popeye a écrit :
Bonjour Marchenoir.
Je vous remercie de m'avoir posé cette question. Vous comprendrez aisément, et je ne doute pas instant que vous êtes le premier à l'admettre, qu'on ne peut jouer de Vatican II contre la Tradition qui le précède ni de la Tradition contre Vatican II : Vatican II s'insère harmonieusement dans la Tradition, pour autant qu'on ait pas de Vatican II une lecture progressiste-moderniste-hérétique appelant en retour des réactions intégristes-schismatiques. La position relative aux Limbes est suffisament étayée par des preuves d'autorité pour être hors de conteste. Comment donc concilier ce fait dogmatiquement certain (les Limbes) d'avec le dogme de la volonté divine salvifique universelle ? De la même manière qu'on concilie cette volonté salvifique universelle et le fait de l'Enfer et des damnés.
I - Volonté salvifique universelle et volonté de damner les damnés :
C'est effectivement dans la première épître à Timothée qu'est formulée explicitement le fait de la volonté salvifique universelle. Mais nonobstant que Dieu veuille le salut de tous les hommes, tous ne seront pourtant pas sauvés.
Tout d'abord, il est de foi divine et catholique que les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel sont damnés : « Par la présente Constitution qui doit rester à jamais en vigueur, et de notre autorité apostolique, nous définissons ce qui suit : … Nous définissons encore ce qui suit : d’après la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent coupables de péché mortel actuel descendent aussitôt après leur mort en Enfer pour y subir les peines infernales ; et néanmoins, au Jour du Jugement, tous les hommes comparaîtront avec leur corps devant le tribunal du Christ, pour rendre compte de leurs actes personnels, afin que chacun soit récompensé en son corps suivant qu’il aura fait le bien ou le mal ». Portée ex cathedra par le Souverain Pontife Benoît XII, la Constitution Benedictus Deus engage l’infaillibilité de l’Église. Peut-être alors quelqu'un rétorquera que la définition n'évoque qu'un cas hypothétique : "si", alors... Sauf qu'il s'agit bien plus que d'une hypothèse : il est de foi qu'il y a et aura des damnés.
Il nous est encore formellement révélé qu'il y a et aura des damnés : 1° le diable et ses anges d'une part (Mt XXV 41) ; 2° beaucoup d'hommes de l'autre. Que la majeure partie des hommes soit damnée, c’est formellement révélé : Celui qui garde sa vie la perd (Mt X 38-39), raison pourquoi «
large est la porte et
spacieux le chemin qui mène à la perdition, et
beaucoup s’y engouffrent, alors qu'
étroite est la porte et
resséré le chemin qui mène à la vie, et
peu sont ceux qui le trouvent. » (Mt VII 13-14). « Il y aura beaucoup d’appelés mais
peu d’élus. » (Mt XXII 14). La multitude des élus (Ap VII 9) est donc proportionnellement faible sinon infime face à l’énorme masse de perdition. Quant à ceux qui, après avoir pris le mauvais chemin, se sont repentis : Soit ce repentir a été efficace, et ils sont morts en état de grâce, ayant reçu le grand don de la persévérance finale, auquel cas ils font partie du « peu » ayant trouvé la voie du salut. Soit ils n’ont pas tenu, ayant bati sur le sable (Mt VII 24-27), de sorte qu’au final ils se sont engouffrés avec la multitude dans la voie de la perdition sempiternelle.
Comment lors concilier volonté salvique universelle et damnation du grand nombre ? Que Dieu veuille damner ceux qu'Il damne, c'est un fait théologiquement certain. La raison en est que la damnation (peines de damn et de sens) consistant en le prononcé de peines sempiternelles, a Dieu pour Auteur. Or l'activité ad extra de Dieu est libre, comme chacun sait. Donc cet agir ressort du Vouloir Divin. Comment donc concilier ce vouloir d'avec la volonté salvifique universelle ?
La réponse traditionnelle des grands scolastiques est invariable sur le fond, encore que de réelles divergences apparaissent dans l'explicitation. Cette réponse invariable consiste à distinguer dans l'ordre des vouloirs divins : volonté antécédente et volonté conséquente : de volonté antécédente, Dieu veut le salut de toutes ses créatures spirituelles ; de volonté conséquente, Il ne veut le salut que de celles qui de facto sont sauvées. La divergence n'apparait que quant à la question de la prédestination à la grâce ante ou post praevisa merita ? Vous noterez au passage que même à opter pour une prédestination à la grâce post praevisa merita, tous, fussent-ils jésuites, confessent une prédestination à la gloire ante praevisa merita.
Vous remarquerez que cette réponse, invariable quant au fond, suppose que le Vouloir soit formellement en Dieu. Les scolastiques latins l'admettent, nottament en raison du schème psychologique trinitaire d'Augustin. Sur ce point, S.Thomas n'est que le témoin d'une tradition qu'il reçoit : « Selon S.Jean Damascène, ce texte
(I Tm II 3-4) se comprend de la volonté antécédente, non de la volonté conséquente. Cette distinction ne se prend pas du côté de la volonté divine elle-même, dans laquelle il n’y a ni avant ni après, mais du côté des choses voulues. Pour le comprendre il faut considérer que toute chose, selon qu’elle est bonne et dans cette mesure, est voulue par Dieu. Or quelque chose peut être à première vue bon ou mauvais considéré en soi-même, alors que dans sa connexion à autre chose, ce qui est une considération conséquente, on voit les choses à l’inverse. Ainsi, qu’un homme vive est bon, tuer un homme est mauvais, si l’on considère la chose en elle-même. Mais si on ajoute à cela, pour un homme déterminé, que cet homme est un assassin ou qu’il est un danger pour la collectivité, de ce point de vue il est bon que cet homme soit mis à mort, et mauvais qu’il vive. Aussi pourra-t-on dire d’un juge épris de justice que de volonté antécédente il veut que tout homme vive, mais que de volonté conséquente il veut que l’assassin soit pendu. Semblablement, Dieu veut que quelques uns soient damnés, comme sa Justice l’exige. Cependant, même ce que nous voulons antécédemment nous ne le voulons pas purement et simplement, mais sous un certain aspect. Car la volonté se rapporte aux choses telles qu’elles sont en elles-mêmes, et en elles mêmes elles sont particularisées. C’est pourquoi nous voulons purement et simplement une chose quand nous la voulons en tenant compte de toutes les circonstances particulières, ce qui est vouloir de volonté conséquente. On peut donc dire que le juge épris de justice veut purement et simplement que l’assassin soit pendu, mais que sous un certain aspect il voudrais qu’il vive, en tant qu’il est un homme ; ce qu’on peut appeler une vélléité plutôt qu’une volonté absolue. Cela fait bien voir que tout ce que Dieu veut absolument se réalise, bien que ce qu’il veut de volonté antécédente ne se réalise pas. » (Ia Q.19 a.6 sol.1 ; à propos de I Tm II 3-4, « Dieu notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité »).
Mais on peut s'interroger : si Dieu est formellement intellection et volition, est Il simple. Dit autrement, la simplicité divine n'oblige t'elle pas à réduire l'intelligence et la volonté divines à des perfections mixtes ? Ce débat théologique, qui ressort de la théologie métaphysique ou théologie naturelle, est d'extrême importance : c'est la question des Noms et des Attributs divins. Vous comprendrez aisément que si Dieu est formellement Intelligent et Volontaire, la question qui nous occupe ici est réglée : distinction dans l'ordre des vouloirs divins, entre volonté antécédente et conséquente. A l'inverse, la question se doit d'être traitée à frais nouveau si la simplicité divine exclut que Dieu soit formellement intellection et volition. Car dans cette hypothèse, qui n'est pas le propre des nominalistes puisque des réalistes la soutiennent, Dieu n'est dit Intelligent ou Volontaire que par manière impropre de parler, la Déité Sursimpissime étant au delà de l'intellection et du vouloir, et n'est dite "intelligente" ou "volontaire" qu'équivalemment, à raison de ses effets ; leur contingence manifestant la liberté de la Cause (ils n'ont aucune nécessité absolue, ni par soi ni par autrui), et leur intelligibilité l'intelligence ordonnatrice de leur Cause. Dans cette dernière hypothèse, on parlera toujours de volonté antécédente et de volonté conséquente, mais ces mots auront une autre portée : impossibilité de passer de l'ordre d'exécution à l'ordre d'intention, et en corollaire, interprétation différente de
la doctrine de la préscience et de la prédestination contenue dans l'Ecriture (in
Rm VIII 28-30). S.Thomas écrit certes que la distinction des vouloirs divins en antécédents et conséquents "ne se prend pas du côté de la volonté divine elle-même, dans laquelle il n’y a ni avant ni après, mais du côté des choses voulues." Mais ces choses voulues sont -d'après lui et d'autres-, en Dieu avant que d'être en elles mêmes, comme objets d'intellection et de vouloir, d'où sa distinction entre l'ordre providentiel (d'intention) et l'ordre gouvernemental (d'exécution) [distinction de la Providence Divine et du Gouvernement Divin sur les créatures] : un seul acte de Volonté Divine, lequel est Dieu, ordonnant les objets à vouloir selon l'avant et l'après ; objets qu'Il précontient "virtuellement" ou qu'au contraire, dans la seconde hypothèse, sa Simplicité exclut.
Pour résumer synthétiquement, soit Dieu est formellement intellection et volition, et il existe un ordre d'intention en Dieu, préalable à l'ordre d'exécution. Soit la Simplicité divine s'oppose à ce que Dieu soit formellement intellection et volition, et Dieu n'est qu'équivalemment, en sa suréminence, ce que sont l'intelligence et la volonté. Auquel cas, à proprement parler, il n'y a pas d'ordre d'intention : les "possibles" ne préexistent pas
en Dieu Sursimplissime : il n'y a qu'un ordre d'exécution. Cette hypothèse a ma préférence, mais elle ne peut être soutenue que pour autant qu'elle respecte le donné révélé, et notamment Rm VIII 28-30, qui affirme la prescience et la prédestination. Comment, si l'ordre d'intention est nié au nom de la Simplicité Divine ? J'avoue n'avoir pas encore la réponse, et y travaille, entre autres choses. En tout état de cause, une distinction de la volonté divine en antécédente et conséquente, à tout le moins dans l'ordre d'exécution, même à supposer que le vouloir n'est qu'équivalemment en Dieu.
II -Volonté salvifique universelle et volonté de limber les limbés :
1° Réponse à l'objection tirée de Gaudium et Spes :
Oui, le Christ est mort "pour tous", "pour nous tous", "en rançon pour tous" :
Cela signifie que le Sacrifice expiatoire de la Croix est à même de sauver TOUS les hommes, pour autant que les hommes y coopèrent. Or tous n'y coopèrent pas, d'où la damnation du grand nombre. Pour ce qui est des adultes, vous me direz que c'est Justice, vu qu'ils se sont librement détournés de la grâce. Mais pour les bambins morts sans Baptême ?
Je vous engage à relire votre citation de
Gaudium et Spes : "nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît,
la possibilité d'être associé au Mystère Pascal."
La possibilité, pas la nécessité.
Un foetus avorté ou un bambin mort sans baptême avait la possibilité de recevoir le Baptême s'il eût vécu assez longtemps pour le recevoir. La possibilité était réelle. Le texte de Gaudium et Spes n'affirme aucunement ce que votre question sous-entendait, savoir l'offre d'une grâce actuelle de conversion. Il n'affirme que l'offre d'une possibilité. Cette réponse n'est pas seulement conforme à la lettre de Vatican II. Elle est encore conforme à l'esprit de la Tradition, l'existence des limbés étant de foi, comme cela ressort des documents cités. Le véritable problème du Concile de Vatican II, ce n'est pas le Concile, mais l'exégèse défectueuse sinon fautive que beaucoup en font. D'où, en retour, les clameurs intégristes.
2° Réponse à l'objection tirée de Lumen Gentium :
Le Christ est le Chef de tous les hommes, qu'ils soient au Ciel ou en Enfer, en vie où à venir. Il est le Chef de tous les hommes, car en Lui repose la plénitude, et qu'Il est Seigneur. De surcroît, et d'une manière particulière, il est encore Chef des élus à un titre spécial, en tant qu'il est le nouvel Adam, Chef de son corps mystique.
Quant à dire que ceux qui n'ont pas encore reçus l'Evangile sont ordonnées au Peuple de Dieu, cela signifie au moins trois choses : D'une, que Tous les hommes sont, de volonté antécédente, appelés au salut. De deux, que l'infidèle négatif, c'est-à-dire l'infidèle dont la non-reception de l'Evangile n'est pas imputable à péché, peut, s'il vit conformément à la Loi naturelle, être sauvé. Ce point ressort de l'Ecriture : "Sans la foi, il est IMPOSSIBLE de plaire à Dieu. Car celui qui s'aproche de Dieu doit croire qu'Il existe et qu'Il se fait le rémunérateur de ceux qui Le cherchent." (Hb XI 6). Cet infidèle négatif, en tant qu'il est en état de grâce, est dit appartenir à l'Eglise par l'âme mais non par le corps. En ceci, il est évidemment ordonné à l'Eglise, Peuple de Dieu. De trois, l'infidèle positif, c'est-à-dire l'infidèle dont la non-reception de l'Evangile est imputable à péché (mortel), de même que l'infidèle négatif qui vit dans le péché mortel (ex. luxure), s'ordonne doublement au Peuple de Dieu : - D'une part, tant qu'il est sur terre, il a la possibilité d'intégrer l'Eglise, soit quant à l'âme (infidèle négatif), soit quant à l'âme et le corps (infidèle positif) ; possibilité en laquelle consiste son ordonnancement au Peuple de Dieu. - D'autre part, après sa mort, l'infidèle positif ou négatif mort en état de péché mortel est ordonné à l'Eglise triomphante comme l'inférieur au supérieur, le damné manifestant aux yeux des élus la rigueur de la Justice divine en raison des tourments sempiternels qui l'accablent.
En espérant avoir répondu à vos interrogations.
Catholiquement.
Popeye