par Cinci » dim. 22 déc. 2013, 23:08
Bonjour MB,
Ah ! C'est que je ne vous attendais plus. Les deux derniers posts ? ce sont simplement des ouvrages qui traitent aussi du libéralisme d'une façon ou d'une autre. Dans tous les cas, il s'agirait autant d'angles différents par lequel la liberté en politique pourrait être bafouée, même si ce ne l'est pas franchement via des techniques de brutes.
Dans le cas de Saint-Simon, c'est proprement stupéfiant de voir à quel point les idéaux du célèbre utopiste - qui est contemporain des deux grandes révolutions du XVIIIe siècle (il aurait même combattu à Yorktown à côté des insurgés américains, dit-on) et pu tâter de la paille des cachots au moment de la Terreur en France (à cause de ses origines nobles) - sont finalement celles de nos élites actuelles.
C'est intéressant de voir également que Saint-Simon n'était pas un démocrate, qu'il ne souhaitait en rien que le bon peuple gouvernât, des caractéristique qui ne faisait pas moins de lui un progressiste,tel un bienfaiteur du genre humain à ses yeux.
Par exemple, partant de ce que dit Isaiah Berlin sur Saint-Simon et dans la transcription d'une série de conférences radiophoniques livrées par lui à la BBC en 1952 :
«... il nous donne quatre critères du progrès, et ces critères sont fort intéressants.
Voici le premier : la société progressiste est celle qui offre le maximum de moyens pour satisfaire le maximum de besoins chez les êtres humains qui la composent. Est progressiste tout ce qui concourt à cet effet, tout ce qui satisfait à un maximum de besoins : voilà l'idée centrale de Saint-Simon tout au long de sa carrière. Les êtres humains ont certains besoins - qui ne sont pas nécéssairement des besoins de bonheur, de sagesse, de connaissance, de sacrifice ou de quoi que ce soit de ce genre - et ce qu'ils veulent c'est satisfaire ces besoins. Il faut laisser libre cours à ces besoins sans s'enquérir de leur origine, et tout ce qui leur donne un développement riche et complexe, tout ce qui participe à un maximum de croissance de la personnalité dans un maximum de directions que possible, tout cela est progrès, tout cela est progressiste.
Le deuxième critère est le suivant. Tout ce qui est progressiste offre aux meilleurs l'occasion d'occuper le premier rang. Les meilleurs, à ses yeux, ce sont les plus doués, les plus imaginatifs, les plus ingénieux, les plus profonds, les plus énergiques, les plus actifs, ceux qui aspirent à goûter toute la saveur de la vie.
Pour Saint-Simon, il existe un nombre limité de types humains : il y a ceux qui renforcent la vie et ceux qui lui sont hostiles, il y a ceux qui veulent agir et procurer des choses aux gens - qui veulent que quelque chose se passe, qui veulent satisfaire des besoins - et ceux qui préféreraient qu'on baisse d'un ton, qu'on calme les choses, qu'on les laisse se tasser, qui sont hostiles à toute cette agitation, qui voudraient dans l'ensemble que les choses redescendent, déclinent et, au bout du compte, se figent dans un état de complète nullité.
Le troisième critère du progrès, c'est l'existence de dispositions assurant le maximum d'unité et de force en cas de rébellion ou d'invasion; et le quatrième, c'est la mise en oeuvre de circonstances favorables à l'invention, aux découvertes, à la civilisation. Par exemple, le loisir est favorable à ces dernières, et c'est pourquoi l'esclavage apparut en son temps comme une institution progressiste - ou l'invention de l'écriture ou autre chose.
Ce sont là des critères concrets et, dit Saint-Simon, si vous jugez l'histoire selon ces critères, alors le tableau diffère profondément de celui que nous brossait, au XVIIIe siècle, le dogmatisme des Lumières. Les âges sombres cessent d'être sombres si vous pensez à ce que, par exemple, le pape Grégoire VII ou Saint Louis ont accompli en leur temps. Ces hommes, après tout, ont construit des routes et asséché des marais. Ils ont bâti des hôpitaux, ils ont appris à lire et à écrire à un grand nombre de gens. Surtout, ils ont préservé l'unité de l'Europe, ils ont contenu les envahisseurs orientaux, ils ont civilisé soixante millions de personnes; et ces soixante millions vivaient de manière uniforme, sous un régime à peu près identique, et elles ont pu se développer ensemble de façon harmonieuse. [...] l'histoire aux yeux de Saint-Simon alterne ce que ses disciples devaient appeler des périodes organiques et critiques. Les périodes organiques sont celles où l'humanité est unifiée, où elle se développe harmonieusement, où dans l'ensemble ceux qui sont à sa tête promeuvent le progrès, c'est à dire fournissent au plus grand nombre possible le maximum de chances de satisfaire le plus grand nombre possible de besoins, quels que soient ces derniers. Les pédiodes critiques sont celles où ces dispositions deviennent obsolètes, où les instituions elles-mêmes deviennent des obstacles au progrès [...] c'est ainsi que Saint-Simon perçoit sa propre époque, où l'on assiste aux prémices d'un âge industriel qui se trouve encore ridiculement et artificiellement confiné à l'intérieur de structures féodales obsolètes.
L'âge critique est un âge qui détruit plus qu'il ne construit. Aux yeux de Saint-Simon, il représente quelque chose d'inférieur, mais il n'en est pas moins inéluctable et nécéssaire.
Par exemple, dans son analyse du XVIIIe siècle et des causes de la Révolution française, il dit que celle-ci a été, dans le fond, l'oeuvre des juristes et des métaphysiciens, deux classes essentiellement destructrices. Que font les juristes ? les juristes emploient des concepts tels que ceux de droits absolus, de droits naturels, de liberté; or la liberté est toujours un concept négatif. L'invocation de la liberté signifie que quelqu'un essaie de vous enlevez quelque chose, et qu'alors vous essayez de trouver une raison de garder cette chose. Bref, une situation se présente dans laquelle l'humanité, ou une majorité de l'humanité, n'a pas assez pour vivre, et vous vous sentez prisonnier, vous vous sentez opprimé. Alors vous engagez des professionnels appelés juristes, ou des professionnels appelés métaphysiciens, pour faire ce que vous ne pouvez faire vous-même, c'est à dire pour extorquer à la classe dominante, d'une manière ou d'une autre, ce que vous êtes trop faible pour lui arracher vous-même.
Les juristes sont donc des gens occupés à inventer de bonnes et de mauvaises raisons pour contourner le vieil appareil gouvernemental en fin de course, la vieille tradition caduque qui étouffe des pans entiers de population; et les métaphysiciens sont des gens, particulièrement au XVIIIe siècle, qui accomplisent la tâche fort nécéssaire de saper les vieilles religions. Le christianisme, dit Saint-Simon, a été une grande chose en son temps, comme le judaïsme avant lui, mais il faut qu'il se développe, qu'il avance. S'il reste statique, il implosera, il sera renversé.
C'est pourquoi, de tous les réformateurs religieux, c'est Luther qui lui déplaît le plus. Luther a remplacé le catholicisme par une dévotion à la Bible, un livre unique. Nul doute que la Bible n'ait fort bien fait l'affaire pour une tribu juive semi-nomade vivant dans un petit pays de la Méditerrannée orientale; mais elle ne peut suivre le développement des nations. C'est de flexibilité que l'on a besoin, d'un changement perpétuel, d'un progrès perpétuel. L'Église romaine, quels que soient ses défauts, possède un élément de flexibilité. Nul doute qu'elle ne soit réactionnaire à certains égards, répressive et oppressante à d'autres, mais par ses infinies fictions juridiques, en affirmant que la source de l'autorité n'est pas un texte imprimé inaltérable, mais une institution humaine sujette au changement et composée, après tout, de générations humaines dont chacune diffère légèrement de la précédente, elle s'est rendue suffisamment souple pour servir de guide à l'humanité tout au long du Moyen Age, avec un immense succès. C'est précisément à cela que Luther a mis fin. Il a brisé l'unité de l'Europe. Il a enchaîné la religion à quelque chose d'immuable, il a affirmé des principes absolus, privés.
S'il y a quelque chose que Saint-Simon déteste, c'est bien la notion de principe absolu : rien n'est stable, rien n'est absolu, tout évolue, tout répond au mouvement du siècle, à l'évolution de l'humanité, aux nouvelles découvertes, aux esprits, aux âmes et aux coeurs nouveaux que cette évolution produit peu à peu. Par conséquent, il est dans l'ensemble procatholique et antiprotestant; mais sur la fin, il n'a plus rien d'un catholique orthodoxe. »
[...]
L'humanité ne peut se développer que par la concentration rationnelle de ses ressources, de sorte que chaque bien, chaque art, chaque technique, chaque don, chaque aspiration ne soient pas gaspillés, mais utilisés de la meilleur manière possible [...] Saint-Simon comme Hobbes au XVIIe siècle après la révolution anglaise, redoute par-dessus tout les massacres gratuits, la violence, les foules d'émeutiers qui envahissent les rues, les Jacobins enragés à la tête pleine de slogans vides, fournis par des juristes et des rhéteurs incapables de comprendre leur époque. D'où sa vénération pour les industriels, les banquiers, les hommes d'affaires, et sa conception de la société comme une énorme entreprise commerciale, à la manière d'ICI ou de General Motors. L'État à ses yeux, est déjà obsolète, bien qu'il ait été nécéssaire en son temps pour protéger les individus contre une Église puissante [...] l'État, qui avait permis aux êtres humains de se développer sur les plans économiques, social et spirituel en les libérant de l'hypothèque que constituait une Église sclérosée, a perdu son utilité et sa créativité ; il est à son tour devenu un poids mort, oppressant et superflu. C'est pourquoi (il le dit très fermement) le genre d'État qu'il nous faut n'est rien d'autre qu'une sorte d'entreprise industrielle dont nous serions tous membres, une sorte d'immense compagnie à responsabilité illimitée.»
Source : I. Berlin, La liberté et ses traîtres, pp.199-210
Bonjour MB,
Ah ! C'est que je ne vous attendais plus. Les deux derniers posts ? ce sont simplement des ouvrages qui traitent aussi du libéralisme d'une façon ou d'une autre. Dans tous les cas, il s'agirait autant d'angles différents par lequel la liberté en politique pourrait être bafouée, même si ce ne l'est pas franchement via des techniques de brutes.
Dans le cas de Saint-Simon, c'est proprement stupéfiant de voir à quel point les idéaux du célèbre utopiste - qui est contemporain des deux grandes révolutions du XVIIIe siècle (il aurait même combattu à Yorktown à côté des insurgés américains, dit-on) et pu tâter de la paille des cachots au moment de la Terreur en France (à cause de ses origines nobles) - sont finalement celles de nos élites actuelles.
C'est intéressant de voir également que Saint-Simon [u]n'était pas un démocrate[/u], qu'il ne souhaitait en rien que le bon peuple gouvernât, des caractéristique qui ne faisait pas moins de lui un progressiste,tel un bienfaiteur du genre humain à ses yeux.
Par exemple, partant de ce que dit Isaiah Berlin sur Saint-Simon et dans la transcription d'une série de conférences radiophoniques livrées par lui à la BBC en 1952 :
[color=#004080]«... il nous donne quatre critères du progrès, et ces critères sont fort intéressants.
Voici le premier : la société progressiste est celle qui offre le maximum de moyens pour satisfaire le maximum de besoins chez les êtres humains qui la composent. Est progressiste tout ce qui concourt à cet effet, tout ce qui satisfait à un maximum de besoins : voilà l'idée centrale de Saint-Simon tout au long de sa carrière. Les êtres humains ont certains besoins - qui ne sont pas nécéssairement des besoins de bonheur, de sagesse, de connaissance, de sacrifice ou de quoi que ce soit de ce genre - et ce qu'ils veulent c'est satisfaire ces besoins. Il faut laisser libre cours à ces besoins sans s'enquérir de leur origine, et tout ce qui leur donne un développement riche et complexe, tout ce qui participe à un maximum de croissance de la personnalité dans un maximum de directions que possible, tout cela est progrès, tout cela est progressiste.
Le deuxième critère est le suivant. Tout ce qui est progressiste offre aux meilleurs l'occasion d'occuper le premier rang. Les meilleurs, à ses yeux, ce sont les plus doués, les plus imaginatifs, les plus ingénieux, les plus profonds, les plus énergiques, les plus actifs, ceux qui aspirent à goûter toute la saveur de la vie.
Pour Saint-Simon, il existe un nombre limité de types humains : il y a ceux qui renforcent la vie et ceux qui lui sont hostiles, il y a ceux qui veulent agir et procurer des choses aux gens - qui veulent que quelque chose se passe, qui veulent satisfaire des besoins - et ceux qui préféreraient qu'on baisse d'un ton, qu'on calme les choses, qu'on les laisse se tasser, qui sont hostiles à toute cette agitation, qui voudraient dans l'ensemble que les choses redescendent, déclinent et, au bout du compte, se figent dans un état de complète nullité.
Le troisième critère du progrès, c'est l'existence de dispositions assurant le maximum d'unité et de force en cas de rébellion ou d'invasion; et le quatrième, c'est la mise en oeuvre de circonstances favorables à l'invention, aux découvertes, à la civilisation. Par exemple, le loisir est favorable à ces dernières, et c'est pourquoi l'esclavage apparut en son temps comme une institution progressiste - ou l'invention de l'écriture ou autre chose.
Ce sont là des critères concrets et, dit Saint-Simon, si vous jugez l'histoire selon ces critères, alors le tableau diffère profondément de celui que nous brossait, au XVIIIe siècle, le dogmatisme des Lumières. Les âges sombres cessent d'être sombres si vous pensez à ce que, par exemple, le pape Grégoire VII ou Saint Louis ont accompli en leur temps. Ces hommes, après tout, ont construit des routes et asséché des marais. Ils ont bâti des hôpitaux, ils ont appris à lire et à écrire à un grand nombre de gens. Surtout, ils ont préservé l'unité de l'Europe, ils ont contenu les envahisseurs orientaux, ils ont civilisé soixante millions de personnes; et ces soixante millions vivaient de manière uniforme, sous un régime à peu près identique, et elles ont pu se développer ensemble de façon harmonieuse. [...] l'histoire aux yeux de Saint-Simon alterne ce que ses disciples devaient appeler des périodes organiques et critiques. Les périodes organiques sont celles où l'humanité est unifiée, où elle se développe harmonieusement, où dans l'ensemble ceux qui sont à sa tête promeuvent le progrès, c'est à dire fournissent au plus grand nombre possible le maximum de chances de satisfaire le plus grand nombre possible de besoins, quels que soient ces derniers. Les pédiodes critiques sont celles où ces dispositions deviennent obsolètes, où les instituions elles-mêmes deviennent des obstacles au progrès [...] c'est ainsi que Saint-Simon perçoit sa propre époque, où l'on assiste aux prémices d'un âge industriel qui se trouve encore ridiculement et artificiellement confiné à l'intérieur de structures féodales obsolètes.
L'âge critique est un âge qui détruit plus qu'il ne construit. Aux yeux de Saint-Simon, il représente quelque chose d'inférieur, mais il n'en est pas moins inéluctable et nécéssaire.
Par exemple, dans son analyse du XVIIIe siècle et des causes de la Révolution française, il dit que celle-ci a été, dans le fond, l'oeuvre des juristes et des métaphysiciens, deux classes essentiellement destructrices. Que font les juristes ? les juristes emploient des concepts tels que ceux de droits absolus, de droits naturels, de liberté; or la liberté est toujours un concept négatif. L'invocation de la liberté signifie que quelqu'un essaie de vous enlevez quelque chose, et qu'alors vous essayez de trouver une raison de garder cette chose. Bref, une situation se présente dans laquelle l'humanité, ou une majorité de l'humanité, n'a pas assez pour vivre, et vous vous sentez prisonnier, vous vous sentez opprimé. Alors vous engagez des professionnels appelés juristes, ou des professionnels appelés métaphysiciens, pour faire ce que vous ne pouvez faire vous-même, c'est à dire pour extorquer à la classe dominante, d'une manière ou d'une autre, ce que vous êtes trop faible pour lui arracher vous-même.
Les juristes sont donc des gens occupés à inventer de bonnes et de mauvaises raisons pour contourner le vieil appareil gouvernemental en fin de course, la vieille tradition caduque qui étouffe des pans entiers de population; et les métaphysiciens sont des gens, particulièrement au XVIIIe siècle, qui accomplisent la tâche fort nécéssaire de saper les vieilles religions. Le christianisme, dit Saint-Simon, a été une grande chose en son temps, comme le judaïsme avant lui, mais il faut qu'il se développe, qu'il avance. S'il reste statique, il implosera, il sera renversé.
C'est pourquoi, de tous les réformateurs religieux, c'est Luther qui lui déplaît le plus. Luther a remplacé le catholicisme par une dévotion à la Bible, un livre unique. Nul doute que la Bible n'ait fort bien fait l'affaire pour une tribu juive semi-nomade vivant dans un petit pays de la Méditerrannée orientale; mais elle ne peut suivre le développement des nations. C'est de flexibilité que l'on a besoin, d'un changement perpétuel, d'un progrès perpétuel. L'Église romaine, quels que soient ses défauts, possède un élément de flexibilité. Nul doute qu'elle ne soit réactionnaire à certains égards, répressive et oppressante à d'autres, mais par ses infinies fictions juridiques, en affirmant que la source de l'autorité n'est pas un texte imprimé inaltérable, mais une institution humaine sujette au changement et composée, après tout, de générations humaines dont chacune diffère légèrement de la précédente, elle s'est rendue suffisamment souple pour servir de guide à l'humanité tout au long du Moyen Age, avec un immense succès. C'est précisément à cela que Luther a mis fin. Il a brisé l'unité de l'Europe. Il a enchaîné la religion à quelque chose d'immuable, il a affirmé des principes absolus, privés.
S'il y a quelque chose que Saint-Simon déteste, c'est bien la notion de principe absolu : rien n'est stable, rien n'est absolu, tout évolue, tout répond au mouvement du siècle, à l'évolution de l'humanité, aux nouvelles découvertes, aux esprits, aux âmes et aux coeurs nouveaux que cette évolution produit peu à peu. Par conséquent, il est dans l'ensemble procatholique et antiprotestant; mais sur la fin, il n'a plus rien d'un catholique orthodoxe. »
[...]
L'humanité ne peut se développer que par la concentration rationnelle de ses ressources, de sorte que chaque bien, chaque art, chaque technique, chaque don, chaque aspiration ne soient pas gaspillés, mais utilisés de la meilleur manière possible [...] Saint-Simon comme Hobbes au XVIIe siècle après la révolution anglaise, redoute par-dessus tout les massacres gratuits, la violence, les foules d'émeutiers qui envahissent les rues, les Jacobins enragés à la tête pleine de slogans vides, fournis par des juristes et des rhéteurs incapables de comprendre leur époque. D'où sa vénération pour les industriels, les banquiers, les hommes d'affaires, et sa conception de la société comme une énorme entreprise commerciale, à la manière d'ICI ou de General Motors. L'État à ses yeux, est déjà obsolète, bien qu'il ait été nécéssaire en son temps pour protéger les individus contre une Église puissante [...] l'État, qui avait permis aux êtres humains de se développer sur les plans économiques, social et spirituel en les libérant de l'hypothèque que constituait une Église sclérosée, a perdu son utilité et sa créativité ; il est à son tour devenu un poids mort, oppressant et superflu. C'est pourquoi (il le dit très fermement) le genre d'État qu'il nous faut n'est rien d'autre qu'une sorte d'entreprise industrielle dont nous serions tous membres, une sorte d'immense compagnie à responsabilité illimitée.»
Source : I. Berlin, [u]La liberté et ses traîtres[/u], pp.199-210 [/color]