par Cinci » sam. 22 juil. 2017, 19:39
Je donne une réflexion de Frossard qui disait un mot à propos de la "loi naturelle". Je ne sais pas si ça pourrait aider à débroussailler le terrain, que ce soit chez moi ou chez d'autres. Enfin, - si ça peut aider - je l'espère.
Voici :
Jusqu'au XVe siècle - ou à peu près, ce n'est qu'un point de repère et l'on peut le situer plus tôt en Italie ou plus tard en Espagne - Dieu était le personnage principal de l'histoire. Elle tournait autour de lui comme la cité autour de la cathédrale. et il dominait la pensée, l'art, la vie sociale et la vie privée. Sa créature était une personne à son image et à sa ressemblance, et comme une personne est plus importante qu'un tas de pierres, il y avait souvent, dans la peinture, disproportion entre les personnes et le décor, le seigneur surplombant de très haut les murailles de son château, et le saint tenant son église dans le creux de sa main. Cette disproportion se retrouvait dans tous les domaines, y compris dans les moeurs, qui pouvaient aller de la cruauté à la poésie selon que l'humain ne retenait, de sa ressemblance avec Dieu, que le pouvoir qu'il croyait tenir de lui, ou qu'il se sentait au contraire tenu par elle à la miséricorde et à l'amour.
Le Moyen Age n'a pas été une époque de ténèbres, mais au contraire de vive lumière sur l'homme, ses grandeurs, ses faiblesses, ses élans et ses discordances intérieures, comme le montrent le bariolage contrasté de ses costumes ou l'extravagance de ses coiffures. Ces extrêmes sont symbolisés par le gantelet de fer du guerrier, et la main trouée de saint François aux stigmates.
A partir du XVe siècle l'homme se détache de la fascination de Dieu, et se tourne vers le monde : il va perdre un Père et se donner une Mère, la Nature, l'expression "notre mère la nature" devenant une banalité dans la conversation. C'est l'époque des grandes découvertes, et l'homme rencontre en chemin les divinités païennes qui ne dormaient que d'un oeil dans leur linceul de pourpre. Il ordonne la création non plus autour de Dieu, mais autour de lui-même : dans la peinture, la perspective agence le décor par rapport à l'oeil du peintre. L'homme se juge à la fois admirable et dérisoire, admirable par la supériorité que sa raison lui donne sur les autres créatures, dérisoire par la place minuscule qu'il occupe dans le tourbillon de l'univers.
Le tableau de Breughel La chute d'Icare donne une idée de cette situation nouvelle : il faut presque une loupe pour apercevoir le plongeon du héros dans l'immensité du décor; l'aventure d'Icare se termine par un ridicule crachat dans l'eau. L'être humain n'est plus une personne, car la personne est en nous ce qui dialogue avec Dieu, mais un individu, qui parlera souvent de "liberté individuelle", et jamais de liberté personnelle.
On trouvera plus de preuves qu'il n'en faut de cette mutation dans la littérature au siècle des Lumières, qui combine de manière saisissante l'exaltation de l'espèce et le mépris de ses représentants. L'homme est la seule conscience en acte de l'univers, l'être suprême, c'est lui : il rend hommage sur hommage à son génie, tout en prenant un sentiment de plus en plus déprimant de son insignifiance matérielle [...] Cependant, la connaissance des lois de la nature progresse à grands pas, et l'athéisme en même temps, toute découverte paraissant nous rapprocher de ce temps idéal où la nature aurait l'obligeance de s'expliquer par elle-même.
Il en fut ainsi jusqu'au milieu du XXe siècle, où s'est produite une de ces révolutions sournoises dont on ne prend conscience qu'après-coup et qui changent, insidieusement, toute la mentalité d'une époque : depuis une vingtaine d'années, les "lois de la nature" ont cessé d'avoir force de loi. Devenues amendables et révocables par le progrès des techniques, la barrière qu'elles opposaient à la volonté humaine cèdent les unes après les autres, et elles ne fournissent plus de repères à la raison, qui ne dépend plus que d'elle-même, nul ne sachant comment elle usera du pouvoir grisant et fatal qui sera le sien demain.
Je pense que la "loi naturelle" selon l'Église n'est pas une doctrine tirée de l'examen des lois de la nature. La "loi naturelle" est l'ensemble des obligations et des responsabilités qui découlent pour l'homme de sa nature d'être crée "à l'image et à la ressemblance de Dieu". En dernière analyse, la "loi naturelle" repose sur ce principe que Dieu et l'homme ne peuvent être dissociés, et que l'homme, par conséquent, a le pouvoir exorbitant d'impliquer Dieu dans ses actes, qu'il en ait ou qu'il n'en ait pas conscience.
C'est ce qui fait la gravité de l'avortement, qui n'est pas seulement comme on le dit en termes évasifs une "interruption de grossesse", mais l'interruption d'un processus d'origine divine, une naissance étant toujours un miracle qui pour être des plus courants n'en suscite pas moins chaque fois l'étonnement. L'Église s'est prononcé sur le sujet, et ceux qui étaient les plus décidés à ne pas l'entendre lui ont aussitôt reproché d'avoir parlé, tant il est établi qu'ici-bas la liberté d'expression est plein et entière pour tout le monde, excepté pour l'Église.
[...]
Les comités d'éthique reconnaissent dans l'embryon un "être humain potentiel", qui nécessite le respect; mais ils sont incapables de le protéger. Le mot "potentiel" n'est qu'une assez pauvre habileté de langage. Amandine, le premier bébé-éprouvette français, aura appris à une foule d'ignorants, dont je suis, qu'elle était déjà Amandine quelques heures après sa conception : tous les caractères de sa personne étaient déjà imprimés en elle. Un embryon n'est donc pas un être humain "potentiel" - pas plus que les bébés cimentés par le paganisme dans les murs de la cité n'étaient des adultes "potentiels" - c'est un être humain, et le fait qu'il soit en formation n'atténue en rien la responsabilité d'éventuels manipulateurs, au contraire, il l'aggrave de la manière la plus effrayante : c'est un viol.
Les comités d'éthique ne sont pas en mesure d'édifier une morale sur ce genre de sujet, car une morale de l'être humain ne peut se construire que par rapport à un absolu, et que l'absolu - c'est à dire, en clair, Dieu lui-même - est a priori écarté du débat et rejeté dans le domaine des spéculations ou des rêves métaphysiques.
Ou bien l'homme est une image de Dieu, et qui osera y toucher, surtout lorsqu'il commence d'être sous la forme mystérieuse et fragile de l'embryon? Ou bien ce n'est qu'une gelée de particules dénuée de toute empreinte divine, et pourquoi ne la cuisinerait-on pas librement, pour son bien et l'amélioration de l'espèce, cela va sans dire.
Mais toutes ces réflexions, si elles aboutissent à condamner des pratiques, ne conduisent en aucun cas à condamner les personnes. Dans l'Évangile, le Christ fixe de la manière la plus rigoureuse et la plus salutaire les lois du mariage, et converse un autre jour avec une Samaritaine "qui a eu cinq maris", et qui vit avec un sixième "qui n'est pas son mari" : c'est cependant à cette personne en situation irrégulière qu'il confiera l'un des plus beaux messages de l'Évangile sur l'adoration de Dieu en esprit et en vérité.
Ainsi peut-on dire avec une reconnaissance infinie pour la miséricorde de Dieu, que le christianisme, c'est la loi - après laquelle il n'y a plus que des exceptions.
tiré de :
André Frossard, Dieu en question, p. 166
Je donne une réflexion de Frossard qui disait un mot à propos de la "loi naturelle". Je ne sais pas si ça pourrait aider à débroussailler le terrain, que ce soit chez moi ou chez d'autres. Enfin, - si ça peut aider - je l'espère.
Voici :
Jusqu'au XVe siècle - ou à peu près, ce n'est qu'un point de repère et l'on peut le situer plus tôt en Italie ou plus tard en Espagne - Dieu était le personnage principal de l'histoire. Elle tournait autour de lui comme la cité autour de la cathédrale. et il dominait la pensée, l'art, la vie sociale et la vie privée. Sa créature était une personne à son image et à sa ressemblance, et comme une personne est plus importante qu'un tas de pierres, il y avait souvent, dans la peinture, disproportion entre les personnes et le décor, le seigneur surplombant de très haut les murailles de son château, et le saint tenant son église dans le creux de sa main. Cette disproportion se retrouvait dans tous les domaines, y compris dans les moeurs, qui pouvaient aller de la cruauté à la poésie selon que l'humain ne retenait, de sa ressemblance avec Dieu, que le pouvoir qu'il croyait tenir de lui, ou qu'il se sentait au contraire tenu par elle à la miséricorde et à l'amour.
Le Moyen Age n'a pas été une époque de ténèbres, mais au contraire de vive lumière sur l'homme, ses grandeurs, ses faiblesses, ses élans et ses discordances intérieures, comme le montrent le bariolage contrasté de ses costumes ou l'extravagance de ses coiffures. Ces extrêmes sont symbolisés par le gantelet de fer du guerrier, et la main trouée de saint François aux stigmates.
A partir du XVe siècle l'homme se détache de la fascination de Dieu, et se tourne vers le monde : il va perdre un Père et se donner une Mère, la Nature, l'expression "notre mère la nature" devenant une banalité dans la conversation. C'est l'époque des grandes découvertes, et l'homme rencontre en chemin les divinités païennes qui ne dormaient que d'un oeil dans leur linceul de pourpre. Il ordonne la création non plus autour de Dieu, mais autour de lui-même : dans la peinture, la perspective agence le décor par rapport à l'oeil du peintre. L'homme se juge à la fois admirable et dérisoire, admirable par la supériorité que sa raison lui donne sur les autres créatures, dérisoire par la place minuscule qu'il occupe dans le tourbillon de l'univers.
Le tableau de Breughel [i]La chute d'Icare[/i] donne une idée de cette situation nouvelle : il faut presque une loupe pour apercevoir le plongeon du héros dans l'immensité du décor; l'aventure d'Icare se termine par un ridicule crachat dans l'eau. L'être humain n'est plus une personne, car la personne est en nous ce qui dialogue avec Dieu, mais un individu, qui parlera souvent de "liberté individuelle", et jamais de liberté personnelle.
On trouvera plus de preuves qu'il n'en faut de cette mutation dans la littérature au siècle des Lumières, qui combine de manière saisissante l'exaltation de l'espèce et le mépris de ses représentants. L'homme est la seule conscience en acte de l'univers, l'être suprême, c'est lui : il rend hommage sur hommage à son génie, tout en prenant un sentiment de plus en plus déprimant de son insignifiance matérielle [...] Cependant, la connaissance des lois de la nature progresse à grands pas, et l'athéisme en même temps, toute découverte paraissant nous rapprocher de ce temps idéal où la nature aurait l'obligeance de s'expliquer par elle-même.
Il en fut ainsi jusqu'au milieu du XXe siècle, où s'est produite une de ces révolutions sournoises dont on ne prend conscience qu'après-coup et qui changent, insidieusement, toute la mentalité d'une époque : depuis une vingtaine d'années, les "lois de la nature" ont cessé d'avoir force de loi. Devenues amendables et révocables par le progrès des techniques, la barrière qu'elles opposaient à la volonté humaine cèdent les unes après les autres, et elles ne fournissent plus de repères à la raison, qui ne dépend plus que d'elle-même, nul ne sachant comment elle usera du pouvoir grisant et fatal qui sera le sien demain.
Je pense que la "loi naturelle" selon l'Église n'est pas une doctrine tirée de l'examen des lois de la nature. La "loi naturelle" est l'ensemble des obligations et des responsabilités qui découlent pour l'homme [b]de sa nature d'être crée "à l'image et à la ressemblance de Dieu"[/b]. En dernière analyse, la "loi naturelle" repose sur ce principe que [b]Dieu et l'homme ne peuvent être dissociés[/b], et que l'homme, par conséquent, a le pouvoir exorbitant [b]d'impliquer Dieu dans ses actes[/b], qu'il en ait ou qu'il n'en ait pas conscience.
C'est ce qui fait la gravité de l'avortement, qui n'est pas seulement comme on le dit en termes évasifs une "interruption de grossesse", mais l'interruption d'un processus d'origine divine, une naissance étant toujours un miracle qui pour être des plus courants n'en suscite pas moins chaque fois l'étonnement. L'Église s'est prononcé sur le sujet, et ceux qui étaient les plus décidés à ne pas l'entendre lui ont aussitôt reproché d'avoir parlé, tant il est établi qu'ici-bas la liberté d'expression est plein et entière pour tout le monde, excepté pour l'Église.
[...]
Les comités d'éthique reconnaissent dans l'embryon un "être humain potentiel", qui nécessite le respect; mais ils sont incapables de le protéger. Le mot "potentiel" n'est qu'une assez pauvre habileté de langage. Amandine, le premier bébé-éprouvette français, aura appris à une foule d'ignorants, dont je suis, qu'elle était déjà Amandine quelques heures après sa conception : tous les caractères de sa personne étaient déjà imprimés en elle. Un embryon n'est donc pas un être humain "potentiel" - pas plus que les bébés cimentés par le paganisme dans les murs de la cité n'étaient des adultes "potentiels" - c'est un être humain, et le fait qu'il soit en formation n'atténue en rien la responsabilité d'éventuels manipulateurs, au contraire, il l'aggrave de la manière la plus effrayante : c'est un viol.
Les comités d'éthique ne sont pas en mesure d'édifier une morale sur ce genre de sujet, car une morale de l'être humain ne peut se construire que par rapport à un absolu, et que l'absolu - c'est à dire, en clair, Dieu lui-même - est a priori écarté du débat et rejeté dans le domaine des spéculations ou des rêves métaphysiques.
Ou bien l'homme est une image de Dieu, et qui osera y toucher, surtout lorsqu'il commence d'être sous la forme mystérieuse et fragile de l'embryon? Ou bien ce n'est qu'une gelée de particules dénuée de toute empreinte divine, et pourquoi ne la cuisinerait-on pas librement, pour son bien et l'amélioration de l'espèce, cela va sans dire.
Mais toutes ces réflexions, si elles aboutissent à condamner des pratiques, ne conduisent en aucun cas à condamner les personnes. Dans l'Évangile, le Christ fixe de la manière la plus rigoureuse et la plus salutaire les lois du mariage, et converse un autre jour avec une Samaritaine "qui a eu cinq maris", et qui vit avec un sixième "qui n'est pas son mari" : c'est cependant à cette personne en situation irrégulière qu'il confiera l'un des plus beaux messages de l'Évangile sur l'adoration de Dieu en esprit et en vérité.
Ainsi peut-on dire avec une reconnaissance infinie pour la miséricorde de Dieu, que le christianisme, c'est la loi - après laquelle il n'y a plus que des exceptions.
tiré de :
André Frossard, [i]Dieu en question[/i], p. 166