par Cgs » ven. 05 mai 2017, 21:56
Cgs a écrit : ↑ven. 05 mai 2017, 18:23
Bonjour Christophe,
Si ces thématiques vous intéressent, voici quelques références sérieuses qui appuient les propositions de Mme LePen. Le Front National y fait référence quand il est attaqué sur l'aspect économique du programme de Mme LePen.
L'Euro : comment la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe
Par Joseph E. Stiglitz
Mundell, R. A. (1961). A theory of optimum currency areas. The American economic review, 51(4), 657-665.
(
existe en PDF)
Je vous fais un résumé sur ces travaux assez techniques dès que j'ai un moment.
Bien à vous,
Pour vous éviter de devoir vous plonger dans des théories parfois difficiles, voici un résumé des arguments de ces deux économistes :
Robert Mundell est connu pour ses travaux en économie internationale et en particulier les problématiques liées à la monnaie et aux taux de change. Il a élaboré en 1961 une théorie des "zones monétaires optimales". Cette théorie explique en quoi, sous certaines conditions assez fortes, une région du monde peut fonctionner sur le plan monétaire de façon optimale avec une seule monnaie, qui facilite les échanges, évite les écarts de valeur et les spéculations sur les devises et finance correctement l'économie réelle. Pour Mundell, une telle région ne correspond pas forcément aux frontières politiques d'un pays, ou même d'un continent. Cette région se calque sur les caractéristiques économiques des agents opérant dans cette région.
Il a d'ailleurs testé sa théorie sur le marché américain et a conclut que les Etats Unis, malgré une monnaie commune, le dollar, n'était pas une zone monétaire optimale. En effet, pour avoir zone optimale, il faut libre circulation des facteurs de production (capital, travail) et flexibilité des prix. Or, le marché du travail américain, s'il est plus fluide que le nôtre, reste assez rigide entre les Etats. La zone ainsi définie comporte donc des différences de coûts de production entre Etats au sein d'une zone monétaire unique, ce qui engendre des dysfonctionnements
Fort de cette avancée théorique, Mundell a participé dans les années 70 à la construction monétaire de l'ancêtre de l'Union Européenne, la CEE. Il était persuadé que l'Europe pouvait s'approcher d'une zone monétaire optimale, sous réserve de respecter les conditions théoriques qu'il avait énoncées. En particulier, il avait insisté sur la nécessaire convergence politique de l'Union Européenne avant d'établir une monnaie commune. Le traité de Maastricht, avec ses 4 critères de convergence (déficit, dette, inflation, taux d'intérêt) allait dans le bon sens.
Mais on a imposé l'euro trop tôt, et c'est l'inverse du résultat escompté qui se produisit : malgré des différences de niveau de vie, de législation en matière de travail, de fiscalité, d'endettement et de croissance entre les pays, l'euro fut bâti sur du sable et avant les efforts nécessaires pour faire converger les économies entre elles. Résultats : une concurrence fiscale dommageable entre Etats-membres, la problématique des travailleurs détachés qui entraînent des distorsions de concurrence au sein de l'UE, une impossibilité d'investir sur fonds publics par la politique budgétaire, l'euro ayant accéléré le creusement des déficits, la politique monétaire archi-laxiste de la Banque Centrale Européenne dont elle ne sait plus se sortir, une dette abyssale des pays.
Concernant Stiglitz, il centre sa critique de l'euro plutôt sur la réorganisation de son système bancaire et financier. Il évoque quelques pistes (qui sont des évidences, mais bon...) :
ne créer de la monnaie que dans un but d'investissement public (actuellement, la BCE crée de la monnaie pour racheter de la dette, c'est la finance qui tourne sur elle-même, ce qui est une situation très dangereuse, une crise pire que celle de 2008 n'est pas à exclure dans les prochaines années)
redonner de la souplesse dans l'administration de l'Union Européenne, notamment sur les critères de convergence définis par Maastricht. Par exemple, imposer 3% du PIB à tous les pays de l'UE, alors qu'ils sont extrêmement différents, est aberrant.
redonner de la souplesse dans le contrôle et la supervision du système financier. Si trop de crédit, une mesure locale de restriction du crédit
dans un pays particulier pour limiter l'inflation (et non dans toute la zone, pour que d'autres pays ne soient pas touchés par une mesure qui peut leur être défavorable).
créer une agence européenne de l'investissement qui finance
vraiment les entreprises, et particulièrement les PME.
Par ailleurs, Stiglitz pense que revenir aux monnaies nationales permettra aux pays de réajuster la valeur de leur monnaie par rapport à leurs caractéristiques économiques réelles (le franc a toujours été plus faible que le Deutschmark dans les années 80 et 90), ce qui rééquilibrera leur balance des paiements et relancera le commerce intra-européen.
Voilà à très gros traits, mais ces analyses font sens et sont étayées par des études et des faits. Restent à trouver les modalités d'application d'une sortie de l'euro, qui sont loin d'être simples, mais qui restent possibles. On est loin du chaos annoncé par certains (sans aucun argument d'ailleurs).
Pour revenir au titre du sujet, et en guise de conclusion, la démarche de Mme Le Pen est relativement cohérente : négocier une sortie de l'euro, en s'appuyant sur les arguments sus-cités et prévoir cette sortie sur une période assez longue, avec des étapes (par exemple co-existence d'une monnaie nationale avec l'euro, comme lors de la création de l'euro, effectué en 2 étapes 1999, puis 2002). Si échec de ces négociations, prévoir de défendre les positions de la France davantage que ce qui a été fait jusqu'à présent. Elle reste floue sur ce qu'elle fera au cas où elle se fâche avec Bruxelles, mais de toutes façons il est difficile de savoir vers quoi on va. Et c'est peut-être cette incertitude qui fait hurler certains au chaos.
[quote=Cgs post_id=364004 time=1494001405 user_id=2263]
Bonjour Christophe,
Si ces thématiques vous intéressent, voici quelques références sérieuses qui appuient les propositions de Mme LePen. Le Front National y fait référence quand il est attaqué sur l'aspect économique du programme de Mme LePen.
[url=https://books.google.fr/books?id=QsaxDAAAQBAJ&lpg=PT5&ots=_BF4Cgse9D&dq=joseph%20stiglitz%20comment%20la%20monnaie%20unique&lr&hl=fr&pg=PT5#v=onepage&q=joseph%20stiglitz%20comment%20la%20monnaie%20unique&f=false]L'Euro : comment la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe
Par Joseph E. Stiglitz[/url]
Mundell, R. A. (1961). A theory of optimum currency areas. The American economic review, 51(4), 657-665.
([url=http://219.219.114.96/cufe/upload_files/other/3_20140520035843_A%20Theory%20of%20Optimum%20Currency%20Areas.pdf]existe en PDF[/url])
Je vous fais un résumé sur ces travaux assez techniques dès que j'ai un moment.
Bien à vous,
[/quote]
Pour vous éviter de devoir vous plonger dans des théories parfois difficiles, voici un résumé des arguments de ces deux économistes :
Robert Mundell est connu pour ses travaux en économie internationale et en particulier les problématiques liées à la monnaie et aux taux de change. Il a élaboré en 1961 une théorie des "zones monétaires optimales". Cette théorie explique en quoi, sous certaines conditions assez fortes, une région du monde peut fonctionner sur le plan monétaire de façon optimale avec une seule monnaie, qui facilite les échanges, évite les écarts de valeur et les spéculations sur les devises et finance correctement l'économie réelle. Pour Mundell, une telle région ne correspond pas forcément aux frontières politiques d'un pays, ou même d'un continent. Cette région se calque sur les caractéristiques économiques des agents opérant dans cette région.
Il a d'ailleurs testé sa théorie sur le marché américain et a conclut que les Etats Unis, malgré une monnaie commune, le dollar, n'était pas une zone monétaire optimale. En effet, pour avoir zone optimale, il faut libre circulation des facteurs de production (capital, travail) et flexibilité des prix. Or, le marché du travail américain, s'il est plus fluide que le nôtre, reste assez rigide entre les Etats. La zone ainsi définie comporte donc des différences de coûts de production entre Etats au sein d'une zone monétaire unique, ce qui engendre des dysfonctionnements
Fort de cette avancée théorique, Mundell a participé dans les années 70 à la construction monétaire de l'ancêtre de l'Union Européenne, la CEE. Il était persuadé que l'Europe pouvait s'approcher d'une zone monétaire optimale, sous réserve de respecter les conditions théoriques qu'il avait énoncées. En particulier, il avait insisté sur la nécessaire convergence politique de l'Union Européenne avant d'établir une monnaie commune. Le traité de Maastricht, avec ses 4 critères de convergence (déficit, dette, inflation, taux d'intérêt) allait dans le bon sens.
Mais on a imposé l'euro trop tôt, et c'est l'inverse du résultat escompté qui se produisit : malgré des différences de niveau de vie, de législation en matière de travail, de fiscalité, d'endettement et de croissance entre les pays, l'euro fut bâti sur du sable et avant les efforts nécessaires pour faire converger les économies entre elles. Résultats : une concurrence fiscale dommageable entre Etats-membres, la problématique des travailleurs détachés qui entraînent des distorsions de concurrence au sein de l'UE, une impossibilité d'investir sur fonds publics par la politique budgétaire, l'euro ayant accéléré le creusement des déficits, la politique monétaire archi-laxiste de la Banque Centrale Européenne dont elle ne sait plus se sortir, une dette abyssale des pays.
Concernant Stiglitz, il centre sa critique de l'euro plutôt sur la réorganisation de son système bancaire et financier. Il évoque quelques pistes (qui sont des évidences, mais bon...) :
:arrow: ne créer de la monnaie que dans un but d'investissement public (actuellement, la BCE crée de la monnaie pour racheter de la dette, c'est la finance qui tourne sur elle-même, ce qui est une situation très dangereuse, une crise pire que celle de 2008 n'est pas à exclure dans les prochaines années)
:arrow: redonner de la souplesse dans l'administration de l'Union Européenne, notamment sur les critères de convergence définis par Maastricht. Par exemple, imposer 3% du PIB à tous les pays de l'UE, alors qu'ils sont extrêmement différents, est aberrant.
:arrow: redonner de la souplesse dans le contrôle et la supervision du système financier. Si trop de crédit, une mesure locale de restriction du crédit [u]dans un pays particulier[/u] pour limiter l'inflation (et non dans toute la zone, pour que d'autres pays ne soient pas touchés par une mesure qui peut leur être défavorable).
:arrow: créer une agence européenne de l'investissement qui finance [u]vraiment[/u] les entreprises, et particulièrement les PME.
Par ailleurs, Stiglitz pense que revenir aux monnaies nationales permettra aux pays de réajuster la valeur de leur monnaie par rapport à leurs caractéristiques économiques réelles (le franc a toujours été plus faible que le Deutschmark dans les années 80 et 90), ce qui rééquilibrera leur balance des paiements et relancera le commerce intra-européen.
Voilà à très gros traits, mais ces analyses font sens et sont étayées par des études et des faits. Restent à trouver les modalités d'application d'une sortie de l'euro, qui sont loin d'être simples, mais qui restent possibles. On est loin du chaos annoncé par certains (sans aucun argument d'ailleurs).
Pour revenir au titre du sujet, et en guise de conclusion, la démarche de Mme Le Pen est relativement cohérente : négocier une sortie de l'euro, en s'appuyant sur les arguments sus-cités et prévoir cette sortie sur une période assez longue, avec des étapes (par exemple co-existence d'une monnaie nationale avec l'euro, comme lors de la création de l'euro, effectué en 2 étapes 1999, puis 2002). Si échec de ces négociations, prévoir de défendre les positions de la France davantage que ce qui a été fait jusqu'à présent. Elle reste floue sur ce qu'elle fera au cas où elle se fâche avec Bruxelles, mais de toutes façons il est difficile de savoir vers quoi on va. Et c'est peut-être cette incertitude qui fait hurler certains au chaos.