par MB » dim. 03 juil. 2005, 19:00
Bonjour Wanderer !
Le problème soulevé est complexe et va nous demander beaucoup de stretching cérébral... mais il faut bien s'en charger, et j'espère que vous me pardonnerez si je ne suis pas toujours précis.
Je me permets de vous citer :
"Mais intrinsèquement, il est juste que l'Eglise ait ce pouvoir temporel. Cela lui permet de guider au mieux les gens vers le salut. Cela n'implique pas les persécutions, c'est incroyable ce raccourci systématique. Ai-je demandé à ce qu'on mette les non-catholiques en prison? Pour donner un exemple de mesure qui me semblerait très raisonnable. Je pense qu'un état catholique aurait tout à fait le droit d'interdire la diffusion d'un livre comme le "da vinci code", tissu de mensonges sur l'Eglise de Dieu, il aurait le droit effectivement de punir un médecin qui participe à un avortement. l'Eglise avait aussi le droit de demander une armée pour libérer Jérusalem quand elle était occupée et que le chrétiens étaient persécutés et n'avaient plus la possibilité de se rendre en Terre Sainte. "
Tout cela me pose problème... Le pouvoir politique, c'est la capacité d'employer la force. Donc à un moment ou à un autre, dans son exercice, règne la menace de la prison, ou de l'amende, ou de je ne sais quoi encore. Prenons un de vos exemples : si vous interdisez la publication du Code Da Vinci et qu'un libraire continue à l'écouler, alors il faudra bien employer la force à son encontre pour l'amener à respecter les décisions publiques : amende, astreinte, fermeture de l'échoppe, etc., et à plus forte raison s'il fait preuve d'opiniatreté.
Vous me dites que je fais un raccourci grossier lorsque je laisse entendre que si l'Eglise dispose du pouvoir temporel, elle sera amenée à lancer des persécutions. Ce raccourci est tout à fait justifié et je vais essayer de le faire maintenant en reprenant votre exemple "raisonnable" à propos du livre de Dan Brown. Vous proposez d'en interdire la publication, puisque ce livre, de fait, est un ramassis de mensonges sur l'Eglise catholique. Soit ; désormais tout le monde acceptera ce principe, que lorsqu'un livre livre un contenu manifestement nuisible, mensonger et trompeur, il faut l'interdire.
Mais alors maintenant, je vous pose la question : je viens de feuilleter, il y a peu, la
Société du Spectacle de Debord, et le
Traité d'athéologie d'Onfray. Ca ne vaut pas mieux que le livre de Brown ; tas d'immondices dans les deux cas (j'excepte une ou deux bonnes idées chez Debord) et c'est même encore pire, puisque ces livres entrent dans le débat public et ont donc une fin de conviction. Les effets de ces deux ouvrages ont été ou seront bien plus délétères que le roman de l'autre bonhomme. Faut-il les interdire ? Répondez-moi en conscience. Si vous me dites oui, alors c'est que vous etes partisan de la censure, par décision publique, du débat intellectuel, et donc de la persécution (puisqu'il s'agit de poursuivre des individus pour leurs idées, et leurs éditeurs pour le concours qu'ils leur apportent - et je ne parle pas de livres plus importants et tout aussi opposés à ce que nous aimons). Si vous me dites non, alors expliquez-moi pourquoi vous préférez l'interdiction d'une oeuvre de fiction (qui ne souhaite pas rentrer dans le débat d'idées) à celle d'oeuvres de réflexion. Peut-être alors faut-il de nouveau censurer certaines pièces des
Fleurs du Mal, ou certains passages d'
A Rebours, ou le
Portrait de D. Gray ? Et cela continuera sans fin.
De manière plus générale, permettez-moi de lancer un argument probabliliste et fondé sur l'expérience : dans le passé, l'Eglise a pu avoir le pouvoir directement ou indirectement (par le biais des puissances temporelles). Y a-t-il un moment où cette situation n'a pas donné lieu à des abus ? Je n'en vois aucun. Pour vous le faire mieux sentir, j'espère, je reprendrai une de vos phrases : "
Simplement, il faut protéger le citoyen en n'oubliant pas que sa fin ultime est le salut". A celle-ci, on peut apporter une objection de bon sens, celle de Christophe, en employant le principe de subsidiarité. Mais on peut aller plus loin. La fin ultime de chacun d'entre nous est le salut, certes. Une situation dans laquelle nous nous trouverons pour l'éternité, dont la possibilité alternative (la perdition) est à éviter absolument. Dans un sens, voilà un objectif qui doit avoir la priorité absolue, qui ne souffre aucun retard, aucun moment d'inattention ; tout doit passer derrière, et l'on doit etre pret à ne rien respecter du monde qui nous retarde vers cet objectif.
Si je transpose cette conclusion dans le domaine politique (le pouvoir temporel doit nous aider à aller vers le salut), j'en arrive précisément à un mode d'action de fanatiques. En effet, l'objectif de salut est si vital, c'est une fin si énorme, si "incontournable", que sa réalisation doit pouvoir amener l'Etat (ou l'Eglise si, etc.) à négliger tous les obstacles qui se dressent sur la route vers lui ("Contrains-les d'entrer"). Or parmi ces obstacles figure notamment l'erreur, permise - entre autres - par la liberté civile. Le législateur sera donc mécaniquement amené à vouloir supprimer cette erreur en supprimant la liberté civile, ce qui lui paraitra plus simple. De manière générale, on partira du principe que la vérité de notre foi et de ses fins est si évidente d'elle-meme qu'elle justifie tous les moyens. Et cela, je n'en veux pas. C'est exactement le comportement des militants d'Act Up.
Je crois que le fait de vouloir appuyer la vérité par la force publique ne résulte pas de l'amour pour elle (la vérité), mais de la paresse : c'est plus simple et plus facile que de causer avec ceux qui ne pensent pas comme nous, et donc de prendre le risque du débat.
Il y a enfin un autre problème. Si nous estimons que l'Eglise doit, en vertu de sa vérité religieuse, disposer du pouvoir temporel, nous tendons une perche aux fanatiques des autres religions ou idéologies, qui emploieront nos arguments, fondés sur la vérité de notre doctrine, pour appuyer la leur par le pouvoir politique. L'un des arguments implicites lancés par tous les tenants des idéologies que nous n'aimons pas (Act Up et bien d'autres) et qui sont plus ou moins au pouvoir en ce moment, , c'est : "ben quoi ? vous, vous voulez le pouvoir au nom de vos convictions... alors pourquoi pas nous ? "
Je dois encore continuer sur bien des points, et je fatigue... mais encore un, si possible, et je vous cite derechef :
"Il serait immoral de placer l'erreur et la vérité et l'erreur sur un pied d'égalité. Il serait immoral d'évincer Dieu de la vie publique des Nations." Il n'ya aucun rapport avec la vie publique. L'Etat n'est pas là pour défendre la vérité ou l'erreur. Si l'on ne parle pas de Dieu dans la Constitution de 1958, cela ne veut pas dire que l'on n'en veuille pas. Encore une fois, vous retombez dans le travers dont j'ai parlé : pour beaucoup de catholiques, une chose n'est vraie que lorsqu'elle est appuyée par le pouvoir politique, et a contrario, si le pouvoir politique l'ignore, c'est qu'il en soutient la fausseté. Rien à voir, je regrette...
Bon, là je n'en peux plus, et je vous laisse. A bientot !
Bonjour Wanderer !
Le problème soulevé est complexe et va nous demander beaucoup de stretching cérébral... mais il faut bien s'en charger, et j'espère que vous me pardonnerez si je ne suis pas toujours précis.
Je me permets de vous citer : [i]"Mais intrinsèquement, il est juste que l'Eglise ait ce pouvoir temporel. Cela lui permet de guider au mieux les gens vers le salut. Cela n'implique pas les persécutions, c'est incroyable ce raccourci systématique. Ai-je demandé à ce qu'on mette les non-catholiques en prison? Pour donner un exemple de mesure qui me semblerait très raisonnable. Je pense qu'un état catholique aurait tout à fait le droit d'interdire la diffusion d'un livre comme le "da vinci code", tissu de mensonges sur l'Eglise de Dieu, il aurait le droit effectivement de punir un médecin qui participe à un avortement. l'Eglise avait aussi le droit de demander une armée pour libérer Jérusalem quand elle était occupée et que le chrétiens étaient persécutés et n'avaient plus la possibilité de se rendre en Terre Sainte. "[/i]
Tout cela me pose problème... Le pouvoir politique, c'est la capacité d'employer la force. Donc à un moment ou à un autre, dans son exercice, règne la menace de la prison, ou de l'amende, ou de je ne sais quoi encore. Prenons un de vos exemples : si vous interdisez la publication du Code Da Vinci et qu'un libraire continue à l'écouler, alors il faudra bien employer la force à son encontre pour l'amener à respecter les décisions publiques : amende, astreinte, fermeture de l'échoppe, etc., et à plus forte raison s'il fait preuve d'opiniatreté.
Vous me dites que je fais un raccourci grossier lorsque je laisse entendre que si l'Eglise dispose du pouvoir temporel, elle sera amenée à lancer des persécutions. Ce raccourci est tout à fait justifié et je vais essayer de le faire maintenant en reprenant votre exemple "raisonnable" à propos du livre de Dan Brown. Vous proposez d'en interdire la publication, puisque ce livre, de fait, est un ramassis de mensonges sur l'Eglise catholique. Soit ; désormais tout le monde acceptera ce principe, que lorsqu'un livre livre un contenu manifestement nuisible, mensonger et trompeur, il faut l'interdire.
Mais alors maintenant, je vous pose la question : je viens de feuilleter, il y a peu, la [i]Société du Spectacle [/i]de Debord, et le [i]Traité d'athéologie[/i] d'Onfray. Ca ne vaut pas mieux que le livre de Brown ; tas d'immondices dans les deux cas (j'excepte une ou deux bonnes idées chez Debord) et c'est même encore pire, puisque ces livres entrent dans le débat public et ont donc une fin de conviction. Les effets de ces deux ouvrages ont été ou seront bien plus délétères que le roman de l'autre bonhomme. Faut-il les interdire ? Répondez-moi en conscience. Si vous me dites oui, alors c'est que vous etes partisan de la censure, par décision publique, du débat intellectuel, et donc de la persécution (puisqu'il s'agit de poursuivre des individus pour leurs idées, et leurs éditeurs pour le concours qu'ils leur apportent - et je ne parle pas de livres plus importants et tout aussi opposés à ce que nous aimons). Si vous me dites non, alors expliquez-moi pourquoi vous préférez l'interdiction d'une oeuvre de fiction (qui ne souhaite pas rentrer dans le débat d'idées) à celle d'oeuvres de réflexion. Peut-être alors faut-il de nouveau censurer certaines pièces des [i]Fleurs du Mal[/i], ou certains passages d'[i]A Rebours[/i], ou le [i]Portrait de D. Gray[/i] ? Et cela continuera sans fin.
De manière plus générale, permettez-moi de lancer un argument probabliliste et fondé sur l'expérience : dans le passé, l'Eglise a pu avoir le pouvoir directement ou indirectement (par le biais des puissances temporelles). Y a-t-il un moment où cette situation n'a pas donné lieu à des abus ? Je n'en vois aucun. Pour vous le faire mieux sentir, j'espère, je reprendrai une de vos phrases : "[i]Simplement, il faut protéger le citoyen en n'oubliant pas que sa fin ultime est le salut[/i]". A celle-ci, on peut apporter une objection de bon sens, celle de Christophe, en employant le principe de subsidiarité. Mais on peut aller plus loin. La fin ultime de chacun d'entre nous est le salut, certes. Une situation dans laquelle nous nous trouverons pour l'éternité, dont la possibilité alternative (la perdition) est à éviter absolument. Dans un sens, voilà un objectif qui doit avoir la priorité absolue, qui ne souffre aucun retard, aucun moment d'inattention ; tout doit passer derrière, et l'on doit etre pret à ne rien respecter du monde qui nous retarde vers cet objectif.
Si je transpose cette conclusion dans le domaine politique (le pouvoir temporel doit nous aider à aller vers le salut), j'en arrive précisément à un mode d'action de fanatiques. En effet, l'objectif de salut est si vital, c'est une fin si énorme, si "incontournable", que sa réalisation doit pouvoir amener l'Etat (ou l'Eglise si, etc.) à négliger tous les obstacles qui se dressent sur la route vers lui ("Contrains-les d'entrer"). Or parmi ces obstacles figure notamment l'erreur, permise - entre autres - par la liberté civile. Le législateur sera donc mécaniquement amené à vouloir supprimer cette erreur en supprimant la liberté civile, ce qui lui paraitra plus simple. De manière générale, on partira du principe que la vérité de notre foi et de ses fins est si évidente d'elle-meme qu'elle justifie tous les moyens. Et cela, je n'en veux pas. C'est exactement le comportement des militants d'Act Up.
Je crois que le fait de vouloir appuyer la vérité par la force publique ne résulte pas de l'amour pour elle (la vérité), mais de la paresse : c'est plus simple et plus facile que de causer avec ceux qui ne pensent pas comme nous, et donc de prendre le risque du débat.
Il y a enfin un autre problème. Si nous estimons que l'Eglise doit, en vertu de sa vérité religieuse, disposer du pouvoir temporel, nous tendons une perche aux fanatiques des autres religions ou idéologies, qui emploieront nos arguments, fondés sur la vérité de notre doctrine, pour appuyer la leur par le pouvoir politique. L'un des arguments implicites lancés par tous les tenants des idéologies que nous n'aimons pas (Act Up et bien d'autres) et qui sont plus ou moins au pouvoir en ce moment, , c'est : "ben quoi ? vous, vous voulez le pouvoir au nom de vos convictions... alors pourquoi pas nous ? "
Je dois encore continuer sur bien des points, et je fatigue... mais encore un, si possible, et je vous cite derechef : [i]"Il serait immoral de placer l'erreur et la vérité et l'erreur sur un pied d'égalité. Il serait immoral d'évincer Dieu de la vie publique des Nations."[/i] Il n'ya aucun rapport avec la vie publique. L'Etat n'est pas là pour défendre la vérité ou l'erreur. Si l'on ne parle pas de Dieu dans la Constitution de 1958, cela ne veut pas dire que l'on n'en veuille pas. Encore une fois, vous retombez dans le travers dont j'ai parlé : pour beaucoup de catholiques, une chose n'est vraie que lorsqu'elle est appuyée par le pouvoir politique, et a contrario, si le pouvoir politique l'ignore, c'est qu'il en soutient la fausseté. Rien à voir, je regrette...
Bon, là je n'en peux plus, et je vous laisse. A bientot ! :)