par Cinci » sam. 08 juil. 2017, 12:25
PREMIÈRE LECTURE
« Voici ton roi qui vient à toi : il est pauvre » (Za 9, 9-10)
Lecture du livre du prophète Zacharie
Ainsi parle le Seigneur :
« Exulte de toutes tes forces, fille de Sion !
Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !
Voici ton roi qui vient à toi :
il est juste et victorieux,
pauvre et monté sur un âne,
un ânon, le petit d’une ânesse.
Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre,
et de Jérusalem les chevaux de combat ;
il brisera l’arc de guerre,
et il proclamera la paix aux nations.
Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre,
et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »
– Parole du Seigneur
Première remarque : l'expression "fille de Sion" ne désigne pas une personne précise, une certaine jeune fille ou une femme originaire de Jérusalem. Cette expression désigne la ville elle-même; c'est exactement comme si le prophète disait : "Jérusalem, réjouis-toi." Et pourquoi Jérusalem doit-elle se réjouir? Cela m'amène à ma deuxième remarque : car, justement, l'heure n'est pas à la joie!
Deuxième remarque : le ton général de ces versets est triomphant; mais nous savons bien que c'est toujours signe de période difficile : cette prédication de Zacharie a certainement été prononcée en temps de guerre : c'est ce qu'on appelle un oracle de consolation. Cela explique des phrases telles que "Ce roi fera disparaître d'Ephraïm les chars de guerrel et de Jérusalem les chevaux de combat; il brisera l'arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations." On situe généralement ce texte au début de la domination grecque (donc vers 330) après les conquêtes éclairs d'Alexandre; c'est un moment où, plus que jamais, il faut se raccrocher à l'espérance d'une intervention de Dieu.
Je reprends cette annonce de Zacharie : les termes qu'il emploie sont ceux qui désignaient habituellement le Messie. On attendait un roi qui apporterait la justice et la paix pour tous. [...]
Jusqu'ici il n'y a rien de particulièrement neuf dans les paroles de Zacharie; d'autres paroles prophétiques ou des psaumes disaient déjà à peu près la même chose; par exemple, je vous rappelle quelques versets du psaume 71/72 :"Dieu confie au roi tes pouvoirs , à ce fils de roi ta justice. Qu'il gouverne ton peuple avec justice ... Qu'il domine d'une mer à l'autre, et du fleuve jusqu'au bout de la terre." Ce qui est audacieux dans les paroles de Zacharie, c'est de proclamer ce message d'espérance à un moment précisément où on aurait de bonnes raisons de penser que tout espoir est perdu.
Mais j'ai laissé de côté jusqu'ici trois affirmations de Zacharie; la première n'est pas exactement une nouveauté mais elle mérite d'être notée :"Il proclamera la paix aux nations." C'est seulement depuis l'Exil à Babylone que le peule juif a pris conscience que le projet de Dieu englobait l'humanité tout entière. Voici la deuxième : "Ce roi fera disparaître d'Ephraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ..." Discrètement, au passage, le texte annonce la restauration et la réunification de l'antique royaume de David; pour l'instant, quand ce texte est écrit, il n'en reste plus grand chose : le Nord (Ephraïm) comme le Sud (Jérusalem) qui avaient perdu depuis bien longtemps leur unité, ont perdu également toute souveraineté.
Enfin, la troisième affirmation de Zacharie est véritablement une nouveauté :"(Voici ton roi qui vient vers toi) humble et monté sur un âne, un âne tout jeune." Or l'âne était considéré comme une monture modeste : les conquérants d'Alexandre étaient autrement mieux montés. Et à Jérusalem même, le roi Salomon avait introduit le cheval comme monture de guerre et aussi de parade; on lui a assez reproché ses goûts de grandeur. On avait pas l'habitude de voir un roi sur un âne. Lors de son sacre, Salomon était monté sur la mule de son père, David (1 R 1,32), mais, plus tard, on ne s'en contentait plus.
Isaïe, il est vrai, avait déjà entrevu un Messie humble : il annonçait un Serviteur de Dieu, humble et fidèle, qui accomplira l'oeuvre de Dieu et n'hésitera pas à affronter la persécution; il la subira, mais c'est dans souffrance même que son peuple trouvera le chemin de la paix et de la réconciliation avec Dieu. (C'était dans les chants du Serviteur : Is 50,6; 53,7)
Il faut noter que le Serviteur d'Isaïe ne porte absolument pas le titre de roi, nais il est néanmoins présenté comme un Messie, en ce sens, d'une part, qu'il accomplit bien l'oeuvre du Messie attendu et, d'autre part, qu'il est rempli de l'Esprit de Dieu comme doit l'être le Messie. Au contraire, le Messie de Zacharie est d'emblée présenté comme un roi : il représente donc l'attente traditionnelle du Messie-Roi; mais la nouveauté du texte de Zacharie, c'est qu'il combine cette attente traditionnelle du Messie-Roi avec celle de l'humilité du Serviteur décrit par Isaïe : puisque son roi est humble : finis les rêves de grandeur, de guerre, de puissance; une seule chose compte à ses yeux : instaurer la paix pour le peuple.
Pourquoi les évangiles s'intéressent-ils tant à ce texte de Zacharie? Parce que , dans un premier temps après la mort et la résurrection de Jésus, les Apôtres ont été confrontés à un mystère inexplicable : pour eux, qui étaient témoins de la résurrection de Jésus, il ne faisait pas de doute que celui-ci était le Messie ; mais il était doux, humble et pacifique, c'est à dire bien différent du roi triomphateur qu'ils imaginaient spontanément. C'est alors que ce texte de Zacharie (tous comme les chants du Serviteur d'Isaïe) leur est apparu comme un chemin pour entrer dans "l'intelligence des Écritures".
(Source : Marie-Noëlle Thabut, L'intelligence des Écritures, Paris, Artège, 2011)
PREMIÈRE LECTURE
« Voici ton roi qui vient à toi : il est pauvre » (Za 9, 9-10)
Lecture du livre du prophète Zacharie
Ainsi parle le Seigneur :
« Exulte de toutes tes forces, fille de Sion !
Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !
Voici ton roi qui vient à toi :
il est juste et victorieux,
pauvre et monté sur un âne,
un ânon, le petit d’une ânesse.
Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre,
et de Jérusalem les chevaux de combat ;
il brisera l’arc de guerre,
et il proclamera la paix aux nations.
Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre,
et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »
– Parole du Seigneur
Première remarque : l'expression "fille de Sion" ne désigne pas une personne précise, une certaine jeune fille ou une femme originaire de Jérusalem. Cette expression désigne la ville elle-même; c'est exactement comme si le prophète disait : "Jérusalem, réjouis-toi." Et pourquoi Jérusalem doit-elle se réjouir? Cela m'amène à ma deuxième remarque : car, justement, l'heure n'est pas à la joie!
Deuxième remarque : le ton général de ces versets est triomphant; mais nous savons bien que c'est toujours signe de période difficile : cette prédication de Zacharie a certainement été prononcée en temps de guerre : c'est ce qu'on appelle un oracle de consolation. Cela explique des phrases telles que "Ce roi fera disparaître d'Ephraïm les chars de guerrel et de Jérusalem les chevaux de combat; il brisera l'arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations." On situe généralement ce texte au début de la domination grecque (donc vers 330) après les conquêtes éclairs d'Alexandre; c'est un moment où, plus que jamais, il faut se raccrocher à l'espérance d'une intervention de Dieu.
Je reprends cette annonce de Zacharie : les termes qu'il emploie sont ceux qui désignaient habituellement le Messie. On attendait un roi qui apporterait la justice et la paix pour tous. [...]
Jusqu'ici il n'y a rien de particulièrement neuf dans les paroles de Zacharie; d'autres paroles prophétiques ou des psaumes disaient déjà à peu près la même chose; par exemple, je vous rappelle quelques versets du psaume 71/72 :"Dieu confie au roi tes pouvoirs , à ce fils de roi ta justice. Qu'il gouverne ton peuple avec justice ... Qu'il domine d'une mer à l'autre, et du fleuve jusqu'au bout de la terre." Ce qui est audacieux dans les paroles de Zacharie, c'est de proclamer ce message d'espérance à un moment précisément où on aurait de bonnes raisons de penser que tout espoir est perdu.
Mais j'ai laissé de côté jusqu'ici trois affirmations de Zacharie; la première n'est pas exactement une nouveauté mais elle mérite d'être notée :"Il proclamera la paix aux nations." C'est seulement depuis l'Exil à Babylone que le peule juif a pris conscience que le projet de Dieu englobait l'humanité tout entière. Voici la deuxième : "Ce roi fera disparaître d'Ephraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ..." Discrètement, au passage, le texte annonce la restauration et la réunification de l'antique royaume de David; pour l'instant, quand ce texte est écrit, il n'en reste plus grand chose : le Nord (Ephraïm) comme le Sud (Jérusalem) qui avaient perdu depuis bien longtemps leur unité, ont perdu également toute souveraineté.
Enfin, la troisième affirmation de Zacharie est véritablement une nouveauté :"(Voici ton roi qui vient vers toi) humble et monté sur un âne, un âne tout jeune." Or l'âne était considéré comme une monture modeste : les conquérants d'Alexandre étaient autrement mieux montés. Et à Jérusalem même, le roi Salomon avait introduit le cheval comme monture de guerre et aussi de parade; on lui a assez reproché ses goûts de grandeur. On avait pas l'habitude de voir un roi sur un âne. Lors de son sacre, Salomon était monté sur la mule de son père, David (1 R 1,32), mais, plus tard, on ne s'en contentait plus.
Isaïe, il est vrai, avait déjà entrevu un Messie humble : il annonçait un Serviteur de Dieu, humble et fidèle, qui accomplira l'oeuvre de Dieu et n'hésitera pas à affronter la persécution; il la subira, mais c'est dans souffrance même que son peuple trouvera le chemin de la paix et de la réconciliation avec Dieu. (C'était dans les chants du Serviteur : Is 50,6; 53,7)
Il faut noter que le Serviteur d'Isaïe ne porte absolument pas le titre de roi, nais il est néanmoins présenté comme un Messie, en ce sens, d'une part, qu'il accomplit bien l'oeuvre du Messie attendu et, d'autre part, qu'il est rempli de l'Esprit de Dieu comme doit l'être le Messie. Au contraire, le Messie de Zacharie est d'emblée présenté comme un roi : il représente donc l'attente traditionnelle du Messie-Roi; mais la nouveauté du texte de Zacharie, c'est qu'il combine cette attente traditionnelle du Messie-Roi avec celle de l'humilité du Serviteur décrit par Isaïe : puisque son roi est humble : finis les rêves de grandeur, de guerre, de puissance; une seule chose compte à ses yeux : instaurer la paix pour le peuple.
Pourquoi les évangiles s'intéressent-ils tant à ce texte de Zacharie? Parce que , dans un premier temps après la mort et la résurrection de Jésus, les Apôtres ont été confrontés à un mystère inexplicable : pour eux, qui étaient témoins de la résurrection de Jésus, il ne faisait pas de doute que celui-ci était le Messie ; mais il était doux, humble et pacifique, c'est à dire bien différent du roi triomphateur qu'ils imaginaient spontanément. C'est alors que ce texte de Zacharie (tous comme les chants du Serviteur d'Isaïe) leur est apparu comme un chemin pour entrer dans "l'intelligence des Écritures".
(Source : [b]Marie-Noëlle Thabut[/b], [i]L'intelligence des Écritures[/i], Paris, Artège, 2011)