par VexillumRegis » ven. 13 mai 2005, 13:44
Christian a écrit :Effectivement, et Socrate nous dit aussi dans l’Apologie qu’il ne peut obéir aux lois d’Athènes lorsqu’un Dieu lui commande de les enfreindre pour continuer sa mission. Telle quelle, cette position est indéfendable ; elle est tout simplement celle des fanatiques, des terroristes et des illuminés. Elle conduit à la mort. Il se trouve que les dieux d’Antigone et Socrate ne leur demandaient que des exploits bien anodins, enterrer des morts et tarabuster des vivants, mais quid s’ils avaient exigé quelque spectaculaire attentat ? Que vaut la vie humaine, la sienne ou celle d’autrui, lorsqu’un Dieu vous la demande ?
[align=justify]Je ne me souviens plus très bien des idées défendues pas Socrate dans l'
Apologie, mais ce qui est sûr, c'est que dans le
Criton il s'oppose à la fuite que son ami lui propose : mieux vaut affronter la mort que de contrevenir aux lois de la cité et ainsi commettre l'injustice.
Extrait du Criton : [c'est la Loi personnifiée qui parle à Socrate]
A l'égard de la cité et à l'égard des Lois, en revanche, cela te serait permis [la révolte]
, de sorte que, si nous entreprenons de te faire périr parce que nous estimons que cela est juste, tu pourrais, toi, entreprendre, dans la mesure de tes moyens, de nous faire périr, nous, les Lois, et ta cité, et, en agissant de la sorte, tu pourrais dire que ce que tu fais est juste, toi qui a de la vertu un souci véritable ! Posséderais-tu un savoir qui te ferait oublier que, en regard d'une mère et d'un père et de la totalité des ancêtres, la patrie est chose plus honorable, plus vénérable, plus digne d'une sainte crainte et placée à un rang plus élevé, tant aux yeux des dieux qu'à ceux des hommes sensés ; qu'il faut donc vénérer sa patrie, lui obéir et lui donner des marques de soumission plus qu'à un père, en l'amenant à changer d'idée ou en faisant ce qu'elle ordonne et en supportant sans se révolter le traitement qu'elle prescrit de subir, que ce soit d'être frappé, d'être enchaîné, d'aller au combat pour y être blessé ou pour y trouver la mort ; oui, cela il faut le faire, car c'est en cela que réside la justice ; et on doit ni se dérober, ni reculer, ni abandonner son poste, mais il faut, au combat, au tribunal, partout, ou bien faire ce qu'ordonne la cité, c'est-à-dire la patrie, ou bien l'amener à changer d'idée en lui montrant en quoi consiste la justice. N'est-ce pas au contraire une chose impie que de faire violence à une mère, à un père, et l'impiété serait-elle moindre lorsqu'il s'agit de la patrie ?
Socrate exclue donc l'idée d'une révolte contre l'autorité, même injuste. Soit on parvient par la persuasion à faire modifier cet ordre injuste, soit on se résigne à le voir appliquer, fusse au prix de la mort. Cette prise de position semble à première vue directement contraire à l'attitude d'Antigone, qui refuse d'obéir à un ordre injuste contraire aux
lois non écrites et immuables des dieux. Mais je crois qu'il existe deux différences majeures entre le cas de Socrate et le cas d'Antigone :
1- Socrate subit une injustice légale quoique illégitime, puisque résultant d'un procès semble-t-il équitable, accompli au sein d'un régime légitime (la démocratie). Antigone, au contraire, s'élève contre un ordre inique provenant d'un régime illégitime (la tyrannie). Or, comme le dit S. Thomas (
Somme Théologique, II, II, q.42, a.2) : "
la perturbation provoquée dans ce régime n'est pas une sédition, sauf peut-être si le régime du tyran était perturbé de manière si désordonnée que la multitude qui lui est soumise souffrirait un dommage plus grand que la perturbation résultant du régime du tyran. C'est bien plutôt le tyran qui est séditieux (...)"
2- Socrate est seul en cause ; lui seul est menacé. Se rebeller, c'est faire courir des risques à ses proches. Antigone se bat pour l'honneur de son frère défunt ; elle n'a pas je crois de proches qui puissent souffrir du courroux du tyran.[/align]
Christian a écrit :La loi non écrite, antérieure et supérieure, pour être validée, doit donc être spontanément reconnue et acceptée par chaque être humain, puisqu’elle est applicable à tous.
[align=justify]Je ne suis pas d'accord. La loi morale naturelle ne résulte pas d'un contrat ; elle ne procède pas de l'assentiment de la majorité ; elle est antérieure à tout assentiment et par conséquent s'impose à nous comme une évidence de la raison droite - ou ce qui devrait être une évidence.
"
La loi naturelle n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence mise en nous par Dieu ; par elle, nous connaissons ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter. Cette lumière ou cette loi, Dieu l'a donné à la création" (S. Thomas,
Collationes in decem praeceptis, 1 - CEC § 1955).
"
La règle première de la raison est la loi naturelle. Partant, toute loi humaine n'aura raison de loi que dans la mesure où elle dérive de la loi naturelle. Si elle dévie en quelque point de la loi naturelle, ce n'est plus une loi mais une corruption de la loi" (S. Thomas,
Somme Théologique, I, II, q.95, a.2).[/align]
In Christo,
- VR -
[quote="Christian"]Effectivement, et Socrate nous dit aussi dans l’Apologie qu’il ne peut obéir aux lois d’Athènes lorsqu’un Dieu lui commande de les enfreindre pour continuer sa mission. Telle quelle, cette position est indéfendable ; elle est tout simplement celle des fanatiques, des terroristes et des illuminés. Elle conduit à la mort. Il se trouve que les dieux d’Antigone et Socrate ne leur demandaient que des exploits bien anodins, enterrer des morts et tarabuster des vivants, mais quid s’ils avaient exigé quelque spectaculaire attentat ? Que vaut la vie humaine, la sienne ou celle d’autrui, lorsqu’un Dieu vous la demande ?[/quote]
[align=justify]Je ne me souviens plus très bien des idées défendues pas Socrate dans l'[i]Apologie[/i], mais ce qui est sûr, c'est que dans le [i]Criton[/i] il s'oppose à la fuite que son ami lui propose : mieux vaut affronter la mort que de contrevenir aux lois de la cité et ainsi commettre l'injustice.
[b]Extrait du [i]Criton[/i][/b] : [c'est la Loi personnifiée qui parle à Socrate] [color=darkred][i]A l'égard de la cité et à l'égard des Lois, en revanche, cela te serait permis[/i][/color] [la révolte][color=darkred][i], de sorte que, si nous entreprenons de te faire périr parce que nous estimons que cela est juste, tu pourrais, toi, entreprendre, dans la mesure de tes moyens, de nous faire périr, nous, les Lois, et ta cité, et, en agissant de la sorte, tu pourrais dire que ce que tu fais est juste, toi qui a de la vertu un souci véritable ! Posséderais-tu un savoir qui te ferait oublier que, en regard d'une mère et d'un père et de la totalité des ancêtres, la patrie est chose plus honorable, plus vénérable, plus digne d'une sainte crainte et placée à un rang plus élevé, tant aux yeux des dieux qu'à ceux des hommes sensés ; qu'il faut donc vénérer sa patrie, lui obéir et lui donner des marques de soumission plus qu'à un père, [b]en l'amenant à changer d'idée ou en faisant ce qu'elle ordonne et en supportant sans se révolter le traitement qu'elle prescrit de subir[/b], que ce soit d'être frappé, d'être enchaîné, d'aller au combat pour y être blessé ou pour y trouver la mort ; oui, cela il faut le faire, car c'est en cela que réside la justice ; et on doit ni se dérober, ni reculer, ni abandonner son poste, mais[b] il faut, au combat, au tribunal, partout, ou bien faire ce qu'ordonne la cité, c'est-à-dire la patrie, ou bien l'amener à changer d'idée en lui montrant en quoi consiste la justice[/b]. N'est-ce pas au contraire une chose impie que de faire violence à une mère, à un père, et l'impiété serait-elle moindre lorsqu'il s'agit de la patrie ?[/i][/color]
Socrate exclue donc l'idée d'une révolte contre l'autorité, même injuste. Soit on parvient par la persuasion à faire modifier cet ordre injuste, soit on se résigne à le voir appliquer, fusse au prix de la mort. Cette prise de position semble à première vue directement contraire à l'attitude d'Antigone, qui refuse d'obéir à un ordre injuste contraire aux [i]lois non écrites et immuables des dieux[/i]. Mais je crois qu'il existe deux différences majeures entre le cas de Socrate et le cas d'Antigone :
[b]1-[/b] Socrate subit une injustice légale quoique illégitime, puisque résultant d'un procès semble-t-il équitable, accompli au sein d'un régime légitime (la démocratie). Antigone, au contraire, s'élève contre un ordre inique provenant d'un régime illégitime (la tyrannie). Or, comme le dit S. Thomas ([i]Somme Théologique[/i], II, II, q.42, a.2) : "[color=darkred][i]la perturbation provoquée dans ce régime n'est pas une sédition, sauf peut-être si le régime du tyran était perturbé de manière si désordonnée que la multitude qui lui est soumise souffrirait un dommage plus grand que la perturbation résultant du régime du tyran. C'est bien plutôt le tyran qui est séditieux[/i][/color] (...)"
[b]2-[/b] Socrate est seul en cause ; lui seul est menacé. Se rebeller, c'est faire courir des risques à ses proches. Antigone se bat pour l'honneur de son frère défunt ; elle n'a pas je crois de proches qui puissent souffrir du courroux du tyran.[/align]
[quote="Christian"]La loi non écrite, antérieure et supérieure, pour être validée, doit donc être spontanément reconnue et acceptée par chaque être humain, puisqu’elle est applicable à tous.[/quote]
[align=justify]Je ne suis pas d'accord. La loi morale naturelle ne résulte pas d'un contrat ; elle ne procède pas de l'assentiment de la majorité ; elle est antérieure à tout assentiment et par conséquent s'impose à nous comme une évidence de la raison droite - ou ce qui devrait être une évidence.
"[color=darkred][i]La loi naturelle n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence mise en nous par Dieu ; par elle, nous connaissons ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter. Cette lumière ou cette loi, Dieu l'a donné à la création[/i][/color]" (S. Thomas, [i]Collationes in decem praeceptis[/i], 1 - CEC § 1955).
"[color=darkred][i]La règle première de la raison est la loi naturelle. Partant, toute loi humaine n'aura raison de loi que dans la mesure où elle dérive de la loi naturelle. Si elle dévie en quelque point de la loi naturelle, ce n'est plus une loi mais une corruption de la loi[/i][/color]" (S. Thomas, [i]Somme Théologique[/i], I, II, q.95, a.2).[/align]
In Christo,
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