par Cgs » mer. 14 mars 2012, 9:09
Bonjour Fée,
Merci encore pour ce compte-rendu très intéressant. Je vais donner quelques éclaircissements et corrections de la pensée de Kempf, à la lumière de ma formation en science économique, avec également des appréciations plus personnelles.
Hervé Kempf cite un économiste américain d’origine norvégienne, Thorstein Veblen (« La théorie de la classe de loisir », 1899), pour qui l’économie est dominée par un principe : la tendance à rivaliser, à se comparer à autrui pour le rabaisser. « Si l’on met à part l’instinct de conservation, c’est sans doute dans la tendance à l’émulation qu’il faut voir le plus puissant, le plus constamment actif, le plus infatigable des moteurs de la vie économique proprement dite ».
La possession de la richesse ne répond pas à un besoin matériel, car les besoins concrets de l’existence sont satisfaits avec peu, mais au besoin de se distinguer d’autrui. L’économiste classique (capitaliste, marxiste) raisonne dans un univers de ressources rares et de besoins illimités. Veblen dit le contraire. Il n’y a donc pas besoin d’augmenter la production.
Le principe de consommation ostentatoire régit la société. Chaque classe étant mue par l’envie et la rivalité avec celle qui est juste au-dessus, c’est donc la classe supérieure qui définit le mode de vie.
Le ressort central de la vie sociale est la rivalité ostentatoire qui vise à exhiber une propriété supérieure à celle de ses pairs.
D’où de nos jours un amoncellement d’objets. Il n’y a pas de limite.
Veblen commence à être redécouvert par les économistes.
La course au rattrapage est d’autant plus frénétique que l’écart est grand.
L’ostentation et l’imitation déterminent le jeu économique.
La vision des choses de Kempf est ici, comme sur d'autres points, très empreinte de marxisme. S'il diagnostique bien les problèmes (possession de la richesse, sa répartition, etc), il pointe de faux coupables, et présente les choses selon une grille de lecture qui ressemble à la lutte des classes "modernisée". Reprenons.
1) Le postulat de Veblen est faux. L'économie, tant comme phénomène réel que comme discipline scientifique, ne postule pas un principe général de rivalité et d'exploitation. Adam Smith, en 1776, fonde l'activité économique sur la poursuite du bien personnel qui engendre un bien collectif. Schumpeter, en 1947, fonde l'économie sur la poursuite d'innovations par l'entrepreneur (la "destruction créatrice"). Veblen est certainement influencé par le courant positiviste du XIXème siècle, ainsi que par l'émergence du marxisme, pour se concentrer uniquement sur les rapports sociaux comme fondement de l'activité économique.
Son erreur (à l'opposé de Marx) est de croire que ces rapports sociaux conflictuels sont le fondement de l'activité économique. En réalité, ils peuvent en être une conséquence. A ce titre, le XIXème siècle done une triste illustration de ce que peut être un capitalisme sauvage non régulé... Il n'empêche qu'il ne faut pas se tromper de coupable. La rivalité, l'exploitation de certains individus par d'autres, peut être une conséquence de l'activité économique, mais pas nécessairement (en particulier si les mécanismes de redistribution et de protecttion du plus faible fonctionnent).
Le niveau de consommation matérielle de notre civilisation est énorme et exerce une pression excessive sur la biosphère. Pourquoi, dès lors, les caractéristiques actuelles de la classe dirigeante mondiale sont-elles le facteur essentiel de la crise écologique ? Parce qu’elle s’oppose aux changements radicaux qu’il faudrait mener pour empêcher l’aggravation de la situation
- indirectement, par le statut de sa consommation : son modèle tire vers le haut la consommation générale, en poussant les autres à l’imiter ;
- directement, par le contrôle du pouvoir économique et politique, qui lui permet de maintenir cette inégalité.
Pour échapper à sa remise en cause, l’oligarchie rabâche l’idéologie dominante selon laquelle la solution à la crise sociale est la croissance de la production.
En fait la croissance à la fois augmente l’inégalité et aggrave la situation écologique. Et pourtant, parmi les économistes, les politiques, les médias, personne ne critique la croissance, qui est le grand tabou de la pensée contemporaine.
« Pourquoi ? Parce que la poursuite de la croissance matérielle est pour l’oligarchie le seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités extrêmes sans remettre en cause celles-ci. La croissance crée en effet un surplus de richesses apparentes qui permet de lubrifier le système sans en modifier la structure ».
Je suis tout à fait d'accord avec le début de ce paragraphe. Il est clair que le mode de consommation de nos sociétés est excessif, et que des intérêts politiques et financiers maintiennent ce système, qui arrange tout le monde sauf les générations futures.
En revanche, une fois de plus, je ne suis pas d'accord avec les solutions proposées, et en particulier l'idée selon laquelle la croissance serait forcément mauvaise. La croissance, stricto sensus, est l'accroissement de la production. Comprendre production au sens de production de biens, mais aussi de services. J'ai l'impression qu'il parle uniquelent de la production de biens matériels. Pourtant, si je développe des activités de services aux personnes âgées, le PIB augmente, et le bien-être augmente.
S'il est tout à fait vrai que la croissance peut entraîner une perte de bien-être, l'inverse est aussi vrai. Trancher en disant que la croissance est mauvaise est donc faux. Il faut distinguer comment elle se fait. Par exemple, a-t-on une croissance de 5% par an au moyen de la vente d'armes ? Ou bien a-t-on 5% par an du fait de l'augmentation des services de soins ?
De plus, Kempf mélange l'accroissement de la production (la croissance), et sa répartition. Quand il dit que la croissance augmente les inégalités, de quoi parle-t-il ? Parle-t-il d'un cas comme la Chine ? (et là il a raison!) Parle-t-il du cas de la Suède ? (dans ce cas il a tort, puisque la redistribution des richesses en Suède est très fort). Encore une fois, il faudrait nuancer. L'économie et la croissance ne sont pas à jeter aux orties d'un bloc.
Il finit ce chapitre 4 en parlant de structure. Pour lui, la structure du capitalisme (si je l'ai bien compris, mais en fait ses idées ne sont pas très neuves, désolé de le dire
) reste essentiellement mauvaise. En cela il a tort, et contredit sans assise théorique 3 siècles de développement de la science économique. Il serait plus juste de parler de contradictions du capitalisme non régulé (ce que Marx a fait avant lui, brillamment d'ailleurs, et la plupart des auteurs classiques, de Walras à Jevons, savaient pertinemment que le système économique laissé en auto-régulation peut s'emballer et donner n'importe quoi).
« L’oligarchie mondiale veut se débarrasser de la démocratie et des libertés publiques qui en constituent la substance ».
Plutôt que des dictatures violentes (Hitler Mussolini Staline), la classe dirigeante préfère l’abâtardissement progressif de la démocratie.
« L’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée (…). Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir » (Tocqueville).
Je souscris pleinement à cette analyse. Entre la démocratie à l'extrême et le communisme à l'extrême, on a les mêmes effets d'abêtissement des masses, et une certaine soumission de la pensée. On crée un vaste ensemble d'apatrides.
Les USA avaient 500 000 prisonniers en 1980, 2 200 000 en 2005.
Il faudrait comparer l'accroissement de la population dans le même temps, pour apprécier le taux d'incarcération. Sinon ces chiffres ont peu de sens pris isolément.
« Le capitalisme n’a plus besoin de la démocratie.
La démocratie devient antinomique avec les buts recherchés par l’oligarchie : elle favorise la contestation des privilèges indus, elle alimente la remise en cause des pouvoirs illégitimes, elle pousse à l’examen rationnel des décisions. Elle est de plus en plus dangereuse, dans une période où les dérives nuisibles du capitalisme deviennent plus manifestes ».
Cette citation rapproche deux idées (la démocratie et le capitalisme) de manière artificielle, l'un ayant une connotation négative, l'autre positive. Du coup, le propos se révèle assez idéologique, postulant que la démocratie c'est bien (il se contredit sur ce point avec la fin du chapitre 4), et que le capitalisme c'est mal. Pourtant, il pointe les dérives du capitalisme sans les distinguer clairement du système capitaliste lui-même.
Qu'en est-il ? En réalité, le capitalisme et la démocratie n'ont rien à voir. Selon l'historien Fernand Braudel, le capitalisme a émergé lorsque les transactions économiques ont commencé à accumuler du capital. Il situe ce phénomène autour du XVIème siècle, au moment où la plupart des pays sont sous un régime monarchique. Y avait-il des dérives du capitalisme ? Oh oui ! Pour preuve la profonde crise monétaire de l'Espagne après la conquête des Amériques, due à un afflux massif d'or du Nouveau Monde, par exemple. Pourtant, à l'époque, pas de démocratie au sens moderne.
Donc au lieu de dire "le capitalisme n'a plus besoin de la démocratie", en réalité, il n'en a jamais eu besoin ! Et on peut augmenter le bonheur d'une nation sans être en démocratie (pensons à Saint Louis, François Ier ou Charlemagne...).
« Le désir de catastrophe
« Plus vite l’Europe s’effondrera, mieux cela sera pour les USA, dont les chances de battre le terrorisme global seront améliorées économiquement et militairement par l’arrivée des Européens les plus brillants et les plus courageux, sous l’effet de la panique » (Gunnar Heinsohn, sociologue, Wall Street journal, 2000). »
Vers 1990, triomphe du capitalisme
1996, les USA ont un système d’écoutes des communications de leurs alliés
2000, aux USA le candidat avec le moins de voix est élu
Surtout post-11/9/2001 essor extraordinaire des offensives contre les libertés. L’administration américaine surveille le téléphone, les transactions bancaires, les transports aériens. Camp d’internement. Rétablissent la torture (déportent des détenus vers des pays étrangers).
« Il importe que les occidentaux aient peur. Les autres, on le sait, n’ont guère le privilège de goûter à la démocratie ».
« Cette démocratie [les USA] si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme ; loin de la menacer, il est le gage ultime de son maintien perpétuel ; puisqu’elle n’aura plus à être jugée sur ses résultats, mais sur ses ennemis » (Mehdi Belhaj Kacem).
« Appelons ‘technique poussée d’interrogatoire’ la torture, ‘démocratie’ le régime promu par M. Bush et ses amis européens, et tout va bien, la liberté prospère.
À côté de l’épouvantail du terrorisme, il est utile d’agiter un autre épouvantail, celui de la délinquance et de la sécurité ».
Je ne sais que dire de ce type d'analyse. Kempf mélange ici plein de choses : des problématiques économiques, sociétales, géo-politiques, culturelles, religieuses. C'est le type d'analyse qui alimente des débats stériles sur les conflits au Moeyn-Orient ou autres du même genre.
Ce type de question est incroyablement compliquée. On ne voit pas où veut en venir le propos de Kempf, à part qu'il semble dénoncer en bloc un système de fonctionnement du monde, idée un tantinet simpliste...
Je continuerai plus tard, message par message...
Bonjour Fée,
Merci encore pour ce compte-rendu très intéressant. Je vais donner quelques éclaircissements et corrections de la pensée de Kempf, à la lumière de ma formation en science économique, avec également des appréciations plus personnelles.
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Hervé Kempf cite un économiste américain d’origine norvégienne, Thorstein Veblen (« La théorie de la classe de loisir », 1899), pour qui l’économie est dominée par un principe : la tendance à rivaliser, à se comparer à autrui pour le rabaisser. « Si l’on met à part l’instinct de conservation, c’est sans doute dans la tendance à l’émulation qu’il faut voir le plus puissant, le plus constamment actif, le plus infatigable des moteurs de la vie économique proprement dite ».
La possession de la richesse ne répond pas à un besoin matériel, car les besoins concrets de l’existence sont satisfaits avec peu, mais au besoin de se distinguer d’autrui. L’économiste classique (capitaliste, marxiste) raisonne dans un univers de ressources rares et de besoins illimités. Veblen dit le contraire. Il n’y a donc pas besoin d’augmenter la production.
Le principe de consommation ostentatoire régit la société. Chaque classe étant mue par l’envie et la rivalité avec celle qui est juste au-dessus, c’est donc la classe supérieure qui définit le mode de vie.
Le ressort central de la vie sociale est la rivalité ostentatoire qui vise à exhiber une propriété supérieure à celle de ses pairs.
D’où de nos jours un amoncellement d’objets. Il n’y a pas de limite.
Veblen commence à être redécouvert par les économistes.
La course au rattrapage est d’autant plus frénétique que l’écart est grand.
L’ostentation et l’imitation déterminent le jeu économique.
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La vision des choses de Kempf est ici, comme sur d'autres points, très empreinte de marxisme. S'il diagnostique bien les problèmes (possession de la richesse, sa répartition, etc), il pointe de faux coupables, et présente les choses selon une grille de lecture qui ressemble à la lutte des classes "modernisée". Reprenons.
1) Le postulat de Veblen est faux. L'économie, tant comme phénomène réel que comme discipline scientifique, ne postule pas un principe général de rivalité et d'exploitation. Adam Smith, en 1776, fonde l'activité économique sur la poursuite du bien personnel qui engendre un bien collectif. Schumpeter, en 1947, fonde l'économie sur la poursuite d'innovations par l'entrepreneur (la "destruction créatrice"). Veblen est certainement influencé par le courant positiviste du XIXème siècle, ainsi que par l'émergence du marxisme, pour se concentrer uniquement sur les rapports sociaux comme fondement de l'activité économique.
Son erreur (à l'opposé de Marx) est de croire que ces rapports sociaux conflictuels sont le fondement de l'activité économique. En réalité, ils peuvent en être une conséquence. A ce titre, le XIXème siècle done une triste illustration de ce que peut être un capitalisme sauvage non régulé... Il n'empêche qu'il ne faut pas se tromper de coupable. La rivalité, l'exploitation de certains individus par d'autres, peut être une conséquence de l'activité économique, mais pas nécessairement (en particulier si les mécanismes de redistribution et de protecttion du plus faible fonctionnent).
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Le niveau de consommation matérielle de notre civilisation est énorme et exerce une pression excessive sur la biosphère. Pourquoi, dès lors, les caractéristiques actuelles de la classe dirigeante mondiale sont-elles le facteur essentiel de la crise écologique ? Parce qu’elle s’oppose aux changements radicaux qu’il faudrait mener pour empêcher l’aggravation de la situation
- indirectement, par le statut de sa consommation : son modèle tire vers le haut la consommation générale, en poussant les autres à l’imiter ;
- directement, par le contrôle du pouvoir économique et politique, qui lui permet de maintenir cette inégalité.
Pour échapper à sa remise en cause, l’oligarchie rabâche l’idéologie dominante selon laquelle la solution à la crise sociale est la croissance de la production.
En fait la croissance à la fois augmente l’inégalité et aggrave la situation écologique. Et pourtant, parmi les économistes, les politiques, les médias, personne ne critique la croissance, qui est le grand tabou de la pensée contemporaine.
« Pourquoi ? Parce que la poursuite de la croissance matérielle est pour l’oligarchie le seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités extrêmes sans remettre en cause celles-ci. La croissance crée en effet un surplus de richesses apparentes qui permet de lubrifier le système sans en modifier la structure ».
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Je suis tout à fait d'accord avec le début de ce paragraphe. Il est clair que le mode de consommation de nos sociétés est excessif, et que des intérêts politiques et financiers maintiennent ce système, qui arrange tout le monde sauf les générations futures.
En revanche, une fois de plus, je ne suis pas d'accord avec les solutions proposées, et en particulier l'idée selon laquelle la croissance serait forcément mauvaise. La croissance, stricto sensus, est l'accroissement de la production. Comprendre production au sens de production de biens, mais aussi de services. J'ai l'impression qu'il parle uniquelent de la production de biens matériels. Pourtant, si je développe des activités de services aux personnes âgées, le PIB augmente, et le bien-être augmente.
S'il est tout à fait vrai que la croissance peut entraîner une perte de bien-être, l'inverse est aussi vrai. Trancher en disant que la croissance est mauvaise est donc faux. Il faut distinguer comment elle se fait. Par exemple, a-t-on une croissance de 5% par an au moyen de la vente d'armes ? Ou bien a-t-on 5% par an du fait de l'augmentation des services de soins ?
De plus, Kempf mélange l'accroissement de la production (la croissance), et sa répartition. Quand il dit que la croissance augmente les inégalités, de quoi parle-t-il ? Parle-t-il d'un cas comme la Chine ? (et là il a raison!) Parle-t-il du cas de la Suède ? (dans ce cas il a tort, puisque la redistribution des richesses en Suède est très fort). Encore une fois, il faudrait nuancer. L'économie et la croissance ne sont pas à jeter aux orties d'un bloc.
Il finit ce chapitre 4 en parlant de structure. Pour lui, la structure du capitalisme (si je l'ai bien compris, mais en fait ses idées ne sont pas très neuves, désolé de le dire :) ) reste essentiellement mauvaise. En cela il a tort, et contredit sans assise théorique 3 siècles de développement de la science économique. Il serait plus juste de parler de contradictions du capitalisme non régulé (ce que Marx a fait avant lui, brillamment d'ailleurs, et la plupart des auteurs classiques, de Walras à Jevons, savaient pertinemment que le système économique laissé en auto-régulation peut s'emballer et donner n'importe quoi).
[quote]
« L’oligarchie mondiale veut se débarrasser de la démocratie et des libertés publiques qui en constituent la substance ».
Plutôt que des dictatures violentes (Hitler Mussolini Staline), la classe dirigeante préfère l’abâtardissement progressif de la démocratie.
« L’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée (…). Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir » (Tocqueville).
[/quote]
Je souscris pleinement à cette analyse. Entre la démocratie à l'extrême et le communisme à l'extrême, on a les mêmes effets d'abêtissement des masses, et une certaine soumission de la pensée. On crée un vaste ensemble d'apatrides.
[quote]
Les USA avaient 500 000 prisonniers en 1980, 2 200 000 en 2005.
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Il faudrait comparer l'accroissement de la population dans le même temps, pour apprécier le taux d'incarcération. Sinon ces chiffres ont peu de sens pris isolément.
[quote]
« Le capitalisme n’a plus besoin de la démocratie.
La démocratie devient antinomique avec les buts recherchés par l’oligarchie : elle favorise la contestation des privilèges indus, elle alimente la remise en cause des pouvoirs illégitimes, elle pousse à l’examen rationnel des décisions. Elle est de plus en plus dangereuse, dans une période où les dérives nuisibles du capitalisme deviennent plus manifestes ».
[/quote]
Cette citation rapproche deux idées (la démocratie et le capitalisme) de manière artificielle, l'un ayant une connotation négative, l'autre positive. Du coup, le propos se révèle assez idéologique, postulant que la démocratie c'est bien (il se contredit sur ce point avec la fin du chapitre 4), et que le capitalisme c'est mal. Pourtant, il pointe les dérives du capitalisme sans les distinguer clairement du système capitaliste lui-même.
Qu'en est-il ? En réalité, le capitalisme et la démocratie n'ont rien à voir. Selon l'historien Fernand Braudel, le capitalisme a émergé lorsque les transactions économiques ont commencé à accumuler du capital. Il situe ce phénomène autour du XVIème siècle, au moment où la plupart des pays sont sous un régime monarchique. Y avait-il des dérives du capitalisme ? Oh oui ! Pour preuve la profonde crise monétaire de l'Espagne après la conquête des Amériques, due à un afflux massif d'or du Nouveau Monde, par exemple. Pourtant, à l'époque, pas de démocratie au sens moderne.
Donc au lieu de dire "le capitalisme n'a plus besoin de la démocratie", en réalité, il n'en a jamais eu besoin ! Et on peut augmenter le bonheur d'une nation sans être en démocratie (pensons à Saint Louis, François Ier ou Charlemagne...).
[quote]
« Le désir de catastrophe
« Plus vite l’Europe s’effondrera, mieux cela sera pour les USA, dont les chances de battre le terrorisme global seront améliorées économiquement et militairement par l’arrivée des Européens les plus brillants et les plus courageux, sous l’effet de la panique » (Gunnar Heinsohn, sociologue, Wall Street journal, 2000). »
Vers 1990, triomphe du capitalisme
1996, les USA ont un système d’écoutes des communications de leurs alliés
2000, aux USA le candidat avec le moins de voix est élu
Surtout post-11/9/2001 essor extraordinaire des offensives contre les libertés. L’administration américaine surveille le téléphone, les transactions bancaires, les transports aériens. Camp d’internement. Rétablissent la torture (déportent des détenus vers des pays étrangers).
« Il importe que les occidentaux aient peur. Les autres, on le sait, n’ont guère le privilège de goûter à la démocratie ».
« Cette démocratie [les USA] si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme ; loin de la menacer, il est le gage ultime de son maintien perpétuel ; puisqu’elle n’aura plus à être jugée sur ses résultats, mais sur ses ennemis » (Mehdi Belhaj Kacem).
« Appelons ‘technique poussée d’interrogatoire’ la torture, ‘démocratie’ le régime promu par M. Bush et ses amis européens, et tout va bien, la liberté prospère.
À côté de l’épouvantail du terrorisme, il est utile d’agiter un autre épouvantail, celui de la délinquance et de la sécurité ».
[/quote]
Je ne sais que dire de ce type d'analyse. Kempf mélange ici plein de choses : des problématiques économiques, sociétales, géo-politiques, culturelles, religieuses. C'est le type d'analyse qui alimente des débats stériles sur les conflits au Moeyn-Orient ou autres du même genre.
Ce type de question est incroyablement compliquée. On ne voit pas où veut en venir le propos de Kempf, à part qu'il semble dénoncer en bloc un système de fonctionnement du monde, idée un tantinet simpliste...
Je continuerai plus tard, message par message...