Le XIXe siècle à travers les âges

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Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par apatride » ven. 15 sept. 2017, 2:39

Merci Cinci pour ces extraits de ce livre, j'aime beaucoup cet auteur découvert avec Festivus Festivus puis L'empire du Bien. Cela fait un bon moment que je souhaite le lire mais hélas il n'est pas disponible en version électronique, et la Nouvelle-Calédonie ne brille pas par son vaste choix en librairie :)

Probablement dans ma prochaine commande !

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » jeu. 14 sept. 2017, 21:39

Bonjour,

Je suis tombé sur ce vidéo réellement indispensable et qui aide beaucoup à comprendre la place du bouddhisme dans la culture populaire d'aujourd'hui en Occident.

Je fus agréablement surpris de trouver une universitaire française qui travaille aux États-Unis (faisant référence à d'autres chercheurs sérieux au passage), qui confirme en quelque sorte le propos de Philippe Muray. Il y a un pont. - il existerait une passerelle importante reliant historiquement le socialisme, l'occultisme ou l'anti-christianisme et puis la franc-maçonnerie. Ainsi, toute cette volonté de susciter une contre-religion : spiritualité "alterne" au christianisme et qui aime faire mousser une prétendue "paix religieuse", un peu comme dans la symbolique qu'aura pu revêtir la fameuse rencontre d'Assise. On peut penser à la constellation plus ou moins orientalisante du New Age également.


posting.php?mode=reply&f=67&t=40636

Le bouddhisme : le vrai visage

Les plus pressés pourraient toujours sauter vers la fin du vidéo, en guise d'amuse-gueule si l'on veut. On peut choisir de passer à la période des questions où une dame (ex-bouddhiste) prend la parole, raconte des petites choses, et notamment à propos du Dalaï-lama.

La conférencière quant à elle fera ressortir la différence entre le bouddhisme asiatique original et qui relève du paganisme (devant faire intervenir des esprits, des divinités) et le bouddhisme reconstruit par des européens, sorte de sagesse ou de gnose et visant un public occidental.

On croit communément que la mode du bouddhisme serait apparut aux États-Unis dans les années 1960. Erreur! La mode était déjà lancée en France, au XIXe siècle, dans certains milieux parisiens chics, dans les années 1880-1890, dans la bohème, chez des intellos de la contre-culture et autres opposants à l'Église.

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » jeu. 25 août 2016, 16:03

J'avais lu le Voyage en Orient il y a plusieurs années de cela. Et, depuis, j'avais complètement perdu de vue que l'oeuvre correspondait à une création de Gérard de Nerval. Sans trop y penser, j'avais Théophile Gautier à la mémoire. Je ne sais pas pourquoi. Le livre m'était apparut comme bien plaisant à lire en tout cas.

Avec ce que raconte Philippe Muray, s'y ajoute maintenant, pour moi, un sens supplémentaire à tous ces écrits exotiques de l'époque.
Lorsqu'on songe à la liberté de ton, aux révoltes et à l'insouciance des "Jeunes France" 1830 et qu'on regarde ces daguerréotypes de personnages empesés dans leur importance, sérieux, prétentieux et emphatiques on ne peut que regretter les méfaits de la Révolution industrielle et du militarisme napoléonien qui ont troublé je crois irrémédiablement l'âme de notre pays...On en ressent encore l'esprit et les conséquences dans le discours et les "valeurs" de nos hommes (femmes) politiques...Un certain esprit d'enfance et une fraicheur que regrettaient un Bernanos ou un Huysmans...
Aviez-vous une image précise en tête? Je veux dire soit pour le discours soit pour certaines valeurs de référence de personnalités publiques d'aujourd'hui?

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par coeurderoy » jeu. 25 août 2016, 7:55

Il existe "deux" Gérard de Nerval : l'enfant ému devant le Valois, ses complaintes, ses souvenirs évanouis, la douceur des fêtes paysannes de sa jeunesse et le Parisien noceur et détraqué en proie aux fantômes et à l"emprise de la folie....Je suis toujours très ému en passant près de la Tour Saint-Jacques en songeant à la triste fin de ce "vrai" romantique qui, contrairement à beaucoup d'autres n'était pas un carrièriste orchestrant la promotion de son ego...
(je précise que, né en Valois, les souvenirs d'enfance de Gérard Labrunie me touchent en bien des points...la Fille du Roy Loys, je l'ai chantée enfant...)

Lorsqu'on songe à la liberté de ton, aux révoltes et à l'insouciance des "Jeunes France" 1830 et qu'on regarde ces daguerréotypes de personnages empesés dans leur importance, sérieux, prétentieux et emphatiques on ne peut que regretter les méfaits de la Révolution industrielle et du militarisme napoléonien qui ont troublé je crois irrémédiablement l'âme de notre pays...On en ressent encore l'esprit et les conséquences dans le discours et les "valeurs" de nos hommes (femmes) politiques...Un certain esprit d'enfance et une fraicheur que regrettaient un Bernanos ou un Huysmans...
Etonnant qu'une Thérèse de Lisieux aie pu surgir en un tel siècle : la province, dans ses petites villes, était relativement épargnée car ce XIXème, dans ses idées et révolutions est essentiellement parisien...

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » jeu. 25 août 2016, 4:02

Merci pour l'Intérêt.


De mon côté, j'essaie de comprendre ce que Philippe Muray veut dire avec son ouvrage. Ce n'est pas inintéressant. En premier c'est déroutant. Le livre est assez touffu, les propos souvent elliptiques. Mais je lui reconnais le mérite d'opérer un rapprochement entre deux ordres de phénomènes soit les illuminations (... l'occulte, néopaganisme, etc.) et le socialisme (modernisme, féminisme, etc.) D'instinct, je n'y aurais jamais pensé.

Il veut montrer à quelque part que le XIXe siècle n'est pas terminée, et que nous-mêmes en sommes encore sous son influence.

Un passage important du livre paraît donner la clé quant à la thèse de Muray :
  • "Dans mon histoire des religions à l'époque contemporaine, Nerval mérite une place de choix, C'est lui en effet qui coiffe tranquillement, ingénument le socialisme du chapeau pointu illuministe. Comme ça. En toute candeur. Au nez et à la barbe de ses contemporains. Sans que personne depuis, se soit jamais interrogé vraiment sur le sens de cette opération qui, après tout, ne va pas de soi.

    Et ici, une fois encore, je n'ai nul besoin d'interpréter les textes. C'est écrit noir sur blanc. Ça saute aux yeux. C'est là, sous nos moins, depuis plus de cent ans. Dans le titre même d'un de ses derniers livres paru en novembre 1852 :

    Les illuminés ou les précurseurs du socialisme.

    Comment? Qu'est-ce que vous dites? Illuminés? Socialisme? Ensemble? Même combat? Les illuminés comme précurseurs du socialisme? le socialisme dans la filiation immédiate de l'illuminisme? Mais comment a-t-il fait pour découvrir ça tout seul?"

    (p.401)
Encore :
  • "... et Mme Cagliostro, pendant ce temps-là? Oui, parce qu'il y avait une Mme Cagliostro. Que fait-elle pendant que son mari multiplie les passes et les escroqueries? La même chose, mais féminiquement. Ministre des Droits de la femme à l'occulte ... Elle a fondé une loge placée sous l'invocation d'Isis. "Dans toutes les parties du monde, dit-elle aux participantes, la femme est la première esclave des hommes, depuis le sérail où un despote enferme cinq cents d'entre nous, jusque dans ces climats sauvages où nous n'osons nous asseoir à côté d'un époux chasseur! ... nous sommes des victimes sacrifiées dès l'enfance à des dieux cruels. Si, brisant ce joug honteux, nous concertions nos projets, bientôt vous verriez ce sexe orgueilleux ramper et mendier vos faveurs." Acclamation générale. Dans la chambre initiatique, il y a des tableaux représentant les mâles domestiqués. Vision d'avenir. Prévision raisonnable. Hercule filant aux pieds d'Omphale. Renaud soumis à Armide, Marc-Antoine servant Cléopâtre ... Partage des tâches domestiques. Hommes au foyer. Égalité des salaires ... Grâce à Isis."

    (p. 420)
Je ne pensais pas que les racines des idées féministes remontaient aussi loin.

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par coeurderoy » mer. 24 août 2016, 15:52

C'est pour moi l'un des pires siècles de l'Histoire : déistes non-chrétiens, artistes à l'ego surdimensionné se prenant pour les nouveaux évangélistes, hypocrisie puritaine, goujaterie bourgeoise des parvenus, politique colonialiste, révolution industrielle et paupérisation des classes "inférieures", brutalité inaugurale du petit Corse franc-maçon enfermant la femme dans le code civil, niaiserie pieuse des manuels de piété à vomir, etc, etc...alors, oui, des artistes merveilleux (musique, peinture) mais un Occident à mon avis en totale décadence spirituelle (malgré les nombreux saints et martyrs, dont les prêtres des Missions Etrangères)...tout cela était en germe dans le milieu philosophique (anti-catholique) des Lumières si crédule et tellement attiré par les sciences occultes...

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » mer. 24 août 2016, 4:41

Les origines de la Société protectrice des animaux


... lorsque la SPA est fondée à Paris en 1846, elle existe déjà depuis un quart de siècle en Angleterre, en Hollande et en Bavière. La cruauté archaîque exercée sur les animaux régnait encore un peu partout. On tuait les coqs à coup de pierres, on brûlait vif les renards. Les rats et les crapauds servaient dans les réunions de sorcellerie. N'importe quel événement de l'existence était prétexte à martyriser des bêtes. Pour guérir les malades atteints de méningite, par exemple, il fallait ouvrir le ventre d'un coq vivant ...

Lorsque la loi sur la protection des animaux est mise en discussion à la Chambre en plein milieu du siècle, Jacques Philippe de Grammont qui la défend s'attend à être combattu par la gauche de l'Assemblée. Surprise! Les socialistes le soutiennent. Les redoutables révolutionnaires du temps, ceux que la bourgeoisie terrorisée appelait les "buveurs de sang", lui apportent leurs voix avec enthousiasme. Ils ont le coeur tendre au fond, ces gens-là, ils aiment nos frères inférieurs auxquels ils ne veulent plus que soit fait le moindre mal. Bien entendu, leur zoophilie s'appuie sur une catholicophobie virulente, mais enfin on a rien sans rien, n'est-ce pas? D'ailleurs, est-ce que ce n'est pas le christianisme, et plus loin encore le préjugé hébraïque, qui distillèrent dans l'espèce humaine le mépris des animaux? Est-ce que l'adoption de cette loi de protection élémentaire n'est pas aussi une étape sur le chemin de liquidation définitive de cette Église, dira Michelet dans Le Peuple, qui "tint la nature animale à une distance infinie de l'homme, et la ravala"?

Est-ce que la restauration de la Nature innocente dans sa dignité ne passe pas par le ravalement au plus bas échelon des calomniateurs judéo-chrétiens de cette même Nature?

C'est en vain que, de Grande-Bretagne, le cardinal Manning (prélat anglican converti comme Newman au catholicisme) entre dans le débat pour essayer d'émettre une opinion équitable, mesurée en même temps que théologiquement fondée : les animaux n'ont pas de droits et nous n'avons pas de devoirs envers eux ... En vain bien sûr. On n'arrête pas une croisade.

Plus tard, dans Une vie, Maupassant qui répercute en général l'opinion du plus grand nombre montrera un vieux baron exemplaire adorant regarder les bêtes coïter et les femelles accoucher et haïssant bien entendu les prêtres ainsi que leur "Dieu à intentions bourgeoises, à colères jésuitiques et à vengeance de tyran". Un Dieu, écrit encore Maupassant, "qui lui rapetissait la création" ... laquelle comme on sait serait tout harmonie de la roche aux étoiles si on n'y avait laissé s'y introduire la vivisection catholique ... Je viens de prononcer le mot vivisection. Voilà encore un débat qui date du XIXe siècle et qui passionne toujours les gens à notre époque.

Mme Claude Bernard qui cotisait à la SPA persécutait son mari à ce propos et lui reprochait les expériences sur les animaux pratiquées au nom de la science.

Mais l'ennemi le plus célèbre de la vivisection à l'époque aura sûrement été Wagner. Oui, Richard Wagner en personne, pour qui il s'agit, dit-il, "de la question la plus grave de l'humanité". Le meurtre d'un animal lui paraît infiniment plus grave que celui d'un homme. D'ailleurs, il est végétarien, il redoute comme la peste la souillure de la chair animale et je n'étonnerai peut-être pas tout le monde en signalant que son amour des animaux s'associe perpétuellement à sa haine des Juifs.

Une seule citation suffira pour illustrer ce que je dis. Une lettre adressée par Wagner à Ernst von Weber, président de la ligue antivivisectionniste, auquel il conseille d'utiliser envers les bourreaux d'animaux "les mêmes procédés qu'envers les Juifs" : "Il serait excellent par exemple de faire peur aux Juifs, eux qui, de jour en jour, se conduisent de manière plus insolente. De même, il faut faire peur à messieurs les vivisectionnistes; il faudrait que tout simplement ils craignent pour leur vie, et qu'ils croient voir devant eux le peuple armé de matraques et de cravaches".

S'éonnera-t-on pour en terminer avec ce rapide exposé d'une question moins mineure qu'on pourrait le croire, que quelqu'un comme Toussenel, socialiste et antisémite, auteur des Juifs rois de l'époque, ouvrage où sont dénoncés les "vampires suceurs de sang des peuples et leur Bible" , "code des bourreaux de la terre", se soit à la fin de sa vie exclusivement consacré à des travaux d'histoire naturelle qu'il appelait "zoologie passionnelle" et où se trouvent transposés tous ses rêves de société harmonieuse : protestation contre la chasse, éloge du gibier persécuté, programme écologique, dénonciation des animaux à détruire comme le rat, la taupe ou le renard, qui sont autant d'incarnations de l'hostilité au progrès? S'étonnera-t-on enfin qu'à bien y regarder ce soit avec lui que rivalise sur la fin de sa vie le philanthrope insoupçonnable Michelet lorsqu'il se lance dans une grande série d'ouvrages sur les merveilles de la Nature : L'Oiseau, La Mer, La Montagne, etc. ?

Mais revenons à Victor Hugo. Dans le champ de forces qu'il est devenu, le carrefour des métempsychoses en quoi il s'est métamorphosé, tous les phénomènes se croisent et viennent parler. Hugo est carrefour, sa poésie est carrefour. Les tables sont carrefour. Il n'est pas avare d'avatars. Il a été Isaîe, Eschyle, Judas Maccabée, Juvénal et quelques rois de Grèce plus obscurs. Pour bien s'informer lui-même de l'endroit où il est en train de s'arrêter et de creuser sa vérité, il se fait faire un sceau où on lit : "Ego Hugo ..." Ce qui apparaît bien comme le comble du doublon et de la répétition : la passion du même; de la même-tempsychose, en quelque sorte ... Son fils Charles le photographie en pleine communication. Le cliché est légendé : Victor Hugo causant avec Dieu Il y en a un autre où on le voit écoutant Dieu Un autre encore regardant Dieu. Certes, il y a quelques réticences autour de lui. Kesler ne se gêne pas pour le traiter de crétin. En france, pour Veuillot, c'est "Jocrisse à Patmos", "Bobèche au Sinaï"; "Bête comme l'Himalaya" est de Leconte de Lisle. Hugo s'en fout. Il est loin avec ses fantômes. Péguy n'avait pas tort en disant qu'il ne fut jamais chrétien, et qu'on se demande même comment il parvint à ne pas l'être à ce point.

C'est justement cet exploit qui m'intéresse, car il est en même temps une date. La date de l'ère Hugo - appelons ainsi la dixneuvièmité quelques instants, il le mérite. On peut se demander comment il a pu aller si loin en non-chrétien.

( p. 398)

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » sam. 16 juil. 2016, 4:42

  • Sur le Panthéon

    Ce que nos yeux voient donc d'abord, ce que mon corps sent ici, ce que mes oreilles entendent, c'est l'ombre et le piétinement de toute une culture. La possibilité par le Panthéon d'effectuer une nouvelle coupe verticale dans le déroulement du XIXe siècle. Cent années pratiquement sur place. Inutile de quitter cette coupole, tout vient s'y raconter en ordre. De l'achèvement de sa construction en 1789 (elle n'est encore que l'église Sainte-Geneviève), juste avant la prise de la Bastille, à sa réaffection définitive comme Panthéon après bien des viscissitudes en 1885, année de la mort de Hugo.

    Commandée à Soufflot par Louis XV en 1754 après réalisation d'un voeu de guérison miraculeuse. L'acharnement par la suite à la déconsacrer traduira aussi la volonté du XIXe siècle d'effacer la promesse faite par Louis XV, sa parole et plus largement son souvenir même comme indice d'un XVIIIe siècle débauché et cynique, léger, pour lequel l'histoire scolaire n'a pas eu de mots assez durs. L'intéressant est que le Panthéon est finalement ce qui reste aujourd'hui (quoique privé de son nom) comme trace d'une prière de cet avant-dernier roi qui avait, comme chacun sait, un goût beaucoup trop marqué pour les plaisirs ... un peu comme si nous pouvions encore visiter actuellement une chapelle élevée sur la demande de l'athée Sade.

    Soufflot a eu bien des malheurs pendant les vingt-cinq ans où il a construit son église. Il l'a laissée inachevée en mourant en 1780. Mais à Rome il avait vu l'autre Panthéon, celui des dieux de l'Olympe. Par conséquent, il aura beau concevoir sa basilique comme une espèce de monument "à la perpétuité de la religion chrétienne", l'église va lui échapper en tant qu'église.

    Rome se retrouve partout dans le projet de Soufflot. Le plan en croix grecque, le fronton dominant le péristyle soutenu par vingt-deux colonnes corinthiennes à la manière du dôme de Saint-Pierre. Vatican et Panthéon d'Agrippa. L'affrontement des deux passés prêts à ¸etre gobés par la Patrie reconnaissante. Hugo jugea sévèrement la réalisation parisienne : "Un gâteau de Savoie gigantesque" ... Il finira pourtant dessous.

    Et après? Qu'est-ce que je vois encore? qu'est-ce que j'entend au Panthéon? Une historie de transferts. Tombeaux errants. Légende des bières. Dalles expulsées. Misère des funérailles nationales. Caprice des dieux. Walhalla à siège éjectable. Ces phénomènes sur sur lesquels Freud s'est guidé pour inventer la pulsion de mort. Laquelle ici au Panthéon s'exerce sur les morts précisément. Lutte des posthumes pour leurs mètres carrés de crypte, leur bout d'espace vital de sarcophage.

    Tout commence en 1791 avec la mort de Mirabeau. Déclaration de guerre de la Constituante à l'église Sainte-Geneviève qu'elle décide de débaptiser. Désormais le catholicisme, qui viendra de temps en temps au cours du siècle réoccuper le Panthéon, ne sera plus qu'un locataire provisoire, une sorte de squatter intermittent.

    Décret de l'Assemblée, article 1 : l'édifice sera destiné à recevoir les cendres des grands hommes de l'époque de la liberté française. De cette époque date la décision de graver l'Inscription célèbre sur les vertus de reconnaissance de la Patrie.

    Souvenir lyrique de Quinet :

    "Dans un transport civique, l'Assemblée constituante baptisa de ce nom le monument qui parut pour la première fois recevoir une âme et un sens. Tout s'expliqua sitôt que l'église devint un temple de la Renommée. Voilà pourquoi cette vaste enceinte nue ressemblait à un forum : c'est la place où se réunira le peuple pour rendre un jugement sur les morts. Il s'agit ici non de l'apothéose d'une bergère, mais de la France, de la patrie sous la figure des grands hommes qui vont surgir au souffle d'un monde nouveau."

    On détruit les reliques de sainte Geneviève : immédiatement, cohue de déchets. Et ces restes, ces détritus, ces cadavres, la façon dont on va les fétichiser en les voiturant en grande pompe puis en les précipitant aux poubelles, c'est toute la politique culturelle, la politique du culte au XIXe siècle. Sa cruauté aussi, son cynisme.

    Entrée de Mirabeau en 1791, accompagné par un cortège de quatre cent mille personnes. Le cercueil monte les escaliers à minuit. Arrivée du premier fantôme dans les douze coups égrénés. Les esprits frappent toujours la nuit. Transfert de Voltaire trois mois plus tard. Foule impressionnante, bataillons d'enfants, sapeurs de la Garde nationale. Fleurs, clubs, corporations, hommes à piques. Des gosses portent un grand plan en relief de la Bastille [...] Des bustes de Franklin, Rousseau, Mirabeau, moulés dans le plâtre de la prison détruite, oscillent au-dessus du remous humain. On a vraiment recyclé toute la Bastille. Une grande couronne a été maçonnée avec le mortier des cachots. Le sarcophage est tiré par douze chevaux blancs. Des torchent brûlent.

    D'autres encore, bien d'autres ensuite. Lepelletier de Saint-Fargeau, député régicide, le colonel Beaurepaire. Et Marat en 1794. Après que l'on eut viré Mirabeau dont on avait découvert les trahisons entretemps. Cérémonie d'expulsion : un huissier de la Convention s'avance vers la porte d'entrée et lit le décret. Esprit es-tu là? Oui? Dehors! Triste jour, soupire Michelet où, après avoir tué les vivants, la Révolution se mit à tuer les morts ... les déchets de Mirabeau croiseront les restes de Marat. Grandeur et décadence des fétiches.
    maxime du vouloir-guérir radical,

    Ingratitude de la Patrie. Marat, le médecin Marat, pontife-maxime Marat dont Michelet dit : Ce médecin sans malades prend la France pour malade, il la saignera, Marat lui-même ne tiendra pas longtemps, il sera éjecté au bout de cinq mois, on traînera ses restes dans la rue, jusqu'au fond des caniveaux.

    [...]

    J'abrège. Les portes du Panthéon deviennent un véritable tourniquet. Bousculade à tous les guichets. Porte à tambour. Moulinet. Le 11 octobre 1794, Rousseau arrive dans une urne. L'orchestre à la tête du cortège joue les airs du Devin de village. Mais quelques années plus tard, une nuit de la Restauration, des ouvriers descendent dans la crypte, violent sa tombe et celle de Voltaire. Les restes des deux écrivains sont jetés dans un sac et précipités en rase campagne au fond d'un trou. Hugo écrit un texte où il rêve sur le choc rapide des deux crânes au moment de la culbute. Les étincelles qui en jaillissent.

    Les monuments de Voltaire et Rousseau sont toujours face à face dans la crypte du mausolée. Celui de Rousseau me fascine. Un sarcophage en bois peint. On lui a donné la forme d'une petite maison. Avec une porte au-dessus de laquelle on peut lire son nom. Sweet Home ... La porte est entrouverte. Une main qui tient un bouquet en sort pour l'éternité. Chaumière hantée. Chalet macabre. Comme si on avait moulé la main d'esprit du fantôme Rousseau. Profession de foi du vampire savoyard. A l'autre bout du siècle, des spirites mouleront ainsi des mains, des doigts, des pieds d'ectoplasmes.

    [...]

    Accélération : de 1806 à 1815, quarante-deux personnages sont inhumés dans la crypte. Un caveau particulier avait été prévu pour les dignitaires protestants, mais il n'y en aura que quatre. Baptême, Rebaptême, Débaptême. Napoléon Ier rend le Panthéon au clergé tout en lui conservant ses fonctions panthéonesques. Louis XVIII en 1822 fait effacer l'inscription du fronton et remet du latin sur Paris : D.O.M. sub invocat S. Genovafae. Lud. XV dicavit Lud. XVIII restitut. On commande au baron Gros une apothéose de sainte Geneviève avec assomption de Louis XVI parmi les fleurs et les anges.

    Encore un tour de roue. 1830. Immédiatement l'inscription "Aux grands hommes" reparaît. On la hisse sur un panneau de bois aux applaudissements unanimes. Nouvelles fournées de décomposés. Benjamin Constant parmi eux. Grande cérémonie. La coupole tendue de noir, des draperies tricolores [...] Louis-Philippe y assiste. Hymne chanté par les ténors de l'opéra : "Ceux qui pieusement sont mort pour la Patrie ..." Le peintre Gérard à qui Charles X avait commandé des sujets religieux, change les motifs : Gloire, Patrie, Justice et mort. Chassé-croisé des allégories. Gargouillis.

    Milieu de siècle. 1851 : Louis-Napoléon rend son église à sainte Geneviève.

    Vingt ans plus tard, en 1871, les dirigeants de la Commune font scier la croix du fronton et celle du dôme pour les remplacer par des drapeaux rouges. Quelques semaines après, sur les marches du temple : les Versaillais assassineront les insurgés.

    [...]

    L'église Sainte-Geneviève a été débaptisée trois fois au cours de ce siècle. Aux moments saignants. Et toute l'époque au fond s'est déterminée en fonction des épisodes de ce feuilleton. Entrée et sortie des morts; choix des cadavres; jugements derniers patriotiques; théophobies, panthéophilies, nomination, renomination, dénomination.

    Pour? Contre? Hugo, Nerval, Michelet, Sand, Sue, sont absolument pour. Baudelaire est contre obstinément. Il deviendra même "Belge" pour cette raison. Avant de s'apercevoir que les Belges sont des Français. C'est à dire occultistes-socialistes. Flaubert? Il intègre comme un buvard le panthéonisme dans ses lettres [...] "J'ai une religion, ma religion, et même j'en ai plus qu'eux tous, avec leurs momeries et leurs jongleries. J'adore Dieu au contraire! Je crois en l'Être suprême, à un Créateur quel qu'il soit, peu m'importe qui nous a placés ici-bas pour y remplir nos devoirs de citoyens et de père de famille. Mon Dieu à moi c'est le Dieu de Socrate, de Franklin, de Voltaire, de Béranger! Je suis pour la Profession de foi du curé savoyard et les éternels principes de 1789!" Flaubert écrit toujours avec une frénésie minutieuse contre ses amis. Contre ceux qu'il aime en même temps qu'il écrit. Contre Hugo, Sand, Michelet, Renan qu'Il ne cesse pourtant d'admirer. C'est à dire aussi contre lui. "Madame Bovary c'est moi. C'est moi contre moi."

    [...]

    N'oublions jamais la main de Rousseau qui sort de son tombeau pour venir chatouiller le siècle du progrès ...

    [...]

    Il y a eu par la suite jusqu'à nos jours d'autres élus pour le Panthéon. Zola, Jaurès, Jean Moulin. Les vagues de l'histoire nationale. Dans une chambre derrière une grille Hugo et Zola sont ensemble. Ils font caveau commun, face à face. Mais la véritable épopée du Panthéon se termine avec l'enterrement de Hugo. Porté sur un char de triomphe comme seul Voltaire en avait eu un avant lui parmi les écrivains. Dans la foule de l'enterrement de Hugo, il y avait bien des noms qui sont devenus célèbres ensuite pour des raisons variées. Maurice Barrès ou Drumont par exemple, qui ont longuement raconté la scène. Il y avait Claudel aussi. C'était en 1885.

    [...]

    Et soudain vers la fin du siècle, qui aperçoit-on de loin? Qui vient là, qui va entrer pour produire la fêlure de sa trouvaille dans les assises du monument? Protégé par une commande officielle? C'est Rodin à qui on a demandé un Hugo pour boucher un trou dans le transept gauche du temple. Il présente son projet en 1891. Le poète est assis sur un rocher, sa main droite soutenant le front entraîné en avant, avec derrière lui trois muses soufflant dans un ballon de sa méditation poétique. La statue a été rejetée bien sûr, mais on lui offre une réparation quelques années plus tard en lui demandant de détacher son Penseur de la porte de l'enfer pour le planter devant l'ancienne église née d'une maladie guérie de Louis XV.

    Le 21 avril 1906, au cours de l'inauguration, une actrice en péplum lit du Hugo entre les colonnes. On attendra cette fois la mort de Rodin pour oser expulser sa statue.

    En 1922, sous prétexte que sa masse gênait les cérémonies officielles, le conseil municipal décrète son retour à l'hôtel Biron. Cela fait déjà un temps qu'on n'expulse plus les morts, on se rabat sur les oeuvres d'art. Surtout quand elles provoquent un tel scandale. Le Penseur n'était pas digérable. "Pithécanthrope", disait-on. Brute humaine sculptée dans les limbes. King Kong devant le caveau de famille. L'oubli surgit de la préhistoire. La bête sexuelle polymorphe au milieu des fétiches embaumés [...] Si le Penseur était resté là, aucun président de la république n'aurait peut-être osé passer devant, même sous des caméras de télévision, pour s'introniser parmi les morts.

    Eh bien en 1936 il y avait encore quelqu'un qui se souvenait que le Rodin avait été au Panthéon. Rencontre intéressante, surprenante même. C'est dans Mort à crédit que Céline brusquement fait parler Courtial de Pereire (Courtial, adepte du positivisme d'Auguste Comte comme personne) :

    "Tiens, Ferdinand! Toi qui bagottes, tu connais bien le Panthéon? ... Dis, pauvre confus? Tu n'as rien remarqué? Tu l'as jamais vu, le Penseur ? Il est sur son socle ... Il est là ... Que fait-il? Hein, Ferdinand? Il pense, mon ami. Oui! Ça seulement! Il pense! Eh bien, Ferdinand, il est seul. Il est seul! ... Voilà! ... Moi aussi, je suis seul! ... Il est nu! Moi aussi je suis nu! ..."

    [...]

    1885, perdu dans la foule bouleversée, Claudel assiste aux funérailles de Hugo sur la montagne Sainte-Geneviève. 1886, à Noël, il se converti à Notre-Dame.

    Ensuite, il commence le bilan, c'est à dire sa vie d'écrivain. [...]

    Et pour salaire de ce travail, tous contre lui en même temps. Tous! Tous les héritiers des familles du XIXe siècle menacés dans leur héritage : rationalistes rescapés, positivistes nostradamiques, surréalistes gymnosophistes, vicaires de la table rase des sacrifices, libres penseurs, techniciens de la forme et de la langue, scientistes justiciers, curés défroqués, militants de la foi universelle, fakirs du cosmos-cathédrale et des maisons pour le peuple. Tous procureurs parce qu'associés.

    Mais là où on touche au plus sensible de la haine anti-Claudel, c'est quand on arrive à son pétainisme. Ah oui, il fut pétainiste. D'environ juin 1940 à décembre 1940. C'est beaucoup trop, d'accord, mais combien le furent jusqu'en 1942 sur lesquels on a passé l'éponge depuis longtemps? Pourquoi? Parce qu'en plus de cette incontestable flétrissure, ils ne commirent pas l'erreur d'être aussi catholiques. Pourquoi Claudel reste-t-il seul impardonnable? Parce qu'il fut six mois pétainiste? ou plutôt parce qu'il fut toute sa vie catholique?

    Ses crimes tiennent ici en quelques lignes. 1940, Pétain arrive au pouvoir et Claudel s'aveugle sur l'ignominie de Vichy parce qu'il ne voit qu'une chose : on rend leurs biens aux Chartreux, on va effacer les lois Combes. En décembre de la même année, à l'occasion de la représentation de L'Annonce à Vichy, dit-il, il écrit un poème au Maréchal. Mais il a déjà ouvert les yeux. Le régime de Laval est totalitaire et les catholiques qui retournent à leur ordure antisémite lui répugnent. "Pétain m'a eu", confie-t-il un peu plus tard à Henri Guillemin. "Je le croyais loyal [...] Maintenant j'ai compris."

    Vieux, près de mourir et d'aller abandonner ses restes sous une dalle du jardin de Brangues, il se souvenait encore avoir assisté au lycée Louis-le-Grand à la cérémonie de distribution des prix présidée par le XIXe siècle en personne , je veux dire Renan. L'élève Claudel avait quinze ans.

    Imaginons-le écoutant Renan glorieux et finissant, et imaginons en même temps Claudel si vieux en 1953, après deux guerres mondiales et des millions de morts. Imaginons-les tous les deux, les deux Claudel, le jeune et le vieux se donnant la main par-dessus presque un siècle d'abominations planétaires, pour écouter le discours de Renan :

    "La barbarie est vaincue sans retour parce que tout aspire à être scientifique. La barbarie n'aura jamais d'artillerie et, si elle en avait, elle ne saurait pas la manier. La barbarie n'aura jamais d'industrie savante, de fortes organisations politiques, car tout cela suppose une grande application intellectuelle." Et Claudel patiemment, Claudel qui a pu vérifier la valeur des prophéties de Renan, continue à transcrire ce bourdonnement XIXe dans ses oreilles : "Vous verrez le XXe siècle, jeunes élèves. Ah! voilà un privilège que je vous envie; vous verrez de l'imprévu. Vous entendrez ce que l'on dira de nous; vous saurez ce qu'il y aura eu de fragile ou de solide dans nos rêves. Croyez-moi, soyez alors indulgents. Ce pauvre XIXe siècle dont on dira tant de mal, aura eu ses bonnes parties, des esprits sincères, des coeurs chauds, des héros du devoir", etc.

    En 1941, il notait un rêve dans son Journal : "Ernest Renan énorme, vêtu de noir, tout petit, qui m'accompagne en gémissant dans un escalier en disant qu'il est décidé à se convertir." La même année et le même jour, indique-t-il ailleurs, Renan en France quittait le séminaire et Newman en Angleterre se convertissait ...

    (pp.94-106)
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Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » sam. 16 juil. 2016, 3:40

Tant qu'à être dans le XIXe ... à la Belle époque ...

https://www.dropbox.com/home?preview=Mi ... Bruand.png

J'ai vu ça la semaine dernière. C'est un tableau méconnu du peintre Louis Anquetin et qui se trouve présentement à Montréal. Il fait partie d'une exposition de certaines oeuvres de Toulouse-Lautrec. Fascinant. L'oeuvre original fait au moins la dimension d'une porte de hangar. C'est large comme un mur, L'artiste souhaitait dépeindre la salle du Mirliton et son ambiance, à l'époque où Aristide Bruant assurait l'animation.

Après avoir poussé la porte du café-concert, on s'y trouve pile face à la Goulue en personne qui veut nous accueillir. Parmi les buveurs au premier plan, on reconnaît le peintre Émile Bernard, alors que Toulouse-Lautrec se trouve derrière lui. D'autres personnalités de l'époque se retrouvent également dans le tableau. Au fond de la salle et puis juché sur une table : ou peut même découvrir le profil caractéristique de Bruant, l'allure canaille et les deux poings posés sur les hanches; le fameux chansonnier de Montmarte avait l'habitude de s'installer ainsi pour dominer la salle et pour y apostropher les bourgeois présents dans le public.

C'est moi qui ai annoté l'Image au crayon rouge. J'aime la peinture. Je suis en train de compléter certains tableaux d'ailleurs. Je suis hanté par ce tableau de Louis Anquetin que je ne connaissais pas du tout.

Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » mer. 13 juil. 2016, 20:10

  • Sur Allan Kardec

    Hippolyte-Léon Denizart Rivail. Personne ne connaît ce nom, n'est-ce pas? Né à Lyon en 1804. Catholique élevé en milieu protestant. Glorieux sous le nom d'Allan Kardec, Le menhir des druides orne sa tombe au Père-Lachaise. Il a reçu son pseudonyme en 1854 au cours d'une séance d'invocation des revenants. C'était son nom, le vrai de vrai, au temps de sa première incarnation celte.

    Il peut maintenant se prendre pour ce qu'il est. Il grandit, annonce le spiritisme comme une nouvelle Réforme éclairée adaptée à l'âge de l'efficacité. Solidaire de toutes les institutions qui travaillent déjà contre les détritus catholiques du passé. "Un officier ou une officière de l'Armée du Salut suivent une voie plus fructueuse qu'un carme ou une carmélite." Et revoilà la réincarnation. A chaque étape on monte d'un cran. A chaque vie on grandit un peu. Les conquêtes sont définitives sur le chemin de la perfection que gravissent les âmes parties des Esprits imparfaits où prédominent la matière et l'ignorance et montant vers les purs esprits séraphiques en passant par les bons Esprits pas totalement dématérialisés mais déjà mis sur la voie du juste (comme Jésus ou Cakya-Muni). Et en haut, quand tout est fini? En haut bien sûr on vit en commun, on se groupe par affinité, dans l'harmonie universelle.

    René Guénon traitait méchamment Kardec d'instituteur socialiste, et en effet il est difficile de ne pas considérer comme une injustice monstrueuse l'oubli de son nom dans les histoires de la pensée progressiste moderne. Est-ce qu'on abuserait si on réclamait que son nom soit gravé sur le bel obélisque qui se dresse à Moscou, au pied du Kremlin, dans le jardin Alexandrovski, à la suite des noms de Fourier, Saint-Simon, Proudhon, Marx et tant d'autres pères fondateurs de l'empire radieux du socialisme?

    On ne peut pas nier en tout cas la générosité de son projet d'émancipation absolue, métaphysique, totale, allant bien au-delà du simple bouleversement des rapports de production.
    • "Par le spiritisme, l'humanité doit entrer dans une phase nouvelle, celle du progrès moral qui en est la conséquence inévitable."
    De quelle manière le spiritisme établira-t-il définitivement les droits les plus sacrés des vivants?
    • "En détruisant le matérialisme qui est une des plaies de la société, il fait comprendre aux hommes où est leur véritable intérêt. La vie future n'étant plus voilée de doutes, l'homme comprendra mieux qu'il peut assurer son avenir par son présent. En détruisant les préjugés des sectes, des castes et des couleurs, il apprend aux hommes la grande solidarité qui doit les unir comme des frères."
    En octobre 1861, quelqu'un qui s'exprime au nom des ouvriers spirites de Bordeaux apostrophe ainsi Allan Kardec : "Vous êtes notre Père à tous, le Père de la classe laborieuse et des affligés." Son successeur, Léon Denis, sera un grand ami de Jean Jaurès.

    Timide encore chez Kardec, l'anti-judéo-christianisme prend chez Denis des proportions beaucoup plus violentes. C'est que l'heure de la grande liquidation approche. Chaque jour la rend plus désirable. Dans Spirites et chrétiens, en 1883, Alexandre Belleman écrit sous l'inspiration de Léon Denis : "Nous réduisons les prophètes de l'ancienne loi au niveau des médiums, nous abaissons ce qui a été indûment élevé, nous rectifions un sens dénaturé. Et encore, s'il fallait faire un choix, nous donnerions de beaucoup la préférence à ce qu'écrivent journellement les médiums d'aujourd'hui sur ce qu'ont écrit les médiums de l'Ancien Testament."

    [....]

    Quelqu'un qui a écrit une histoire du spiritisme tout à fait complète, c'est Conan Doyle. Oui : le maître de la déduction rationnelle extra lucide reprenant du service dans l'arrière-monde ... Sherlock Holmes sur la piste des esprits ... Doyle qui avait été médecin, commence à s'intéresser au spiritisme en 1886. Avec un problème personnel à résoudre : il arrive encore à croire en Dieu, mais plus du tout à la survie. Après la théosophie et la transmission de pensée, il se rabat sur les guéridons et il est immédiatement conquis. Il met même une part de sa fortune au service de la cause. Il écrit La Nouvelle Révélation et Le Message vital, puis commence des tournées de conférences en Australie, aux U.S.A. , au Canada. Sermons joyeux nécrophiliques sur fond de musique funèbre pour le christianisme en faillite : la théologie, répète-t-il, est si invraisemblable que l'honnête homme ne peut y songer sans un haut-le-coeur.

    [...]

    Allan Kardec fonde la Revue spirite en 1858. Il compose son maître ouvrage, Le livre des esprits, sous la dictée de revenants. En collaboration étroite avec Socrate, Swedenborg et Napoléon. Puis c'est le Livre des médiums. A sa revue collabore régulièrement des pigistes comme saint Augustin, saint Louis, Luther ou Pascal ... Ghost writers! Enfin, il attaque le problème frontalement dans L'Évangile selon le spiritisme en 1864 et dissipe les obscurités du Nouveau Testament.

    Qu'est-ce que c'est que le scandale de fond des religions du passé? Un Dieu, un seul, qu'on l'appelle Allah ou Yavhé, qui s'adresse à un seul homme, Moïse ou Muhammad, au mépris de tous les autres. Ou pis encore : qui se parle à lui-même (Jésus).

    Qu'est-ce que le progrès social du spiritisme? Tout le monde a le droit à une communication personnelle. Des âmes des morts, simples gens disparus, aux vivants, simples gens en disparition. Printemps des masses et des télécommunications.

    Conan Doyle raconte que, les oreilles bien ouvertes, toutes ses capacités hypothético-déductives fonctionnant à plein rendement, il entendit un jour un esprit lui dire ceci :
    • "Les membres du clergé ont des idées tellement bornées et tellement prisonnières d'un système qui devrait être suranné! C'est comme si on servait le diner de la semaine dernière au lieu d'en faire un nouveau. Nous voulons une nourriture spirituelle fraîche, pas un réchauffé de vieille nourriture."
    [...]

    Dès 1850 aux États-Unis, les premiers journaux à prendre parti pour le spiritisme et les coups dans les murs sont des feuilles socialistes. Qui entament une campagne pour le modern spiritualism. Art d'entendre les craquements du vieux monde à travers les légers frémissements de meubles. Télépathie ... Pathie et Pythie ... Aux grands hommes la Patrie reconnaissante! Aux grands morts, la Patrie réceptante! En France, le recrutement des médiums s'effectue sans surprise chez les rescapés de la révolution de 1848. Militants utopistes généreux, insurgés, persécutés, survivants miraculés des rafles et des massacres de la répression bonapartiste. Ils ont rudement besoin, ces exilés, ces pourchassés victimes de la réaction, de définir une fois pour toutes les étapes de l'avenir collectif, son bonheur, sa sagesse future, sa poésie inée pour tous. Les spirites leur offrent leur aide et ils offrent leur aide aux spirites. Fourier n'a-t-il pas écrit dans la Théorie des quatre mouvements que notre âme revêtirait un corps de plus en plus éthéré dans la traversée progressive de ses huit cents existences? Oui, Fourier, dont le nom est gravé, lui, pas loin de celui de Marx sur l'aiguille de pierre pharaonique du jardin Alexandrovsky à Moscou.

    (pp. 190-196)
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Re: Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » mer. 13 juil. 2016, 15:55

Au sujet de l'entourage de Madame Blavatsky :

Mais il y a aussi la petite troupe rassemblée autour d'elle. Des seconds rôles passionnants comme Annie Besant, qui a quitté son mari pasteur, qui vit avec un monsieur dont la principale qualité est d'être libre-penseur et de mener une campagne antireligieuse acharnée dans le National Reformer. Qui travaille avec le docteur Aveling, gendre de Karl Marx. Qui parcourt le monde en faisant des conférences, Qui aborde dans sa vision non seulement le socialisme mais aussi le féminisme. Qui crée en France en 1893 une sorte de franc-maçonnerie féministe théosophique, le Droit humain, avec les fonds apportés par Lady Caithness, ex-duchesse de Pomar, féministe-théosophe elle aussi, blonde et belle femme qui a des entrevues spirites régulières avec Marie Stuart et qui estime que Jeanne D'Arc est le guide caché montrant aux femmes, de derrière les flammes de son bûcher, la voie de leur émancipation. Qui dirige également une revue théosophique intitulée L'Aurore du jour nouveau et consacré à la logosophie dont le projet est de mettre sur pied une nouvelle croyance où s'interpénétreraient le spiritisme, le socialisme et le catholicisme revivifié [...] côté homme, nous avons Theodor Reuss, Allemand et propagateur de Wagner en Grande-Bretagne, maçon, engagé en 1885 dans la William Morris Socialist League, siégeant au comité exécutif aux côtés du gendre de Marx - encore lui - , spécialiste en conférences sur "la femme de l'avenir" [...] organisant en 1917 un congrès international réunissant franc-maçons, végétariens, théosophes et pacifistes. Militant enfin en Suisse pour une libération sexuelle totale des femmes. Mais nous avons aussi Rudolph Steiner [...] Steiner est un nom qui a surnagé. Mais quels autres noms trouve-t-on croisant le sien? Le malheureux Nietzsche d'abord [...] et très surprenant c'est celui aussi de Kafka qui, à Prague, en 1911, assiste aux conférences théosophiques [...]

Il n'y a pas en tout cas de mouvement plus fondamental au XIXe siècle, et plus injustement méconnu au XXe que le théosophisme [...]

Qui l'eût cru? Qui eût imaginé que le féminisme avait été si puissamment théosophique avant de commencer son irrésistible ascension ? Le féminisme, succursale de la théosophie oubliée? Ingrat pour les parents qui le portèrent sur les fonts baptismaux? Il faut avouer que le silence là-dessus est complet. Dans les histoires du féminisme, les militantes qui puisèrent également dans l'occultisme leur force de conviction ne sont jamais présentées comme les prêtresses ou les candidates prètresses qu'elles ont été. Ce qui évite de se poser des questions. Pourquoi chez Annie Besant et Lady Caithless, le droit des femmes et les visions spirites? Pourquoi le fémino-théosophisme du droit des femmes, crée en 1869 à Paris par Marie Deraismes, qui opère en même temps le rapprochement des loges maçoniques et des loges théosophiques?

[,,,]

Donc, Dieu est une femme. Le christiano-égyptisanisme , le brahamano-bouddhisme, les Védas, l'Inde, le vrai christianisme dans le mixer avec le mormonisme intégral, toutes les combinaisons de la théosophie n'avaient aucune chance de réussir sans l'appui des femmes. [...] La Bonne nouvelle des temps modernes : "Jéhovah-Eve" comme l'appelle Blavatsky.

La société théosophique a pour mission d'apporter au monde la morale féminine qui lui manque. Tout syncrétisme constituant un retour au fond éternellement refoulé des religions, après érosion et rabotage de leurs pics les plus élevés, donc les plus gênants, nous ramène la femme. Cette déesse-mère qu'Abraham puis Moîse repoussèrent. La femme ne s'émancipera que si l'on parvient à saper la toute-puissance du Dieu-mâle d'Israêl. L'organisme fémino-théosophique dirigé par Marie Deraismes propose un plan en quatre points pour cette guerre sainte.

1. Remettre à la mode l'Inde et le Tibet où subsistent les cultes maternels.
2. Utiliser la franc-maçonnerie pour venir en aide au mouvement théosophique trop faible pour s'attaquer seul aux trois religions du Livre.
3. Introduire les doctrines d'Orient [note : on pourrait parler de l'islam aujourd'hui] en Occident
4. Défendre et promouvoir les valeurs féminines comme le pacifisme et l'égalité des sexes.


Sur Madame Blavatsky :

Helena Petrovna Blavatsky est née en 1831 et morte en 1891. Sa vie est une épopée, une exploration, une croisade. Personne n'est allé plus profond qu'elle là où il fallait aller au XIXe siècle, personne n'a moins pensé ni voyagé au hasard. En occupant deux places rayonnantes et fondamentales pour l'avenir : l'antijudaïsme et l'antichristianisme. Le programme de ce qu'elle appelait parfois stratégiquement le "nouveau christianisme ésotérique", autre nom du Parti théosophique qu'elle avait crée, tien en une phrase brutale lâchée par mégarde dans un de ses livres : "Notre but n'est pas de restaurer l'hindouisme, mais de balayer le christianisme de la surface de la terre."

L'une de ses propagandistes, Mme Besant, déclare "qu'il faut avant tout combattre Rome et ses prêtres, lutter partout contre le christianisme et chasser Dieu des cieux."

Voilà qui nous amène tout de suite, n'est-ce pas, non seulement à la crête raffinée du XIXe siècle, mais en même temps dans les courants les plus efficaces du XXe siècle.

"Il faut convaincre les hommes de l'idée que, si la racine de l'humanité est une, il doit y avoir une seule vérité, qui se retrouve dans toutes les religions diverses [...]"

(pp. 167-169)

Le XIXe siècle à travers les âges

par Cinci » mer. 13 juil. 2016, 4:10

C'est un ouvrage de Philippe Muray que je suis en train d'essayer de décoder. L'ouvrage est vraiment intéressant. C'est un vraie mine de références touchant la littérature du XIXe siècle, et même au-delà soit dit en passant.

L'auteur essaie, en fait, de retrouver les racines du socialisme via un aspect de l'Histoire qui n'est jamais tellement étudié ou clairement mis en lumière, et soit l'occultisme, et alors lequel, mais à l'en croire, aurait occupé une place assez importante (beaucoup plus qu'on pourrait l'imaginer a priori) au XIXe siècle, en lien avec une foule de penseurs socialistes d'importance, des connus et des moins reconnus. J'avoue que je n'avais jamais songé à établir un rapprochement mental, un lien intellectuel direct entre des personnalités connues appartenant à un petit monde résolument underground de l'époque et les idéalistes socialistes et utopiques d'une société meilleure.

En quatrième de couverture :

"Les XIXe siècle n'est pas seulement une période comme les autres. Arrière-monde du XXe, il en annonçait aussi l'étrange futur consolateur, avec le socialisme, l'occultisme et diverses religions du progrès.

Dissemblables sinon opposés en apparence, ces mouvements, et d'autres apparentés comme le féminisme et l'antisémitisme, obéissaient en fait à un code commun, à la fois simple et mystérieux, que Philippe Muray a entrepris de déchiffrer. A quelle nécessité politique répondait en effet Hugo en exil lorsqu'il faisdait tourner les tables? Pourquoi le positivisite Auguste Comte finit-il par fonder une religion, et Blanqui le socialiste, composa-t-il un ouvrage sur l'éternité des astres? De quel ciel inconnu jusqu'alors tomba l'ahurissante série des ultimes évangiles de Zola?

Au terme de cette enquête originale, le XIXe siècle apparaît d'une brûlante actualité, car ce sont les "sorcières modernistes" de notre époque que Philippe Muray nous fait mieux comprendre : les sortilèges dont elles usent pour enthousiasmer les populations, obtenir leur obéissance, et même leur participation et les conduire sans trop de problèmes, vers un avenir abominable."

Je me propose de mettre ici quelques extraits savoureux.

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