par Libremax » mer. 22 août 2012, 17:19
Emmanuel Lyasse a écrit :
Vous dites que les récits des martyres n'avaient pas leur place dans la liturgie. C'est fort vrai pour les martyrs des générations suivantes: le canon a été limité à la période apostolique.
En revanche, on ne voit pas de raison objective à ce que les textes liturgiques comprennent les actes de Pierre jusqu'à la mort d'Hérode Agrippa, ceux de Paul jusqu'à son arrivée à Rome, et pas leur suite jusqu'à leur mort. Il est difficile de croire qu'il n'y en ait pas eu de récits contemporains. Vous dites qu'ils ont été perdus parce qu'ils n'ont pas été intégrés à la liturgie. Je dirais plutôt qu'ils n'y ont pas été intégrés parce qu'ils étaient déjà perdus quand le canon a été fixé.
D'une part, j'observe qu'aucun texte liturgique ne traite spécifiquement du martyre des premiers saints. Il y a bien le martyre d'Etienne, celui de Jacques, dans les Actes des Apôtres. Je ne veux pas présumer de ce que vous en pensez, mais il me semble qu'on voit bien que ces éléments n'apparaissent pas pour eux-mêmes, mais plutôt comme éléments constitutifs de récits plus larges.
Je ne prétends pas qu'il n'y ait eu aucun récit de la mort des fondateurs de l'Eglise. Au contraire, à cette époque où l'oralité traditionnelle avait encore tant de place, il est certain que bien des mémoires vivantes ont dû être transmises sur les circonstances de la mort d'untel et untel. Mais les martyres ne font jamais, en tant que tels, l'objet de textes liturgiques. Ils sont l'illustration de vies consacrées à Dieu. Ils ne sont pas la Parole de Dieu.
Il me semble que, si les Actes des Apôtres ont été intégrés au canon de la Bible chrétienne, ce n'est pas tant qu'ils sont le souvenir des faits et gestes des vénérables témoins du Seigneur, mais plutôt l'expression de l'oeuvre de l'Esprit Saint qui donne naissance à l'Eglise qui naît d'abord de la communauté de Jérusalem pour ensuite s'établir au milieu des Nations, selon le commandement du Christ.
Peut-être, dès lors, a-t-on retiré du récit une fin qui racontait la mort de Paul ? Mais cela me semble peu probable, puisque les Actes ont cette logique interne. C'est un récit qui s'accomplit pleinement à sa fin, dans l'arrivée de l'Apôtre des Nations à Rome, capitale du paganisme occidental.
(un autre récit équivalent aurait pu remplir la même fonction : celui de l'apostolat de l'apôtre Thomas vers l'Orient, jusqu'à l'empire Perse...)
Sur Irénée, permettez moi de vous conseiller de vous méfier des gens qui font profession de se dire savants.
Cher Emmanuel Lyasse, sauf votre respect, je connais bien cette maxime : "méfions-nous des pseudo-savants", qu'on se dit surtout lorsque l'un ou l'autre d'entre eux prétend des choses avec lesquelles on n'est pas d'accord... :> Je l'utilise, moi aussi, et les "savants" entre eux aussi. Pour certains primeront les références universitaires, pour d'autres, le travail sur le terrain, le multi-disciplinaire, ou encore la quantité des références documentaires.
Je ne peux que vous présenter des arguments qui me semblent intéressants et qui n'émanent pas de jeunes romanciers en mal de publicité.
Je ne suis pas d'accord avec vous à propos des langues anciennes. C'est en grec et en latin antiques que se sont forgées la philosophie et la théologie occidentales, et les langues sémitiques elles-mêmes, pour concrètes qu'elles soient, savent tout à fait évoquer des abstractions qui dépassent l'observable ; elles empruntent un langage imagé et analogique moins précis mais plus ouvert que les langues occidentales.
Par ailleurs, je me suis mal exprimé sur le sens possible de "Rome" dans le passage d'Irénée. Il ne s'agit pas tant d'évoquer l'
empire romain, (son étendue, ses structures) que la civilisation romaine, sa culture, ses ressortissants. Exactement comme "Babylone" pouvait évoquer non pas seulement la capitale, mais la civilisation Perse, ou parthe, ou assyrienne. Le texte peut donc parler des romains présents en Palestine.
A Césarée, il est très probable que Pierre n'ait pas affaire uniquement à un vague centurion isolé, mais bien plutôt à une communauté qui commence à se former, ce qui n'a rien d'exceptionnel.
Que dit le texte ?
Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d'Évangile, à l'époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l'Église.
Il y a deux communautés chrétiennes qui sont citées ici : les Hébreux, et les Romains.
Matthieu publie son texte chez les hébreux, et pendant ce temps, Pierre et Paul évangélisent
les romains. (Par exemple : ceux de Césarée, pour Pierre, ou ceux de Tarse, pour Paul)
Après l’exode de ces derniers, Marc, le disciple et l'interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l'Évangile que prêchait celui-ci.
L'exode de Pierre a forcé la mise par écrit de sa proclamation orale. Ce départ, même provisoire, a pu, lui, être un départ de Rome (il y a Claude qui chasse les juifs de Rome vers 45-48). En tout cas l'a-t-il coupé de la communauté romaine qui bénéficiait de sa présence. C'est peut-être la même époque où Paul est envoyé à Antioche avec Barnabé, qui doit donc quitter les chrétiens de Tarse.
Irénée , à vrai dire, n'énonce pas tous ces éléments comme des arguments de datation, mais plutôt comme arguments de transmission apostolique vivante : il détaille comment l'Eglise a reçu des Apôtres les évangiles de la proclamation même des Apôtres. C'est là tout l'argument de sa justification contre les hérésies qui tronquent de diverses manières l'intégralité de cette transmission.
Ces hypothèses s'appuyant (entre autres) sur le sens du mot exodos chez Irénée sont celles de Pierre Perrier, qui relaie la constatation d'un autre chercheur. Il ne me semble pas que le latin soit une mauvaise piste pour estimer le texte original, surtout si on dispose d'une version arménienne.
Ceci dit, je ne saurais vous en dire plus, ni sur le nombre d'occurrences du mot dans son oeuvre, ni sur le vocabulaire qu'il utilise quand il parle explicitement de la mort d'une personne.
Il me semble, tout comme vous à propos des "savants poussés par leur désir de remonter à tout prix la date des évangiles", qu'une (très) grande partie des biblistes d'aujourd'hui sont bien curieusement très motivés par la conviction que la composition des Evangiles ne saurait être que tardive. Il ne s'agit pas seulement de tenir que la transmission orale (dont aucun n'ose aborder le terrain) est fiable, mais aussi que l'Esprit-Saint doit pouvoir faire mûrir la méditations des communautés chrétiennes pour qu'elles soient enfin capables de rendre compte de leur foi par écrit uniquement 50 ans après les faits.
Cette idées ne cadre pas du tout avec la culture juive de l'époque, qui est aussi celle des premiers chrétiens.
Enfin, il faut signaler qu'Irénée, pour ce qui est de Marc, est contredit par d'autres auteurs, selon lesquels Pierre aurait vu le texte de l'évangile (Eusèbe II, XV, qui prétend citer Clément d'Alexandrie et Papias). Pas besoin donc de torturer le texte d'Irénée pour contester son témoignage: s'il se trompe sur Marc, il peut se tromper sur Luc. (Mais j'aurais tendance à le considérer comme plus fiable qu'Eusèbe)
Ce que je signalerais volontiers, c'est que Eusèbe vous contredit. En effet, pour lui, Marc n'écrit pas son évangile après la mort de Pierre. Ce passage est cohérent avec le fait qu'il l'ait plutôt écrit après un départ, et que Pierre ait pu avoir eu connaissance de la chose par la suite.
[quote="Emmanuel Lyasse"]
Vous dites que les récits des martyres n'avaient pas leur place dans la liturgie. C'est fort vrai pour les martyrs des générations suivantes: le canon a été limité à la période apostolique.
En revanche, on ne voit pas de raison objective à ce que les textes liturgiques comprennent les actes de Pierre jusqu'à la mort d'Hérode Agrippa, ceux de Paul jusqu'à son arrivée à Rome, et pas leur suite jusqu'à leur mort. Il est difficile de croire qu'il n'y en ait pas eu de récits contemporains. Vous dites qu'ils ont été perdus parce qu'ils n'ont pas été intégrés à la liturgie. Je dirais plutôt qu'ils n'y ont pas été intégrés parce qu'ils étaient déjà perdus quand le canon a été fixé.[/quote]
D'une part, j'observe qu'aucun texte liturgique ne traite spécifiquement du martyre des premiers saints. Il y a bien le martyre d'Etienne, celui de Jacques, dans les Actes des Apôtres. Je ne veux pas présumer de ce que vous en pensez, mais il me semble qu'on voit bien que ces éléments n'apparaissent pas pour eux-mêmes, mais plutôt comme éléments constitutifs de récits plus larges.
Je ne prétends pas qu'il n'y ait eu aucun récit de la mort des fondateurs de l'Eglise. Au contraire, à cette époque où l'oralité traditionnelle avait encore tant de place, il est certain que bien des mémoires vivantes ont dû être transmises sur les circonstances de la mort d'untel et untel. Mais les martyres ne font jamais, en tant que tels, l'objet de textes liturgiques. Ils sont l'illustration de vies consacrées à Dieu. Ils ne sont pas la Parole de Dieu.
Il me semble que, si les Actes des Apôtres ont été intégrés au canon de la Bible chrétienne, ce n'est pas tant qu'ils sont le souvenir des faits et gestes des vénérables témoins du Seigneur, mais plutôt l'expression de l'oeuvre de l'Esprit Saint qui donne naissance à l'Eglise qui naît d'abord de la communauté de Jérusalem pour ensuite s'établir au milieu des Nations, selon le commandement du Christ.
Peut-être, dès lors, a-t-on retiré du récit une fin qui racontait la mort de Paul ? Mais cela me semble peu probable, puisque les Actes ont cette logique interne. C'est un récit qui s'accomplit pleinement à sa fin, dans l'arrivée de l'Apôtre des Nations à Rome, capitale du paganisme occidental.
(un autre récit équivalent aurait pu remplir la même fonction : celui de l'apostolat de l'apôtre Thomas vers l'Orient, jusqu'à l'empire Perse...)
[quote]Sur Irénée, permettez moi de vous conseiller de vous méfier des gens qui font profession de se dire savants.[/quote]
Cher Emmanuel Lyasse, sauf votre respect, je connais bien cette maxime : "méfions-nous des pseudo-savants", qu'on se dit surtout lorsque l'un ou l'autre d'entre eux prétend des choses avec lesquelles on n'est pas d'accord... :> Je l'utilise, moi aussi, et les "savants" entre eux aussi. Pour certains primeront les références universitaires, pour d'autres, le travail sur le terrain, le multi-disciplinaire, ou encore la quantité des références documentaires.
Je ne peux que vous présenter des arguments qui me semblent intéressants et qui n'émanent pas de jeunes romanciers en mal de publicité.
Je ne suis pas d'accord avec vous à propos des langues anciennes. C'est en grec et en latin antiques que se sont forgées la philosophie et la théologie occidentales, et les langues sémitiques elles-mêmes, pour concrètes qu'elles soient, savent tout à fait évoquer des abstractions qui dépassent l'observable ; elles empruntent un langage imagé et analogique moins précis mais plus ouvert que les langues occidentales.
Par ailleurs, je me suis mal exprimé sur le sens possible de "Rome" dans le passage d'Irénée. Il ne s'agit pas tant d'évoquer l'[i]empire romain[/i], (son étendue, ses structures) que la civilisation romaine, sa culture, ses ressortissants. Exactement comme "Babylone" pouvait évoquer non pas seulement la capitale, mais la civilisation Perse, ou parthe, ou assyrienne. Le texte peut donc parler des romains présents en Palestine.
A Césarée, il est très probable que Pierre n'ait pas affaire uniquement à un vague centurion isolé, mais bien plutôt à une communauté qui commence à se former, ce qui n'a rien d'exceptionnel.
Que dit le texte ?
[i]Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d'Évangile, à l'époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l'Église.[/i]
Il y a deux communautés chrétiennes qui sont citées ici : les Hébreux, et les Romains.
Matthieu publie son texte chez les hébreux, et pendant ce temps, Pierre et Paul évangélisent [b]les romains[/b]. (Par exemple : ceux de Césarée, pour Pierre, ou ceux de Tarse, pour Paul)
[i]Après l’exode de ces derniers, Marc, le disciple et l'interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l'Évangile que prêchait celui-ci.[/i]
[i]L'exode [/i]de Pierre a forcé la mise par écrit de sa proclamation orale. Ce départ, même provisoire, a pu, lui, être un départ de Rome (il y a Claude qui chasse les juifs de Rome vers 45-48). En tout cas l'a-t-il coupé de la communauté romaine qui bénéficiait de sa présence. C'est peut-être la même époque où Paul est envoyé à Antioche avec Barnabé, qui doit donc quitter les chrétiens de Tarse.
Irénée , à vrai dire, n'énonce pas tous ces éléments comme des arguments de datation, mais plutôt comme arguments de transmission apostolique vivante : il détaille comment l'Eglise a reçu des Apôtres les évangiles de la proclamation même des Apôtres. C'est là tout l'argument de sa justification contre les hérésies qui tronquent de diverses manières l'intégralité de cette transmission.
Ces hypothèses s'appuyant (entre autres) sur le sens du mot exodos chez Irénée sont celles de Pierre Perrier, qui relaie la constatation d'un autre chercheur. Il ne me semble pas que le latin soit une mauvaise piste pour estimer le texte original, surtout si on dispose d'une version arménienne.
Ceci dit, je ne saurais vous en dire plus, ni sur le nombre d'occurrences du mot dans son oeuvre, ni sur le vocabulaire qu'il utilise quand il parle explicitement de la mort d'une personne.
Il me semble, tout comme vous à propos des "savants poussés par leur désir de remonter à tout prix la date des évangiles", qu'une (très) grande partie des biblistes d'aujourd'hui sont bien curieusement très motivés par la conviction que la composition des Evangiles ne saurait être que tardive. Il ne s'agit pas seulement de tenir que la transmission orale (dont aucun n'ose aborder le terrain) est fiable, mais aussi que l'Esprit-Saint doit pouvoir faire mûrir la méditations des communautés chrétiennes pour qu'elles soient enfin capables de rendre compte de leur foi par écrit uniquement 50 ans après les faits.
Cette idées ne cadre pas du tout avec la culture juive de l'époque, qui est aussi celle des premiers chrétiens.
[quote]Enfin, il faut signaler qu'Irénée, pour ce qui est de Marc, est contredit par d'autres auteurs, selon lesquels Pierre aurait vu le texte de l'évangile (Eusèbe II, XV, qui prétend citer Clément d'Alexandrie et Papias). Pas besoin donc de torturer le texte d'Irénée pour contester son témoignage: s'il se trompe sur Marc, il peut se tromper sur Luc. (Mais j'aurais tendance à le considérer comme plus fiable qu'Eusèbe)[/quote]
Ce que je signalerais volontiers, c'est que Eusèbe vous contredit. En effet, pour lui, Marc n'écrit pas son évangile après la mort de Pierre. Ce passage est cohérent avec le fait qu'il l'ait plutôt écrit après un départ, et que Pierre ait pu avoir eu connaissance de la chose par la suite.