusciter qu'en personne, donc corps et âme, ou ne pas ressusciter du tout.