par Cinci » ven. 12 mars 2021, 0:34
Jansénius avait repris à son compte les thèses les plus pessimistes de l'augustinisme baïaniste limitant au maximum la liberté des hommes, et la doctrine du prédestinatianisme absolu tenant que le Christ n'est mort que pour quelques uns d'entre eux. De telles positions n'auraient eu sans doute qu'une audience limitée si Arnauld (1694), Nicole (1695) et Pascal (1662) n'avaient développé les aspects moraux du jansénisme. Par delà les nuances propres à chaque auteur, il est possible de présenter dans ses grandes lignes la morale janséniste.
La source unique de la morale chrétienne est la volonté de Dieu révélée soit dans les Écritures, soit dans la conscience habitée par la grâce. Dans la recherche de la volonté de Dieu, la raison humaine corrompue par le péché originel ne peut servir de guide. Quand la conscience se met à douter, elle doit prendre le parti de Dieu, c'est à dire de la loi.
On doit reconnaître que le jansénisme produisit des exemples d'une grande rigueur morale. Percevant les risques que pouvaient faire courir les tentations légalistes visant à s'arrêter aux exigences minimales de la loi et à ne considérer l'agir humain que sous le seul angle de la pénitence, il insiste sur les sources bibliques et patristiques de la morale. Il préfère conseiller le retrait du monde, plutôt que l'adaptation aux circonstances. Toutefois, l'impact de la morale janséniste s'explique surtout par son inscription dans la pensée d'Augustin, et plus spécialement dans le courant de l'augustinisme qui définit l'homme non seulement comme «un néant environné de Dieu, indigent de Dieu, capable de Dieu et rempli de Dieu, s'il veut», mais aussi comme une créature déchue qui ne peut parvenir à Dieu qu'au coeur d'un anéantissement qui est d'abord purification. Bien que le rigorisme ne puisse se réduire au jansénisme, il n'empêche que celui-là a beaucoup contribué à celui-ci par son opposition caractérisée au laxisme, mais aussi au probabilisme «fondement de toute la morale des jésuites", selon Pascal.
[...]
Les sacrements et le jansénisme
On dit parfois que Baius a ouvert la voie à Jansénius. [...] Le jansénisme fut, quant à lui, un phénomène durable puisqu'il exerça de l'influence jusqu'au début du XXe siècle et il se présenta comme une réalité aux multiples aspects, tantôt doctrinale, tantôt morale, tantôt sacramentelle, tantôt politique et culturelle.
L'augustinisme de Jansénius a pour caractéristique de s'opposer à la spiritualité «modernisante» des jésuites. Alors que ces derniers voulaient faire place dans l'Église à la nouveauté culturelle de la Renaissance, du savoir et de l'éducation, l'évêque Jansénius tenait que l'homme est vicié par le péché et que la grâce divine a une efficacité totale, allant jusqu'à la prédestination des humains. Cette doctrine portait donc sur le sens de la grâce et sur la liberté humaine. Elle était pessimiste à l'extrême et ne faisait pas assez de cas de la liberté. A cette première ligne doctrinale et spirituelle, se joignit très vite, notamment en France, une perspective pastorale et sacramentelle. Saint Cyran, directeur de conscience de l'abbesse de Port-Royal Angélique Arnauld et surtout le frère de l'abbesse, Antoine Arnauld, opérèrent ce déplacement. Les textes de Jansénius ne parlaient pas des sacrements. Antoine Arnauld entreprit de poser la question de la grâce à leur sujet. Dans son livre De la fréquente communion (1643), il s'en prit à la pastorale jésuite qu'il jugeait trop laxiste en ce qui concerne l'admission à l'eucharistie. Il s'opposait à la communion hebdomadaire et exigeait des conditions morales et spirituelles rigoureuses pour l'accès au sacrement. Cette position eut de l'audience en Europe au moins jusqu'à la fin du XIXe siècle. Le curé d'Ars, dans la première partie de son ministère, en subit l'empreinte.
La magistère romain n'intervint pas d'abord directement à propos de l'eucharistie et ce fut Pie X, en 1905 et surtout en 1910, qui devait revenir sur ce point (Décret de 1905 sur la communion quotidienne et de 1910 sur la confession et la communion des enfants à l'âge de raison (Dzs 3375-3383 et 3530-3533).
Le débat se concentra en premier lieu sur la pénitence. Un décret du Saint-Office de 1690 qui récapitule l'ensemble des positions jansénistes fait place, pour la première fois, à la question sacramentelle à propos de la valeur d'une contrition imparfaite chez les pénitents et quant à l'usage de placer l'absolution avant l'accomplissement de la satisfaction pénitentielle. Il souligne également que le jansénisme a tort de lier à l'extrême confession et communion ou d'exiger pour communier une pureté de coeur trop radicale. Par ailleurs, une autre donnée est relevée au sujet du baptême : ne pas minimiser le rôle du ministre. (DzS 231502318 et 2322-2323, 2327) Car le jansénisme donnait l'impression d'Insister tellement sur le rôle de la grâce que l'acte propre du ministre pouvait devenir secondaire.
Cette dernière tendance se manifeste au début du XVIIIe siècle, à nouveau dans le domaine pénitentiel. En face des censures romaines, certains jansénistes entendaient garder un «silence respectueux» en confession, contestant intérieurement l'interprétation de Jansénius faite par le magistère, ce qui revenait à affirmer l'autonomie relative du fidèle par rapport à l'autorité doctrinale et par rapport au ministre du sacrement. En 1705, Clément XI condamna cette attitude. Puis, à la suite de la publication par l'oratorien Quesnel de commentaires bibliques jugés jansénisants, le même Clément XI intervint en 1713 par la bulle Unigenitus, demeurée fameuse. Il passait en revue 101 affirmations de Quesnel qui sont jugées incompatibles avec la foi catholique.
Au sujet des sacrements, on peut retenir le sens donné par Quesnel à la grâce baptismale comme si plus rien du péché ne demeurait dans la vie des baptisés (prop. 43) en sorte qu'un chrétien n'accomplissant pas la loi évangélique ou vivant dans la crainte est censé relever encore de l'ancienne alliance (prop. 63). Quesnel tenait rigoureusement «qu'hors de l'Église aucune grâce n'est concédée», ce que le magistère ne pouvait accepter. Le bulle Unigenitus créa des remous dans l'Église de France, pour des motifs à la fois religieux et politiques. Benoit XIV demanda même en 1756 de refuser les derniers sacrements aux fidèles refusant notoirement la bulle.
Toutefois, le jansénisme n'eut pas dans le domaine sacramentel cette seule tendance, globalement minimisante. Il eut aussi une tout autre attitude dans le sens d'un renouveau pastoral des célébrations et de la prédication. En France, mais aussi en Allemagne, en Autriche et en Italie, ce courant chercha à faire participer les fidèles à la liturgie dominicale (langue nationale, anaphore prononcée à voix haute, communion sous les deux espèces) et à rendre à la liturgie sa priorité par rapport aux dévotions. Ce faisant, il entendait secouer les normes et les habitudes. Était-ce là du jansénisme à proprement parler ? Ou bien certains jansénistes se trouvèrent-ils accordés à un renouveau liturgique influencé par la philosophie des Lumières ?
Toujours est-il que le synode de Pistoie fut condamné par Pie VI en 1794, simultanément pour jansénisme et pour innovations dans la célébration des sacrements ( DzS 2627; eucharistie 2628-2633; pénitence 2634-2650; ordre 2651-2657; mariage 2658-2660).
Bernard de Sesboüé (Dir.), «Du concile de Trente à Vatican II» dans Les signes du salut, tome III, p. 228
Jansénius avait repris à son compte les thèses les plus pessimistes de l'augustinisme baïaniste limitant au maximum la liberté des hommes, et la doctrine du prédestinatianisme absolu tenant que le Christ n'est mort que pour quelques uns d'entre eux. De telles positions n'auraient eu sans doute qu'une audience limitée si Arnauld (1694), Nicole (1695) et Pascal (1662) n'avaient développé les aspects moraux du jansénisme. Par delà les nuances propres à chaque auteur, il est possible de présenter dans ses grandes lignes la morale janséniste.
La source unique de la morale chrétienne est la volonté de Dieu révélée soit dans les Écritures, soit dans la conscience habitée par la grâce. Dans la recherche de la volonté de Dieu, la raison humaine corrompue par le péché originel ne peut servir de guide. Quand la conscience se met à douter, elle doit prendre le parti de Dieu, c'est à dire de la loi.
On doit reconnaître que le jansénisme produisit des exemples d'une grande rigueur morale. Percevant les risques que pouvaient faire courir les tentations légalistes visant à s'arrêter aux exigences minimales de la loi et à ne considérer l'agir humain que sous le seul angle de la pénitence, il insiste sur les sources bibliques et patristiques de la morale. Il préfère conseiller le retrait du monde, plutôt que l'adaptation aux circonstances. Toutefois, l'impact de la morale janséniste s'explique surtout par son inscription dans la pensée d'Augustin, et plus spécialement dans le courant de l'augustinisme qui définit l'homme non seulement comme «un néant environné de Dieu, indigent de Dieu, capable de Dieu et rempli de Dieu, s'il veut», mais aussi comme une créature déchue qui ne peut parvenir à Dieu qu'au coeur d'un anéantissement qui est d'abord purification. Bien que le rigorisme ne puisse se réduire au jansénisme, il n'empêche que celui-là a beaucoup contribué à celui-ci par son opposition caractérisée au laxisme, mais aussi au probabilisme «fondement de toute la morale des jésuites", selon Pascal.
[...]
[size=150]Les sacrements et le jansénisme
[/size]
On dit parfois que Baius a ouvert la voie à Jansénius. [...] Le jansénisme fut, quant à lui, un phénomène durable puisqu'il exerça de l'influence jusqu'au début du XXe siècle et il se présenta comme une réalité aux multiples aspects, tantôt doctrinale, tantôt morale, tantôt sacramentelle, tantôt politique et culturelle.
L'augustinisme de Jansénius a pour caractéristique de s'opposer à la spiritualité «modernisante» des jésuites. Alors que ces derniers voulaient faire place dans l'Église à la nouveauté culturelle de la Renaissance, du savoir et de l'éducation, l'évêque Jansénius tenait que l'homme est vicié par le péché et que la grâce divine a une efficacité totale, allant jusqu'à la prédestination des humains. Cette doctrine portait donc sur le sens de la grâce et sur la liberté humaine. Elle était pessimiste à l'extrême et ne faisait pas assez de cas de la liberté. A cette première ligne doctrinale et spirituelle, se joignit très vite, notamment en France, une perspective pastorale et sacramentelle. Saint Cyran, directeur de conscience de l'abbesse de Port-Royal Angélique Arnauld et surtout le frère de l'abbesse, Antoine Arnauld, opérèrent ce déplacement. Les textes de Jansénius ne parlaient pas des sacrements. Antoine Arnauld entreprit de poser la question de la grâce à leur sujet. Dans son livre De la fréquente communion (1643), il s'en prit à la pastorale jésuite qu'il jugeait trop laxiste en ce qui concerne l'admission à l'eucharistie. Il s'opposait à la communion hebdomadaire et exigeait des conditions morales et spirituelles rigoureuses pour l'accès au sacrement. Cette position eut de l'audience en Europe au moins jusqu'à la fin du XIXe siècle. Le curé d'Ars, dans la première partie de son ministère, en subit l'empreinte.
La magistère romain n'intervint pas d'abord directement à propos de l'eucharistie et ce fut [b]Pie X[/b], en 1905 et surtout en 1910, qui devait revenir sur ce point (Décret de 1905 sur la communion quotidienne et de 1910 sur la confession et la communion des enfants à l'âge de raison (Dzs 3375-3383 et 3530-3533).
Le débat se concentra en premier lieu sur la pénitence. [b]Un décret du Saint-Office de 1690 qui récapitule l'ensemble des positions jansénistes[/b] fait place, pour la première fois, à la question sacramentelle à propos de la valeur d'une contrition imparfaite chez les pénitents et quant à l'usage de placer l'absolution avant l'accomplissement de la satisfaction pénitentielle. Il souligne également que le jansénisme a tort de lier à l'extrême confession et communion ou d'exiger pour communier une pureté de coeur trop radicale. Par ailleurs, une autre donnée est relevée au sujet du baptême : ne pas minimiser le rôle du ministre. (DzS 231502318 et 2322-2323, 2327) Car le jansénisme donnait l'impression d'Insister tellement sur le [b]rôle de la grâce[/b] que l'acte propre du ministre pouvait devenir secondaire.
Cette dernière tendance se manifeste au début du XVIIIe siècle, à nouveau dans le domaine pénitentiel. En face des censures romaines, certains jansénistes entendaient garder un «silence respectueux» en confession, contestant intérieurement l'interprétation de Jansénius faite par le magistère, ce qui revenait à affirmer [u]l'autonomie relative du fidèle par rapport à l'autorité doctrinale[/u] et par rapport au ministre du sacrement. En 1705, Clément XI condamna cette attitude. Puis, à la suite de la publication par l'oratorien Quesnel de commentaires bibliques jugés jansénisants, le même Clément XI intervint en 1713 par la bulle [i]Unigenitus[/i], demeurée fameuse. Il passait en revue 101 affirmations de Quesnel qui sont jugées incompatibles avec la foi catholique.
Au sujet des sacrements, on peut retenir le sens donné par Quesnel à la grâce baptismale comme si plus rien du péché ne demeurait dans la vie des baptisés (prop. 43) en sorte qu'un chrétien n'accomplissant pas la loi évangélique ou vivant dans la crainte est censé relever encore de l'ancienne alliance (prop. 63). Quesnel tenait rigoureusement «qu'hors de l'Église aucune grâce n'est concédée», ce que le magistère ne pouvait accepter. Le bulle [i]Unigenitus[/i] créa des remous dans l'Église de France, pour des motifs à la fois religieux et politiques. Benoit XIV demanda même en 1756 de refuser les derniers sacrements aux fidèles refusant notoirement la bulle.
Toutefois, le jansénisme n'eut pas dans le domaine sacramentel cette seule tendance, globalement minimisante. Il eut aussi une tout autre attitude dans le sens d'un renouveau pastoral des célébrations et de la prédication. En France, mais aussi en Allemagne, en Autriche et en Italie, ce courant chercha à faire participer les fidèles à la liturgie dominicale (langue nationale, anaphore prononcée à voix haute, communion sous les deux espèces) et à rendre à la liturgie sa priorité par rapport aux dévotions. Ce faisant, il entendait secouer les normes et les habitudes. Était-ce là du jansénisme à proprement parler ? Ou bien certains jansénistes se trouvèrent-ils accordés à un renouveau liturgique influencé par la philosophie des Lumières ?
Toujours est-il que le synode de Pistoie fut condamné par Pie VI en 1794, simultanément pour jansénisme et pour innovations dans la célébration des sacrements ( DzS 2627; eucharistie 2628-2633; pénitence 2634-2650; ordre 2651-2657; mariage 2658-2660).
Bernard de Sesboüé (Dir.), «Du concile de Trente à Vatican II» dans [u]Les signes du salut[/u], tome III, p. 228