par Christian » dim. 29 juil. 2007, 17:00
Salve MB
Le problème de la coexistence des populations « de souche » et maghrébines n’est pas tant spatial que temporel. Malika Sorel, à travers votre excellente fiche de lecture, me conforte dans cette opinion. Laissez-moi m’expliquer. Vous êtes historien. Ne pensez-vous pas que les citations suivantes s’appliqueraient à la société française d’avant le 18ème siècle, voire à celle du 19ème, tout aussi bien qu’aux Maghrébins du
Puzzle de l'intégration ?
- Il s’agit de sociétés très fermées, où le groupe joue un rôle fondamental pour étouffer toute velléité individuelle.
- les rapports entre enfants et parents sont très autoritaires. L’enfant est là pour obéir, pas pour faire preuve d’initiative ; cette manière de voir imprègne tous les comportements familiaux.
- [les enfants deviennent] d’autant plus violents que le rapport de force leur paraît naturel, et que, n’étant pas habitués à la confrontation pacifique des points de vue, il ne leur semble pas gênant d’accorder, par tous les moyens, la prééminence exclusive à leur point de vue propre
- [les enfants] sont très tôt confrontés à l’apprentissage de la dureté d’un conformisme assez exigeant. Cette aliénation contrarie de manière non négligeable la capacité des enfants à développer la culture de l’ouverture d’esprit, le sens de la création et de l’inventivité, la curiosité intellectuelle et le goût de l’initiative.
- les parents, lorsqu’ils mettent de l’argent de côté, ne le font pas pour payer à leurs enfants de bonnes études. Cet objectif est loin d’être unanimement partagé. L’instruction, pour beaucoup d’entre eux, doit se borner à leur apprendre les choses les plus basiques, et, dans un sens, les ressources nécessaires pour bien obéir aux parents.
- Dans un tel contexte, où tout est fait pour noyer l’être dans la communauté, il devient difficile de penser l’idée même qu’un phénomène, quel qu’il soit, se trouve directement lié à une action individuelle ; tout ce qui nous arrive est forcément lié à une sorte de fatalité.
Ces quelques phrase, je crois, résument l’analyse de Malika Sorel, mais elles ne s’appliquent pas seulement aux immigrés maghrébins en France. Elles décrivent la condition des jeunes dans toutes les sociétés pré modernes.
Comparez : la diaspora chinoise (celle des vietnamiens aussi) est entrée de plain pied dans le 21ème siècle. Elle ne pose de problème nulle part (ou si le problème existe, comme en Indonésie et en Malaisie, il est le fait du pays hôte resté scotché au passé). Les Chinois sont installés dans notre temporalité à la Porte d’Italie, à San Francisco, à Londres, à Vancouver, parce qu’ils le sont aussi à Taipei et à Shanghai. Notre gageure est de faire riper le monde arabo-musulman tout entier d'une mentalité archaïque vers une autre post-moderne. Exactement ce que Sorel appelle
l’insertion. Encore une fois, il ne s’agit pas d’insérer les Maghrébins dans la société française, à la limite on s’en fiche, il s’agit de les « moderniser », et non seulement de les « moderniser » dans le 93, mais à Alger (et aussi leurs congénères à Bagdad, à Ryad, et au Caire).
C’est un des grands défis de notre époque, cette cohabitation de communautés à des stades divers de leur évolution historique. Toutes ont désormais accès à des technologies que seules certaines d’entre elles ont la maturité pour concevoir, développer et utiliser sans conflit de valeurs. Il ne s’agit pas de quotient intellectuel. Les Grecs et les Romains n’étaient pas stupides. Mais ils se seraient trouvés aussi désemparés et anxieux en présence de nos machines si étrangères à leur culture que le sont les Arabo-musulmans aujourd’hui.
Dans ces conditions, la seule chose qui puisse aider les enfants à s’insérer dans l’univers français est l’instruction, l’édification personnelle autour des bases classiques de la civilisation française – langue, littérature, culture en général (et l’auteur rappelle, de façon très convaincante, à quel point cette façon d’éduquer est vraiment efficace).
Non, ce n’est pas du tout
la seule chose. C’est même une cause perdue d’avance. Pas seulement parce que le monopole de l’Education nationale est inefficace. Seuls des sujets exceptionnellement doués, comme Malika Sorel, peuvent espérer briller dans des études au sein d’une langue et d’une culture étrangères. Et les exemples que l’on cite spontanément d’immigrés qui sont devenus des intellectuels, des scientifiques, des artistes dans leur pays d’adoption concernent des jeunes dont la famille possédait une culture au départ, juive, russe, etc. ce n’est pas le cas général des Maghrébins. Ils viennent souvent de milieux eux-mêmes déculturés. Ces enfants souffrent donc d'un double handicap. La voie des études pour la plupart d’entre eux est celle d’un échec annoncé, frustrant, humiliant, face à des Français de souche.
Une meilleure solution consiste à encourager l’entreprise, le business, la boutique. Il faut détaxer, déréguler, et on verra si le fils d’instit’ qui est si fort à l’école s’élèvera aussi vite dans la reconnaissance sociale que Mohamed ou Abdel qui a ouvert son commerce.
Christophe,
dans son commentaire de votre fiche de lecture, rejoint mon avis que ces notions d’
assimilation et d’
intégration ne font plus sens. A l’époque des « mobilisations générales » et des « levées en masse », il fallait de la chair à canon bien française, bien loyale. Heureusement, nous n’en sommes plus là. Nous n’attendons pas des gens qui vivent autour de nous qu’ils soient français, mais qu’ils soient pacifiques. Nous leur demandons seulement de ne pas nous agresser. Ils se rendront compte par eux-mêmes, éventuellement, de l’intérêt d’apprendre notre langue, d’acquérir des savoir-faire, d’améliorer leur position sociale. Et s'ils ne le font pas, où est le mal ?
Mais pourquoi l’assimilation ? J’habite à l’étranger depuis des lustres. Jamais je n’ai eu la moindre velléité d’assimilation. J’ai élevé mes enfants dans le culte de la langue et de la culture française, et je ne souhaite nullement les voir assimilés (comme des choux qu’on digère). Si ma fille (mais pas mon fils) a maintenant acquis une seconde nationalité, c’est pour « les papiers ». Elle a raison. La culture, c’est réel. La nationalité, c’est du papier.
Vale
Christian
— Tu veux dire que lorsqu’on plante un drapeau sur un territoire,
ça signifie que celui-ci appartient au pays qui a ce drapeau?
— Oui
— Alors si je plante un drapeau dans mon jardin comme le réclament certains politiciens,
ça veut dire que j’ai été conquis par l’Etat français ?
Salve MB ;)
Le problème de la coexistence des populations « de souche » et maghrébines n’est pas tant spatial que temporel. Malika Sorel, à travers votre excellente fiche de lecture, me conforte dans cette opinion. Laissez-moi m’expliquer. Vous êtes historien. Ne pensez-vous pas que les citations suivantes s’appliqueraient à la société française d’avant le 18ème siècle, voire à celle du 19ème, tout aussi bien qu’aux Maghrébins du [i]Puzzle de l'intégration[/i] ?
[list]Il s’agit de sociétés très fermées, où le groupe joue un rôle fondamental pour étouffer toute velléité individuelle.[/list]
[list]les rapports entre enfants et parents sont très autoritaires. L’enfant est là pour obéir, pas pour faire preuve d’initiative ; cette manière de voir imprègne tous les comportements familiaux.[/list]
[list][les enfants deviennent] d’autant plus violents que le rapport de force leur paraît naturel, et que, n’étant pas habitués à la confrontation pacifique des points de vue, il ne leur semble pas gênant d’accorder, par tous les moyens, la prééminence exclusive à leur point de vue propre[/list]
[list][les enfants] sont très tôt confrontés à l’apprentissage de la dureté d’un conformisme assez exigeant. Cette aliénation contrarie de manière non négligeable la capacité des enfants à développer la culture de l’ouverture d’esprit, le sens de la création et de l’inventivité, la curiosité intellectuelle et le goût de l’initiative.[/list]
[list]les parents, lorsqu’ils mettent de l’argent de côté, ne le font pas pour payer à leurs enfants de bonnes études. Cet objectif est loin d’être unanimement partagé. L’instruction, pour beaucoup d’entre eux, doit se borner à leur apprendre les choses les plus basiques, et, dans un sens, les ressources nécessaires pour bien obéir aux parents.[/list]
[list]Dans un tel contexte, où tout est fait pour noyer l’être dans la communauté, il devient difficile de penser l’idée même qu’un phénomène, quel qu’il soit, se trouve directement lié à une action individuelle ; tout ce qui nous arrive est forcément lié à une sorte de fatalité.[/list]
Ces quelques phrase, je crois, résument l’analyse de Malika Sorel, mais elles ne s’appliquent pas seulement aux immigrés maghrébins en France. Elles décrivent la condition des jeunes dans toutes les sociétés pré modernes.
Comparez : la diaspora chinoise (celle des vietnamiens aussi) est entrée de plain pied dans le 21ème siècle. Elle ne pose de problème nulle part (ou si le problème existe, comme en Indonésie et en Malaisie, il est le fait du pays hôte resté scotché au passé). Les Chinois sont installés dans notre temporalité à la Porte d’Italie, à San Francisco, à Londres, à Vancouver, parce qu’ils le sont aussi à Taipei et à Shanghai. Notre gageure est de faire riper le monde arabo-musulman tout entier d'une mentalité archaïque vers une autre post-moderne. Exactement ce que Sorel appelle [i]l’insertion[/i]. Encore une fois, il ne s’agit pas d’insérer les Maghrébins dans la société française, à la limite on s’en fiche, il s’agit de les « moderniser », et non seulement de les « moderniser » dans le 93, mais à Alger (et aussi leurs congénères à Bagdad, à Ryad, et au Caire).
C’est un des grands défis de notre époque, cette cohabitation de communautés à des stades divers de leur évolution historique. Toutes ont désormais accès à des technologies que seules certaines d’entre elles ont la maturité pour concevoir, développer et utiliser sans conflit de valeurs. Il ne s’agit pas de quotient intellectuel. Les Grecs et les Romains n’étaient pas stupides. Mais ils se seraient trouvés aussi désemparés et anxieux en présence de nos machines si étrangères à leur culture que le sont les Arabo-musulmans aujourd’hui.
[quote]Dans ces conditions, la seule chose qui puisse aider les enfants à s’insérer dans l’univers français est l’instruction, l’édification personnelle autour des bases classiques de la civilisation française – langue, littérature, culture en général (et l’auteur rappelle, de façon très convaincante, à quel point cette façon d’éduquer est vraiment efficace).[/quote]
Non, ce n’est pas du tout [i]la seule chose[/i]. C’est même une cause perdue d’avance. Pas seulement parce que le monopole de l’Education nationale est inefficace. Seuls des sujets exceptionnellement doués, comme Malika Sorel, peuvent espérer briller dans des études au sein d’une langue et d’une culture étrangères. Et les exemples que l’on cite spontanément d’immigrés qui sont devenus des intellectuels, des scientifiques, des artistes dans leur pays d’adoption concernent des jeunes dont la famille possédait une culture au départ, juive, russe, etc. ce n’est pas le cas général des Maghrébins. Ils viennent souvent de milieux eux-mêmes déculturés. Ces enfants souffrent donc d'un double handicap. La voie des études pour la plupart d’entre eux est celle d’un échec annoncé, frustrant, humiliant, face à des Français de souche.
Une meilleure solution consiste à encourager l’entreprise, le business, la boutique. Il faut détaxer, déréguler, et on verra si le fils d’instit’ qui est si fort à l’école s’élèvera aussi vite dans la reconnaissance sociale que Mohamed ou Abdel qui a ouvert son commerce.
Christophe, :) dans son commentaire de votre fiche de lecture, rejoint mon avis que ces notions d’[i]assimilation[/i] et d’[i]intégration[/i] ne font plus sens. A l’époque des « mobilisations générales » et des « levées en masse », il fallait de la chair à canon bien française, bien loyale. Heureusement, nous n’en sommes plus là. Nous n’attendons pas des gens qui vivent autour de nous qu’ils soient français, mais qu’ils soient pacifiques. Nous leur demandons seulement de ne pas nous agresser. Ils se rendront compte par eux-mêmes, éventuellement, de l’intérêt d’apprendre notre langue, d’acquérir des savoir-faire, d’améliorer leur position sociale. Et s'ils ne le font pas, où est le mal ?
Mais pourquoi l’assimilation ? J’habite à l’étranger depuis des lustres. Jamais je n’ai eu la moindre velléité d’assimilation. J’ai élevé mes enfants dans le culte de la langue et de la culture française, et je ne souhaite nullement les voir assimilés (comme des choux qu’on digère). Si ma fille (mais pas mon fils) a maintenant acquis une seconde nationalité, c’est pour « les papiers ». Elle a raison. La culture, c’est réel. La nationalité, c’est du papier.
Vale
Christian
[b][color=#FF4040]— Tu veux dire que lorsqu’on plante un drapeau sur un territoire,
ça signifie que celui-ci appartient au pays qui a ce drapeau?
— Oui
— Alors si je plante un drapeau dans mon jardin comme le réclament certains politiciens,
ça veut dire que j’ai été conquis par l’Etat français ?[/color][/b]