par Serge BS » sam. 06 janv. 2007, 17:08
La Rochejaquelien,
Comme je ne suis pas qu'un pourfendeur de Louis XIV, et ce même si je maintiens que Colbert a participé à la chute en oubliant l'honneur et en favorisant la noblesse d'argent, ces quelques rappels qui appuient un peu ton discours, rappels sur les rapports du pouvoir royal aux pouvoirs locaux.
C’est sous la monarchie absolue que la centralisation a connu ses premiers progrès, le développement de la centralisation administrative résultant de la volonté des rois. Par volonté de puissance politique, contrastant avec les premiers siècles de la monarchie, les Valois et les Bourbon n’ont eu de cesse que de chercher à accroître leur autorité à l’intérieur d’un royaume qui s’agrandissait, se distinguant de plus en plus du domaine royal. Ce phénomène s’est trouvé favorisé par l’état souvent désastreux des villes et des campagnes, par l’incapacité des administrateurs locaux à dépasser leurs intérêts particuliers. Et là, il faut être gré aux rois du fait qu’ils se sentirent responsables de la bonne administration des collectivités locales. Pourtant, le succès de cette extension de la tutelle royale n’allait être que limité au XVI° siècle, et ce du fait de la double conjonction des divisions religieuses et de la dénonciation de la " tyrannie du roi " ; en fait, les provinces et les villes allaient avoir comme réaction un repli sur elles-mêmes, d’autant plus que les agents du roi, nommés à vie, s’alliant aux oligarchies urbaines allaient faire échouer la tutelle royale en la détournant à leur profit. Néanmoins, toute une série de textes fondamentaux allaient commencer à être adoptés, notamment des textes relatifs à l’intervention sur les finances des villes, souvent mal gérées :
- l’édit d’octobre 1547 qui interdisait le cumul des charges municipales avec les offices de justice ou des finances ;
- l’édit de 1514 portant création des contrôleurs des deniers communs, même s’ils furent très vite supprimés, l’échec de la création de ces offices étant constaté dès 1555 ;
- l’édit de 1536 sur l’examen et la clôture des deniers municipaux par les baillis et les sénéchaux.
Cette réforme s’accompagnait d’une réforme en matière de justice, avec la suppression des compétences civiles par l’édit de juin 1566 et la restriction des compétences criminelles par l’édit de 1580. Enfin, des agents royaux allaient être autorisés à intervenir pour garantir les élections locales (qui existaient, même si la forme était bien différente de la forme actuelle), mais là encore il y eut des abus et des collusions. Le XVI° siècle, malgré les efforts, allait être le temps de l’échec partiel de la prise de contrôle des villes par le roi ; pourtant, cette tentative allait aussi traduire une certaine affirmation du pouvoir royal, le roi étant réellement devenu souverain, y compris dans les esprits. ET ces réformes, certes plus ou moins ratées, allaient inspirer tous les successeurs sur le trône e France. On notera juste en passant l’édit de 1553 qui allait généraliser l’envoi de maîtres des requêtes en Conseil du Roi dans les provinces, afin de renforcer les contrôles et de ramener un peu d’ordre dans la gestion locale.
C’est dans ce cadre qu’est intervenue la grande réforme louis quatorzième, avec la mise en place d’un intendant nommé par le roi dans chaque généralité, cet intendant ayant des attributions très vastes : justice, finances, police administrative, tutelle, … Dans le même temps, le roi allait multiplier les interventions dans les processus de désignation des magistrats municipaux, le roi choisissant par exemple le maire parmi les candidats désignés par le conseil de ville ; mais le problème fut que le roi allait aussi faire montre dans ce cadre d’un mépris assez net pour les libertés municipales. Deux exemples : les villages restaient considérés comme mineurs, alors que certains offices étaient réduits dans le réel à de simples nouvelles ressources financières pour le roi.
L’édit du 27 août 1692 doit retenir notre attention. Par cet édit, chaque ville, exception faite de Lyon et de Paris, devait se doter d’un maire ; mais cet office était vénal et héréditaire, en théorie pour indépendance face aux factions, mais conduisant très vite à la mise en place de nouvelles oligarchies peu soucieuses du bien commun, ce qui devait d’ailleurs parfois certaines provinces à racheter ces offices. Mais l’œuvre majeure aura été la recherche d’une rationalisation des finances locales et de l’urbanisme avec l’interdiction faite aux villes de s’endetter (1662), la possibilité offerte aux intendants d’annuler les dettes frauduleuses (1665), et surtout l’édit d’avril 1683. En effet, il est possible de distinguer quatre grandes lignes dans cet édit :
- l’interdiction faite aux villes d’aliéner leurs biens et leurs droits ;
- la limitation du recours à l’emprunt aux seuls trois cas suivants : logement des troupes, réparation de la nef des églises et lutte contre la peste ;
- l’obligation faite de communiquer chaque année à l’intendant l’état des dépenses et des recettes ;
- la réglementation des procès.
Mais il allait y avoir une très grande disparité dans l’application de ces mesures, même si l’intégration dans l’administration royale d’une partie de l’administration locale (pardonnez ces termes plus actuels qu’anciens) allait s’intensifier.
Notons que cette expansion du pouvoir royal allait aller de pair avec la décadence entre le XV° siècle et le XVIII° siècle des États provinciaux. Ils allaient par exemple diminuer en nombre, n’étant plus que 12 à la fin du règne de Louis XIV, alors que leur autorité politique allait s’effondrer avec la restriction des doléances, et surtout l’obligation d’obéir au roi en matière fiscale, même s’ils restaient en droit les seuls à pouvoir consentir l’impôt. Aparté : je me souviens avoir lu dans un livre d’histoire du début du XX° siècle parmi les causes de la Révolution française le fait que l’impôt pouvait atteindre jusqu’à … 10 % des revenus ! Passons… Toujours est-il que les États provinciaux allaient passer du statut d’organes politiques à celui d’organes administratifs (notamment pouvoir d’adaptation des impôts aux réalités de chaque pays, contrôle et définition des travaux d’intérêt général) ; ils étaient devenus des organes administratifs plus ou moins sous tutelle, et surtout des organes d’aménagement, une grande première en France.
En fait, au terme du règne de Louis XIV, on a pu constater une intégration totale des collectivités locales à l’État triomphant (point sur lequel je ne reviendrai pas). Ceci avait des aspects bénéfiques tels que l’amélioration de la gestion locales, le renforcement de certains pouvoirs locaux (surtout en matière d’aménagement et de voirie) et surtout l’attribution aux collectivités locales du statut d’universitates de droit privé. Mais les inconvénients étaient aussi bien réels avec la limitation de la participation des administrés et surtout la survie de la diversité des statuts. L’entreprise de la seconde moitié du XVIII° siècle sera alors de tenter de décentraliser et d’uniformiser, pour obéir … à la raison. Et c’est à encore la puissance royale qui allait intervenir.
Il faut bien admettre que l’affermissement du pouvoir royal avait suscité des critiques, surtout du fait d’aristocrates et plus encore d’oligarques issus de la bourgeois anoblie par voie vénale, sensibles au déclin de leur ordre et plus encore de leurs pouvoirs. C’est dans ce cadre que des auteurs tels que Fénelon ou encore Montesquieu allaient faire l’éloge des États provinciaux dont ils voulaient l’extension aux provinces d’élection, ce qui n’était pas négatif en soit, et ce que le pouvoir royal ne voyait pas forcément d’un mauvis œil. Cette idée allait être reprise par des acteurs tels que Turgot ou Dupont de Nemours, ces derniers déplorant la complexité et l’incohérence des institutions existantes. Ils souhaitaient en fait – en dehors des réactions oligarchiques – une nouvelle organisation administrative fondée sur le désir de développer les rapports sociaux, tout en permettant une réelle participation des sujets à l’administration, même si l’accès au pouvoir local devait rester dans leur esprit lié à la richesse, et non plus au sang et à l’honneur… En fait, deux idées majeures se dégageaient : la nécessité d’uniformiser l’administrtion locale et le développement de la participation des sujets aux affaires les concernant au quotidien. C’est tout ceci qui allait inspirer les préoccupations de la fin de l’Ancien régime.
Ce seront ainsi les mesures du contrôleur général Laverdy de 1764/1765, mesures visant à accroître l’efficacité de l’action administrative. Ces mesures étaient simples :
- il faut les mêmes règles de gestion et de tutelle pour les villes de plus de 4500 habitants, seules considérées comme " majeures " juridiquement ;
- il faut uniformiser les institutions municipales des villes administrées par des officiers municipaux, sauf les cas de Paris et de Lyon.
Mais, là encore, plusieurs Parlements allaient résister à ces mesures, qui allaient être abandonnées en 1771. Triomphe des résistances oligarchiques – dont certaines rallieront la révolution ou liées à des organes plus ou moins anti-catholiques – à des mesures dans ce cas très positives ! Necker allait alors décider d’opérer de manière différente, d’une manière très pragmatique : il faut d’abord expérimenter sur de petits territoires, puis, démontrant la réussite, étendre peu à peu les réformes. Ce seront les assemblées provinciales du Berry (arrêt de juillet 1778)et de Haute-Guyenne ; mais, malgré les réussites, beaucoup, craignant pour leurs " petits détournements " et leurs oligarchies allaient s’y opposer. Le pouvoir royal allait pourtant insister avec l’édit de juin 1787 qui tentait de prévoir l’établissement dans les pays d’élection d’une hiérarchie d’assemblées représentatives des administrés, mais là encore les heurts avec les Parlements allaient se multiplier, seules 17 généralités sur 26 agissant peu ou prou en faveur du contenu de cet édit. Ce fut là encore un échec… Ici, le roi voulait donc rationaliser, mieux gérer… Mais les réactions furent si nombreuses d’oligarques et de pseudo-nobles nés de l’argent… D’ailleurs, la Révolution fut d’abord bourgeoise et oligarque, avant de sombrer !
On avait donc, après une tendance à la centralisation, une tendance à la décentralisation. Deux volontés se constataient sur le terrain, et pas que chez les seuls oligarques :
- il faut doter les collectivités locales d’organes représentatifs ;
- il faut réduire la tutelle exercée par les intendants, ces derniers voyant baisser leur prestige du fait de leurs détournements de pouvoir et de leur enrichissement personnel.
C’est pour lutter contre les oligarchies locales et pour remettre au pas les intendants dévoyés que Laverdy allait tenter ses réformes (administration des villes par des organes représentatifs de 12 élus plus un maire ; abolition des offices municipaux – qu’il fallait racheter – ; limitation du pouvoir de tutelle des intendants, notamment en matière d’emprunt ou d’octroi)… C’est dans le même esprit que les réformes de Necker allaient tenter de lutter contre la centralisation… La politique royale avait une réelle volonté décentralisatrice, et c’est cette volonté qui fut à l’origine de l’édit de juin 1787 créant des assemblées provinciales, de district, de communautés élues au suffrage censitaire et indirect, atténuation de la distinction en ordres… :
- le tiers-État doit avoir autant d’élus que la noblesse et le clergé réunis ;
- dans les villages, si un conseil élu est prévu, le Curé et le seigneur doivent y être associés ;
- tous les impôts directs doivent être répartis entre tous les ordres ;
- il doit y avoir délibération sur les dépenses ;
- une commission intermédiaire doit assurer la permanence de la gestion entre les sessions ;
- ces conseils doivent veiller à la réelle exécution des travaux publics ;
- l’exécution des ordres du gouvernement restent confiée à l’intendant à l’échelon de la province, mais cette exécution revient aux municipalités à l’échelon de la commune.
Malgré ces réelles avancés, il n’y eut donc que peu de succès. Certes du fait de l’opposition des Parlements, mais aussi du fait de la faiblesse du roi qui, cédant aux pressions, allait empêcher les élections, le roi nommant la moitié des membres des assemblées provinciales, les autres membres étant cooptés par ces membres nommés, seuls des " intéressés " se trouvant finalement en place… Les privilèges territoriaux, les oligarchies profiteuses restaient en place… L'argent triomphait, l'honneur avait disparu, et, malgré la volonté de réforme et de justice...
[align=right]© Serge BONNEFOI, Marseille, 2007
(en cas de reprise, même partielle, prière de citer l’auteur et le présent forum. Merci)
[/align]
SBS
La Rochejaquelien,
Comme je ne suis pas qu'un pourfendeur de Louis XIV, et ce même si je maintiens que Colbert a participé à la chute en oubliant l'honneur et en favorisant la noblesse d'argent, ces quelques rappels qui appuient un peu ton discours, rappels sur les rapports du pouvoir royal aux pouvoirs locaux.
C’est sous la monarchie absolue que la centralisation a connu ses premiers progrès, le développement de la centralisation administrative résultant de la volonté des rois. Par volonté de puissance politique, contrastant avec les premiers siècles de la monarchie, les Valois et les Bourbon n’ont eu de cesse que de chercher à accroître leur autorité à l’intérieur d’un royaume qui s’agrandissait, se distinguant de plus en plus du domaine royal. Ce phénomène s’est trouvé favorisé par l’état souvent désastreux des villes et des campagnes, par l’incapacité des administrateurs locaux à dépasser leurs intérêts particuliers. Et là, il faut être gré aux rois du fait qu’ils se sentirent responsables de la bonne administration des collectivités locales. Pourtant, le succès de cette extension de la tutelle royale n’allait être que limité au XVI° siècle, et ce du fait de la double conjonction des divisions religieuses et de la dénonciation de la " tyrannie du roi " ; en fait, les provinces et les villes allaient avoir comme réaction un repli sur elles-mêmes, d’autant plus que les agents du roi, nommés à vie, s’alliant aux oligarchies urbaines allaient faire échouer la tutelle royale en la détournant à leur profit. Néanmoins, toute une série de textes fondamentaux allaient commencer à être adoptés, notamment des textes relatifs à l’intervention sur les finances des villes, souvent mal gérées :
- l’édit d’octobre 1547 qui interdisait le cumul des charges municipales avec les offices de justice ou des finances ;
- l’édit de 1514 portant création des contrôleurs des deniers communs, même s’ils furent très vite supprimés, l’échec de la création de ces offices étant constaté dès 1555 ;
- l’édit de 1536 sur l’examen et la clôture des deniers municipaux par les baillis et les sénéchaux.
Cette réforme s’accompagnait d’une réforme en matière de justice, avec la suppression des compétences civiles par l’édit de juin 1566 et la restriction des compétences criminelles par l’édit de 1580. Enfin, des agents royaux allaient être autorisés à intervenir pour garantir les élections locales (qui existaient, même si la forme était bien différente de la forme actuelle), mais là encore il y eut des abus et des collusions. Le XVI° siècle, malgré les efforts, allait être le temps de l’échec partiel de la prise de contrôle des villes par le roi ; pourtant, cette tentative allait aussi traduire une certaine affirmation du pouvoir royal, le roi étant réellement devenu souverain, y compris dans les esprits. ET ces réformes, certes plus ou moins ratées, allaient inspirer tous les successeurs sur le trône e France. On notera juste en passant l’édit de 1553 qui allait généraliser l’envoi de maîtres des requêtes en Conseil du Roi dans les provinces, afin de renforcer les contrôles et de ramener un peu d’ordre dans la gestion locale.
C’est dans ce cadre qu’est intervenue la grande réforme louis quatorzième, avec la mise en place d’un intendant nommé par le roi dans chaque généralité, cet intendant ayant des attributions très vastes : justice, finances, police administrative, tutelle, … Dans le même temps, le roi allait multiplier les interventions dans les processus de désignation des magistrats municipaux, le roi choisissant par exemple le maire parmi les candidats désignés par le conseil de ville ; mais le problème fut que le roi allait aussi faire montre dans ce cadre d’un mépris assez net pour les libertés municipales. Deux exemples : les villages restaient considérés comme mineurs, alors que certains offices étaient réduits dans le réel à de simples nouvelles ressources financières pour le roi.
L’édit du 27 août 1692 doit retenir notre attention. Par cet édit, chaque ville, exception faite de Lyon et de Paris, devait se doter d’un maire ; mais cet office était vénal et héréditaire, en théorie pour indépendance face aux factions, mais conduisant très vite à la mise en place de nouvelles oligarchies peu soucieuses du bien commun, ce qui devait d’ailleurs parfois certaines provinces à racheter ces offices. Mais l’œuvre majeure aura été la recherche d’une rationalisation des finances locales et de l’urbanisme avec l’interdiction faite aux villes de s’endetter (1662), la possibilité offerte aux intendants d’annuler les dettes frauduleuses (1665), et surtout l’édit d’avril 1683. En effet, il est possible de distinguer quatre grandes lignes dans cet édit :
- l’interdiction faite aux villes d’aliéner leurs biens et leurs droits ;
- la limitation du recours à l’emprunt aux seuls trois cas suivants : logement des troupes, réparation de la nef des églises et lutte contre la peste ;
- l’obligation faite de communiquer chaque année à l’intendant l’état des dépenses et des recettes ;
- la réglementation des procès.
Mais il allait y avoir une très grande disparité dans l’application de ces mesures, même si l’intégration dans l’administration royale d’une partie de l’administration locale (pardonnez ces termes plus actuels qu’anciens) allait s’intensifier.
Notons que cette expansion du pouvoir royal allait aller de pair avec la décadence entre le XV° siècle et le XVIII° siècle des États provinciaux. Ils allaient par exemple diminuer en nombre, n’étant plus que 12 à la fin du règne de Louis XIV, alors que leur autorité politique allait s’effondrer avec la restriction des doléances, et surtout l’obligation d’obéir au roi en matière fiscale, même s’ils restaient en droit les seuls à pouvoir consentir l’impôt. Aparté : je me souviens avoir lu dans un livre d’histoire du début du XX° siècle parmi les causes de la Révolution française le fait que l’impôt pouvait atteindre jusqu’à … 10 % des revenus ! Passons… Toujours est-il que les États provinciaux allaient passer du statut d’organes politiques à celui d’organes administratifs (notamment pouvoir d’adaptation des impôts aux réalités de chaque pays, contrôle et définition des travaux d’intérêt général) ; ils étaient devenus des organes administratifs plus ou moins sous tutelle, et surtout des organes d’aménagement, une grande première en France.
En fait, au terme du règne de Louis XIV, on a pu constater une intégration totale des collectivités locales à l’État triomphant (point sur lequel je ne reviendrai pas). Ceci avait des aspects bénéfiques tels que l’amélioration de la gestion locales, le renforcement de certains pouvoirs locaux (surtout en matière d’aménagement et de voirie) et surtout l’attribution aux collectivités locales du statut d’universitates de droit privé. Mais les inconvénients étaient aussi bien réels avec la limitation de la participation des administrés et surtout la survie de la diversité des statuts. L’entreprise de la seconde moitié du XVIII° siècle sera alors de tenter de décentraliser et d’uniformiser, pour obéir … à la raison. Et c’est à encore la puissance royale qui allait intervenir.
Il faut bien admettre que l’affermissement du pouvoir royal avait suscité des critiques, surtout du fait d’aristocrates et plus encore d’oligarques issus de la bourgeois anoblie par voie vénale, sensibles au déclin de leur ordre et plus encore de leurs pouvoirs. C’est dans ce cadre que des auteurs tels que Fénelon ou encore Montesquieu allaient faire l’éloge des États provinciaux dont ils voulaient l’extension aux provinces d’élection, ce qui n’était pas négatif en soit, et ce que le pouvoir royal ne voyait pas forcément d’un mauvis œil. Cette idée allait être reprise par des acteurs tels que Turgot ou Dupont de Nemours, ces derniers déplorant la complexité et l’incohérence des institutions existantes. Ils souhaitaient en fait – en dehors des réactions oligarchiques – une nouvelle organisation administrative fondée sur le désir de développer les rapports sociaux, tout en permettant une réelle participation des sujets à l’administration, même si l’accès au pouvoir local devait rester dans leur esprit lié à la richesse, et non plus au sang et à l’honneur… En fait, deux idées majeures se dégageaient : la nécessité d’uniformiser l’administrtion locale et le développement de la participation des sujets aux affaires les concernant au quotidien. C’est tout ceci qui allait inspirer les préoccupations de la fin de l’Ancien régime.
Ce seront ainsi les mesures du contrôleur général Laverdy de 1764/1765, mesures visant à accroître l’efficacité de l’action administrative. Ces mesures étaient simples :
- il faut les mêmes règles de gestion et de tutelle pour les villes de plus de 4500 habitants, seules considérées comme " majeures " juridiquement ;
- il faut uniformiser les institutions municipales des villes administrées par des officiers municipaux, sauf les cas de Paris et de Lyon.
Mais, là encore, plusieurs Parlements allaient résister à ces mesures, qui allaient être abandonnées en 1771. Triomphe des résistances oligarchiques – dont certaines rallieront la révolution ou liées à des organes plus ou moins anti-catholiques – à des mesures dans ce cas très positives ! Necker allait alors décider d’opérer de manière différente, d’une manière très pragmatique : il faut d’abord expérimenter sur de petits territoires, puis, démontrant la réussite, étendre peu à peu les réformes. Ce seront les assemblées provinciales du Berry (arrêt de juillet 1778)et de Haute-Guyenne ; mais, malgré les réussites, beaucoup, craignant pour leurs " petits détournements " et leurs oligarchies allaient s’y opposer. Le pouvoir royal allait pourtant insister avec l’édit de juin 1787 qui tentait de prévoir l’établissement dans les pays d’élection d’une hiérarchie d’assemblées représentatives des administrés, mais là encore les heurts avec les Parlements allaient se multiplier, seules 17 généralités sur 26 agissant peu ou prou en faveur du contenu de cet édit. Ce fut là encore un échec… Ici, le roi voulait donc rationaliser, mieux gérer… Mais les réactions furent si nombreuses d’oligarques et de pseudo-nobles nés de l’argent… D’ailleurs, la Révolution fut d’abord bourgeoise et oligarque, avant de sombrer !
On avait donc, après une tendance à la centralisation, une tendance à la décentralisation. Deux volontés se constataient sur le terrain, et pas que chez les seuls oligarques :
- il faut doter les collectivités locales d’organes représentatifs ;
- il faut réduire la tutelle exercée par les intendants, ces derniers voyant baisser leur prestige du fait de leurs détournements de pouvoir et de leur enrichissement personnel.
C’est pour lutter contre les oligarchies locales et pour remettre au pas les intendants dévoyés que Laverdy allait tenter ses réformes (administration des villes par des organes représentatifs de 12 élus plus un maire ; abolition des offices municipaux – qu’il fallait racheter – ; limitation du pouvoir de tutelle des intendants, notamment en matière d’emprunt ou d’octroi)… C’est dans le même esprit que les réformes de Necker allaient tenter de lutter contre la centralisation… La politique royale avait une réelle volonté décentralisatrice, et c’est cette volonté qui fut à l’origine de l’édit de juin 1787 créant des assemblées provinciales, de district, de communautés élues au suffrage censitaire et indirect, atténuation de la distinction en ordres… :
- le tiers-État doit avoir autant d’élus que la noblesse et le clergé réunis ;
- dans les villages, si un conseil élu est prévu, le Curé et le seigneur doivent y être associés ;
- tous les impôts directs doivent être répartis entre tous les ordres ;
- il doit y avoir délibération sur les dépenses ;
- une commission intermédiaire doit assurer la permanence de la gestion entre les sessions ;
- ces conseils doivent veiller à la réelle exécution des travaux publics ;
- l’exécution des ordres du gouvernement restent confiée à l’intendant à l’échelon de la province, mais cette exécution revient aux municipalités à l’échelon de la commune.
Malgré ces réelles avancés, il n’y eut donc que peu de succès. Certes du fait de l’opposition des Parlements, mais aussi du fait de la faiblesse du roi qui, cédant aux pressions, allait empêcher les élections, le roi nommant la moitié des membres des assemblées provinciales, les autres membres étant cooptés par ces membres nommés, seuls des " intéressés " se trouvant finalement en place… Les privilèges territoriaux, les oligarchies profiteuses restaient en place… L'argent triomphait, l'honneur avait disparu, et, malgré la volonté de réforme et de justice...
[align=right]© Serge BONNEFOI, Marseille, 2007
(en cas de reprise, même partielle, prière de citer l’auteur et le présent forum. Merci)
[/align]
SBS