J’ai lu avec intérêt la réflexion assez complète proposée par AdoramusTe qui est diffusée par le site Biblissimo. Il attire mon attention lorsqu’il écrit ceci (je souligne en gras) :
«
Le substantif peirasmos et le verbe peirazein renvoie(nt) à une situation dans laquelle un homme ou un groupe sont mis à l’épreuve. Cette épreuve peut revêtir deux formes : une « positive », celle qui consiste à soumettre une personne ou un objet à un test (contrôle technique), à un examen scolaire ou à une « épreuve sportive » (c’est le sens fondamental) ; une autre « négative » (on dit aussi « péjorative »), quand la personne ou le groupe (non un objet) est poussé à faire le mal en vue d’être accusé. Dans sa deuxième forme, peirasmos est le plus généralement traduit par "tentation" et peirazein par "tenter".
Dans la Bible, peirazein est à plusieurs reprises associé à dokimazein, qui signifie "évaluer" la valeur d’une personne, d’un groupe, d’une situation. Cette association fera alors pencher la balance plutôt du côté du premier des deux sens, le sens positif. »
Cela me semble très intéressant pour ouvrir un sens qui n’a guère été discuté.
Ce qui est traditionnellement reçu comme une sixième demande (
ne nous soumets ou ne nous laisse pas entrer en tentation) suivi d’une septième demande (
mais délivre-nous du mal), ne pourrait-il être compris comme une seule demande dans laquelle la prière «
délivre-nous du mal » demanderait au préalable de ne pas être soumis à l’épreuve « positive » dont parle Biblissimo, de ne pas être soumis à une évaluation, un test, un examen ou un contrôle de ses actes ?
S'il est soumis à une telle épreuve, tout croyant sincère, conscient de ses propres péchés pour lesquels il vient de demander le pardon dans la cinquième demande (
pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés), ne peut que se reconnaître pécheur, dans l’attente de la miséricorde et du pardon.
Si nous demandons d’être délivrés du mal, n’est-ce pas d’abord parce que nous reconnaissons être pécheurs, parce que nous savons qu’à l’épreuve du jugement de Dieu nous ne méritons tous que la condamnation, que nous ne pouvons prétendre être des justes dans nos propres actes ?
Biblissimo relève que «
Dans les synoptiques, le verbe peirazein est utilisé douze fois et peirasmos neuf fois. Il s’agit toujours de la confrontation de Jésus… avec les exigences de l’avènement du Royaume »
Ainsi, «
ne nous soumets pas à l’épreuve » ne pourrait-il rappeler la nécessaire humilité de tout chrétien qui prie son Père des Cieux et qui vient d’abord avec l’humilité du pécheur qui lui fait demander sincèrement «
délivre-nous du mal » ?
Ce serait ainsi une unique demande en deux parties assez parallèle à la demande précédente : «
Pardonne-nous nos offenses » (objet de la prière) «
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » (référence qui nous introduit nous-même dans une attitude de miséricorde).
Nous demandons à Dieu de ne pas être évalué (jugé) parce que nous nous reconnaissons pécheurs «
mais » nous lui demandons plutôt (parce ce que nous venons de nous reconnaître imparfaits et ne méritant pas une bonne évaluation) de nous délivrer du mal.
Une reconnaissance que nous ne sommes pas encore aujourd’hui dans cette situation décrite par le livre de la Sagesse, cité par Biblissimo : «
Dieu en effet les a mis à l’épreuve (epeirasen) et il les a trouvés dignes de lui » (Sag. 3,5)
Mais, la conclusion ne serait plus celle de Biblissimo lorsqu’il écrit que «
La conclusion qui me semble la plus adéquate est donc celle-ci : l’orant demande à Dieu de ne pas le mettre dans une situation d’épreuve ou de tentation telle qu’il serait pris en défaut de fidélité parfaite », mais une reconnaissance qu’il
est en défaut de fidélité parfaite.
S’agit-il d’éviter une épreuve ou une tentation qui risque de causer une faute qui n’existerait pas encore ou d’éviter un jugement immédiat de Dieu sur notre état de pécheur (N'éprouve pas, dans le sens n’évalue pas, n’examine pas, ne juge pas ma situation d’une manière qui ferait apparaître mon état de pécheur, mes fautes déjà présentes et commises), pour lui demander plutôt la délivrance du mal.
Un écho à la parabole du figuier stérile : «
Maître, laisse-le cette année encore… Peut-être donnera-t-il des fruits à l’avenir… » (Lc 13,8-9) ?
Peut-être une piste à réfléchir.