par stephlorant » ven. 29 juil. 2011, 16:14
A propos de "Deux siècles ensemble" on trouvera une lecture non polémique de l’œuvre sur ce lien :
- [+] Texte masqué
- http://www.esprit-et-vie.com/article.ph ... rticle=598
Je ne suis pas certain que l'auteur puisse être classé comme antisémite. Il a surtout fait un travail d'historien.
J'ai extrait ce passage :
Par ailleurs, en ce même xvie siècle se produit une importante migration des juifs de Pologne vers l'Ukraine, la Biélorussie et la Lituanie. À Moscou, sous Ivan le Terrible, l'entrée des juifs est interdite et les tsars garderont cette attitude de restriction méfiante, dont un antijudaïsme religieux n'est pas exclu mais qui a aussi des raisons d'ordre économique. Soljenitsyne s'évertue à nous présenter une Pologne antisémite et une Russie bienveillante mais les faits s'y prêtent peu [1]. Certes, le cliché d'une Russie fermée est faux : en absorbant, en 1772, une vaste portion de la Pologne (le reste étant partagé entre la Prusse et l'Autriche Hongrie), la Russie se trouvait avec, au moins, cent mille juifs de plus sur son territoire. Et la grande Catherine accorda l'égalité des droits aux juifs (de Biélorussie) en 1785, avant même la France (p. 43). Notons que l'abolition du servage n'aura lieu qu'en 1861. Au second partage de la Pologne, d'autres populations juives encore entrent dans l'empire russe. C'est là sans doute l'ambiguïté de cette question des nationalités. Ces juifs « russes » parlent yiddish, ils ont leur propre système d'administration religieux (les qehalim) ; certains parlent polonais, d'autres allemand, mais aucun ne parle russe ! Leur royaume culturel, c'est alors le Talmud, ce n'est pas la culture russe !
Alexandre Soljenitsyne entreprend de présenter, et de défendre, longuement le Mémoire que Derjavine écrit pour proposer un projet global de réforme de la vie des juifs. Pour faire des juifs de bons citoyens russes, Derjavine préconise un enseignement en russe, la suppression des qehalim, il faut aussi essayer de fixer les juifs sur une terre en cultivateurs (au lieu de les laisser pratiquer un commerce incontrôlable, par exemple, la vente d'eau-de-vie aux paysans qui s'endettent). Ce n'est qu'en 1884, après de grands déplacements de population et des essais infructueux de « colonies » juives sur diverses terres, que sera abandonné le rêve de voir les juifs devenir de bons moujiks… Toutes les mesures complexes de la législation russe visant à contrôler et endiguer la mobilité et l'activité des juifs (sans la supprimer puisqu'elle était visiblement un élément dynamique), montrent leur inefficacité, en raison de leurs contradictions et de leur nombre.
De la russification aux pogroms
Malgré ces vexations administratives, les juifs prospèrent globalement dans le commerce de l'eau-de-vie, du bois et autres et « à l'époque d'Alexandre II, toute la riche bourgeoisie juive était […] loyale […] à la monarchie » (p. 176). Le tournant est, de fait, l'assassinat d'Alexandre II, en 1881, suivi par des pogroms dirigés contre la communauté juive. Une fois de plus, Soljenitsyne s'insurge contre une présentation simpliste et « antirusse ». La propagande antitsariste a, certes, grossi les faits. La cause des pogroms est surtout socio-économique, une colère contre le « joug que les juifs faisaient porter à la population russe locale » (p. 217), une inquiétude du peuple face aux agitations révolutionnaires qui commençaient. Mais ces premiers pogroms (ukrainiens et non russes, comme le souligne Soljenitsyne) - pogroms qui ne sont pas les plus sanglants - vont marquer une fracture nette de l'histoire entre les juifs et la Russie. À partir de ce moment-là, l'élan de l'assimilation et de la russification se ralentit, l'émigration, notamment vers les États-Unis, s'accélère, la participation de la jeunesse juive aux mouvements révolutionnaires augmente. Soljenitsyne tente de montrer que les pogroms sont fomentés par les révolutionnaires (p. 228) et non par des partisans du tsar ; cela reste fort incertain [2]. Il donne large place aux témoignages et aux documents de la police pour tenter d'établir un bilan correct des pillages et des voies de fait.
Quelques mesures gouvernementales augmentent le mécontentement (l'expulsion des artisans juifs hors de Moscou, en 1891, le monopole d'État sur les spiritueux, en 1896). Les théories raciales occidentales parviennent en Russie (Drumont par exemple). D'autres pogroms vont suivre, Nikolaev (1899), Kichinev (1903) qui suscite une émotion internationale (certes, bien orchestrée contre le régime tsariste). Le 17 octobre 1905, Nicolas II signe le Manifeste qui donne aux juifs certains droits. Mais il est trop tard, dans le contexte de tension, cela apparaît comme une esquive et une reculade.
A propos de "Deux siècles ensemble" on trouvera une lecture non polémique de l’œuvre sur ce lien :
[spoiler]http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=598[/spoiler]
Je ne suis pas certain que l'auteur puisse être classé comme antisémite. Il a surtout fait un travail d'historien.
J'ai extrait ce passage :
Par ailleurs, en ce même xvie siècle se produit une importante migration des juifs de Pologne vers l'Ukraine, la Biélorussie et la Lituanie. À Moscou, sous Ivan le Terrible, l'entrée des juifs est interdite et les tsars garderont cette attitude de restriction méfiante, dont un antijudaïsme religieux n'est pas exclu mais qui a aussi des raisons d'ordre économique. Soljenitsyne s'évertue à nous présenter une Pologne antisémite et une Russie bienveillante mais les faits s'y prêtent peu [1]. Certes, le cliché d'une Russie fermée est faux : en absorbant, en 1772, une vaste portion de la Pologne (le reste étant partagé entre la Prusse et l'Autriche Hongrie), la Russie se trouvait avec, au moins, cent mille juifs de plus sur son territoire. Et la grande Catherine accorda l'égalité des droits aux juifs (de Biélorussie) en 1785, avant même la France (p. 43). Notons que l'abolition du servage n'aura lieu qu'en 1861. Au second partage de la Pologne, d'autres populations juives encore entrent dans l'empire russe. C'est là sans doute l'ambiguïté de cette question des nationalités. Ces juifs « russes » parlent yiddish, ils ont leur propre système d'administration religieux (les qehalim) ; certains parlent polonais, d'autres allemand, mais aucun ne parle russe ! Leur royaume culturel, c'est alors le Talmud, ce n'est pas la culture russe !
Alexandre Soljenitsyne entreprend de présenter, et de défendre, longuement le Mémoire que Derjavine écrit pour proposer un projet global de réforme de la vie des juifs. Pour faire des juifs de bons citoyens russes, Derjavine préconise un enseignement en russe, la suppression des qehalim, il faut aussi essayer de fixer les juifs sur une terre en cultivateurs (au lieu de les laisser pratiquer un commerce incontrôlable, par exemple, la vente d'eau-de-vie aux paysans qui s'endettent). Ce n'est qu'en 1884, après de grands déplacements de population et des essais infructueux de « colonies » juives sur diverses terres, que sera abandonné le rêve de voir les juifs devenir de bons moujiks… Toutes les mesures complexes de la législation russe visant à contrôler et endiguer la mobilité et l'activité des juifs (sans la supprimer puisqu'elle était visiblement un élément dynamique), montrent leur inefficacité, en raison de leurs contradictions et de leur nombre.
De la russification aux pogroms
Malgré ces vexations administratives, les juifs prospèrent globalement dans le commerce de l'eau-de-vie, du bois et autres et « à l'époque d'Alexandre II, toute la riche bourgeoisie juive était […] loyale […] à la monarchie » (p. 176). Le tournant est, de fait, l'assassinat d'Alexandre II, en 1881, suivi par des pogroms dirigés contre la communauté juive. Une fois de plus, Soljenitsyne s'insurge contre une présentation simpliste et « antirusse ». La propagande antitsariste a, certes, grossi les faits. La cause des pogroms est surtout socio-économique, une colère contre le « joug que les juifs faisaient porter à la population russe locale » (p. 217), une inquiétude du peuple face aux agitations révolutionnaires qui commençaient. Mais ces premiers pogroms (ukrainiens et non russes, comme le souligne Soljenitsyne) - pogroms qui ne sont pas les plus sanglants - vont marquer une fracture nette de l'histoire entre les juifs et la Russie. À partir de ce moment-là, l'élan de l'assimilation et de la russification se ralentit, l'émigration, notamment vers les États-Unis, s'accélère, la participation de la jeunesse juive aux mouvements révolutionnaires augmente. Soljenitsyne tente de montrer que les pogroms sont fomentés par les révolutionnaires (p. 228) et non par des partisans du tsar ; cela reste fort incertain [2]. Il donne large place aux témoignages et aux documents de la police pour tenter d'établir un bilan correct des pillages et des voies de fait.
Quelques mesures gouvernementales augmentent le mécontentement (l'expulsion des artisans juifs hors de Moscou, en 1891, le monopole d'État sur les spiritueux, en 1896). Les théories raciales occidentales parviennent en Russie (Drumont par exemple). D'autres pogroms vont suivre, Nikolaev (1899), Kichinev (1903) qui suscite une émotion internationale (certes, bien orchestrée contre le régime tsariste). Le 17 octobre 1905, Nicolas II signe le Manifeste qui donne aux juifs certains droits. Mais il est trop tard, dans le contexte de tension, cela apparaît comme une esquive et une reculade.